13 janvier

Lettre de Zola, Paris, à [Hippolyte] Taine, 13 janvier 1865
Zola sollicite d’Hippolyte Taine, qui vient d’être nommé professeur d’esthétique à l’École des Beaux-Arts, la possibilité qu’« un de mes amis, peintre », probablement Cezanne, assiste à ses cours.

Émile Zola. Correspondance, édité sous la direction de B. H. Bakker, éditeur associé Owen Morgan, conseiller littéraire Henri Mitterand, tome X « Octobre 1899 – septembre 1902. Supplément. Index général », Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Paris, CNRS éditions, 1995, 647 pages, lettre n° S8 p. 442.

« J’ai une demande à vous adresser, et je ne sais jusqu’à quel point je vais être importun. Un de mes amis, peintre qui ne suit pas les cours de l’École des beaux-arts, désirerait assister à vos leçons d’esthétique. Une carte est-elle nécessaire pour entrer, et, dans ce cas, auriez-vous l’extrême bonté de me procurer cette carte ? Pour peu que ma demande soit indiscrète, considérez-la comme non avenue. »

13 mars

Zola publie dans Le Petit Journal un article où il dessine le portrait d’une « grisette » (couturière) amoureuse nommée Gabrielle. Georges Pajot, qui a lu l’article, confirme implicitement, dans sa lettre à Zola du 15 mars, son contenu autobiographique. Gabrielle, dont le nom n’est pas d’emprunt, est devenue la compagne de Zola, Éléonore Alexandrine Meley, née à Paris le 23 mars 1839, qui se fait appeler Gabrielle. Leur liaison de « voici deux mois » remonte peut-être au 28 décembre 1864. Quand elle deviendra en 1870 Mme Émile Zola, Gabrielle se fera dès lors appeler Alexandrine.

Zola Émile, « Portraits-cartes. I, La grisette », Le Petit Journal, n° 772, lundi 13 mars 1865, p. 3 ; repris dans Esquisses parisiennes, « L’amour sous les toits » (voir O. C., IX, p. 223). Date de leur liaison d’après Mitterand Henri, Zola, I (1840-1871), Paris, Fayard, 1999, 943 pages, p. 383.

« PORTRAITS-CARTES

I

LA GRISETTE.

Les gens chagrins, ceux qui, vieillissent et que fâche notre jeunesse, déclarent que les roses de leur temps sont fanées et que nous n’en avons plus que les épines. Ils vont disant à la jeune génération, avec une joie mauvaise : « La grisette se meurt, la grisette est morte ! »

Et moi je vous affirme qu’ils mentent, que l’amour et le travail ne sautaient mourir, que les gais oiseaux des mansardes n’ont pu s’envoler.

Je connais un de ces oiseaux.

Gabrielle a vingt ans. Un jour, elle s’est, trouvée seule dans la vie. Elle était enfant de la grande ville qui offre à ses filles un dé à coudre ou des bijoux. Elle a choisi le dé, et s’est faite grisette.

Le métier est simple, allez. Il demande seulement un cœur et une aiguille. Il s’agit de beaucoup aimer et de beaucoup travailler. Ici, le travail sauve l’amour ; les doigts assurent l’indépendance du cœur.

Gabrielle, au matin de la vie, a pris son front entre ses petites mains, et s’est plongée bravement dans les plus graves réflexions.

Je suis jeune, je suis jolie, songeait l’enfant, et il ne tient qu’à moi de porter des robes de soie, des dentelles, des bagues et des colliers. Je vivrais grassement, nourrie de mets délicats, ne sortant qu’en voiture, oisive et assise toute la sainte journée dans un excellent fauteuil. Mais, un jour, après avoir versé toutes mes larmes et surmonté tous mes dégouts, je m’éveillerais dans la boue et j’entendrais les plaintes de mon cœur qui me réclamerait les affections que je lui aurais refusées.

Je préfère lui obéir dès aujourd’hui ; je veux en faire mon seul guide et mon seul conseiller. Pour pouvoir l’écouter en paix, je porterai des jupes d’indienne, je le consulterai à voix basse, pendant mes longues heures de couture. Je veux être libre d’aimer celui que mon cœur aimera.

Et la belle enfant se constitua ainsi citoyenne de la république des bonnes filles travailleuses et aimantes.

Depuis ce jour, Gabrielle habite sous les toits une mansarde pleine de soleil. Vous le connaissez tous, ce nid que les poètes ont décrit. Le seul luxe du ménage est une propreté exquise et une gaîté inépuisable. Tout y est blanc et lumineux. Les vieux meubles eux-mêmes chantent la chanson de la vingtième année.

Le lit est petit, tout blanc, comme celui d’une pensionnaire ; seulement, à l’extrémité de la flèche qui supporte le rideau, se balance un Amour en plâtre doré, les ailes et les bras ouverts. À la tête de la couche sourit doucement un buste de Béranger, le poète des greniers ; contre les murs, sont collées des lithographies, des perroquets jaunes et bleus, des gravures tirées du Voyage de Dumont d’Urville ; puis, sur une étagère, s’étale tout un monde de porcelaines et de verreries.

Ensuite il y a une commode, un buffet, une table et quatre chaises. La mansarde est trop meublée.

Le nid est morne lorsque l’oiseau n’y est pas. Dès que Gabrielle entre, le grenier entier se met à sourire. Elle est l’âme de cet univers, et, selon qu’elle rit ou qu’elle pleure, le soleil entre ou n’entre pas.

Elle est assise devant la petite table. Elle coud en chantant, et les moineaux du toit répondent à ses refrains. Elle a hâte de finir son ouvrage ; elle se sait attendue, car elle doit le lendemain gagner les hauteurs ombreuses de Verrières.

Son cœur a parlé, s’il faut tout dire, et elle a parfaitement entendu ce que son cœur lui disait. Voici deux mois qu’elle lui a obéi. Elle n’est plus seule en ce monde ; elle rencontré un bon garçon, et, comme elle est me bonne fille, elle s’est laissé aimer, pour le bon motif, bien entendu, et elle a aimé elle- même.

Voyez-la dans la rue, son ouvrage à la main Elle saute légèrement les ruisseaux, retroussant ses jupes et découvrant des chevilles fines et délicates. Elle a la démarche tout, la fois hardie et effarouchée, l’effronterie. et la naïveté des moineaux du Luxembourg. Elle est l’oiseau alerte et gaillard du pavé de Paris ; c’est là son terroir, sa patrie. On ne rencontre nulle autre part ce sourire fin et attendri, cette allure décidée et souple, cette élégance simple et pénétrante. L’enfant, toute grise et toute riante, a le plumage modeste et la gaîté éclatante de l’alouette.

Le lendemain, quelle joie dans les, bois de Verrières ! Il y a là des fraises et des fleurs, de larges tapis d’herbe et des ombrages épais. Gabrielle chante plus haut et prend de la gaîté pour toute une semaine. Elle s’enivre d’air et de liberté, regarde amoureusement le bleu clair des cieux et le vert sombre des feuillages. Puis, le soir, elle s’en revient avec lenteur, une branche odorante à la main, ayant plus d’amour et plus de courage dans l’âme.

C’est ainsi qu’elle s’est arrangée une vie de travail et de tendresse. Elle a su gagner son pain et garder les trésors de son cœur pour les donner à qui bon lui semble, et non les vendre aux folles enchères.

Qui oserait gronder cette enfant ? Elle donne plus qu’elle ne reçoit. Sa vie a toute la pureté de l’affection vraie, toute la moralité du travail incessant.

Chantez, belle, alouette de nos vingt ans, chantez pour nous, comme vous avez chanté pour nos pères, comme vous chanterez pour nos fils. Vous êtes éternelle, car vous êtes la jeunesse et l’insouciance, la poésie et l’amour.

                    ÉMILE ZOLA. »

15 mars

Lettre de Georges Pajot à Émile Zola, Fourchambault, le 15 mars 1865.
Georges Pajot mentionne « Paul et Baille », ainsi que Gabrielle. Cezanne s’apprête à aller porter son envoi au jury du Salon.

Bibliothèque nationale, Nouvelles acquisitions françaises, manuscrit 24522, folios 482-484 ;
Becker Colette, « Un ami de jeunesse d’Émile Zola : Georges Pajot », Les Cahiers naturalistes, 25e année, n° 53, Paris, éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, 1979, p. 95-123, lettre n° 9 p. 113-115.

« J’ai reçu ta bonne lettre ainsi que tes deux journaux et je t’en remercie. […]

Je suis heureux de voir nos amis se lancer pour tout de bon dans la vie artistique [probablement Cezanne et Guillemet] et je regrette de ne pas pouvoir aller au Salon pour connaître leurs œuvres. Quelle que soit l’issue de cette tentative, j’estime (ce n’est peut-être pas l’opinion de tous) qu’ils ne sauraient mieux faire que de se soumettre le plus tôt possible au jugement du public ; jugement absurde parfois mais qui souvent éclaire l’artiste et lui fait connaître ses défauts comme ses véritables qualités. Tu le sais de reste toi qui as eu le bonheur de réussir.

Dis à Baille et à Paul que ce sont des gourmands s’ils veulent que je leur envoie un échantillon de servantes (rien de l’auteur de Don Quichotte). Pour un petit baiser que j’ai trouvé ici, il faut qu’ils me l’envient. Que c’est mal à eux qui peuvent à merci serrer des mains moins rouges et des tailles plus fines ; eux qui projettent, les polissons, des bals masqués pour la mi-carême. Moi aussi j’aurai mon bal le 25 ; mais quel bal ! rien que des vertus et encore… C’est un bal de la haute, par souscription et pour les pauvres.

Bien que je ne regrette pas Majesté de mon âme, je n’ai encore trouvé ici personne qui le vaille. Ce n’est pas peut-être un mal. Je n’en suis que moins attaché à ce triste pays et ma pensée se porte plus souvent parmi vous.

Dis bien à Gabrielle… J’ai oublié de dire madame. Qu’elle ne s’en formalise pas et qu’elle me pardonne cette familiarité en faveur de l’affection que je lui porte si elle te rend heureux ; et puis, je suis trop loin et elle trop sage pour que cela soit dangereux. Dis-lui donc que j’ai été tout aise de voir sa photographie publiée à 20 000 lecteurs et d’en avoir un exemplaire [article de Zola dans Le Petit Journal du 13 mars 1865]. J’aurais pensé de même si je n’eusse pas su l’exprimer ainsi.

Diable ! que cela sent le madrigal. Décidément je ne saurai jamais parler d’une femme ; même lorsque je serai loin d’elle. Ce ne sont pourtant point des bégaiements d’amour. Je te prie de le croire et de ne pas être jaloux. J’ai trop besoin que tu ne me gardes pas rancune et que tu me consacres les quarts d’heure que tu auras à tuer. Envoie-moi tout ce qui parlera de tes travaux et de la vie que j’ai quittée. Ce sera toujours me tirer pendant quelques instants de cette existence où je ne suis ni content ni triste ; ni malade, ni bien portant ; ni riche ni pauvre ; ni seul, ni aimé ; ni pensant beaucoup ni par trop abruti.

Mille amitiés à nos amis.

Mes compliments à Madame Zola [mère]. Et pardonne les divagations de ton ami.

Georges Pajot »

15 mars

Lettre de Cezanne à Pissarro.
Cezanne est à Paris. Il compte partir ce soir-là chez Oller à Saint-Germain-en-Laye, plus précisément, 17, rue Saint-Germain, au Pecq, village voisin, passer quelques jours avec lui avant qu’ils reviennent dans la capitale, le 18 mars, porter ensemble leurs toiles au Salon. Elles « feront rugir l’Institut de rage et de désespoir ». La date limite de dépôt des œuvres est le 20 mars à six heures du soir.

Adresse d’Oller et article 1 du « Règlement », Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1865, Paris, Charles de Mourgues Frères, successeurs de Vinchon, imprimeurs des musées impériaux, 1865, 501 pages, p. 226 et XV.

Il propose à Pissarro, n’ayant pu se rendre chez lui, qu’il passe le voir un matin à l’académie Suisse ou un soir chez lui (22, rue Beautreillis, Paris 4e), ou sinon qu’il lui fixe un rendez-vous.

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 10.
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 112-113 :

« Paris, 15 mars 1865.

Monsieur Pissarro1,

Excusez-moi, si je ne suis pas allé vous voir, mais je pars ce soir pour St-Germain et je ne reviendrai que samedi avec Oller 2 pour porter ses tableaux au Salon, car il a fait, m’a-t-il écrit, une bataille biblique je crois et son grand tableau que vous savez. Le grand est très beau, l’autre je ne l’ai pas vu.

J’aurais voulu savoir si vous avez fait, malgré le malheur qui vous est survenu [le décès du père de Pissarro, le 28 janvier], vos toiles pour le Salon 3. — Si quelquefois vous vouliez me voir, je vais le matin chez Suisse et le soir chez moi, mais donnez-moi un rendez-vous qui vous soit commode et je m’y rendrai pour vous serrer la main au retour de chez Oller. ― Samedi [18 mars] nous irons à la baraque des Champs-Élysées porter nos toiles, qui feront rugir [transcrit « rougir » par Rewald] l’Institut de rage et de désespoir. J’espère que vous aurez fait quelque beau paysage, je vous serre cordialement la main.

Paul Cezanne »

1. Cezanne a connu Camille Pissarro (1830-1903) par Armand Guillaumin à l’Atelier Suisse. Pissarro y travaillait peu, mais venait y voir ses amis Guillaumin, Cezanne et Oller. En 1866, Pissarro participera aux soirées de jeudi où Zola réunissait chez lui ses amis peintres et écrivains. Parmi tous les peintres impressionnistes, c’est sans doute avec Pissarro que Cezanne s’est le plus étroitement lié.

2. Francisco Oller y Cestero, peintre né en 1833 à Porto Rico, élève de Courbet et de Couture, a connu Cezanne à l’Atelier Suisse. En 1865-1866, il donnera l’adresse de celui-ci, 22, rue Beautreillis, à Paris pour le Catalogue du Salon de 1865.

3. Les deux paysages soumis par Pissarro furent acceptés par le jury. Il se désigna dans le catalogue comme « élève de Corot ». Une toile d’Oller fut également acceptée (Ténèbres) et un dessin au fusain tandis que les envois de Cezanne seront refusés.

Zola Émile, Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire : L’Œuvre, Paris, G. Charpentier et Cie, éditeurs, 1886, 491 pages, p. 271 :

« Après avoir juré qu’il ne tenterait jamais plus d’exposer, il établissait maintenant en principe qu’on devait toujours présenter quelque chose au jury, uniquement pour le mettre dans son tort ; et il reconnaissait du reste l’utilité du Salon, le seul terrain de bataille où un artiste pouvait se révéler d’un coup. Le jury refusa le tableau. »

Perruchot Henri, La Vie de Cezanne, Paris, librairie Hachette, 1956, 432 pages, p. 121.

« Cette fois, quittant la rive gauche, il va se loger sur les confins du Marais, au numéro 22 de la rue Beautreillis, dans un vieil hôtel du xviie siècle, l’hôtel de Charny. L’immeuble, qu’habitent des gens de petite condition, des employés, des façonniers, a encore très belle apparence. La façade ne manque pas d’allure. Une assez jolie porte, peinte en vert foncé, ouvre sous une voûte, où se voient quelques boiseries. Cezanne a pris asile sous les toits, dans une mansarde du quatrième étage, à laquelle mène un escalier au fond de la cour (1). Lui a-t-on dit que, voilà six ou sept ans, Baudelaire habita cette maison ?

(1) Escalier B. »

Après mi-avril

Lettre de Georges Pajot à Émile Zola, Fourchambault, non datée [après mi-avril 1865]
Georges Pajot donne de ses nouvelles à Zola. Il évoque un chaudron qu’avait dessiné Cezanne.

Bibliothèque nationale, Nouvelles acquisitions françaises, manuscrit 24522, folios 488-489.
Becker Colette, « Un ami de jeunesse d’Émile Zola : Georges Pajot », Les Cahiers naturalistes, 25e année, n° 53, Paris, éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, 1979, p. 95-123, lettre n° 10 p. 115-117.

« Ma position n’a pas changé sinon qu’elle s’est un peu définie ; on m’a étiqueté : je suis chef des études de chaudronnerie. Le beau titre ! et que Paul serait bien à ma place, lui qui l’an dernier s’extasiait sur les délicats contours du chaudron qu’il avait dessiné. J’ai pour mission de faire les études des ponts en tôles, des charpentes en fer, des chaudières à vapeur et d’installer les chantiers de construction pour le montage des ponts. […]

Mes compliments à Mme Zola, à Paul, à Baille, à nos autres amis, sans oublier ta belle Gabrielle.

Ton ami

Georges Pajot. »

28 avril

Lettre de Zola à Numa Coste, [Paris], 28 avril 1865.

Émile Zola, correspondance, édité sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire Henri Mitterand, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Paris, éditions du CNRS, tome I 1858-1867, 1978, 594 pages, n° 113, p. 409-410.

« 28 avril 1865

Mon cher Coste,
Je vous attends dimanche, 30 avril, à midi précis, pour déjeuner avec moi.
Vous trouverez sans doute à ma table Baille et Paul.
Vous me chagrineriez en n’étant pas exact.
O caporal !! méditez ma lettre !!!

À vous. »

1er mai – 20 juin

Cezanne n’est pas reçu au Salon.

Oller est reçu avec une peinture et un dessin, Pissarro avec deux peintures. Pour la peinture d’Oller, le catalogue donne la même adresse de l’artiste que celle de Cezanne : 22, rue Beautreillis, tandis que pour son dessin il donne l’adresse du 17, rue Saint-Germain, au Pecq. Pour Pissarro, l’adresse que donne le catalogue est « à La Varenne-Saint-Hilaire et chez M. Guillemet, Grande-Rue, 20 (Batignolles) ».

Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1865, Paris, Charles de Mourgues Frères, successeurs de Vinchon, imprimeurs des musées impériaux, 1865, 501 pages, p. 212, 226, 354.

« OLLER (Francisco), né à Puerto-Rico (colonie espagnole), élève de Juan Noa et de M. T. Couture.
Rue Beautreillis, 22.
1622 —Ténèbres.
« Mais Jésus jetant encore un grand cri rendit l’esprit. »
(Évangile selon saint Mathieu.)
(Voir aux Dessins, etc.)

[…]

OLLER (Francisco), né à Puerto-Rico (colonie espagnole), élève de don Juan Noa et de M. Couture.
Au Pecq (Seine-et-Oise), rue St-Germain, 17.
2693 — Portrait de don Cayetano Oller, père de l’auteur ; dessin au fusain.
(Voir à la Peinture.)

[…]

PISSARRO (Camille), né à St-Thomas (colonies françaises), élève de MM. A. Melbye et Corot.
À La Varenne-Saint-Hilaire ; et à Paris, chez M. Guillemet, Grande-Rue, 20 (Batignolles).
1723 – Chennevières, au bord de la Marne [PDRS 103]
1724 – Le bord de l’eau. »

[26 août]

Lettre d’A. Guillemet, Yport (par Fécamp, Seine Inférieure), à Pissarro, datée samedi 26 août [1865].
Le peintre Antoine Guillemet écrit à Pissarro et demande des nouvelles de Cezanne et d’Oller.

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 79.

« Je demanderai d’abord beaucoup de renseignements sur la peinture. Combien de tableaux en train. ― combien de vendus […] Le salon a-t-il eu un bon résultat auprès des marchands […] Avez-vous des nouvelles de Cezanne et d’Oller ? Voilà le gros des choses à m’apprendre ».

Il invite Pissarro à le rejoindre à Yport, et espère tout au moins le retrouver en octobre à La Roche-Guyon : « Si votre petite femme ne se fachait pas je vous proposerais de venir passer le mois ici (logé et nourri gratis) on avancerait le voyage. Assurez-la que c’est dans votre intérêt et que vous trouverez de beaux motifs pour vous — trois semaines ou un mois ne sont pas tout un siècle et elle pourrait patienter un peu en attendant votre retour. »

[13 septembre]

Lettre d’Antonin Guillemet à Pissarro, datée mardi 13 septembre [1865]
Guillemet insiste pour que Pissarro le rejoigne en octobre à La Roche-Guyon. Cezanne est reparti à Aix, où il s’ennuie.

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 79.

« Je compte enormement sur vous pour Laroche ; c’est promis du reste, n’est ce pas ? Cela me semblera bien bon de revoir de la bonne peinture et d’en faire avec un vrai lapin tel que vous je suis si abruti des peintres que je rencontre ici, tous des épiciers et des gandins. Cezanne viendra probablement avec nous. Je lui ai écrit après avoir reçu votre lettre. Il s’embête fort là bas [à Aix] ― Je lui ai parlé d’Oller et voici ce qu’il m’a écrit : Dieu de Dieu quel bougre que cet Oller quelle vie artiste ― »

Fin septembre

Lettre de Valabrègue à Zola.

Rewald John, Cezanne, Paris, Flammarion, 2011, 1re édition 1986, 285 pages, p. 55.

« Je vois souvent Paul dans mes après-midi. Paul est toujours le meilleur des camarades. Il a changé, lui aussi, car il parle, lui qui semblait votre nègre muet. Il expose des théories, il développe des doctrines. Crime énorme, il admet même qu’on lui parle de politique (des théories, j’entends) et il répond en disant un mal affreux du tyran. »

14 novembre

Lettre de Zola à Marius Roux.

Zola Émile, Correspondance. Lettres de Jeunesse, Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur, 1907, 300 pages, p. 268.
Émile Zola, correspondance, édité sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire Henri Mitterand, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Paris, éditions du CNRS, tome I 1858-1867, 1978, 594 pages, n° 126, p. 420.

« [Paris], 14 novembre 1865

[…] Tâche de faire une réclame à Baille, surtout à Cezanne, ce qui fera plaisir à leurs familles. »

« Galerie aixoise. Marius Roux », Le National, journal républicain d’Aix, 26e année, n° 1291, dimanche 22 mars 1896, p. 1 :

« Marius ROUX

Un de nos compatriotes, qui s’est fait une des premières places dans la littérature, dans la presse et qui honore à tous égards notre cité.

Né à Aix en 1838, M. Marius Roux, après de bonnes études au pensionnat Liotard et au collège d’Aix, a fait partie de la pléiade de littérateurs et d’artistes qui comptait Émile Zola, Paul Alexis, Paul Cezanne et tant d’autres qui ont fait leur chemin. Il a fait représenter au théâtre d’Aix des pièces qui montraient déjà un talent et un goût du vrai qui se sont développés ensuite dans un grand nombre d’ouvrages très appréciés, tels que Évariste Plauchu — L’Homme Adultère — Eugène Lamour — La Proie et l’Ombre — La Poche des Autres — Francis et Mariette — La Camomanie, etc., édités avec succès à Paris.

M. Marius Roux est entré dans la grande presse républicaine de Paris, en 1868, par le « Globe » journal étouffé au maillot par le ministère Pinard. Il a collaboré à divers journaux, notamment au « Rappel » (de 1869 à 1873) où il y avait quelque courage à affirmer sa foi républicaine.

Entré en 1868 au « Petit Journal », il en est devenu le secrétaire de la rédaction depuis 1875, et il s’est acquis, dans ces fonctions difficiles, l’estime de tous. »

3 décembre

Marius Roux rend compte dans un journal aixois du deuxième roman de Zola, La Confession de Claude, paru en octobre, en évoquant les amis aixois du cercle de Zola, Cezanne et Baille en particulier.  Il s’agit du premier article de presse qui mentionne Cezanne.

M. R. [Marius Roux], « La Confession de Claude par Émile Zola », Le Mémorial d’Aix, politique et littéraire, 29e année, n° 49, dimanche 3 décembre 1865, p. 3 :

« M. Cezanne est un des bons élèves que notre école d’Aix a fourni à Paris. […] Grand admirateur des Ribeira et des Zurbaran, notre peintre ne procède que de lui-même. […] sa modestie se refuse à lui laisser croire que ce qu’il fait est suffisant et je ne veux pas le froisser dans sa délicatesse d’artiste. J’attends qu’il étale au grand jour son Œuvre. Ce jour-là, je ne serai pas le seul à en parler. Il appartient à une école qui a le privilège de provoquer la critique. »

Texte complet :

« VARIÉTÉS.

La Confession de Claude

Par Émile ZOLA (1).

L’heureux auteur des Contes à Ninon, M. Émile, Zola, donne au public un nouvel ouvrage : La Confession de Claude.

Claude est un enfant de la Provence qui, dans ses rêves de seize ans, s’est donné tout entier à la douce espérance qui lui promettait un brillant avenir de gloire et d’amour. Il est venu à Paris, à l’âge de vingt ans, se croyant assez fort déjà et assez armé pour la lutte. Mais il n’a pas encore mis le pied dans l’arène, il n’a même pas encore trouvé le chemin qui mène au champ du combat, que déjà, sur celle où il s’est posé, un obstacle l’arrête. Une fille s’offre à lui. Il la reçoit d’abord par pitié ; puis il la garde par esprit de justice, et rêve un moment, mais en vain, sa rédemption. Ensuite, il s’accommode d’elle par habitude, et finit par se lier de toute la force d’une misère commune et devient éperdument amoureux, amoureux fou, amoureux jaloux. Et tout le temps que dure cet amour insensé, le malheureux se livre à mille examens, fait mille tentatives ; il sonde sans cesse l’abîme qui s’ouvre devant lui, fouille au fond de son cœur et cherche à arracher celui de sa maîtresse pour voir ce qu’il peut bien contenir. Mais c’est en vain qu’il mesure l’abîme : il ne trouvera pas le fond, et la route est toute faite de boue et d’ordure ; c’est en vain qu’il fouille clans son cœur : l’imagination a tué la raison, et l’infortuné ne sait que pleurer et se plaindre ; c’est en vain qu’il veut ramener à la vie celle dont l’âme s’en est allée s’éparpillant au souffle impur des caresses de tous ceux qui ont souillé son corps ; ce corps n’est plus qu’une matière inerte, un cadavre bon à jeter sur le trottoir et fait pour croupir dans le ruisseau.

Claude avait rêvé la gloire et l’amour. Un amour immonde a souillé sa jeunesse ; il ne saura, il ne pourra plus aimer ; il n’aura plus la force ni le courage de poursuivre sa carrière. Alors il abandonne son rêve, il fuit la vie de travail et de lutte et court se cacher « pour grandir et mourir dans la mort et l’oubli de sa jeunesse. »

Toute l’œuvre consiste dans l’analyse patiente, détaillée des vicissitudes d’un amour malsain. C’est une étude savante, bien conduite, large, complète. Rien n’échappe à l’observation du philosophe ; rien ne l’arrête dans la recherche du vrai ; il n’est pas un pli du cœur qu’il n’ait soulevé et scruté avec soin, pas une vérité qu’il se refuse à dire. C’est l’œuvre d’un réaliste ; mais d’un réaliste qui dispose de toutes les ressources d’un poète, et qui fait accepter la crudité de certains tableaux par l’harmonie qu’il sait y mettre et le coloris dont il sait les couvrir.

On a beaucoup crié et on crie encore beaucoup contre les réalistes. Mon avis est qu’on n’a pas toujours tort, sous l’insidieux prétexte que :

Il n’est pas de serpent ni de monstre odieux

Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux.

Une masse d’écrivains vont prendre leurs héros dans les sphères interlopes et placer leurs scènes dans les lieux les plus infects et les plus dégoûtants, pour faire « l’écœurant » tableau des misères humaines.

Ceux qui se livrent à ce genre d’exercice font du tort à l’école. Ce sont le plus souvent des rapins déclassés, qui ne pouvant porter leur vue bien loin, prennent l’effet pour la cause, et s’imaginent qu’il n’y a qu’à broyer de la couleur, sans s’occuper du dessin, pour être aussi grands que Balzac. On devrait les condamner à brosser les bottes de Flaubert, toute leur vie durant, et à gratter la boue qu’ils ont voulu peindre.

Je ne déteste pas le réalisme. De même que l’estomac ne se nourrit pas que de nannan [sic] et qu’une bonne soupe grasse, de temps en temps, ne peut pas lui nuire, l’intelligence ne se repaît pas que de fine poésie, et une bonne grosse tartine, réaliste de temps à autre, ne peut que lui être agréable. Servez, servez-moi, Messieurs du Bouvarysme, une bonne soupe grasse ; j’en prendrai volontiers ; faites, si vous le voulez, qu’elle soit bien grasse, bien épaisse, que la cuiller entre dedans comme dans un beurre et se tienne debout sur l’assiette ! Mais, de grâce, ne laissez pas venir dans votre cuisine les maladroits qui, prenant des mouches pour des grains de poivre, voudraient assaisonner mon breuvage. Imitez les maîtres, imitez le jeune élève et comme Balzac, et comme Flaubert et comme Zola, sauvez la crudité de la forme par la grâce du coloris et la hardiesse du fonds par la moralité de la conclusion. Voyez plutôt. Je cite ici quelques mots de la fin de la Confession de Claude. Si l’exposé que j’ai fait de son drame, laisse à supposer que certains tableaux sont un peu nus, on pourra se convaincre que l’auteur a assez de ressources dans son style pour ne pas craindre d’affronter ce genre de peinture, et on sera certain que le but qu’on se propose est louable. « Si les amours honteuses de Claude, dit l’auteur dans sa préface, le font juger sévèrement, qu’on lui pardonne au dénoûment [sic], lorsqu’il se relève plus jeune et plus fort, voyant jusqu’à Dieu. »

Voici quelques-unes des paroles de Claude arrivé au dénoûment :

« J’ai été malade, j’ai eu la fièvre, le délire. Je sens aujourd’hui ; à la fatigue de mon cœur quelle a dû être la violence de mon mal. Je suis fier de ma souffrance ; je comprends que je n’ai pas été infâme, que mes désespoirs n’étaient que les révoltes de mon cœur, indigné du monde où je l’avais égaré. Je suis maladroit devant la honte, je ne sais point accepter les amours vulgaires ; je n’ai pas la tranquille indifférence nécessaire pour vivre dans ce coin de Paris où la belle jeunesse se vautre dans la boue. Il m’aurait fallu les purs sommets, la campagne large. Si j’avais rencontré une vierge, je me serais agenouillé pour me donner entier ; j’aurais été pur comme elle, et, sans lutte, sans effort, nous nous serions unis, nous aurions contenté nos tendresses. La vie a ses fatalités. Un soir, j’ai trouvé Laurence, la gorge découverte. J’ai eu l’imprudente confiance de vivre auprès de cette femme, et voilà que je l’ai aimée, aimée comme une vierge, avec tout mon cœur, toute ma pureté. Elle m’a rendu mes affections en souffrances et en désespoirs ; elle a eu la lâcheté de se laisser aimer, sans jamais aimer elle-même. Je me suis déchiré, devant cette âme morte, à vouloir me faire entendre. J’ai pleuré comme un enfant qui veut embrasser sa mère, se haussant sur ses petits pieds, ne pouvant atteindre le visage de celle qui est toute espérance. »

« Je me disais ces choses, dans cette nuit suprême, et je me disais encore qu’un jour je parlerais et je ferais voir la vérité à mes frères, les cœurs de vingt ans. Je trouvais une grande leçon dans ma jeunesse perdue, dans mes amours brisés. Mon être entier répétait : Que n’es-tu resté là-bas, en Provence, dans les herbes hautes, sous les larges soleils ? Tu aurais grandi en honneur, en force. Et lorsque tu es venu ici chercher la vie et la gloire, que ne t’es-tu gardé contre la boue de la ville ? Ne savais-tu pas que l’homme n’a pas deux jeunesses, ni deux amours ? Il te fallait vivre jeune, dans le travail, et aimer, dans la virginité. »

« Ceux qui acceptent sans larmes la vie que j’ai menée pendant un an, n’ont pas de cœur ; ceux qui pleurent comme j’ai pleuré, sortent de cette vie le corps brisé et l’âme mourante, il faut donc tuer les Laurence, puisqu’elles nous tuent notre chair et nos amours. Je ne suis qu’un enfant qui a souffert, je ne veux point prêcher ici. Mais je montre ma poitrine vide, mon être endolori et sanglant, je désire que mes plaies fassent frémir les garçons de mon âge et les arrêtent au seuil du gouffre. »

Le livre est dédié à deux de nos amis, MM. J.-B. Baille et P. Cezanne.

N’allez pas croire que Claude c’est l’auteur, et qu’il prêche pour ses amis. Non, le livre, à part ce qu’il est et ce qu’il veut être pour les lecteurs, est quelque chose de plus pour nous, les amis de l’auteur ; c’est une proclamation.

Nous sommes ici une masse d’Aixois, tous anciens camarades de collège, tous liés d’une bonne et franche amitié. Nous ne savons pas au juste ce que l’avenir nous garde, mais en attendant nous travaillons, nous luttons. Claude moralise parce que nous moralisons, et son auteur fait le tableau de ses misères par pur esprit de parti pris, par amour « du réel. »

Si nous sommes tous unis par les liens d’une solide amitié, nous ne le sommes pas toujours par ceux du beau, du vrai et du bien. En pareille matière, les uns votent pour Platon et les autres pour Aristote ; les uns admirent Raphaël et les autres se pâment devant Courbet.

M. Zola, qui préfère la Fileuse à la Vierge à la chaise, dédie son livre à deux fervents adeptes de son école.

M. Cezanne est un des bons élèves que notre école d’Aix a fourni à Paris. Il a laissé chez nous le souvenir d’un intrépide travailleur et d’un consciencieux élève. Ici il se posera, grâce à sa persévérance, en excellent artiste. Grand admirateur des Ribeira et des Zurbaran, notre peintre ne procède que de lui-même, et donne à ses œuvres un cachet particulier. Je l’ai vu à l’œuvre, dans son atelier, et si je ne puis encore lui prédire le brillant succès de ceux qu’il admire, je suis certain d’une chose, c’est que son œuvre ne sera jamais médiocre. Le médiocre est la pire des choses dans les arts ;

Soyez plutôt maçon, si c’est votre métier ;

mais si vous êtes peintre, soyez complet ou mourez à la peine. M. Cezanne n’y mourra pas ; il a emporté de l’école d’Aix de trop bons principes, il a trouvé ici de trop beaux exemples, il a trop de courage, trop de persévérance au travail pour ne pas arriver à son but. Si je ne craignais de commettre une indiscrétion, je vous donnerais mon appréciation sur quelques-unes de ses toiles. Mais sa modestie se refuse à lui laisser croire que ce qu’il a fait est suffisant, et je ne veux pas le froisser dans sa délicatesse d’artiste. J’attends qu’il étale au grand jour son œuvre. Ce jour-là, je ne serai pas le seul à parler. Il appartient à une école qui a le privilège de provoquer la critique.

Quant à M. Baille, je n’ai pas à m’occuper de ses opinions littéraires et artistiques. C’est un mathématicien, et les mathématiques, dans la recherche de leurs problèmes, n’ont que faire de l’idéalisme et du réalisme. M. Baille peut avoir, à ce propos, tel sentiment qu’il voudra, ce sentiment ne changera pas le caractère de son œuvre. Ce n’est ni Ingres ni Delacroix qui lui donnent des formules, et l’aident à terminer l’ouvrage auquel il travaille depuis sa sortie de l’école polytechnique.

Je voudrais pouvoir vous en dire long sur cette œuvre : mais je confesse, en toute humilité, que c’est trop fort pour moi ; cela dépasse mes faibles moyens. Je me contente, pour entretenir ma faible opinion sur ce sujet, de celle de quelques gros savants qui lui ont donné maintes approbations.

Et maintenant, Monsieur mon lecteur, que vous savez ce qu’a voulu faire M. Zola et ce qu’a voulu dire Claude, lisez le livre que je vous signale, pour juger l’œuvre du réaliste, si vous êtes artiste, pour profiter de la leçon du moraliste, si vous êtes philosophe. Pour ce qui est de la moralité du livre, je réponds de l’effet. Tous les jours arrivent dans les grandes villes des jeunes gens inexpérimentés auxquels les aveux de Claude peuvent être d’un grand secours. « Les temps sont mauvais pour « les cœurs qui ressemblent au sien. »

M. R.

(1) Librairie internationale, Lacroix et compagnie éditeurs, 1866. Prix : 3 fr. ― Se trouve à la librairie Remondet-Aubin. »

Marguery, L’Écho des Bouches-du-Rhône.

« La Confession de Claude est dédiée à MM. Paul Cezanne et J.-B. Baille, que nous connaissons tous deux et qui sont également en train de se faire un nom dans les sciences et dans les arts. »

Zola Émile, La Confession de Claude, Paris, Librairie internationale, 1866, 324 pages, dédicace p. 1.

Le roman de Zola est introduit par l’adresse « À mes amis P. Cezanne et J. -B. [Jean-Baptistin] Baille », datée du 15 octobre 1865 :

« À MES AMIS P. CÉZANNE ET J.-B. BAILLE

Vous avez connu, mes amis, le misérable enfant dont je publie aujourd’hui les lettres. Cet enfant n’est plus. Il a voulu grandir dans la mort et l’oubli de sa jeunesse.

J’ai hésité longtemps avant de donner au public les pages qui suivent. Je doutais du droit que je pouvais avoir de montrer un corps et un cœur dans leur nudité ; je m’interrogeais, me demandant s’il m’était permis de divulguer le secret d’une confession. Puis, lorsque je relisais ces lettres haletantes et fiévreuses, vides de faits, se liant à peine les unes aux autres, je me décourageais, je me disais que les lecteurs accueilleraient sans doute fort mal une pareille publication, toute diffuse, toute folle et emportée. La douleur n’a qu’un cri ; l’œuvre est une plainte sans cesse répétée. J’hésitais comme homme et comme écrivain.

Un jour, j’ai songé enfin que notre âge a besoin de leçons et que j’avais peut-être entre les mains la guérison de quelques cœurs endoloris. On veut que nous moralisions, nous les poètes et les romanciers. Je ne sais point monter en chaire, mais je possédais l’œuvre de sang et de larmes d’une pauvre âme, je pouvais à mon tour instruire et consoler. Les aveux de Claude avaient le suprême enseignement des sanglots, la morale haute et pure de la chute et de la rédemption.

Et j’ai vu alors que ces lettres étaient telles qu’elles devaient être. J’ignore encore aujourd’hui comment le public les acceptera, mais j’ai foi dans leur franchise, même dans leur emportement. Elles sont humaines.

Je me suis donc décidé, mes amis, à éditer ce livre. Je m’y suis décidé au nom de la vérité et du bien de tous. Puis, en dehors de la foule, je songeais à vous, il me plaisait de vous conter de nouveau la terrible histoire qui vous a déjà fait pleurer.

Cette histoire est nue et vraie jusqu’à la crudité. Les délicats se révolteront. Je n’ai pas pensé devoir retrancher une ligne, certain que ces pages sont l’expression complète d’un cœur dans lequel il y a plus de lumière que d’ombre. Elles ont été écrites par un enfant nerveux et aimant qui s’est donné entier, avec les frissons de sa chair et les élans de son âme. Elles sont la manifestation maladive d’un tempérament particulier qui a l’âpre besoin du réel et les espérances menteuses et douces du rêve. Tout le livre est là, dans la lutte entre le songe et la réalité. Si les amours honteuses de Claude le font juger sévèrement, qu’on lui pardonne au dénouement, lorsqu’il se relève plus jeune et plus fort, voyant jusqu’à Dieu.

Il y a du prêtre dans cet enfant. Il s’agenouillera peut-être un jour. Il cherche avec un désespoir immense une vérité qui le soutienne. Aujourd’hui, il nous conte sa jeunesse désolée, il nous montre ses plaies, il crie ce qu’il a souffert, afin d’éviter à ses frères de pareilles souffrances. Les temps sont mauvais pour les cœurs qui ressemblent au sien.

Je puis d’un mot caractériser son œuvre, lui accorder le plus grand éloge que je désire comme artiste, et répondre en même temps à toutes les objections qui seront faites :

Claude a vécu tout haut.

ÉMILE ZOLA.

15 octobre 1865. »

Voir aussi Rewald John, Cezanne et Zola, Paris, éditions A. Sedrowski, 1936, 202 pages, p. 45-46.

Comme le suggère Marius Roux, plusieurs œuvres de Cezanne sont inspirées de maîtres espagnols, à partir d’illustrations de l’Histoire des peintres de toutes les écoles, de Charles Blanc, qui a paru en fascicules à partir de 1849. L’École espagnole est publié en 1869.

Le peintre interprète aussi des illustrations parues dans des revues, au moins dans L’Artiste, Le Magasin pittoresque, La Mode illustrée. Trois dessins sont réalisés au dos d’une planche publiée par L’Artiste.

Chappuis Adrien, Les Dessins de Paul Cezanne au Cabinet des Estampes du musée des Beaux-Arts de Bâle, Olten et Lausanne, éditions Urs Graf-Verlag, 1962, tome I : « Texte », 126 pages, 96 numéros, tome II : « Planches », 156 pages, 211 numéros, notices nos 70, 71, 94, p. 70, 94.
Chappuis Adrien, The Drawings of Paul Cezanne. A Catalogue raisonné, New York Graphic Society Ltd., Greenwich, Connecticut, 1973, volume I, « Introduction and Catalogue », 288 pages, volume II, « Plates », 1223 numéros, notices des dessins mentionnés.
Ballas Guila, « Daumier, Corot, Papety et Delacroix, inspirateurs de Cezanne », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, année 1974, G. de Nobele, Paris, 1975, p. 193-199.
Ballas Guila, « Paul Cezanne et la revue L’Artiste », Gazette des beaux-arts, décembre 1981, p. 223-231.
Rewald John, The Paintings of Paul Cezanne. A Catalogue raisonné, en collaboration avec Walter Feilchenfeldt et Jayne Warman, volume I, « The Texts », 592 pages, 954 numéros, Harry N. Abrams, Inc., Publishers, New York, 1996, notices R 145 et R 568.

La liste ci-après associe quelques œuvres de Cezanne à des illustrations parues dans des revues auxquelles il a eu recours. Cette liste est bien sûr incomplète, puisque nous ne retenons, parmi les propositions émises par différents auteurs, parfois contradictoires, que celles qui nous paraissent les plus convaincantes, et que de nombreuses autres sources restent à découvrir.

Œuvres de Cezanne Illustrations dont s’est inspiré Cezanne, ou au dos desquelles il a dessiné
Tableau FWN598-R145 : Le Christ aux Limbes « Le Christ aux Limbes (Musée de Madrid). E. Bocourt [dessinateur] A. Delangle [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 7 du fascicule « Juan Fernandez Navarrete, dit el Mudo ». Depuis, l’œuvre a été réattribuée au Vénitien Sebastiano del Piombo.
Tableau FWN472-R568 : La Femme à l’hermine, d’après Le Greco « La Fille de Théocopuli, dit el Greco. Dessin de J.-B. Laurens, d’après Théocopuli, dit el Greco », Le Magasin pittoresque, 28e année, volume 118, septembre 1860, p. 292.
Tableau FWN667-R589 : La Famille de paysans « Intérieur d’un pauvre ménage, par Van Ostade. (Fac-similé d’une gravure à l’eau-forte par Adrien Van Ostade.) », Le Magasin pittoresque, 15e année, volume I5, août 1847, p. 265.
Dessin C0214 : D’après Sebastiano del Piombo, Christ aux Limbes « Le Christ aux limbes (Musée de Madrid). E. Bocourt [dessinateur] A. Delangle [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 7 du fascicule « Juan Fernandez Navarrete, dit el Mudo ». Depuis, l’œuvre a été réattribuée à Sebastiano del Piombo.
Dessin C0244b : Têtes d’après Juan de Pareja « La Vocation de saint Mathieu (Musée de Madrid). E. Bocourt [dessinateur] A. Delangle [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 3 du fascicule « Juan de Pareja ».
Dessin C0351a : Page d’études « Son portrait. E. Bocourt [dessinateur] J. Ettling [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 1 du fascicule « Juan Fernandez Navarrete, dit el Mudo ».
Dessin C0405a: Page d’études, comprenant un portrait de Goya Peut-être « Son portrait. E. Bocourt [dessinateur] J. Sotain [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 1 du fascicule « Francisco Jose Goya y Lucientes ».
Dessin C0524 : D’après Alonso Cano, tête du Christ « Le Christ mort. A. Paquier [dessinateur] E. Pierdon [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 5 du fascicule « Alonzo Cano ».
Dessin C0726e : Copie d’après Pareja « La Vocation de saint Mathieu (Musée de Madrid). E. Bocourt [dessinateur] A. Delangle [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 3 du fascicule « Juan de Pareja ».
Dessin C0731a : Page d’études. Le Christ « Sainte Thérèse. E. Bocourt [dessinateur] Meaulle [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 1 du fascicule « Pedro de Moya ».
Dessin C0731b : Page d’études. Joseph vendu par ses frères « Joseph vendu par ses frères (Musée du Fomeoto à Madrid. E. Bocourt [dessinateur] Sotain [graveur] », Blanc Charles, Bürger W., Mantz Paul, Viardot L., Lefort Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles École espagnole, Paris, Vve Renouard, libraire-éditeur, 1869, p. 3 du fascicule « Pedro de Moya ».
Dessin C0731f : Page d’études. Portrait de la fille du Tintoret « Tintoretta. E. Bocourt [dessinateur] J. Ettling [graveur] », Blanc Charles, Histoire des peintres de toutes les écoles École vénitienne, Paris, librairie Renouard, Henri Loones successeur, 1877, p. 15 du fascicule « Tintoret (Jacopo Robusti, dit) et Marie Tintoretta ».
Dessin C0272 : D’après Bacchiacca : portrait de jeune homme « Musée du Louvre. Un portrait, par Raphaël. Voy. Le portrait de Raphaël, conservé dans la galerie de Florence, 1838, p. 257 », Le Magasin Pittoresque, 13e année, tome XIII, janvier 1845, p. 9.
Dessin C0469 : D’après Hans Holbein : la famille de l’artiste « (La Famille d’Holbein, tableau de cet artiste, conservé à Bâle.) », Le Magasin Pittoresque, 13e année, tome XIII, avril 1845, p. 133.
Dessin C0491 : D’après Pisanello et Léonard de Vinci : tête de mule et profil d’enfant « Dessins inédits de Léonard de Vinci. Dessin de Chevignard », Le Magasin Pittoresque, 18e année, tome XXVI, janvier 1858, p. 12-13.
Dessin C0492 : D’après Léonard de Vinci : tête d’enfant (fragment) « Dessins inédits de Léonard de Vinci. Dessin de Chevignard », Le Magasin Pittoresque, 18e année, tome XXVI, janvier 1858, p. 13.
Dessin C0608b : Portrait de jeune homme « Musée du Louvre. Un portrait, par Raphaël. Voy. Le portrait de Raphaël, conservé dans la galerie de Florence, 1838, p. 257 », Le Magasin Pittoresque, 13e année, tome XIII, janvier 1845, p. 9.
Dessin C0832c : Page d’études : Cérès d’après Rubens « Musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg : peinture. Hommage à Cérès, par Rubens. Dessin de Jules Lavée », Le Magasin Pittoresque, 47e année, tome XLVII, mai 1879, p. 137.
Dessin C0211 : D’après P. Potter, cheval à l’auge « Les Chevaux à l’auge », Blanc Charles, Histoire des peintres de toutes les écoles École hollandaise, Paris, Vve Jules Renouard, libraire-éditeur, 1861, p. 13 du fascicule « Paul Potter ».
Dessin C0167 : D’après Delacroix, La Mise au tombeau La Mise au tombeau, d’après Delacroix, gravé par Hédouin », L’Artiste, tome III1, 1845, p. 80.
Dessin C0606 : D’après Murillo : Le Jeune Mendiant Peut-être Le Jeune Mendiant, d’après Murillo, gravé par Masson, L’Artiste, 1838-1839, tome I7, p. 184.
Aquarelle RW067 : Le Jeune Mendiant, d’après Murillo Le Jeune Mendiant, d’après Murillo, gravé par Masson, L’Artiste, 1838-1839, tome I7, p. 184.
Dessin C0459c : Deux Études d’après Le Lever de Delacroix Le Lever, d’après Delacroix, lithographie par Lamy, L’Artiste, 16 avril 1851, tome IV5, p. 96.
Tableau FWN597-R142 : La Toilette funéraire, ou L’Autopsie Peut-être Le Christ des naufragés, par Edmond Armand, L’Artiste, 1851, tome IV5, p. 97, pour la position plus couchée que dans le dessin C 110, Nu masculin, pour la position des pieds et la cuvette au premier plan.
Dessin C0117c : Page d’études, L’Enlèvement de Rebecca, d’après Delacroix Rebecca enlevée par le templier, d’après Delacroix, gravé par Hédouin, L’Artiste, 1847, p. 224.
Aquarelle RW145 : La Médée, d’après Delacroix La Médée furieuse, d’après Delacroix, lithographie par Manut Adolphe, L’Artiste, 1868, tome I5, p. 100.
Dessin C0284 : Étude pour L’Après-midi à Naples Dessiné au verso de la planche Le Départ des conscrits, d’après Marie-Antoine Verdier, gravée par Alphonse-Charles Masson, L’Artiste, 1852.
Dessin C0285 : Le Couple, étude pour L’Après-midi à Naples Dessiné au verso de la planche Le Départ des conscrits, d’après Marie-Antoine Verdier, gravée par Alphonse-Charles Masson, L’Artiste, 1852.
Dessin C0518 : Étude de femme se séchant Dessiné au verso de la planche L’Éducation de la vierge, d’après Delacroix, gravée par Hédouin, L’Artiste, tome III2, 1845, p. 128.
Tableau FWN607-R152 : La Conversation La Mode illustrée, planche en couleur 31, dessin par Anaïs Toudouze, 31 juillet 1870. Cezanne ajoute un drapeau tricolore dans le fond.
Tableau FWN608-R153 : La Promenade La Mode illustrée, planche en couleur 19, 7 mai 1871.
Tableau FWN606-R154 : Femmes et fillette dans un intérieur La Mode illustrée, planche en couleur 27, dessin par Anaïs Toudouze, 3 juillet 1870.

4 décembre

Lettre de Zola à Marius Roux, 4 décembre 1865.
Zola remercie Marius Roux de son article : « Merci aussi pour Cezanne et pour Baille. »

 Zola Émile, Correspondance. Lettres de Jeunesse, Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur, 1907, 300 pages, p. 269-270.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, 594 pages, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, lettre n° 133, p. 425-426

 14 décembre

Lettre de Pissarro à Franco Oller, Paris, Batignolles, 14 décembre 1865.
Pissarro écrit à son ami Franco[Francisco] Oller [y Cestero], qui se trouve à Puerto Rico depuis la fin de l’année 1865.

Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 3, « 1891-1894 », Paris, éditions du Valhermeil, 1988, n° 1090, p. 533-534.

« Les Jésuites sont fous ! Ils te materont bien vite, à la moindre concession de ta part ils ne douteront pas d’arriver à faire de toi un calotin. Guillemet est enchanté d’avoir de tes nouvelles, il comptait aller voir Cezanne à Aix, mais quant à explorer le Nouveau Monde je ne pense pas qu’il en ait encore l’idée. Nous avons des nouvelles de Cezanne, il est toujours à Aix, il sera à Paris dans un mois et demi, tous les trois nous comptons sur un beau tableau de toi et surtout pas jésuite. »

23 décembre

Lettre d’Antoine Fortuné Marion (Aix, 10 octobre 1846 – Aix, 22 janvier 1900) à Heinrich Morstatt (Cansstatt, 1844-1925).
Heinrich Morstatt, né en 1844 près de Stuttgart, est alors en apprentissage dans une entreprise commerciale de Marseille. Musicien, il se passionne pour Wagner.

Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 3, p. 53, lettre n° 31, p. 38, 58.

Les lettres de Marion à Morstatt suggèrent que, du moins vers 1860, Cezanne est un amateur enthousiaste de la musique de Wagner, la plus avancée de son temps. Le 23 décembre 1865, Fortuné Marion invite Morstatt à venir de Marseille à Aix pour la Noël. En post-scriptum à cette lettre , Cezanne, qui se trouve à Aix, l’invite à y venir et à jouer du Wagner pour les fêtes de Noël.

« Le soussigné vous prie d’accéder à l’invitation de Fortuné, vous ferez vibrer notre nerf acoustique aux nobles accents de Richard Wagner. Je vous prierai de ça… veuillez accueillir mes sincères compliments et comblez notre souhait en vous exécutant. Je signe comme pour Fortuné,
Votre vieux
Paul Cezanne »

Voir aussi Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 113.
Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 28 :

« Heinrich Morstatt, musicien allemand venu à Marseille en 1865, comme agent d’une fabrique d’instruments de musique. A la pension Arnoux, où demeurait Morstatt, se trouvait également un ami intime de Cezanne, Fortuné Marion, habitant d’Aix. »

Courant 1865

Cezanne s’est-il rendu quelquefois à l’atelier que Bazille et Monet louent en commun à Paris, 6, rue de Furstenberg, du début janvier 1865 au 14 janvier 1866, comme l’indique Gaston Poulain ?

Bail à loyer signé par Bazille, reproduit par Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, Paris, éditions de l’Amateur – éditions des Catalogues raisonnés, 1995, p.44.
Dates d’après les lettres de Bazille à sa mère, jeudi [22 décembre 1864], à son frère Marc [décembre 1865], et à sa mère [après le 15 janvier 1866], Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, Paris, éditions de l’Amateur – éditions des Catalogues raisonnés, 1995, lettres n° 97 p. 342, n° 126 p. 348 et n° 130 p. 348-349.
Poulain Gaston, Bazille et ses amis, Paris, La Renaissance du Livre, 1932, p. 48-49. Thiébault-Sisson, « Claude Monet. Les années d’épreuve », Le Temps, n° 14414, lundi 26 novembre 1900, p. 3 :

« C’est également là qu’ils [Bazille et Monet] font la connaissance de Manet, qui vint quelquefois rue Furstenberg, où fréquentent à cette époque, outre Renoir et Sisley, Pissarro, qui devait dire, longtemps après la mort de Bazille : « Il était un des plus doués parmi nous », Alfred Stevens, Fantin, et quelquefois Cezanne. »

Sans doute Gaston Poulain se trompe-t-il au sujet de Cezanne, car Monet dira, dans un entretien avec Thiébault-Sisson, qu’il n’a rencontré Cezanne qu’en 1869, au café Guerbois.

Thiébault-Sisson, « Claude Monet. Les années d’épreuve », Le Temps, n° 14414, lundi 26 novembre 1900, p. 3 :

« J’attendis toutefois quelques semaines. Pour ne pas exaspérer ma famille, je continuai à faire acte de présence, juste le temps d’exécuter d’après le modèle une pochade, d’assister à la correction. et je filais. J’avais trouvé, d’ailleurs, à l’atelier [Gleyre], des compagnons qui me plaisaient, des natures qui n’avaient rien de banal. C’étaient Renoir et Sisley, que je ne devais plus désormais perdre de vue ; c’était Bazille, qui devint aussitôt mon intime, et qui aurait fait parler de lui, s’il avait vécu. Ni les uns ni les autres ne manifestaient plus que moi d’enthousiasme pour un enseignement qui contrariait à la fois leur logique et leur tempérament. Je leur prêchai immédiatement la révolte. L’exode résolu, on partit, et nous prîmes un atelier en commun, Bazille et moi. […]

Je trouvai tout de même un moyen d’exposer, mais ailleurs. Touché par mes supplications, un marchand qui avait sa boutique rue Auber consentit à mettre en montre une marine refusée au palais de l’Industrie. Ce fut un tollé général. Un soir que je m’étais arrêté dans la rue, au milieu d’une troupe de badauds, pour entendre ce qu’on disait de moi, je vois arriver Manet avec deux ou trois de ses amis. Le groupe s’arrête, regarde, et Manet, haussant les épaules, s’écrie dédaigneusement : « Voyez-vous ce jeune homme qui veut faire du plein air ? Comme si les anciens y avaient jamais songé ! »

Manet avait d’ailleurs contre moi une vieille dent. Au salon de 1866, le jour du vernissage, il avait été accueilli, dès l’entrée, par des acclamations. « Excellent, mon cher, ton tableau ! » Et des poignées de mains, des bravos, des félicitations. Manet, comme vous pouvez le penser, exultait. Quelle ne fut pas sa surprise quand il s’aperçut que la toile dont on le félicitait était de moi ! C’était la Femme en vert. Et le malheur avait voulu que, s’esquivant, il tombât sur un groupe dont Bazille et moi nous étions. « Comment va ? »‘lui dit un des nôtres. — « Ah ! mon cher, c’est dégoûtant, je suis furieux. On ne me fait compliment que d’un tableau qui n’est pas de moi. C’est à croire à une mystification. »

Quand Astruc, le lendemain, lui apprit que son mécontentement s’était exhalé devant l’auteur même du tableau et qu’il lui proposa de me présenter à lui, Manet, d’un grand geste, refusa. Il me gardait rancune du tour que je lui avais joué sans le savoir. Une seule fois on l’avait félicité d’un coup de maître et ce coup de maître avait été frappé par un autre. Quelle amertume pour une sensibilité à vif comme la sienne !

Ce fut en 1869 seulement que je le revis, mais pour entrer dans son intimité aussitôt. Dès la première rencontre, il m’invita à venir le retrouver tous les soirs dans un café des Batignolles où ses amis et lui se réunissaient, au sortir de l’atelier, pour causer. J’y rencontrai Fantin-Latour et Cezanne, Degas, qui arriva peu après d’Italie, le critique d’art Duranty, Émile Zola qui débutait alors dans les lettres, et quelques autres encore. J’y amenai moi-même Sisley, Bazille et Renoir. Rien de plus intéressant que ces causeries, avec leur choc d’opinions perpétuel. On s’y tenait l’esprit en haleine, on s’y encourageait à la recherche désintéressée et sincère, on y faisait des provisions d’enthousiasme qui, pendant des semaines et des semaines, vous soutenaient jusqu’à la mise en forme définitive de l’idée. On en sortait toujours mieux trempé, la volonté plus ferme, la pensée plus nette et plus claire. »

De son côté, Paul Alexis dit que Zola, conduit par Cezanne, a fait la connaissance de Monet en 1866-1867.

Alexis Paul, Émile Zola, notes d’un ami, G. Charpentier éditeur, Paris, 1882, 338 pages, p. 71 :

« Une belle année d’ailleurs, pour Zola, que cette année 1866-1867. […] Avec Cezanne, qui venait alors de rencontrer Guillemet, il fit le tour des ateliers, surtout des ateliers de l’école dite « des Batignolles », qui fut le berceau des impressionnistes d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’il se lia avec Édouard Béliard, Pissaro, Monet, Degas, Renoir, Fantin-Latour, etc. »

Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), 213 pages de texte, 200 planches, p. 48 :

« Timide, farouche, Cezanne ne vit que très peu Manet. Il lui voua, de loin, une sorte de culte, encore qu’il lui reprochât parfois de s’être trop laissé aller à la manie du morceau, d’avoir préféré le musée à la nature et d’être, au fond, « pauvre de sensations colorantes ». Mais l’Olympia le ravissait complètement. Il m’en apporta un jour une grande photographie.

« ― Tenez, mettez ça quelque part, devant votre table de travail. Il faut toujours avoir ça sous les yeux… C’est un état nouveau de la peinture. Notre Renaissance date de là… Il y a une vérité picturale des choses. Ce rose et ce blanc nous y mènent par un chemin que notre sensibilité ignorait jusqu’à eux… Vous verrez. »

Il parlait aussi avec une grande émotion de la Sortie de l’Opéra qu’il avait admirée, un jour, avec Solari, dans l’atelier de Manet.

« ― L’héroïsme de la vie moderne, faisait-il alors, comme a dit Baudelaire… Manet l’avait entrevu. Mais, ajoutait-il, ce n’est pas encore ça…. Je voyais plus large. »

Bazire Edmond, Manet, illustrations d’après les originaux et gravures de Bérard, Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1884, 150 pages, p. 72 :

« Manet n’avait pas d’école. Mais un nombre assez considérable d’artistes, impressionnés par sa large interprétation de la vérité, suivaient ses traces, et, sans s’attacher précisément à l’imiter, s’inspirèrent des procédés sincères qu’il avait introduits dans l’art de peindre. […] Monet fut l’un des audacieux qui commencèrent, et la similitude de nom servit singulièrement les parodistes, qui riaient de tout talent à l’aurore ; Degas, qui se livrait, au début, à des pourtraictures sages, se mit à chanter les danseuses, les foyers d’opéra, les envolements de gaze, qu’il surprend d’un clin d’œil ; Mlle Morizot, aujourd’hui Mme Eugène Manet, s’exerça en des marines très lumineuses, en des scènes de genre bien féministes par la conception et très viriles dans l’exécution ; Pissaro se convertit et, de classique raisonnable, passa au camp des révoltés. Cezanne s’adonna furieusement aux baigneurs et aux canotiers, et Sisley fit ses paysages, Renoir fit ses enfants rosés et ses femmes blanches, et déploya dans ses reflets les sept couleurs de l’arc-en-ciel. »

Courant de l’année

Cezanne signe et date deux tableaux de 1865 : Tête d’homme (« CEZANE 65 » en rouge au-dessus de l’épaule gauche selon le catalogue raisonné Rewald, mais invisible sur les photos) (FWN396-R074) ; Le Pain et les œufs (« P. Cezanne 1865 ») (FWN704-R082).