Denis Coutagne

Le séjour de Cezanne à Gardanne nous est relativement bien connu. Il n’en demeure pas moins un séjour dont les motivations profondes nous échappent. Aucune démarche antérieure ne laisse entendre que l’homme ait eu un quelconque intérêt pour ce village à la fois agricole et minier à quelques kilomètres d’Aix. Certes, allant à l’Estaque par Marseille, le peintre prenait un train dont la ligne ouverte depuis 1877 s’arrêtait dans la toute nouvelle gare du dit village. Il entrevoyait de la fenêtre du wagon le clocher de l’église, les moulins sur la colline. Comme Cabriès, comme Bouc bel Air, Gardanne avait, à la différence d’Aix, le cachet d’un village provençal construit sur une colline, le clocher de l’église donnant à la géographie un sens.

NR575

Environs de Gardanne, 1886, 58,5×71,8cm, FWN231-R575, Washington, National Gallery of Art.

De nos jours une cheminée de trois cents mètres de haut signale l’emplacement du village. Ainsi le visiteur soucieux de faire un pèlerinage en ce lieu spécifique n’aura aucune difficulté à localiser le bourg. En s’approchant, il remarquera les immenses cheminées de refroidissement qui imposent leur architecture industrielle à une campagne que le peintre ne reconnaîtrait plus : n’est-ce pas au pied de ces actuelles tours qu’on peut encore voir l’une des maisons qui servit de motif à l’un de ses tableaux.

Par ailleurs une usine de traitement de la bauxite dispense alentour une poussière si fortement ocrée qu’elle teinte de ton pastel toutes les maisons, toutes les végétations. On ne parlera pas ici de « l’avenue Cezanne » aux lampadaires dont on peut être sûr que le peintre aurait rejeté la conception tant leur rigidité dessine des poteaux à l’opposé de la démarche du peintre.

En 1885, ces constructions n’existaient pas et Cezanne pouvait encore reconnaître les vestiges d’un passé sinon romain en tout cas médiéval en posant son chevalet à Gardanne.

      Bref historique de Gardanne

Un « castrum » existe à Gardanne déjà au XIe siècle. Il en reste quelques vestiges sous forme de deux enceintes encore visibles (La mairie sera construite en 1908 vers l’emplacement de ce château). Des remparts derrière lesquels la ville se protégea, il reste encore des ruines datant du XIVe. L’église, juchée sur la hauteur du Captivel, est citée dans une charte de 1098, dédiée à sainte Marie (Elle sera désaffectée au début du XXe siècle et détruite au cours des années 1930. Seul le clocher a été épargné).

Le roi René aura, au XVe siècle une prédilection pour Gardanne qu’il achète en 1454. La seigneurie passa ensuite aux mains des Forbin jusqu’au XVIIe siècle. A cette date, plus précisément en 1698, on dénombre 210 maisons, ce qui signifie une population de 1000 à 1500 habitants.

Du temps de Cezanne, le village même de Gardanne comprend deux mille cinq cents  habitants environ : la plus grande partie habite les maisons étagées sur les pentes méridionales du Captivel. A la mort du peintre,  l’ensemble de l’agglomération gardannaise atteindra quatre mille habitants.

Vers 1885-1886, la population est essentiellement composée de cultivateurs disposant de  leurs fermiers et journaliers : aux cultures de safran, garance, tabac succèdent celles de blé, avoine, orge, betteraves.

L’industrie s’implante et se développe dans le deuxième moitié du XIXe siècle, du fait de l’exploitation possible de mine de charbon et du chemin de fer qui traverse Gardanne en 1877 lorsque la ligne Marseille Aix est ouverte. En 1887 on dénombre une poterie, deux tuileries, une fabrique de chaux et surtout une mine de charbon comprenant deux cent quatre vingt deux ouvriers. La chambre syndicale des ouvriers mineurs de Puits Biver sera crée en 1898 avec 180 membres. Une usine d’aluminium s’implantera en 1893. Cezanne ne s’intéressera aucunement à l’architecture artisanale et industrielle qui marquait déjà le paysage, particulièrement du côté de Biver… Par contre il garde trace sur ses toiles de trois moulins à vent (toujours visibles derrière le clocher de l’église disparue) dont le plus ancien date de 1567.

Signalons que les Gueidan, dont les portraits peints par Largillière et Rigaud sont au musée Granet d’Aix, possédèrent le domaine de Valabre tout proche de Gardanne.

Cezanne à Gardanne

Cezanne de retour de Médan à la fin du mois de juillet 1885 évite le Jas de Bouffan, ce dont il est coutumier, mais il n’en vient pas pour autant à L’Estaque. Gardanne donc ! Location d’un appartement cours Forbin sur la grande rue au centre du village ! Pourquoi ce choix ? Hortense aurait-elle exercé des pressions, lasse d’être à Marseille trop éloignée de son compagnon ? Au moins Gardanne, un peu à l’écart, reste proche d’Aix-en-Provence et le train permet des aller-retour dans la journée. Cezanne peut alors fort bien aller manger le soir au Jas de Bouffan sans rompre sa vie de famille, d’autant plus que Paul Cezanne-fils, âgé dorénavant de 13 ans a besoin d’une scolarité régulière : aussi est-il inscrit à l’école du village. Il semble par ailleurs que le peintre ait mis un point final à la passion amoureuse qui l’a si fortement bousculé au printemps. On peut toujours penser que le mariage de Paul et d’Hortense le 28 avril 1886 à Aix est à mettre en rapport avec cette histoire amoureuse : Marie, soucieuse de convenances,  a-t-elle forcé son frère aîné à régulariser sa situation ? Hortense, ayant pris conscience qu’une séparation l’obligerait à vivre dans la pauvreté, a-t-elle exigé que son fils, pour lequel Paul avait une profonde affection, soit intégré dans un couple reconnu ? Toujours est-il que le mariage sera célébré dans les formes (civiles et religieuses) alors que le couple vivra de plus en plus séparé.

Comme toujours, des raisons anecdotiques, liées à la vie privée de l’homme détermine les conditions de la création, en tout cas l’obligent à s’installer ici plutôt qu’ailleurs. Cezanne ne fait point partie de ces artistes qui imposent aux événements de leur vie d’être tels ou tels pour les besoins de la création. Il assume alors les conditions imposées, mais de manière telle qu’un principe de nécessité intérieure apparaît nous obligeant à cette reconnaissance : il ne pouvait en être autrement. Il fallait, au sortir de la période de l’Estaque un lieu terrien, construit, solide et brutale. Le Jas de Bouffan, trop humanisé avec son allée d’arbres, son bassin charmant près de la Masure ne pouvait répondre aux exigences intérieures du peintre. Château-Noir et Bibémus n’étaient pas encore nécessaires à l’œuvre à poursuivre : il fallait, en continuité avec l’expérience de grands paysages à l’Estaque, un lieu ouvert (en rupture alors avec l’espace relativement fermé que signifiait le Jas d Bouffan), un lieu terrien : la mer renvoyait à l’impressionnisme dont Cezanne entendait se détacher définitivement. Un village construit comme un village italien  lui permettait de rechercher le classicisme italien dont il avait la nostalgie : l’idée de « faire du Poussin sur nature »  s’imposait consciemment à son esprit.

On dira alors que Cezanne acquiesce à ce que la vie lui propose en terme de cadre de vie, sentant  le profit qu’il peut tirer du lieu reconnu, un temps donné. De fait, quand le temps a été suffisant, Cezanne s’en va comme il était venu ! Peut-être trouvera-t-on les raisons de la présence physique de Cezanne à Gardanne parce que ce lieu le mettait à distance de Fanny, le rapprochait de fait d’Hortense et de son fils pour une période de plus d’un an ! Mais, jamais ces explications ne rendront compte du fait que Gardanne, pour une année de la vie du peintre,  allait marquer un tournant. Les biographes abordent cette période comme étant celle du « constructivisme » de Cezanne. La plaque retenue par la municipalité de Gardanne pour signifier la maison qu’habita le peintre ne craint pas les raccourcis historiques puisqu’elle explicite cette idée comme quoi Cezanne ici inventa le cubisme…

La seule vérité possible concernant ce séjour ne peut alors nous être donnée que par les écrits du peintre et par son œuvre ! La lettre que Cezanne écrit à Chocquet le 11 mai 1886 s’avère alors l’une des lettres les plus fortes concernant le sens de la Provence dont le peintre s’approprie la beauté :

« Toujours le ciel, les choses sans bornes de la nature m’attirent et me procurent l’occasion de regarder avec plaisir […]je ne pourrai souhaiter pour vous que la réussite de vos plantations et un beau développement de végétation : le vert étant une couleur des plus gaies et qui fait le plus de bien aux yeux. Pour finir je vous dirai que je m’occupe toujours de peinture et qu’il y aurait des trésors à emporter de ce pays qui n’a pas trouvé encore un interprète à la hauteur des richesses qu’il déploie[1] ».

A l’Estaque, un an auparavant, Cezanne disait vouloir trouver de « beaux panoramas ». Ici l’artiste s’extasie devant une nature sans borne, aux richesses insondables. Et son émotion est maximale lorsqu’il prend conscience que son art pictural doit correspondre aux richesses déployées par cette nature. Retenons alors qu’en cette année gardannaise, Cezanne prend la mesure de son génie, encore que ce génie pictural ne se comprend que dans une confrontation avec la réalité, en l’occurrence le paysage. Que ce paysage soit provençal n’est pas indifférent. Cezanne explicite ainsi cette idée que « ce pays », ce coin de Provence impose sa marque plus que tout autre dans l’œuvre picturale à créer. Cezanne ne parle pas de représentation, d’illustration. Il se définit comme un interprète, c’est à dire un traducteur : la peinture est un langage, la nature aussi et ces deux langages doivent se correspondre mystérieusement au delà d’une transposition figurée.

L’œuvre de Cezanne à Gardanne

Trois tableaux majeurs prennent en compte le village regroupé autour du clocher (FWN225-R569, FWN223-R570, FWN224-R571).Deux de ces tableaux adoptent le même point de vue  mais l’un choisit un cadrage en hauteur  quand le deuxième choisit un format horizontal, le tableau retenu dans un cadrage en hauteur étant peint de plus près. Les heures d’éclairement sont encore différentes le tableau FWN225-R569 est une œuvre du matin, le tableau FWN223-R570 du milieu du jour. Le tableau FWN224-R571 est délibérément pris d’un point de vue différent : il est peint l’après-midi au vu des ombres portées.

571

Gardanne ( après-midi), 1886, 92x73cm, NR571, New York, musée Brooklyn

570

Gardanne, vue verticale, 1886, 80×64,2cm,NR570, New York Metropolitan Museum of art

569

Gardanne vue horizontale, 1885, 63,5x99cm, NR569, Philadelphie, Barnes Foundation.

Ainsi Cezanne s’essaie ici aux « heures du jour » se souvenant peut-être avoir traité les quatre saisons dans sa jeunesse. Plus vraisemblablement, le travail que le peintre a poursuivi ici en prenant en compte les heures tient-il aux ombres portés et au travail de construction qu’il a pu mener, car voilà  trois toiles inattendues dans l’œuvre de Cezanne. Aucun tableau antérieur ne les annonce, aucune toile future ne les prolonge : la peinture d’un village, pour lui-même autour d’un clocher qui le domine sur une colline n’appartient pas au genre impressionniste. Cezanne retrouve ici une tradition du védustisme italien.

En tout cas le tableau de cadrage horizontal (Gardanne FWN225-R569) répond parfaitement à cette œuvre de Corot, alors que les deux autres tableaux impliquent, dans leur inachèvement, une tension accrue entre les végétation et les architectures, particulièrement dans le cas du tableau FWN224-R571. Ce dernier tableau (du musée de Brooklyn à New York)  traduit un flamboiement de verdure  à l’assaut des architectures étagées de manière désordonnée autour du clocher régulateur entre deux collines (dont celle de droite correspond au début de la montagne Sainte-Victoire). Inachevée, cette toile comprend des traces de crayon à la Twombly, des jets de peinture à la Pollock, en tout cas des vestiges de coups de pinceaux rapidement donnés. Cette toile apparaît alors, proche dan le temps et la thématique en complète opposition avec le tableau de la Barnes Foundation (FWN225-R569) si appliqué dans chaque morceau de toit ou de mur, voire dans la sagesse opiniâtreté prise pour figurer des arbres solides, puissamment éclairés du soleil matinal. Le tableau FWN223-R570, inachevé, à peine coloré d’un jus pictural léger, s’intercale entre ces deux tableaux comme un rêve d’une harmonie délicate entre les bleutés, les orangés et verts.

Une réflexion alors ici s’impose : Gardanne permet à Cezanne de s’appliquer à quelques toiles solidement structurées, Cezanne soucieux d’un paysage totalement humanisé (à remarquer qu’il se tien tout d même à distance de son motif et qu’aucune figure humaine n’apparaît dans ces villages comme vides de tout habitant !). Seulement cette volonté  de construction n’exclut en aucun cas la violence intérieure : le tableau du Brooklyn Muséum annonce les futures expressions de Château-Noir et Bibémus. En tout cas, la mer dans son immensité bleue, sa platitude radicale ne pouvait convenir à ce besoin de charpenter, d’intégrer des plans complexes…

 

Hameau à Payennet près de Gardanne, 1886,62,5x91cm, NR572, Washingto, Maison Blanche

Hameau à Payennet près de Gardanne, 1886,62,5x91cm, FWN227-R572, Washingto, Maison Blanche

 

Maison à la Barque, près de Gardanne devant Sainte-Victoire, 1886, 65,5x81,3cm, NR573, Indianapolis, Museum of Art.

Maison à la Barque, près de Gardanne devant Sainte-Victoire, 1886, 65,5×81,3cm, FWN228-R573, Indianapolis, Museum of Art.

Quatre autres tableaux de ce même temps, forment une unité spécifique : Soient les tableaux FWN227-R572 (Hameau de Payennet près de Gardanne), FWN228-R573 (Maison devant Sainte Victoire, près de Gardanne), FWN229-R574 (Sainte-Victoire, environs de Gardanne), FWN231-R575 (Environs de Gardanne) : ils correspondent  à des compositions longitudinales : la montagne, haut placée comme une falaise étirée, domine la toile laissant peu de ciel. Spécificité commune : une maison (ou un groupe de maisons) s’impose symboliquement au centre du tableau comme une construction solide et durable. Autour de ce motif architecturé, sous la protection de la montagne, la plaine, les coteaux, les chemins, les arbres se mettent en place dans un ordonnancement commandée par les maisons. A remarquer d’ailleurs que l’architecture retenue comme motif essentiel est toujours donnée sur la toile en relation directe avec la montagne visible en arrière plan. Ces quatre tableaux répondent alors aux trois précédents comme la campagne contre la ville, en tout cas le paysage contre le village. La montagne à peine suggérée comme naissante derrière le village s’impose ici comme une barrière retenant le paysage de s’étaler vers un horizon lointain. A L’Estaque, Cezanne déjà suggérait, avec les collines rocheuses de Marseilleveyre, que la mer n’était pas sans limitation. Ici, le territoire même est marquée de finitude. La seule exception à cette affirmation est peut-être donnée dans le tableau de Sainte-Victoire (FWN229-R574) si blanche dans son inachèvement qu’elle laisse le regard la traverser pour une lumière venue d’ailleurs : le paysage passe de la visibilité à l’invisibilité…en tout cas de sa matérialité terrestre à sa vérité intérieure et c’est la montagne qui opère cette transmutation ! la maison toujours solidement implantée se donne alors pour un refuge, une halte, une certitude. Personne ne l’habite derrière ses fenêtres aveugles, ce qui accroît l’énigme de la vie ! Humanisés (au sens où les traces de l’occupation de l’espace par l’homme sont évidentes), ces paysages n’en demeurent pas moins désertiques et silencieux : loin d’être une fumée sortant de la cheminée (ce que Cezanne exprimait à l’Estaque) l’ombre noire au dessus du toit du tableau d’Indianapolis (FWN228-R573) correspond à un arbre juste derrière la maison !

A Gardanne, vivant au cœur du village, Cezanne ne peint jamais l’intérieur du hameau. Certes il ne s’éloigne guère pour trouver les emplacements  pour peindre le village lui-même, montant sur les coteaux tout proches (la colline des Frères), mais il cherche du côté de Payennet, de la Barque, du pont de Bayeux des points de vue surprenants, car ils impliquent une distance parfois de plusieurs kilomètres dans des lieux où Cezanne ne nous laisse qu’une seule œuvre. Pourquoi ce choix du pont de Bayeux, pourquoi ce point éloigné vers la Barque, le point le plus lointain vers l’est en direction de Trets ? La montagne Sainte-Victoire, et c’est une originalité dans l’œuvre du peintre, n’apparaît point comme une proue triangulaire ou dôme apaisé mais comme une barrière rocheuse. Parfois Cezanne lui donne des tonalités contrastées, accentuant les plissements géologiques ou les effaçant complètement.

Gardanne sera l’occasion encore de nombreux autoportraits, de plusieurs portraits de son fils, d’Hortense et de quelques amis gardannais, particulièrement de Jules Peyron, fonctionnaire  à Gardanne qui sera  témoin de mariage de Paul et Hortense en 1886, avec un autre  habitant de Gardanne, Louis Baret (Cf. l’ouvrage de Michel Deleuil Cezanne, les quinze mois à Gardanne , l’invention de la Sainte-Victoire,  cercle de l’art 1997). Selon Michel Deleuil,  les Baret habitaient  un immeuble tout proche de celui occupé par Cezanne à Gardanne.  Peut-être  le portrait de Cezanne à la palette a–t-il été peint à Gardanne ?

Le peintre est un homme accompli, non loin de la cinquantaine qui approche. Il ne s’interroge plus sur qui il est : l’évidence est absolue. Il affirme : je peins, je suis ! Palette, chevalet, pinceau : la sobriété géométrique de ces éléments s’impose implacablement. Le peintre est tellement concentré que son regard en devient étrange : un œil paraît nous regarder quand l’autre se fixe  sur la toile. Le visage pour le reste se garde de toute expression. Plutôt qu’un visage, on pourrait croire à un masque. Le peintre n’existe que d’être peintre !  D’ailleurs le fond derrière le peintre est blanchâtre, abstrait, c’est-à-dire qu’il interdit toute localisation, toute figuration concernant la vie de l’homme. Autant de manière de signifier que la peinture pour Cezanne n’est pas de l’ordre de l’expression psychologique, de la transposition figurée d’un monde figurable. Elle est méditation, le pinceau à la main, concentration de regard et de pensée ensemble pour une réalisation qui a peu à voir avec la mise en image du monde. D’ailleurs le chevalet ne nous donne pas à voir le tableau en cours et la palette présentée dans le plan du tableau annonce les abstractions du siècle à venir. Ce tableau a souvent été rapproché de l’autoportrait de Poussin au milieu de cadre et tableaux. Ici la tension est encore plus absolue.

Le temps de Gardanne entre celui de l’Estaque et bientôt celui de Château-Noir et Bibémus, est une pause dans la vie du peintre. Elle établit non moins une rupture. Un saut qualitatif s’opère dans la démarche picturale de l’artiste : soudain une volonté de structurer, de construire s’impose. La violence intérieure se fraie un chemin de verdure… Cezanne veut des points de repaire, des références comme des affirmations : montagne, maison… il n’en reste pas moins soucieux de prendre en compte le désordre que les arbres, les routes, les champs dispersées signifient à son regard. Sa touche parfois maçonnée, posée avec une pugnacité certaine, se libère soudain de toute contrainte. Aucune règle ne s’impose. La victoire lui est acquise, contre son père, contre Zola, contre ses détracteurs, contre lui-même , contre une certaine Fanny sans doute. Il assume l’ordre matrimonial dans sa vie privée… Cezanne devient Cezanne. Gardanne autour de son clocher n’avait pas besoin de s’imposer davantage.

Tableaux correspondant à ce site : FWN225-R569, FWN223-R570, FWN224-R571, FWN227-R572, FWN228-R573, FWN229-R574, FWN231-R575.