2 janvier

Lettre inédite de Marion à Zola, Aix, 2 janvier 1869.
Cette lettre suggère que Cezanne a quitté Aix depuis peu.

Rewald John, Cezanne et Zola, Paris, éditions A. Sedrowski, 1936, 202 pages, p. 61 :

« Pendant son séjour à Aix, Cezanne voyait souvent son camarade du collège A. F. Marion, futur professeur à la Faculté des Sciences de Marseille, qui faisait de la peinture en amateur. Marion allait peindre avec son ami et Cezanne l’accompagnait dans ses excursions pour chercher avec lui des restes préhistoriques. Lorsque Cezanne fut rentré à Paris, Marion confiait à Zola : « Paul m’a vu au travail, je l’ai fatigué peut-être de mes enthousiasmes de naturaliste » (3)

(3) Lettre inédite de Marion à Zola. (Aix, 2 janvier 1869.) »

Cezanne était donc de nouveau à Paris au commencement de l’année 1869.

Début de l’année

John Rewald considère que Cezanne a rencontré sa future compagne Émélie Marie Hortense Fiquet (Saligney, 22 avril 1850 – Paris 8e, 30, rue de Miromesnil, 3 mai 1922) à Paris vers le « commencement de l’année 1869 ». Elle a dix-neuf ans, et lui, trente ans. C’est possible mais nullement certain, puisque les seules localisations de Cezanne connues avec certitude à partir d’avril de cette année-là se trouvent dans le Midi, à Aix et à l’Estaque : il est étonnant qu’il s’éloigne d’Hortense après l’avoir rencontrée.

En réalité, Cezanne semble être resté tout le mois d’avril à Paris, cf. « Avril » ci-dessous.

Rewald John, Cezanne et Zola, Paris, éditions A. Sedrowski, 1936, 202 pages, p. 61 :

« Cezanne était donc de nouveau à Paris au commencement de l’année 1869. C’est à peu près vers cette époque qu’il fit la connaissance d’un jeune modèle, Hortense Fiquet, qui avait alors dix-neuf ans. »

Gerstle Mack se montre moins précis :

Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 149 :

« Ils [Cezanne et Hortense] s’étaient connus avant la guerre [19 juillet 1870], mais on ne sait pratiquement rien des circonstances de leur première rencontre. […] D’après les uns, elle ajoutait à son salaire par des séances de pose ; mais on ne peut dire s’il s’agit là d’un fait ou d’une légende inventée pour expliquer sa rencontre avec Cezanne. »

Cezanne Philippe, « My Great-Grandmother Marie-Hortense Fiquet », Madame Cezanne, catalogue d’exposition, New York, The Metropolitan Museum of Art, 19 novembre 2014 – 15 mars 2015, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2014, 224 pages, p. 35-36 :

Traduit de l’anglais :

« Son père [d’Hortense Fiquet], Claude Antoine Fiquet, un garçon de ferme, était petit et léger, assez fort, tendant vers le type espagnol, et il portait une barbe. Sa mère, Catherine Déprez, était la fille du forgeron de Lantenne-Vertière. Après l’épidémie de choléra d’août 1854, la famille déménagea à Paris. Ils ont vécu rue Childebert, près de l’église de Saint-Germain-des-Prés. En 1859, Claude Antoine était clerc d’huissier, mais en juillet 1867, à la mort de sa femme, il était devenu relieur. Lorsque Paul Cezanne fit sa connaissance, Hortense travaillait comme relieuse, dans une boutique, avec son amie Thérèse [Davin], future épouse d’Antoine Guillaume. Hortense travaillait-elle avec son père ? »

Amory Dita, « Newly Seeing the Familiar. Paul Cezanne, Hortense Fiquet, and the Portraits”, Madame Cezanne, catalogue d’exposition, New York, The Metropolitan Museum of Art, 19 novembre 2014 – 15 mars 2015, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2014, 224 pages, p. 3 :

Traduit de l’anglais :

« Elle [Hortense Fiquet] était l’ainée de trois enfants. Ses frère et sœur, François Jules et Marie Eugénie Ernestine, moururent très jeunes. »

Hurtu Raymond, « Chronologie d’Hortense Fiquet », site internet de la Société Paul Cezanne, d’après des actes d’état-civil, Archives départementales du Jura.

« 12 juin 1852. Naissance à Lantenne Vertière, de François, Jules Fiquet, fils de Claude Antoine Fiquet, propriétaire-cultivateur et de Catherine Déprez (les Fiquet ont hérité des terres de Jacques Déprez et se sont installés à Lantenne-Vertière. […]

17 juin 1854. Décès de François Jules Fiquet (le frère d’Hortense) à Saligney (?). Les Fiquet sont venus à Paris (2e arrondissement, 9e actuel). […]

4 avril 1855. Naissance de Marie Eugénie Ernestine Fiquet à Lantenne-Vertière, fille de Claude-Antoine Fiquet et de Catherine Déprez, cultivateurs.

Les Fiquet sont de retour dans le Doubs. […]

25 août 1857. Décès de Marie Eugénie Ernestine Fiquet (la sœur d’Hortense) à Paris 12e arrondissement (actuel 5e). Les Fiquet sont définitivement installés à Paris. […]

23 juillet 1867. Décès de Catherine Déprez, la mère d’Hortense (46 ans), en son domicile, 5 rue Childebert, mariée à Cl. Antoine Fiquet, brocheur (il y a un atelier de brochage à quelques mètres de leur domicile, l’atelier Bénard, 3, rue d’Erfurth).

Hortense a 17 ans et travaille comme brocheuse, probablement dans le même atelier que son père »

Chédeville François et Hurtu Raymond, « Madame Paul Cezanne »  :

« Quand et comment Hortense et Paul se rencontrent-ils ?

Selon John Rewald, « Cezanne était donc de nouveau à Paris au commencement de l’année 1869. C’est à peu près vers cette époque qu’il fit la connaissance d’un jeune modèle, Hortense Fiquet, qui avait alors dix-neuf ans »[1].

La suggestion de Rewald selon laquelle Paul rencontra Hortense en tant que modèle a été souvent reprise par de nombreux auteurs. Ainsi Henri Perruchot en tire une interprétation de la rencontre : « (Hortense) gagne sa subsistance comme ouvrière brocheuse, mais ajoute à ses ressources par quelques séances de pose chez les peintres. Modèle, elle possède une grande vertu, surtout pour Cezanne : la patience (…) elle se plie aux exigences de la pose avec docilité. Est-ce cette soumission qui lui a permis d’entrer dans l’intimité de Cezanne ? »[2]

Rien ne permet pourtant d’étayer cette hypothèse ; Jean de Beucken n’en fait pas état, lui qui a tiré l’essentiel de ses informations de ses rencontres avec Paul Cezanne fils.

Comme le dit Gerstle Mack, « Ils s’étaient connus avant la guerre, mais on ne sait pratiquement rien des circonstances de leur première rencontre. (…) Les revenus de son père étaient très modestes et Hortense gagnait sa vie à coudre des livres faits à la main. D’après les uns, elle ajoutait à son salaire par des séances de pose; mais on ne peut dire s’il s’agit là d’un fait ou d’une légende inventée pour expliquer sa rencontre avec Cezanne. » [3] .

Il se peut aussi que cette supposition soit née d’une interprétation trop littérale du roman de Zola, L’OEuvre, dans lequel le peintre Claude Lantier, assimilé abusivement à Cezanne, prend pour modèle nu sa compagne Christine, confondue avec Hortense.

Mais poser nue était-il compatible avec le caractère d’Hortense ? Cela suppose, si l’on en croit les auteurs du XIXe siècle[4], une liberté de mœurs dont elle n’aura donné aucun exemple dans sa vie. En outre, on sait à quel point Cezanne était embarrassé à l’idée d’utiliser des modèles féminins et combien il s’est plaint toute sa vie de ne pouvoir y recourir. Selon Vollard, « Son rêve eût été de faire poser ses modèles nus en plein air ; mais c’était irréalisable pour beaucoup de raisons, dont la plus importante était que la femme, même habillée, l’intimidait. »[5]

Aussi, en supposant qu’Hortense ait été modèle, pourquoi Cezanne ne l’aurait-il pas utilisée en tant que modèle nu alors qu’il l’avait en quelque sorte « sous la main », au lieu de recourir à la copie de toiles ou de statues et aux études de jeunesse qu’il avait pu exécuter chez Suisse ?[6] Or nous ne possédons qu’une seule étude d’Hortense posant à demi-nue[7] – et encore n’est-on pas absolument certain qu’il s’agisse d’elle, ni même qu’elle est nue -, vraisemblablement exécutée vers 1870. Si elle est nue, il est légitime de considérer qu’elle a accepté de poser ainsi à son corps défendant et peut-être dans la lumière enchantée et érotique des débuts de la rencontre amoureuse. En outre, si elle avait été modèle, il est hautement probable qu’elle aurait fréquemment posé nue pour satisfaire les besoins de son compagnon en la matière, connaissant sa disponibilité sans faille dont témoignent par la suite ses multiples portraits.

En outre, il faut attendre deux bonnes années après cette première étude pour qu’Hortense soit à nouveau représentée en mère allaitant sa fils, et encore près de deux ans supplémentaires pour qu’apparaisse son premier portrait habillée : pourquoi Cezanne ne l’aurait-il pas fait poser davantage si elle était modèle ? et pourquoi ne l’a-t-il pas représentée avant leur séjour à l’Estaque dans l’atelier où ils seraient censés s’être rencontrés ? Or nous ne possédons aucune représentation, ni dessinée, ni peinte, d’Hortense par Cezanne avant R230 de 1870.

Rewald s’avance beaucoup en supposant que la rencontre de Paul et d’Hortense se situe à peu près au début de 1869, car rien ne l’atteste. Qu’ils se soient rencontrés avant la guerre est en réalité la seule certitude que nous possédions : leur liaison est donc antérieure à juillet 1870 où, comme nous le verrons, Hortense rejoint Cezanne à l’Estaque, et postérieure à l’arrivée de Cezanne à Paris en décembre 1868.

Nous ne pouvons pas situer cette rencontre avec précision dans le temps, car en 1869 Cezanne alterne les séjours parisiens et les retours en Provence : il semble y être en début d’année, il peut être venu à Paris en mars pour présenter ses œuvres au Salon, il semble être en Provence vers mai-juin et une partie de l’été, pour revenir vraisemblablement en septembre ou octobre à Paris. En 1870 il est témoin au mariage de Zola le 31 mai – lequel met fin à cinq ans de concubinage avec Eléonore Alexandrine Méley. Les témoins sont tous des amis aixois : Marius Roux, Paul Alexis, Philippe Solari, Paul Cezanne, « artiste peintre 53 rue N.D. des Champs »[8]. Rien n’indique qu’Hortense ait été présente à cette occasion. Cezanne passe probablement une partie de l’été 1869 avec Zola à Bennecourt et Gloton, et rien n’indique non plus la présence d’Hortense à ses côtés. S’il habite depuis mars 1870 au 53, rue Notre-Dame des Champs[9], y habitait-il dès 1869 lors de ses séjours parisiens ? Nous ne le savons pas, mais ce n’est pas exclu.

En réalité, c’est en nous appuyant sur l’amitié des Fiquet et des Guillaume dont a témoigné Jean de Beucken58, qu’on peut retracer le fil de la rencontre de Paul et Hortense. 

On se souvient que Thérèse Davin et Hortense Fiquet se sont liées d’amitié dans l’atelier de brochage où elles ont peiné toutes les deux. Thérèse est née en 1854 à Montmaur dans les Hautes Alpes, et elle est venue très jeune à Paris en 1867 ou 1868 avec un « pays », Jean Antoine Guillaume (né à Serres, commune voisine de Montmaur), cordonnier de son état, qu’elle épousera à 17 ans en juillet 1871. En 1868, Thérèse a 14 ans et Hortense 18 : on peut imaginer que leur amitié est née du fait qu’Hortense a dû prendre la petite Thérèse sous sa protection dans l’univers impitoyable du travail d’atelier, vu leur différence d’âge.

En 1868, Thérèse et son futur époux Jean Antoine Guillaume habitent au 7, rue Notre-Dame des Champs, où Jean Antoine exerce son activité de cordonnier. Lorsqu’ils ont été expropriés, il est possible que les Fiquet soient venus s’installer auprès des Guillaume. En tout cas Thérèse et Hortense continuent à se voir régulièrement, travaillant dans le même atelier ou se rendant de fréquentes visites si après l’expropriation de l’atelier Bérard, elles n’ont pas retrouvé de travail ensemble au même endroit.

Or il se trouve que Jean Antoine Guillaume a pour ami proche un peintre nommé Jean-Baptiste Chaillan : celui-ci fera le voyage de Paris à Montmaur pour lui servir de témoin lors de son mariage avec Thérèse Davin, et il signera à Paris l’acte de naissance de leur fils Louis en juillet 1872.

Jean-Baptiste Chaillan, fils de paysans de Trets près d’Aix est un des membres de la communauté des artistes aixois venus tenter leur chance à Paris. De 1857 ou 1858 à 1861, il a fréquenté l’école spéciale et gratuite de dessin d’Aix où il a fait la connaissance de Paul Cezanne, qui apprécie en lui « une certaine verve poétique ». A Paris, il fréquente avec Paul l’atelier Suisse et rencontre également Zola, dont il fait le portrait – et qui prendra plaisir à moquer son peu de talent (et qui en fera la caricature à travers le personnage de Chaîne dans l’OEuvre). Il fait partie de la petite troupe de Bennecourt en 1866 avec Cezanne et Zola.

Si l’on se rappelle que Cezanne habite, comme les Guillaume, rue Notre-Dame des Champs au moins depuis son retour à Paris de mars 1870 (au N° 53), il est plus que vraisemblable que Jean Antoine Guillaume et Paul Cezanne ont fait connaissance par l’intermédiaire de leur ami commun Jean-Baptiste Chaillan au cours d’une de ses visites à l’un ou à l’autre dans cette rue. C’est donc chez Jean Antoine que Paul a pu rencontrer Hortense, venue rendre visite à son amie Thérèse Davin, compagne et future épouse du cordonnier.

De cette rencontre naîtra une familiarité et une amitié exceptionnelle entre ces deux couples, amitié qui se poursuivra encore après leur mort dans leurs enfants.

Nul besoin donc de supposer paresseusement après Rewald que Paul a rencontré Hortense en tant que modèle (nu sous-entendu), ce qui, on l’a dit, ne s’accorde ni à son caractère ni au fait qu’elle ne commencera réellement à poser pour son mari que 4 ou 5 ans après leur rencontre. »

[1] John Rewald, Cezanne et Zola, 1936, Éditions Sedrowski, Paris, p. 61
[2] Henri Perruchot, La vie de Cezanne, Livre de Poche, 1956, p.195
[3] Gerstle Mack, La vie de Paul Cezanne, NRF, 1938, p. 103. On a ainsi fait le rapprochement entre La Tireuse de cartes de Bazille, datée de 1868 (Hortense lui aurait donc servi de modèle avant sa rencontre avec Cezanne), et les portraits d’Hortense par Cezanne, arguant de la position adoptée par le modèle de Bazille, d’une éventuelle ressemblance avec Hortense et du fait que celle-ci aimait les jeux de cartes… mais la femme représentée par Bazille doit avoir environ 25 ans alors qu’en 1868 Hortense est une jeune fille de 18 ans, et la ressemblance est loin d’être établie si l’on compare ce tableau avec R230 ou R216.
[4] On peut relire à ce propos ce qu’en dit Huysmans dans Les Sœurs Vatard.
[5] Ambroise Vollard, Paul Cezanne, Ed. Georges Crès, Paris, 1919, p. 130.
[6] id., p. 129 :« Le peintre se servait, pour ses compositions de nus, de dessins sur nature faits autrefois à l’atelier Suisse ; pour le reste, il faisait appel à ses souvenirs de musées. »
[7] Cf. Fig. 23 (R230). Sans même, d’ailleurs qu’on voie distinctement sa poitrine, d’où selon certains l’impression qu’au lieu d’être nue, elle porte en réalité un chemisier blanc. L’autre « portrait » d’Hortense allaitant son fils (Fig. 31, R216) relève d’une autre logique que celle de la pose d’un modèle nu : il s’agit bien plutôt de la première image de l’album de famille que Cezanne va développer au fil du temps avec les portraits d’Hortense, ceux du petit Paul et ses autoportraits.
[8] Extrait d’acte de mariage 11° 409 du 31-5-1870 : « Emile Edouard Charles Antoine Zola épouse Eléonore Alexandrine Meley, à la mairie du 17e arrondissement, en présence de Suzanne Mathias Marius Roux, homme de lettres, âgé de trente ans. demeurant avenue de Clichy, 80, de Paul Antoine Joseph Alexis, homme de lettres. âgé de vingt-trois ans, demeurant rue Linnée, 51, de Philippe Solari, sculpteur, âgé de trente ans, demeurant rue Perceval, 10, et de Paul Cézanne, artiste peintre, âgé de trente-et-un ans, demeurant rue Notre-Dame-des-Champs, 53, amis des époux. » (Archives de Paris).
[9]  E. et J. de Goncourt, Manette Salomon : « … la rue Notre Dame des Champs, cette rue d’ateliers et de chapelles…» Au n° 53 habitent également Auvray, sculpteur, Moreau, peintre verrier, Rouboy, artiste peintre, Vinot, ébéniste (Bottin arch. Paris).. Cf. lettre de Zola à Solari 13 février 1870, Bakker t II 1980 n° 84 p 212

Printemps

La famille Pissarro s’installe à Louveciennes, maison Retrou, route de Versailles, face au débouché de la rue du Parc de Marly, maison qui existe toujours, à l’actuel n° 22.

Bailly-Herzberg Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettres nos 7 et 12, p. 62 et 68.

Entre le 10 et le 20 mars

Peut-être Cezanne est-il à Paris pour soumettre une œuvre au jury du Salon, la date de dépôt étant entre le 10 et le 20 mars.

Salon de 1869, 87e exposition officielle. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1869, Paris, Charles de Mourgues Frères, successeurs de Vinchon, imprimeurs des musées impériaux, 1869, 628 pages, « Règlement », art. 1, p. XCI.

« Les ouvrages devront être déposés du 10 au 20 mars, à six heures du soir. Passé cette époque, aucune œuvre ne sera reçue.
Aucun sursis ne sera accordé, pour quelque motif que ce soit. En conséquence, toute demande de sursis serait considérée comme non avenue et laissée, dès lors, sans réponse. »

5 avril

Lettre de Marie Cezanne à son frère.
Marie Cezanne, à Aix, envoie par courrier à son frère, qui est donc probablement à Paris, des renseignements sur les vêtements des paysannes. Celui-ci transmet le courrier à Zola, qui lui a demandé de le documenter pour son roman La Conquête de Plassans.

Lettre jointe aux notes de Zola pour La Conquête de Plassans, folio 53. Rewald John, Cezanne et Zola, Paris, éditions A. Sedrowski, 1936, 202 pages, p. 74 :

« Aix 5 avril 69.

Mon cher Paul,

Les paysannes lorsqu’elles travaillent aux champs ont une jupe généralement bleue, plus foncée lorsque l’étoffe est en coton et s’appelle alors cotonnade, plus pâle lorsque l’étoffe est en fil et les paysannes l’appellent alors un cotillon fait sur la toile. Elles ont pour corsage une casaque qui est tout bonnement un corsage à fond, auquel on ajoute une basque droite à fond et d’égale longueur tout autour de la ceinture, et la basque s’appelle lou pendis ou le parasol. Lorsque la chaleur les oblige à ôter ce corsage, alors seulement se voient les bretelles, elles sont faites avec des attaches de coton d’un peu plus d’un doigt de large. Elles sont cousues au jupon ; derrière elles partent toutes deux du même point, au milieu de la taille, passant dessus les épaules et devant restant un peu écartées de chaque côté de la taille et ne se rejoignent pas comme derrière. Lorsqu’elles ont ôté la casaque, on voit alors leur corset qui est généralement bleu ou blanc, elles sont en bras de chemise, les manches relevées et repliées jusqu’au coude ; un fichu de couleur autour du cou dont les bouts sont enfermés devant dans le corset. Pour coiffure, un chapeau de feutre de laine noir à grands bords ; ceci est ancien, on voit plutôt maintenant des chapeaux de paille.
Je me suis efforcée d’être aussi claire et aussi limpide que possible en évitant toutefois dêtre, etc. Je ne sais si tu seras satisfait.
Nous nous portons tous bien. Maman et Rose ont passé quelques jours à la campagne (le Jas de Bouffan)… Écris-nous bientôt et souvent, tu sais avec quel plaisir nous recevons tes lettres. Nous allons bien te regretter pour les fêtes du concours régional agricole. Adieu, je vais manger ma soupe qui se refroidit. Je t’embrasse pour nous tous,

Ta sœur Marie. »

[9 avril]

Lettre de F(rédéric) Bazille à son père, datée vendredi soir.

Frédéric Bazille, correspondance, n° 119, p. 172.

« Le jury [du Salon] a fait un grand carnage parmi les toiles des quatre ou cinq jeunes peintres avec lesquels nous nous entendons bien. J’ai une seule toile reçue : la femme [Vue de village, F. Daulte, 1992, n° 39]. A part Manet qu’on n’ose plus refuser, je suis des moins maltraités. Monet est entièrement refusé. Ce qui me fait plaisir, c’est qu’il y a contre nous une vraie animosité. C’est M. Gérôme qui a fait tout le mal, il nous a traités de bande de fous, et déclaré qu’il croyait de son devoir de tout faire pour empêcher nos peintures de paraître. Tout cela n’est pas mauvais, quand j’aurai fait un tableau complètement bon il faudra bien qu’on le voie. J’ai été défendu, à mon grand étonnement, par Cabanel. »

Bazille tient ces informations d’une lettre de Stevens :

François Daulte, Frédéric Bazille, 1992, p. 75.

« Mon cher Bazille, votre tableau La femme est reçu ; je suis heureux de vous annoncer cette bonne nouvelle. Vous avez été défendu (entre nous) par Bonnat, et, devinez l’autre ? par Cabanel ! Degas a son petit portrait de reçu ; Monet (pas Manet bien entendu) est complètement refusé. J’avoue que je suis désolé pour mon ami Degas, dont j’aime le talent et l’esprit. »

 

17 au 25 avril

Selon la lettre de sa soeur Marie du 5 avril, Cezanne est absent d’Aix au moment du Concours régional agricole, soit du 17 au 25 avril.

Bibliothèque Méjanes, notice de J.B. Gaut, ancien conservateur à la Bibliothèque de la Méjanes pour la photographie de Claude Gondran : « Personnages de la cavalcade historique de 1869 devant la fontaine de l’hôtel d’Espagnet à Aix » , cote PHO. GON. (2), 103

« Un concours régional agricole eut lieu à Aix, en avril et mai 1869 [en réalité du 17 au 25 avril, cf  http://www.purl.org/yoolib/bmaixenprovence/20674 ]. À cette occasion, la ville organisa, outre des luttes d’orphéons et de musiques instrumentales, une grande cavalcade historique de charité, représentant l’entrée du roi René dans la capitale de la Provence, en 1448, suivie d’un carrousel et d’un tournoi, donnés, à la caserne d’Italie, par le 7ème régiment de lanciers, en garnison à Tarascon, dont notre compatriote, M. de Fonscolombe, était lieutenant-colonel.
Le roi René, à cheval, avec les princes de sa famille, les dignitaires de sa cour, ses chevaliers et ses hommes d’armes, fut reçu, à l’entrée du cours, décorée et pavoisée pour la circonstance, par les syndics de la ville, le corps municipal, les autorités judiciaires et militaires, les corporations d’arts et métiers de l’époque. Les costumes, les armes, les blasons et tous les accessoires de cette grande exhibition étaient d’une rigoureuse exactitude historique, et dessinés d’après le livre, écrit par le roi René, intitulé  : le Tournoi, dont l’original sur velin est à la Bibliothèque nationale.
M. Ludovic d’Estienne de Saint-Jean, propriétaire, rue Villeverte, remplit le rôle du roi René. C’est son portrait, en costume royal, que représente la photographie jointe à cette notice. »

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Avril

Cezanne est à l’Estaque, où il réalise une aquarelle qui représente des Usines à l’Estaque (RW024). Cette aquarelle, offerte à la compagne de Zola, Alexandrine Meley, porte au dos l’inscription suivante : « Aquarelle faite spécialement pour une table à ouvrage appartenant à Mme Alexandrine-Émile Zola, par Paul Cezanne en avril 1869. Certifié par moi. Alex. Émile Zola. »

En fait la lettre de Marie du 5 avril montre que Cezanne n’est pas à Aix et qu’il n’est pas question qu’il y revienne avant les fêtes du concours régional agricole du 17 au 25 avril : il est donc peu vraisemblable que RW024 ait été réalisé en avril 1869 à l’Estaque.

1er mai – 20 juin

Salon, au Palais des Champs-Élysées. Guillemet, Pissarro et Solari sont admis.

Salon de 1869, 87e exposition officielle. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1869, Paris, Charles de Mourgues Frères, successeurs de Vinchon, imprimeurs des musées impériaux, 1869, 628 pages, dates p. XCI, Solari p. 522.

« GUILLEMET (Jean-Baptiste-Antoine), né à Paris.
Grande Rue des Batignolles, 20.
1135 — Village au bord de la Seine.
[…]
PISSARO [sic] (Camille), né à Saint-Thomas (Antilles).
Chez M. Carpentier, boulevard Montmartre, 8.
1950 — L’ermitage.
[…]
SOLARI (Philippe), né à Aix (Bouches-du-Rhône).
Rue Perceval, 10 (Plaisance)
3719 — Baigneuse ; statue, plâtre.
3720 — Portrait de M. *** ; médaillon, plâtre. »

3 mai

Lettre de Pissarro, Louveciennes, à l’administration des Beaux-Arts, datée « 3 mai 1869 ».

Bailly-Herzberg Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettre n° 7 p. 62 :

« J’appelle votre attention sur une plaisanterie que m’auront faite les garçons de service en plaçant mon tableau dans une salle qui n’est pas marquée à ma lettre et surtout au-dessus d’une porte et à une hauteur impossible. Je ne puis attribuer cette décision à l’administration, ces messieurs penseront comme moi que c’est déjà beaucoup pour un artiste d’être à la merci d’un jury quelconque, sans passer encore par le jugement des garçons chargés d’accrocher les toiles !

Je vous prie donc, messieurs, de vouloir bien me réintégrer à ma lettre.

J’ai l’honneur de vous saluer. »

Été

Cezanne traverse une période d’incertitudes et de tâtonnements.
Séjour possible à Bennecourt et à Gloton, où Zola fait de fréquents séjours dans la maison Pernelle qu’il loue, au bord de la Seine (bail restitué le 15 août 1871).

Baligand Renée, « Lettres inédites d’Antoine Guillemet à Émile Zola (1886-1870) », Les Cahiers naturalistes, n° 52, 24e année, 1978, éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, Paris, p. 173-205, p. 195.

20 juillet

Lettre d’A. Guillemet, Scey-en-Versois (par Ornans, Doubs), à Zola, 20 juillet 1869
Guillemet écrit à Zola qu’il a confiance dans le succès à venir de celui-ci et il demande des nouvelles de Cezanne, à qui il souhaite également le succès, bien qu’il se soit conduit de façon peu aimable envers lui : « Il est temps qu’il produise selon son idée et il me tarde de lui voir prendre la place qu’il doit avoir. »

Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), p. 182.
Lettre de Guillemet à Zola, 20 juillet 1869 ; Baligand Renée, « Lettres inédites d’Antoine Guillemet à Émile Zola (1866-1870) », Les Cahiers naturalistes, Paris, Éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, 23e année, 1978, n° 52, p. 173-205, lettre p. 193.

« Je crois que j’ai assez causé de moi. J’ai hâte de vous demander de vos nouvelles. Comment vous vous portez tous les trois ainsi que Ronka [Rhunka est une guenon macaque] et Cezanne ? Vous devez travailler et votre roman doit s’avancer. J’espère que vous aurez un grand succès et j’en suis sûr d’avance. Vous me donnerez des nouvelles de Paul ; a-t-il terminé son tableau ? Il est temps qu’il produise selon son idée et il me tarde de lui voir prendre la place qu’il doit avoir. Que la peinture est une drôle de chose ; il ne suffit pas d’être intelligent, pour bien faire. Enfin avec le temps, il arrivera, je n’en doute pas. Dites-lui bonjour de ma part, il aurait beau ne pas être aimable avec moi je n’oublierai jamais la manière dont il m’a reçu à Aix et combien nous avons été liés à cette époque ensemble. Si vous aviez des nouvelles de Monet et de Pissarro donnez-m’en aussi. »

28 août

Lettre d’A(ntoine) Guillemet, à Zola, « Scey par Ornans », 28 août 1869.
Guillemet répond à Zola.

Baligand Renée, « Lettres inédites d’Antoine Guillemet à Émile Zola (1866-1870) », Les Cahiers naturalistes, Paris, Éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, 23e année, 1978, n° 52, p. 173-205, lettre p. 194-197.

« Toutes les nouvelles que vous m’avez données m’ont intéressé et il n’est pas jusqu’au tableau pendule (comme sujet bien entendu) de Pissarro qui ne m’ait fait rêver. Je crois reconnaître là une idée de Béliard (moraliser par la peinture). Rien de plus attendrissant en effet que cette colombe dans les mains de jeunes femmes vêtues simplement. Allusion que devrait prendre pour lui le gouvernement et qui devrait lui faire honte de ses millions gaspillés en fête du 15 août et autres. Et puis vous paraissez craindre le joli du sujet. Je pense qu’avec son talent anti-Chaplin, la colombe traitée par Pissarro [œuvre inconnue] pourra ressembler à un poulet, peut-être à une oie, qui sait ? Ce que vous me dites de Paul m’attriste en revanche beaucoup, le brave garçon doit souffrir comme un damné de tous ces essais de peinture où il se jette à corps perdu, et qui ne réussissent que bien rarement, hélas ! Là où il y a de l’étoffe on ne peut désespérer. Quant à moi, je m’attends toujours à le voir revenir avec de belles choses qui nous feront plaisir, à nous qui l’aimons, et qui feront bisquer les incrédules et les débineurs. Dieu sait s’il y en a !

[…] Pardon de tout ce barbouillage. Le but de ma lettre était celui-ci : je vous ai entendu dire que vous aviez le projet d’aller faire un tour l’hiver dans le Midi. Soyez donc assez gentil pour m’en dire l’époque et pour tâcher de venir nous voir là-bas. Vers la fin de septembre nous quittons Scey pour aller peindre et jouer au bézigue — la seule distraction permise en dehors de l’art sur les bords de la Méditerranée (je ne sais encore où au juste). Vous serez bien gentil de venir nous voir. Je vous écrirai le lieu de notre séjour ou à peu près. Cela nous ferait grand plaisir de nous chauffer ensemble à ce bon soleil si rare à Paris à cette époque. Paul ne sera peut-être pas encore de retour de chez lui. […]

Si vous allez vers la mi-septembre à Bougival vous direz bonjour aux peintres de l’Avenir de ma part. Le tableau de Monet doit être bien curieux. »

Monet habite cet été-là à Saint-Michel, hameau de Bougival ; Renoir, à Voisins, hameau de Louveciennes, chez ses parents, de juillet à septembre 1869. Au nombre des peintres de Bougival, Guillemet compte aussi Pissarro, comme le montrera sa lettre du 21 décembre, et peut-être aussi Sisley, qui vers cette époque vient habiter à Voisins.

Renoir, catalogue d’exposition, Paris, 1985, p. 373.

Guillemet, d’après les informations que lui a données Zola, s’attend à « le voir revenir avec de belles choses », donc revenir à Paris depuis Bennecourt en septembre ou octobre, avant de retourner à Aix pour l’hiver, au moment où Zola ira « faire un tour » dans le Midi. En fait fin août ou début septembre, Cézanne repart pour Aix.

Début septembre (avant le 4)

Lettre inédite, de Paul Alexis à Valabrègue.
Paul Alexis annonce à Valabrègue son intention de quitter Aix pour Paris, afin d’y devenir homme de lettres, mais il a besoin pour cela d’un prêt de 200 francs. « Marion et Cezanne n’en ont pas et m’ont conseillé de t’écrire. » Cezanne et Marion sont donc effectivement à Aix.

Lettre citée dans Le Blond-Zola Denise, Alexis, Zola et l’époque du Naturalisme, manuscrit, collection J.-C. Le Blond.
« Naturalisme pas mort », lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola, 1871-1900, présentées et annotées avec de nombreux documents par B. H. Bakker, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, 609 pages, p. 9-10.

« Jadis des phrases, des rêves, des projets. Aujourd’hui des faits : j’ai brûlé mes vaisseaux. J’ai quitté la famille. À la suite d’un rien, je me suis décidé. Voici ce que j’ai fait : Cette nuit suivi d’un ami, j’ai dévissé de chez moi mes frusques et j’ai écrit à mon père une belle lettre où je lui dis, qu’à 6 heures du matin je pars pour Paris fatalement entraîné par ma vocation littéraire.

De sorte que pour ma famille, je suis parti déjà — Malheureusement il n’en est rien. Je n’ai que cent sous dans ma poche. Pourrais-tu, courrier par courrier, m’envoyer 200 fr., somme nécessaire pour filer sur Paris, et y vivre un mois ? J’ai tout lieu de croire que ma famille m’y enverra une pension.

Je te demande cette somme parce que, obligé ici de ne pas sortir de jour, je ne sais à qui m’adresser. Marion et Cezanne n’en ont pas et m’ont conseillé de t’écrire. J’attends anxieusement ta réponse, comme tu peux penser. Envoie-la-moi, si tu peux, par lettre chargée, rue des Jardins n° 5 (Aix) la chambre d’ami où je suis réfugié.

Je suis incapable de te donner plus de détails, car j’ai passé une nuit blanche et agitée. Et je viens d’élucubrer et d’expédier à la famille une lettre de huit pages.

Pardon de mon sans-gêne ; mais c’est la nécessité, et je sais que moi je ne te le refuserais pas.

J’ai dit à ma famille de m’écrire à ton adresse quai de l’Hôtel de Ville n° 82. Si on m’envoie quelque chose, tu me le garderas. Dès que je serai à Paris, je te ferai rendre la somme par la famille. Je dirai même que c’est 3 à 4 cents au lieu de 200 f. afin d’y gagner un petit bénèf honnête. »

4 septembre

Lettre de Zola à Antony Valabrègue, [Paris], mercredi 4 septembre 1869.
Zola confirme à Valabrègue la demande de prêt de 200 francs de Paul Alexis, dont il l’a lui-même informé.

Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, lettre n° 80, p. 205.

« Paul [Alexis] m’écrit qu’il y viendra sur-le-champ [à Paris] si vous pouvez lui prêter deux cents francs. D’ailleurs, il ne peut rester à Aix un jour de plus sans rentrer dans le giron de la famille. Comme vous ne me soufflez pas un mot de cela, je suppose que la lettre d’Alexis a dû vous adresser s’est égarée à Pontoise. »

5 septembre

Lettre de Valabrègue, Mantes, à Zola.
Valabrègue s’apprête à venir en aide à son camarade Alexis, en lui procurant l’argent demandé, comme il l’écrit à Zola, de Mantes.

Collection J.-C. Le Blond .
« Naturalisme pas mort », lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola, 1871-1900, présentées et annotées avec de nombreux documents par B. H. Bakker, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, 609 pages, p. 10 :

« J’ai ici cent francs à la disposition d’Alexis. Je viens de le lui écrire. J’ai écrit aussi à Paul [Cezanne], en cas que ma lettre à Alexis qui lui est adressée à un café, lui arrivât trop tard. […] Il eût peut-être mieux valu que je n’eusse point encore quitté Paris, pour recevoir Alexis, et lui tenir une chambre prête, et pour le conduire aussitôt chez vous. La faute, en somme, est à Alexis qui prend son parti, au dernier moment. Je rejoindrai Alexis à Paris, quelques jours après son arrivée. […]

Si Alexis arrive à Paris à l’improviste, dites-lui donc qu’il se loge, rue Cardinal Lemoine au n 25, où il trouvera une chambre convenable, pour 28 francs. »

9 septembre

Lettre de Valabrègue, Mantes, à Zola.
Valabrègue confirme à Zola qu’il a envoyé de l’argent à Alexis.

Collection J.-C. Le Blond .
« Naturalisme pas mort », lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola, 1871-1900, présentées et annotées avec de nombreux documents par B. H. Bakker, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, 609 pages, p. 10-11 :

« J’ai envoyé cent francs à Alexis. Il doit, à l’heure qu’il est, les avoir reçus. Sa première lettre m’est arrivée, après un retard de cinq jours que je regrette. Depuis je n’ai plus eu de ses nouvelles. J’ignore s’il est parti.

Je lui prêterai cent francs encore à Paris. Mais là commencera la limite des impossibilités, puisque malheureusement, je n’ai que des revenus. Mais peut-être alors, la famille consentira-t-elle à envoyer une pension. »

Alexis arrive à Paris quelques jours plus tard et Valabrègue le présente à Zola.

Alexis Paul, Émile Zola, notes d’un ami, avec des vers inédits de Émile Zola, Paris, G. Charpentier, Éditeur, 1882 ; réédition Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, 338 pages, p. 90-91 :

« Donc, vers le 15 septembre 1869, sur les huit heures du soir, mon compatriote et ami, le poète Antony Valabrègue, et moi, nous avions pris l’impériale de l’omnibus « Odéon-Batignolles-Clichy. » Arrivé à Paris depuis quelques jours pour « faire » de la littérature, mais bien jeune encore et n’apportant d’autre bagage que quelques vers à la Baudelaire, j’allais être présenté par Valabrègue à cet Émile Zola que je n’avais jamais vu, mais dont j’avais entendu parler sur les bancs du collège, dès ma troisième, lorsqu’il ne faisait encore lui-même que des vers, — à cet Émile Zola dont je savais les œuvres par cœur, et qui, quelques mois auparavant, m’avait causé l’inespérée, la délicieuse joie de voir pour la première fois mon nom « Paul Alexis » imprimé tout vif dans un article du Gaulois, consacré à mes pauvres « Vieilles Plaies. »

À l’endroit de l’avenue de Clichy appelé « la Fourche, » nous dégringolons, Valabrègue et moi, de notre impériale. Quelques pas dans la première rue à gauche, et nous voici sonnant au 14 de la rue de la Condamine. Le cœur me battait. Le premier mot de Zola fut celui-ci : « Ah ! voilà Alexis !… Je vous « attendais. » »

 

L’article qui nomme Paul Alexis est  : Zola Émile, « Livres d’aujourd’hui et de demain », Le Gaulois, 2e année, n° 199, mardi 19 janvier 1869, p. 2-3.

21 décembre

Lettre d’A.(ntoine) Guillemet, « St Raphaël (Var) », à Zola.

Baligand Renée, « Lettres inédites d’Antoine Guillemet à Émile Zola (1866-1870) », Les Cahiers naturalistes, Paris, Éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, 23e année, 1978, n° 52, p. 173-205, lettre p. 197-199.

« Mais assez parlé de moi. Depuis mon départ de Scey, j’ai rôdé et vu de bien belles choses comme je le disais hier à Pissarro. J’ai vu de quoi occuper la vie de 300 peintres. […]
Je pense que vous serez assez gentil pour me répondre une bonne lettre où pleuvront les renseignements amicaux et artistiques. Je n’ai eu aucune nouvelle de Paris depuis mon installation ici et j’ai écrit à Pissarro hier. Je ne sais s’il est encore à Bougival et si ma lettre l’y trouvera.
Votre roman marche-t-il bien [Madeleine Férat] et êtes-vous content ? Le public en est-il satisfait ainsi que vous : deux choses difficiles à concilier. Que vous est-il arrivé de nouveau et d’intéressant ? Êtes-vous déjà allé à Bonnières ? Paul est-il à Paris ? Je suis si paresseux que je ne lui ai pas encore écrit. Marion lui aura dit que j’étais dans le Var. Est-il content et a-t-il rapporté de belles toiles, et Duranty a son livre est-il édité, et Manet qu’a-t-il fait pour le Salon ?[…]
Je ne vois donc personne et m’en trouve fort bien. Je vous serai obligé de donner le bonjour à nos amis et spécialement à Paul [Cezanne], Duranty et Manet. […]
Il y a si longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles. Manet est peut-être décoré et je n’en sais rien et Pissarro de l’Institut. »

Guillemet suppose donc à tort que Cezanne est à Paris puisqu’il pense qu’il a ramené de belles toiles (de Provence) et que Zola peut lui donner le bonjour de sa part.

Fin de l’année

Zola entreprend la préparation de son roman sur l’histoire d’une famille, les Rougon-Macquart. Dès le début de ses « Notes générales sur la marche de l’œuvre », il marque son intention de s’inspirer de Cezanne et son père.

Zola Émile, « Notes générales sur la marche de l’œuvre », non daté ; Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Nouvelles Acquisitions françaises, 10345, fos 1-4.

« Notes sur la marche générale de l’œuvre.

——

Une famille centrale sur laquelle agissent au moins deux familles. Épanouissement de cette famille dans le monde moderne, dans toutes les classes. Marche de cette famille vers tout ce qu’il y a de plus exquis dans la sensation et l’intelligence. Drame dans la famille par l’effet hereditaire lui-même (fils contre père, fille contre mère). Epuisement de l’intelligence par la rapidité de l’eff l’élan vers les hauteurs de la sensation et de la pensée. Retour à l’abrutissement. Influence du milieu fiévreux moderne sur les personnes les impatiences ambitieuses des personnages. Les milieux proprement dit [sic], milieux de lieu et milieu de société, détermine [sic] la classe du personnage (ouvrier, artiste, bourgeois ; — moi et mes oncles, Paul et son père)

La caracteristique du mouvement moderne est la bousculade de toutes les ambitions, l’élan democratique, l’avenement de toutes les classes (de là la familiarité des pères et des fils, le melange et le cotoiement de tous les individus). Mon roman eut été impossible avant 89. Je le base donc sur une verite du temps : la bousculade des ambitions et des appetits. J’etudie les ambitions et les appetits d’une famille lancée à travers le monde moderne, faisant des efforts surhumains, n’arrivant pas a cause de sa propre nature et des influences, touchant au succès pour retomber, finissant par produire de veritables monstruosites morales (le pretre, le meurtrier, l’artiste). Le moment est trouble. C’est le trouble du moment que je peins. Il est faut absolument remarquer ceci : je ne nie pas la grandeur de l’effort de l’élan moderne, je ne nie pas que nous puissions aller plus ou moins a la liberté, a la verité justice. Je pourrai même laisser entendre que je crois a ces mots liberté, vérité, justice bien que ma croyance soit Seulement ma croyance est que les hommes sont toujours des hommes, des animaux bons ou mauvais selon les circonstances. Seulement je suis l’historien des fièvres de l’epoque. Si mes personnages n’arrivent pas au bien, c’est que nous debutons dans la perfectibilité. Les hommes modernes sont d’autant plus faillibles qu’ils sont plus nerveux et plus impatients. C’est pour cela qu’ils sont plus curieux a etudier. Pour resumer mon œuvre en une phrase : je veux peindre, au début d’un siècle de liberté et de verite, une famille qui s’élance, vers les biens prochains, et qui roule detraquée par son clan lui-même, justement a cause des lueurs troubles du moment, des convulsions fatales de l’enfantement d’un monde. »

Courant de l’année

Les réunions au café Guerbois se poursuivent, auxquelles Cezanne participe, sans doute occasionnellement lorsqu’il vient à Paris.

Thiébault-Sisson, « Claude Monet. Les années d’épreuves », Le Temps, 40e année, n° 14414, lundi 26 novembre 1900, p. 3.

« Ce fut en 1869 seulement que je [Monet] le revis [Manet], mais pour entrer dans son intimité aussitôt. Dès la première rencontre, il m’invita à venir le retrouver tous les soirs dans un café des Batignolles où ses amis et lui se réunissaient, au sortir de l’atelier, pour causer. J’y rencontrai Fantin-Latour et Cezanne, Degas, qui arriva peu après d’Italie, le critique d’art Duranty, Émile Zola qui débutait alors dans les lettres, et quelques autres encore. J’y amenai moi-même Sisley, Bazille et Renoir. Rien de plus intéressant que ces causeries, avec leur choc d’opinions perpétuel. On s’y tenait l’esprit en haleine, en s’y encourageant à la recherche désintéressée et sincère, en y faisant des provisions d’enthousiasme qui, pendant des semaines et des mois même, vous soutenaient jusqu’à la mise en forme définitive de l’idée. On en sortait toujours mieux trempé, la volonté plus ferme, la pensée plus nette et plus claire. »