Paysage du Midi, L'Ensoleillé 1885-87, 63x94cm, NR609, coll. privée Japon

Paysage du Midi, L’Ensoleillée 1885-87, 63x94cm, FWN229-R609, coll. privée, Japon

François Chédeville

Localisation de Paysage du Midi (FWN229-R609)

(Cliquer sur les images pour les voir en vraie grandeur)

La localisation de ce tableau a été faite par monsieur Thomas Metzger et monsieur Raymond Tremoulières. Avec monsieur Bonfort, nous la confirmons.

Ce tableau représente une bastide au toit à quatre pans porteur d’une sorte de clocheton et d’une cheminée. Un second corps de bâtiment plus bas semble la prolonger à droite sur deux niveaux avant d’aboutir à un muret ocre-rouge,  Celui-ci est en surplomb d’un mur de soutènement portant des arches creuses qui contient la terre de la terrasse sur laquelle s’élève la bastide, au flanc d’un coteau à la pente assez forte. Cette pente est marquée par la ligne que dessine à droite le champ du premier plan, lequel occupe dans sa nudité pratiquement le tiers de la surface du tableau. Au second plan et au pied du mur de soutènement, la pente du terrain est retenue par deux autres terrasses en descendant vers le bas du coteau qui se termine par un terrain plat. Au fond, deux maisonnettes situées sur ce terrain plat, dominées par une ligne horizontale et au-delà la ligne des collines à l’horizon.

La construction en terrasse sur un coteau pentu avec un mur de soutènement rythmé par des arches creuses semble correspondre à la position de ce qu’a été la bastide dite « L’Ensoleillée » située au pied du plateau de Valcros, de l’autre côté du chemin de fer d’Aix à Rognac par rapport à la Bastide Vieille, en remontant d’une centaine de mètres vers le nord-est. C’est cette localisation qu’il convient de vérifier avant d’en déduire une position de Cezanne compatible avec les données topographiques et ce qu’il a représenté sur sa toile.

Le bâtiment de l’Ensoleillée

Sur le cadastre napoléonien de 1829, le domaine de l’Ensoleillée (pas encore nommé ainsi) comporte une construction rectangulaire (parcelle 1228) de dimensions réduites, reliée par un petit chemin en S au chemin du Jas de Bouffan :

Fig. 2. L'Ensoleillée sur le cadastre napoléonien

Fig. 2. L’Ensoleillée sur le cadastre napoléonien

 

 

 

 

 

 

La présence de ce bâtiment est également attestée sur la carte d’Etat-Major de 1860 (le chemin de fer d’Aix à Rognac est alors construit), où il semble de plus grande taille, mais l’imprécision de cette carte interdit de conclure :

Fig. 3. L’Ensoleillée sur la carte d’Etat-Major de 1860

Fig. 3. L’Ensoleillée sur la carte d’Etat-Major de 1860

 

 

 

 

 

 

 

 

Faute de documents, il n’a pas été possible de retracer l’évolution du site entre 1860 et 1930, où une nouvelle carte fait état de la présence de la bastide, dont la taille est devenue comparable à celle de la Bastide Vieille :

Fig. 4. L’Ensoleillée sur une carte de 1930

Fig. 4. L’Ensoleillée sur une carte de 1930

 

 

 

 

 

 

 

Une première photo aérienne existe également en 1934, malheureusement limitée vers l’ouest et assez floue :

Fig. 5. Photo aérienne de l’Ensoleillée en 1934

Fig. 5. Photo aérienne de l’Ensoleillée en 1934

 

 

 

 

 

 

 

 

On constate que le bâtiment a pris une grande ampleur. On sait que cette bastide est devenue un complexe hôtelier doté d‘un vaste garage (situé dans la boucle de l’ancien chemin reliant la propriété au Chemin du Jas de Bouffan).

Une photo aérienne de 1960 beaucoup plus lisible montre que le site n’a subi aucune transformation depuis les années 30 (à part un nouveau bâtiment construit près de l’ancien garage) et peut donc nous servir de référence  :

Fig. 6. Photo aérienne de L’Ensoleillée en 1960

Fig. 6. Photo aérienne de L’Ensoleillée en 1960

 

 

 

 

 

 

 

La bâtisse peinte par Cezanne 40 ans plus tôt vers 1885-1887 présente deux différences avec celle de 1934 :

  • le clocheton du bâtiment principal B semble avoir disparu ;
  • le bâtiment C s’est surajouté à l’ensemble à partir de l’extension du bâtiment B à droite en deux niveaux  que l’on voit sur la toile ;
  •  noter aussi dans l’environnement immédiat qu’une rangée d’arbres couvre en 1934 toute la terrasse qui surplombe le mur de soutènement ( le reste de ces arbres est encore présent en 2011, voir Figs. 7 et 8 ci-dessous).

Le bâtiment A en revanche pouvait être présent du temps de Cezanne, puisqu’il est camouflé par des arbres sur la photo comme sur la toile, vu sa position en retrait par rapport au bâtiment B.

Ces différences restent logiquement compatibles avec l’hypothèse selon laquelle l’Ensoleillée est bien la bastide peinte par Cezanne.

Le mur de soutènement

La bastide a été détruite entre 1996 et 2003 (Pas de photo aérienne disponible entre ces deux années pour situer plus exactement la date de destruction). Mais le mur de soutènement de la terrasse est demeuré présent et devait être intégré aux nouvelles constructions élevées en 2012-2013, avec ses arches incluses caractéristiques :

Fig. 7. Le mur de soutènement et ses arches en 2010

Fig. 7. Le mur de soutènement et ses arches en 2010

Fig. 8. Le mur de soutènement et ses arches en décembre 2012

Fig. 8. Le mur de soutènement et ses arches en décembre 2012

 

 

 

 

 

 

Fig. 9. Le mur de soutènement et ses arches dans le projet Nexity

Fig. 9. Le mur de soutènement et ses arches dans le projet Nexity

 

 

 

 

 

 

La présence de ce vestige peu commun caractéristique du tableau renforce la présomption selon laquelle L’Ensoleillée était bien le sujet de FWN229-R609.

La configuration du terrain

Le coteau sur lequel était bâtie L’Ensoleillée est marqué par de fortes déclivités entre divers plans, comme le montre également la Fig. 9 :

Fig. 10. Coupe longitudinale de la butte selon l’axe NO-SE

Fig. 10. Coupe longitudinale de la butte selon l’axe NO-SE

 

 

 

 

Voici une vue générale mettant en évidence le coteau sur lequel était bâtie L’Ensoleillée :

Fig. 11. Vue générale du site aujourd’hui.

Fig. 11. Vue générale du site aujourd’hui.

 

 

 

 

 

 

Cette configuration du terrain est conforme à celle présente sur FWN230-R609 pour ce qui concerne la butte où se situait L’Ensoleillée et sa descente en terrasses vers le terrain plat bordant l’ancien Chemin du Jas de Bouffan.

Position possible de Cezanne

En s’aidant de Google Earth, on obtient une vision 3D du site en 2011 au moment ou les pelleteuses ont commencé à nettoyer le terrain  et à araser la butte où devait se tenir Cezanne, à peu près à la même hauteur que la bastide :

Fig. 12. Position possible de Cézanne.

Fig. 12. Position possible de Cezanne.

 

 

 

 

 

 

Un collage sommaire de la bastide représentée sur le tableau sur cette image 3D donne ceci :

Fig. 13. Position de la bastide dans l’image 3D

Fig. 13. Position de la bastide dans l’image 3D

 

 

 

 

 

 

 

 

En se plaçant en face de la bastide, on obtient la vue suivante, la position de Cezanne apparaissant à la bonne distance par rapport à L’Ensoleillée :

Fig.14. Le site de l’Ensoleillée vu de face

Fig.14. Le site de l’Ensoleillée vu de face

 

 

 

 

 

 

Puis en se tournant vers l’ouest, on voit que cette position est à la bonne hauteur par rapport à la bastide:

Fig.15. Vue du site en regardant vers le sud-ouest

Fig.15. Vue du site en regardant vers le sud-ouest

 

Cette dernière image montre en tout cas qu’il n’existe aucun autre lieu dans les environs susceptible de dominer assez le bas du coteau du premier plan du tableau pour en rendre la ligne descendante. En outre, Cezanne peint la cime d’un arbre (en bas à droite du tableau), ce qui suppose qu’il le domine, celui-ci étant planté sur le terrain plat en bas du coteau.

 

Tous ces éléments sont donc compatibles avec l’identification de la bastide représentée par Cezanne avec L’Ensoleillée.

Les maisons de l’arrière-plan

Deux maisonnettes sont situées à l’arrière-plan au bas de la colline :

Fig. 16. Les maisonnettes

Fig. 16. Les maisonnettes

 

 

La plus à gauche est présente sur la carte de 1930 à l’emplacement du garage de l’hôtel (cf. Fig. 6). La plus à droite n’y est pas, mais elle figure sur la photo aérienne de 1934 (cf Fig. 5), à côté d’un muret qui pourrait bien être le reste d’une maison antérieure présente du temps de Cezanne si ce n’est pas celle de la photo que la carte de 1930 aurait omise.

Ces deux maisonnettes sont dominées par la ligne horizontale de l’ancien Chemin du jas de Bouffan, qui effectivement à cet endroit courait sur une butte dominant les champs plats alentour (dont celui situé au bas de la colline de l’Ensoleillée), comme on le voit sur la carte de 1930 :

Fig. 17. Le chemin du Jas de Bouffan exhaussé par rapport aux champs alentour

Fig. 17. Le chemin du Jas de Bouffan exhaussé par rapport aux champs alentour

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces divers éléments apparaissent donc compatibles avec notre hypothèse initiale : Cezanne a bien peint L’Ensoleillée dans FWN229-R609.

Conclusion

 Compte tenu de l’ensemble des éléments analysés, l’identification de la bastide de FWN229-R609 avec L’Ensoleillée est tout à fait crédible, et la position de Cezanne s’en déduit aisément.

Dès lors, le titre actuel fort vague de cette œuvre mérite d’être précisé, par exemple sous la forme :

La bastide L’Ensoleillée près d’Aix.

Bien entendu, il serait utile de pouvoir examiner d’autres cartes et plans, voire, si elles existent, des photos de la bastide de la fin du XIXe ou du début du XXe, qui seules seraient de nature à remettre en cause cette analyse, par exemple si on découvrait que L’Ensoleillée n’a jamais été surmontée du clocheton dont nous n’avons pas trouvé trace dans nos documents à parti de 1934, ce qui nous a amenés à supposer qu’il avait pu être détruit au moment où le bâtiment B a été complété par le bâtiment C (cf Fig. 6), ou même avant. Mais même si c’était le cas, on pourrait alors penser que Cezanne a rajouté cet élément décoratif, peut-être influencé par le pittoresque du toit de la bastide Lou Deven, bien que cela soit absolument contraire à ses habitudes…

ANNEXE : un site malmené

A titre de curiosité, on peut rappeler qu’après sa démolition, le site de L’Ensoleillée a subi le même sort que la Bastide Lou Deven, avec des occupations illégales de squatteurs peu respectueux du site. Ainsi, la piscine a servi pour accueillir un bric-à-brac de tentes et d’objets hétéroclites que Nexity a dû évacuer avant de pouvoir implanter ses immeubles de bois.

Fig. 18. La dalle ayant supporté les bâtiments de L’Ensoleillée, avec la ligne de pins surplombant le mur de soutènement.

Fig. 18. La dalle ayant supporté les bâtiments de L’Ensoleillée, avec la ligne de pins surplombant le mur de soutènement.

Fig. 19. La piscine.

Fig. 19. La piscine.

 

Fig. 20 Mur d’enceinte d’une terrasse située sous le mur de soutènement à son extrémité est.

Fig. 20 Mur d’enceinte d’une terrasse située sous le mur de soutènement à son extrémité est.