« Je croyais qu’on pouvait faire de la peinture bien faite sans attirer l’attention sur son existence privée. Certes un artiste désire s’élever intellectuellement le plus possible, mais l’homme doit rester obscur. »

Paul Cezanne, lettre à Joachim Gasquet, 30 avril 1896.

Cette chronique tente de rassembler et aussi de comprendre les témoignages textuels les plus authentiques de la vie de Cezanne : textes imprimés, souvent tombés dans l’oubli, épars dans des publications quelquefois introuvables, ou bien manuscrits, souvent enfouis dans des fonds cachés. Les plus vivants témoignages du peintre demeurent bien sûr ses œuvres, qui pour la plupart sont cataloguées, même si elles ont pu être retouchées, voire parfois exécutées par d’autres.

L’étude bénéficie naturellement de l’état des connaissances générales. Elle les passe à l’épreuve d’une recension des informations initiales. Trop d’auteurs se bornent à reprendre les dires de leurs devanciers, sans les nommer et surtout sans compter qu’eux-mêmes pouvaient tenir leurs informations d’autres encore, au point que l’origine des sources se perd dans l’abondance des compilations, et se perd aussi leur validité. Notre choix est d’éviter l’emprunt d’éléments impurs.

Chaque fois que possible, nous avons recours aux éditions originales des textes imprimés ou aux éditions ultérieures révisées par leur auteur ; nous confrontons la transcription des lettres aux manuscrits autographes ou à leur reproduction, traquant la falsification et les « améliorations » stylistiques. Les matériaux que nous livrons sont des transcriptions de lettres, souvent révélatrices et contributives de la connaissance de Cezanne, non seulement ses propres lettres, mais aussi celles de ses correspondants et de son entourage qui parlent de lui, ou qui situent un contexte qui a compté pour lui ; les articles de journaux, revues ou livres qui le mentionnent et apportent des renseignements ou reflètent une opinion sur lui ; les extraits de catalogues d’exposition, de catalogues de vente, où ses œuvres ont figuré ; les témoignages, proches ou tardifs, directs ou indirects, plus ou moins fiables, de ceux qui l’ont connu ; les documents administratifs le concernant, lui et sa famille. Le classement en ordre chronologique de lettres non datées que nous proposons résulte de recoupements entre documents, épistolaires ou non.

Sans doute la forme cadencée d’une chronique découle-t-elle de l’intention d’exactitude et d’honnêteté que l’on est en droit d’attendre d’un tel corpus, sans l’estompe du récit pseudo-littéraire qui altère souvent les biographies. Elle permet de relever les corrélations entre les faits qui la jalonnent, leurs contradictions, leurs incohérences, et par-là même de les interroger, de les réviser ou de forger des hypothèses, d’imaginer des vraisemblances, en les justifiant.

La myriade d’événements petits ou grands qui la composent, à partir de matériaux déjà connus ou bien nouveaux, serait de peu d’importance si elle ne concernait un peintre tellement honni ou révéré de son temps, qui, déjà, était devenu mythique.

Le document brut qui en résulte est destiné à l’utilisation par les lecteurs, qui trouveront aussitôt dans leur fraîcheur les sources originales. Espérons que notre intention fasse pardonner nos intrusions dans son intimité.

Alain Mothe

N.B. : Le changement de dénomination de la commune d’Aix, dans les Bouches-du-Rhône, en Aix-en-Provence a été officiellement autorisé par décret du ministère de l’Intérieur du 2 février 1932. Néanmoins, le nom moderne a été utilisé bien avant, y compris parfois par Cezanne.

Cf. Journal officiel de la République française. Lois et décrets, arrêtés, circulaires, avis, communications, informations et annonces, 64e année, n° 32, dimanche 7 février 1932, p. 1467.