13 février

Lettre d’Émile Zola à Philippe Solari.
Zola invite Solari et sa femme à venir dîner chez lui. Cezanne, lui, ne reviendra du Midi que dans un mois, « après un délai nouveau ».

Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), lettre n° 84, p. 212

« 13 février 1870

Mon cher Philippe,

J’aurais voulu attendre l’arrivée de Paul avant de nous réunir. Mais il m’a écrit qu’il ne serait ici que dans un mois, et ce délai nouveau me semble bien long.
C’est pourquoi je vous prie de venir demain soir dîner avec nous — demain lundi. Venez de bonne heure si vous pouvez, vers les cinq heures. Nous comptons sur vous, n’est-ce pas ?
Nos compliments à ta femme et à sa sœur. Nous embrassons la petite.
Ton dévoué. »

22 février

Lettre d’A(ntoine) Guillemet, Saint-Raphaël, à Zola.
Depuis Saint-Raphaël, Guillemet demande à Zola des nouvelles de leurs amis peintres : Cezanne, Manet, Léon-Paul Robert, Guillaumin. Lui-même a écrit à Monet. Il prévoit de revenir à Paris en avril, où il espère retrouver Cezanne.

Baligand Renée, « Lettres inédites d’Antoine Guillemet à Émile Zola (1866-1870) », Les Cahiers naturalistes, Paris, Éditions Grasset-Fasquelle et Société littéraire des Amis d’Émile Zola, 23e année, 1978, n° 52, p. 173-205, lettre p. 197-200-203.

« Cezanne est-il auprès de vous ? A-t-il bien travaillé et le marasme est-il banni à jamais ? Que fait Manet ? J’ai écrit hier à Monet pour lui donner de mes nouvelles et lui apprendre le retard de mon arrivée à Paris.

[…] J’ai une telle paresse que je n’ai pas encore écrit à Marion qui est cependant si près et par lequel je pourrais avoir des nouvelles de Paul. J’espère le voir à Paris au mois d’avril. Que devient Robert et Guillaumin a-t-il sa place. Il me semble qu’il y a un siècle que je n’ai vu Paris et surtout causé avec un ami. »

Mi-mars, avant le 20

Cezanne est de retour à Paris. Il habite, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 6e arrondissement.

Lettre de Zola à Solari, 13 février 1870 ; Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), lettre n° 84, p. 212.
Acte de mariage d’Émile Édouard Charles Antoine Zola et Éléonore Alexandrine Meley, 31 mai 1870 ; Archives de Paris.

20 mars

Le dernier jour avant la clôture de la réception des œuvres au Salon, Cezanne livre ses deux tableaux, le Portrait d’Achille Emperaire (FWN423-R139) et une femme nue allongée (FWN595-TA-R140), qui soulèvent une ovation. Ils seront refusés.

Date limite de dépôt des œuvres d’après l’article 1 du « Règlement », Ministère des Beaux-arts, Salon de 1870, 88e exposition officielle depuis l’année 1673, Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au palais des Champs-Élysées le 1er mai 1870, Paris, Charles de Mourgues Frères, imprimeurs des musées impériaux, 1870, 755 pages, p. xciv.

Dans un article moqueur, Stock caricature Cezanne avec une grande barbe, coiffé d’un chapeau, devant ses deux toiles coloriées en rouge, bleu et jaune :

Stock, « Le Salon par Stock », Stock-Album, 1re année, n° 2, [1870].

« Le Salon par Stock

Incident du 20 mars au Palais de l’Industrie ou un succès d’antichambre avant l’ouverture du Salon

Les artistes et les critiques qui se trouvaient au Palais de l’Industrie, le 20 mars dernier, jour de clôture pour la réception des tableaux, se souviennent de l’ovation faite à deux peintures d’un nouveau genre… Lumen lucet — la lumière luit — Courbet, Manet, Monet et vous tous, peintres au couteau, à la brosse, au balai et autres engins, vous êtes dépassés !

J’ai l’honneur de vous présenter votre maître : M. Cézannes.

— Cézannes est d’Aix-en-Provence. C’est un peintre réaliste, et de plus… convaincu. Écoutez-le plutôt me dire avec un accent méridional prononcé :

— « Oui, mon cher Monsieur, je peins comme je vois, comme je sens — et j’ai les sensations très fortes ; eux aussi, ils sentent et voient comme moi, mais ils n’osent pas… ils font de la peinture de salon… Moi, j’ose, M. Stock, j’ose… J’ai le courage de mes opinions… et rira bien qui rira le dernier ! » »

Merete Bodelsen a identifié que la Femme nue a appartenu à Gauguin, d’après une liste des œuvres de sa collection qu’il a emportées au Danemark, écrite par lui au verso d’un dessin vers 1888 : « Césanne [sic] 100 femme nue », et d’après une description de l’œuvre rédigée par le critique danois Karl Madsen, à l’occasion d’une exposition du Kunstforeningen (Association des amis des arts) de peinture impressionniste française et scandinave à Copenhague, du 30 octobre au 11 novembre 1889.
Elle a aussi déterminé que la femme nue est celle que Guillemet appelle La Femme du vidangeur.

Gauguin Paul, Album de croquis, Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inventaire n° RF 30273, 5, n. d. [1888].
Copenhague, Kunst. Impressionisterne i Kunstforeningen (Copenhagen Art Society), Scandinavian and French Impressionists, 30 octobre – 11 novembre 1889.
Madsen Karl, « Kunst. Impressionisterne i Kunstforeningen », Politiken, 10 novembre 1889  ; cité par Bodelsen Merete, « Gauguin’s Cézannes », The Burlington Magazine, n° 810, volume CIV, mai 1962, p. 204-211, cité p. ; et aussi Bodelsen Merete, « Gauguin, the Collector », The Burlington Magazine, septembre 1970, p. 602.

Traduit du danois :

« Un grand tableau de femme âgée nue [FWN595-TA-R140], peinte plus grand que nature par Cezanne, n’a pas été accroché dans le salon, dans le respect dû à l’état d’innocence absolue de Copenhague. Ce n’est ni particulièrement attrayant ni un tableau particulièrement bon, et son absence ne peut être qualifiée de perte. La femme âgée affiche les tristes ruines de ses charmes étirés sur une feuille blanche éblouissante, une main saisissant un éventail plié ; un tissu vermillon, terne, est drapé sur une chaise dans un coin ; sur le mur noir est suspendu un petit tableau, qui semble être une authentique image d’Épinal sans aucun doute. La couleur de la figure n’est pas sans rappeler la lie d’un mauvais bordeaux, les traits saillants sont blanc calcaire, les couleurs du tableau ne sont donc pas plus séduisantes que l’être qu’elles représentent. La peinture est remarquable par son coup de pinceau, qui, avec son énergie violente et tourbillonnante cherche à donner aux contours rugueux l’impression de la grandeur et de la force d’une main de maître… comme Frans Hals… et la plupart des anciens maîtres espagnols. L’origine du tableau est assez claire. Tant en couleur qu’en facture, il est calqué sur Manet, et comme ses œuvres, quoiqu’avec des couleurs peut-être mélangées en proportions différentes. Il rappelle aussi Ribera, El Greco et Goya. »

Karl Madsen écrit à propos de Midi. l’Estaque [FWN124-R391] que la couleur « est exactement comme celle d’une image d’Épinal… », mais qu’elle véhicule « le caractère du pays qu’elle représente. » « Il y a une grande vision dans l’image. La montagne à l’arrière-plan donne un effet magnifique, les toits rouges sont très bien placés. » Et quand il ajoute en conclusion que « le chemin sinueux à travers le terrain accidenté par les jeunes arbres rappelle un peintre français — le propriétaire du tableau — du chemin solitaire le long duquel le Christ errait en de sombres pensées vers le Mont des Oliviers », nous sommes sans doute confrontés aux propres mots de Gauguin.

Le tableau Femme nue réapparaîtra dans la boutique du père Tanguy, à Paris, où Émile Bernard l’a vu. Bernard donne une description qui coïncide à la fois avec le compte rendu de Karl Madsen et la caricature de Stock de l’envoi au Salon de Cezanne en 1870. Maurice Denis se souviendra lui aussi avoir vu chez Tanguy La Femme du vidangeur de Cezanne.

Bernard Émile, « Paul Cezanne », Le Cœur, 2e année, décembre 1894, n° 9, p. 4-5.

« Chez Tanguy, rue Clauzel, nous avons vu autrefois une femme nue couchée [FWN595-TA-R140] que Daumier, qui est un bien grand dessinateur, n’aurait point su faire, et que Michel-Ange n’aurait point désavouée malgré sa laideur ; car cette laideur même est d’une grandeur incompréhensible, qui s’impose et qui faisait dire à Baudelaire : Les charmes de l’horreur n’enivrent que les Forts.

Étendue de tout son long, cette femme vraiment immense, ce qui fait songer à la « Géante » du même poète, se détache en lumière d’un fond de mur gris où une image naïve est encore collée. Au premier plan, une étoffe rouge est jetée sur une chaise grossière.

Si Manet dans « Olympia » a mis plus de grâce et d’étrangeté, il n’a pas peint ces draps larges et clairs, ces ombres vigoureuses, ces membres puissants et ce rouge clamant comme une fanfare, qui pend sur cette chaise de campagne ; c’est là un morceau unique, sain, surprenant, énorme et qui fait songer avec désespoir au temps que perdit Cezanne, tyrannisé par son père ; et à ce que nous avons perdu nous-mêmes en ne l’employant pas sur les murs de nos édifices. »

Denis Maurice, « L’époque du symbolisme », Gazette des beaux-arts, 76e année, 6e période, tome XI, mars 1934, p. 165-179, , citation p. 166-168 :

« Un autre souvenir resté vivant c’est, à la veille d’une exposition des Indépendants, la calme rue Clauzel et la boutique peinte en bleu du père Tanguy. On entend des blanchisseuses qui roucoulent la Chanson des Blés d’Or :

Ah ! quand le rossignol viendra chanter encore,

et le martellement grêle des sabots des chevaux de fiacre, peu nombreux, dans le silence de ce quartier mal fréquenté. Nos toiles attendent sur le trottoir la charrette à bras qui les portera au Pavillon de la Ville de Paris, sur le Cours la Reine [1891 ?]. Mais le vieillard que Van Gogh a peint, avec son air bon et buté, sous le chapeau de paille, montre à l’intérieur de son petit magasin les soleils de Vincent, les grandes natures mortes de Cezanne, ses paysages, son portrait d’Emperère [FWN423-R139], et la Femme du Vidangeur [FWN595-TA-R140], aujourd’hui perdue. »

24 mars

Le peintre animalier Jules de La Rochenoire (1825-1899) présente une liste de candidats à l’élection du jury de la section peinture du Salon, parmi lesquels Corot, Daubigny, Courbet, Manet et lui-même, qui demande que les artistes admis aux Salons antérieurs soient reçus de plein droit.

Feyrnet X., « Chronique », Le Temps, 10e année, n° 3313, mercredi 23 mars 1870, p. 3 :

« Un comité d’artistes peintres propose une liste de jurés ainsi composée :
MM. Bonvin, Corot, Chaplin, Courbet, Chintreuil, Daubigny, Daumier, Dumaresq, Ed. Frère, Amand Gautier, Hédouin, Ed. la Rochenoire, Ad. Leleux, Manet, Millet, F. Ribot, Vollon, Ziem.

Le président du comité adresse aux artistes une lettre, où je lis ce qui suit :
« Notre but est beaucoup moins de faire partie d’un jury quelconque que d’essayer, au moyen de ce jury, de faire prévaloir les idées d’indépendance consignées dans notre programme. Nous nous sommes engagés à n’accepter d’autre candidature que celle qui représente la conservation de nos intérêts, et nous voulons rester inaccessibles à toute considération personnelle. »

Voilà qui est fort bien. M. de la Rochenoire continue :
« Trouvant que nous avons tous souffert, et du placement de nos tableaux, et des médailles, et surtout de la réception au Salon de nos œuvres, nous voulons éviter toutes ces peines à nos confrères. »

À merveille encore !

« Tous, nous avons été victimes de refus immérités… »

Tous ? En êtes-vous bien sûr, monsieur de la Rochenoire ? Allons, je le veux bien. Vous entendez que pareilles injustices ne se renouvellent plus, et vous avez raison. Voyons votre moyen :

« … Aujourd’hui, nous voulons que tout artiste qui a exposé soit reçu de droit, et nous les recevrons tous si le jury que nous présentons à votre adhésion a la majorité des voix. »

Ah ! permettez, monsieur de La Rochenoire, ici je vous arrête. Qui dit jury, dit verdict, c’est-à-dire jugement. Si vous ne jugez pas les œuvres, vous n’êtes pas des jurés : vous prenez le nom, vous rejetez la fonction. En réalité, vous voulez être des constituants.

Où est votre titre légal ? Renoncez aux Médailles, aux récompenses de tout genre, aux commandes officielles, au Palais des Champs-Élysées. Soyez indépendants de toute protection de l’État, ouvrez des galeries qui seront à vous, et, chez vous, faites ce qu’il vous plaira, à la bonne heure ! ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Jusque-là, prenez les choses comme elles sont, et ne jouez pas sur les mots.

                                       X. FEYRNET »

M. V., « Le jury du Salon de 1870 », Le Monde illustré, 14e année, n° 679, 16 avril 1870, p. 247 :

« LE JURY DU SALON DE 1870

Le 24 mars dernier nos artistes ont procédé à l’élection du jury pour le salon de 1870. Les candidats se signalaient par les idées les plus libérales. Quelques-uns comme MM. De la Rochenoire, Daubigny, Corot et Ziem, allaient jusqu’à proclamer, dans une proposition signée, l’indépendance la plus absolue de l’art, son affranchissement complet de la tutelle gouvernementale.

Les fidèles de l’administration ont cru tout perdu.

Le libre suffrage néanmoins a présidé au vote et la section de peinture a nommé dix-huit membres à la tête desquels nous remarquons MM. Daubigny et Corot, deux des signataires convaincus de la proposition émancipatrice. Voici d’ailleurs le résultat du scrutin : MM. Daubigny, 613 voix ; Corot, 603 ; Bonnat, 599 ; Gérôme, 587 ; Charles Comte, 554 ; Millet, 533 ; Fromentin, 528 ; Gleize, 517 ; Robert-Fleury, 508 ; Cabanel, 508 ; Pils, 503 ; Cabal, 489 ; Delaunay, 419 ; Meissonnier, 402 ; Jalabert, 401 ; de Chennevières, 327 ; Dubufe, 321 ; Ziem, 316.

[…] Le jury de peinture, quoique sa majorité soit imbue des idées d’autrefois a été entraîné ; son indulgence a été extrême. Dans son ardeur de recevoir tous les tableaux, il n’a été arrêté que par la crainte de ne pouvoir tous les caser. Les rares exclusions qu’il a faites n’ont été motivées que par insuffisance superficielle des murailles. Question de local.

[…] C’est bien un souffle de liberté qui a inspiré cette année une indulgence qui fera loi désormais. La soif d’indépendance artistique, affirmée par les maîtres, a déjà gagné les jeunes. Une libre carrière est désormais ouverte au talent, au génie. Nous attendons les chefs-d’œuvre.

Nous avons voulu soulever le voile qui cache au public les opérations d’un jury qui s’entoure du plus grand mystère et notre dessin représente une séance de réception des tableaux au palais de l’Industrie.

M. V. »

Quand ?

Daubigny et Corot sont élus en tête des dix-huit jurés de la section de peinture, dessins, mais ils démissionnent peu après, devant le refus d’une œuvre de Monet.

« Jury d’admission et de récompense de l’exposition publique des ouvrages des artistes vivants. Année 1870 », Ministère des Beaux-arts, Salon de 1870, 88e exposition officielle depuis l’année 1673. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au palais des Champs-Élysées le 1er mai 1870, Paris, Charles de Mourgues Frères, imprimeurs des musées impériaux, 1870, 755 pages, p. C-CI :

« Par suite de la démission de MM. Daubigny et Corot, MM. Chaplin et Vollon ont été appelés à faire partie du Jury. »

Alexandre Arsène, Claude Monet, Paris, Les Éditions Bernheim-Jeune, 1921, 127 pages, p. 61 :

« Daubigny, que nous avons vu si serviable à Monet lors de son difficile séjour à Londres, se montrait également d’une fidélité absolue à ses jeunes confrères, et sa sympathie, que l’on affaiblirait presque en la qualifiant de clairvoyance, alla jusqu’à ce beau trait de courage et de solidarité artistique : donner sa démission de juré au Salon, parce qu’on avait refusé Claude Monet. « Du moment que j’aime cette peinture, je n’admets pas qu’on récuse mon opinion. Autant dire que je ne connais pas mon métier. » Il répétait lui-même à Monet, en parlant de son fils Karl : « Ah ! si mon Chariot pouvait travailler avec vous, au lieu de s’obstiner à m’imiter ! » »

Elder Marc, A Giverny chez Claude Monet, Paris, Bernheim-Jeune, éditeurs d’art, Paris, 1924, 87 pages, p. 24 :

Citant Monet :

« Au reste, il semble que Daubigny ait croisé ma route pour me rendre service. A partir du jour où nous fûmes liés, il demeura l’ami fidèle et sûr. Au jury du Salon, il me défendait avec acharnement, moi et les autres impressionnistes. Une année il démissionna parce qu’on nous avait refusé malgré son obstination. « Je n’ai que faire, disait-il, dans une maison où l’on refuse ce que j’aime… » »

Mai

Marion publie un article sur des vers marins dans les Annales des sciences naturelles. Il dédie le nom de quatre des vers à ses amis Paul Cezanne, Émile Zola, Heinrich Morstatt, de Canstatt, et Gustav Prinz, de Francfort.

Marion A.[ntoine]-F.[ortuné], préparateur à la faculté des Sciences de Marseille, élève de l’École pratique des Hautes Études, « Recherches zoologiques et anatomiques sur des nématoïdes non parasites marins », Annales des sciences naturelles. Zoologie et paléontologie, 5e série, tome XIII, Paris, Victor Masson et fils, mai 1870, article n° 14, p. 14-100 et planches nos 16 à 26, Cezanne p. 16, Zola p. 30, Morstatt p. 32, Prinz p. 34.

« AMPHISTENUS PAULI : « Dédiée à mon excellent ami Paul Cezanne. » […]

RHABDOTODERMA MORSTATTI : « Je dédie cette curieuse forme à mon excellent ami Heinrich Morstatt de Cannstatt. » […]

THORACOSTOMA ZOLÆ : « Je dédie cette espèce à mon ami Émile Zola. » […]

NECTICONEMA PRINZI : « Cette espèce est dédiée à mon ami M. Gustave Prinz, de Francfort, dont les lumières m’ont été très utiles pour certaines questions de bibliographie allemande. » »

1er mai – 20 juin

Exposition du Salon au palais des Champs-Élysées.
Guillemet, Berthe Morisot, Pissarro, Renoir, Sisley et Solari sont admis.

Ministère des Beaux-arts, Salon de 1870, 88e exposition depuis l’année 1673. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au palais des Champs-Élysées le 1er mai 1870. Ministère des Beaux-arts, Salon de 1870, 88e exposition officielle depuis l’année 1673, Paris, Charles de Mourgues Frères, imprimeurs des musées impériaux, 1870, 755 pages, Guillemet p. 168, Pissarro p. 299, Solari p. 644.

« GUILLEMET (Jean-Baptiste-Antoine), né à Paris.
Grande Rue des Batignolles, 20.
1294 — Ruines d’un aqueduc romain, dans le Var.

[…]

PISSARO (Camille), né à Saint-Thomas (Colonies danoises).
A Louveciennes (Seine-et-Oise) ; et à Paris, chez M. Martin, rue Laffitte, 52.
2290 — Automne.
2291 — Paysage.

[…]

SOLARI (Philippe), né à Aix (Bouches-du-Rhône).
Rue Perceval, 10.
4860 —Le message ; statue, plâtre.
4861 — Portrait de M. H… ; buste, terre cuite. »

Selon Tabarant, le marchand Pierre-Firmin Martin (1817-1891), à l’adresse de qui Pissarro s’est inscrit, lui aurait acheté ses deux tableaux.

Tabarant, Pissarro, F. Rieder & Cie, Paris, 1924, p. 17.

12 mai – 16 juin

Théodore Duret écrit une série de cinq articles sur le Salon dans L’Électeur libre. Il consacre un passage à Pissarro, qu’il estime en « très grand progrès ».

Duret Théodore, « Le Salon : les naturalistes, Pissaro » (sic), L’Électeur libre ; repris dans Duret Théodore, Critique d’avant-garde, Paris, G. Charpentier et Cie, éditeurs, 1885, 328 pages, extrait sur Pissarro p. 7-8 :

« Pissaro. — Si Guigou a commencé par couvrir ses toiles de tons crus et d’un éclat trop vif, Pissaro, au contraire, a débuté en peignant des paysages qui manquaient de lumière, et dont l’aspect général était souvent terne et sans éclat. Aujourd’hui, il ose davantage sous ces deux rapports et aussi les tableaux qu’il peint depuis quelque temps et en particulier ceux du Salon de cette année, nous paraissent-ils réaliser un très grand progrès sur ses productions précédentes. Pissaro est, par un certain côté, un réaliste. Jamais il ne composera un tableau et, dans un paysage, n’arrangera la nature. Un paysage sur la toile doit être pour lui la reproduction exacte d’une scène naturelle et le portrait d’un coin du monde réellement existant. Nous n’entreprendrons point de réfuter cette théorie. En général les théories que se font les artistes, et d’après lesquelles ils procèdent ou prétendent procéder, nous sont assez indifférentes lorsqu’ils nous donnent de bons tableaux. Mais si nous admettons la théorie d’après laquelle procède évidemment Pissaro, nous ne pouvons cependant nous dispenser d’observer qu’en la suivant trop rigoureusement, il en vient souvent à peindre des sites insignifiants, où la nature fait elle-même si peu tableau qu’il a peint un paysage sans faire un tableau.

Si Pissaro est réaliste par la théorie qu’il s’est faite de la reproduction absolument exacte de la scène vue, il ne l’est point jusqu’au bout, comme certains autres peintres qui ne voient dans la nature que le côté réel et extérieur, sans lui trouver une âme et un sens intime. Il empreint au contraire ses moindres toiles du sentiment de la vie ; et en regardant de lui la scène la plus vulgaire, un grand chemin bordé d’ormeaux, une maison sous les arbres, on se sent peu à peu pénétré du sentiment mélancolique, qu’il a dû lui-même éprouver à l’aspect de la scène naturelle. »

30 mai

Lettres de Duret à Zola, et de Zola à Duret.
Duret demande à Zola qu’il lui donne l’adresse de Cezanne afin de le rencontrer :

Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), note 1 p. 219, et lettre n° 89, p. 219.

« Mon cher Zola,

J’entends parler d’un peintre nommé, je crois, Cezanne ou quelque chose d’approchant, qui serait d’Aix et dont les tableaux auraient été refusés par le Jury. Il me semble me souvenir que vous m’avez, dans le temps, parlé d’un peintre d’Aix tout à fait excentrique. Ne serait-ce pas le refusé de cette année ? Si oui, veuillez je vous prie, me donner son adresse et un mot de recommandation afin que je puisse aller faire connaissance avec le peintre et sa peinture. »

Zola refuse de lui donner son adresse :

« 30 mai 1870

Mon cher Duret

Je ne puis vous donner l’adresse du peintre dont vous me parlez. Il se renferme beaucoup, il est dans une période de tâtonnements, et, selon moi, il a raison de ne vouloir laisser pénétrer personne dans son atelier. Attendez qu’il se soit trouvé lui-même.

J’ai lu votre second article sur le Salon, qui est excellent. Vous êtes un peu doux. Dire du bien de ceux qu’on aime, ce n’est pas assez : il faut dire du mal de ceux qu’on hait.

Votre bien dévoué. »

31 mai

Mariage de Zola avec Gabrielle Éléonore Alexandrine Meley à la mairie du 17e arrondissement de Paris. Les témoins du couple sont Marius Roux, Paul Alexis, Philippe Solari et Paul Cezanne (« peintre, âgé de trente-un ans, demeurant rue Notre-Dame-des-Champs, 53 »).

Acte de mariage d’Émile Édouard Charles Antoine Zola et Éléonore Alexandrine Meley, 31 mai 1870 ; Archives de Paris.

« L’an mil huit cent soixante-dix, le mardi trente-un mai, à dix heures du matin, par devant nous, Vincent Blanché de Pauniat, adjoint au maire du dix-septième arrondissement de Paris, officier de l’État-civil délégué, ont comparu publiquement en cette mairie Émile-Édouard-Charles-Antoine Zola, homme de lettres, âgé de trente ans, né le deux avril mil huit cent quarante, à Paris, demeurant rue Lacondamine, 14, avec sa mère, fils majeur de François-Antoine-Joseph-Marie Zola, décédé à Marseille (Bouches-du-Rhône), le vingt-sept mars mil huit cent quarante-sept, et de Françoise-Émélie-Orélie Aubert, sa veuve, propriétaire, consentant au mariage, suivant acte reçu par Me Demanche, notaire à Paris, le six de ce mois ; Et Éléonore-Alexandrine Meley, sans profession, âgée de trente-un ans, née à Paris, le vingt-trois mars mil huit cent trente-neuf, fille majeure de Edmond-Jacques Meley, typographe, demeurant rue Saint-Joseph, 24, consentant au mariage, suivant acte reçu par Me Fould, notaire à Paris, le six de ce mois, et de Caroline Louise Wadoux, décédée à Paris, le quatre septembre mil huit cent quarante-neuf. Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration de leur mariage dont les publications ont été faites sans opposition, en cette mairie, les dimanches quinze et vingt-deux de ce mois, à midi. A l’appui de leur réquisition, les comparants nous ont remis leurs actes de naissance, l’acte de décès du père du futur, le consentement de sa mère, celui du père de la future et l’acte de décès de sa mère. Les futurs époux nous ont, en exécution de la loi du dix juillet mil huit cent cinquante, déclaré qu’il n’a pas été fait de contrat de mariage. Après avoir donné lecture des pièces ci-dessus et du chapitre six, titre cinq, livre premier du Code civil, nous avons demandé aux futurs époux s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme. Chacun d’eux ayant répondu affirmativement, nous déclarons, au nom de la loi, que Émile-Édouard-Charles-Antoine Zola et Éléonore-Alexandrine Meley sont unis par le mariage, en présence de Suzanne-Mathias-Marius Roux, homme de lettres, âgé de trente ans, demeurant avenue de Clichy, 80 ; de Paul-Antoine-Joseph-Alexis, homme de lettres, âgé de vingt-trois ans, demeurant rue de Linnée, 5 ; de Philippe Solari, sculpteur, âgé de trente ans, demeurant rue Perceval, 10 ; de Paul Cezanne, peintre, âgé de trente-un ans, demeurant rue Notre-Dame-des-Champs, 53, amis des époux. Et ont les époux et les témoins signé avec nous après lecture.

[Signé] Émile Zola, Alexandrine Meley, Philippe Solari, Paul Cezanne, Paul Alexis, Roux Marius, et Blanché de Pauniat. »

7 juin

Lettre de Cezanne, probablement de Paris, à Justin Gabet 1.

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 135-136 :

« 7 juin 1870.

Mon cher Gabet,

Il y a bien longtemps déjà que j’ai reçu ta lettre, et j’ai eu la négligence de ne pas te répondre, mais voici que je répare mes torts à ton égard. D’ailleurs, cher ami, tu dois avoir reçu de mes nouvelles par Emperaire 2, il y a un mois environ, et en dernier lieu par mon oncle qui m’a promis de te voir et de te remettre un exemplaire de la charge que Stock a faite 3. J’ai donc été refusé comme par le passé, mais je ne m’en porte pas plus mal. Il est inutile de te dire que je peins toujours et que pour le moment je me porte bien.

Je te dirai qu’il y a de fort jolies choses à l’exposition et qu’il y en a de laides aussi. Il y a le tableau de Monsieur Honoré qui fait un très bon effet et qui est bien placé. Solari a fait aussi une très jolie statue.

Je te prie de présenter mes respects à Madame Gabet, d’embrasser le petit Titin pour moi. Souhaite aussi le bonjour à ton père et à ton beau-père. N’oublions pas non plus notre ami l’éteigneur de réverbères, Gautier, et Antoine Roche.

Mon cher ami, je t’embrasse de tout mon cœur et bon courage, tout à toi, ton vieil ami

                                       P. C.

Marche-t-il droit ou de côté encore, et le grand Saint Y… ? »

  1. Justin Gabet, ébéniste et menuisier d’art à Aix, était un camarade de jeunesse de Cezanne. Il est toujours resté lié avec le peintre ; son atelier se trouvera tout près de la rue Boulegon où habitera plus tard Cezanne.
  2. Jean Joseph Achille Emperaire (16 septembre 1829 – Aix, 8 janvier 1898), camarade de jeunesse de Cezanne, peintre lui-même ; d’un physique difforme, il a posé plusieurs fois pour Cezanne. Voir plus loin les lettres que Cezanne lui a adressées.
  3. La caricature de Cezanne qui avait paru au printemps 1870 dans un hebdomadaire parisien dirigé par Stock représentait le peintre avec deux de ses tableaux, un nu allongé et un portrait d’Emperaire qui venaient d’être refusés par le jury du Salon. Le texte qui l’accompagnait rapportait : « Les artistes et les critiques qui se trouvaient au Palais de l’Industrie, le 20 mars dernier, jour de clôture pour la réception des tableaux, se souviennent de l’ovation faite à deux peintures d’un nouveau genre… » Par la suite Cezanne est cité : « Oui, mon cher monsieur Stock, je peins comme je vois, comme je sens — et j’ai les sensations très fortes —, eux aussi [Courbet, Manet, Monet] ils sentent et voient comme moi, mais ils n’osent pas… ils font de la peinture de salon… Moi, j’ose, monsieur Stock, j’ose… J’ai le courage de mes opinions… et rira bien qui rira le dernier. »

30 juin

Lettre de Pissarro, Paris, à Théodore Duret

Bailly-Herzberg, Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettre n° 8, p. 63.
Catalogue des Tableaux et Pastels composant la collection de M. Théodore Duret dont la vente aura lieu Galerie Georges Petit, 8, rue de Sèze le lundi 19 mars 1894, à 3 heures. Commissaire-priseur : Me Paul Chevalier. Experts : M. Durand-Ruel, M. Georges Petit (Lugt 52368), p. 7.

« J’irai demain vous demander à déjeuner, et vous porter en même temps votre petit tableau. »

Sans doute l’article de Duret publié peu avant a-t-il rapproché les deux hommes, même s’ils se connaissent depuis leurs rencontres au café Guerbois, dans les années 1866.

Le tableau mentionné est Gelée blanche à Louveciennes (PDRS 147), signé et daté 1870 ; vente Duret du 19 mars 1894, n° 32, La Gelée blanche. Dans l’introduction au catalogue de vente de sa collection, Duret expliquera que « les paysages de M. Pissarro ont été choisis à cause de leur saveur rustique ».

Entre la mi-mars, et juillet (?)

Cezanne représente Paul Alexis et Émile Zola sur deux tableaux : Une Lecture de Paul Alexis chez Zola (FWN601-R150) et Paul Alexis lisant à Émile Zola (FWN602-R151), peints chez Zola, 14, rue La Condamine. Tous deux ont appartenu à Zola. Le premier a figuré sous ce même titre dans la vente de sa succession les 9-13 mars 1903, n° 113. Il représente la même horloge noire appartenant à Zola vue dans La Pendule noire (FWN708-R136), n° 114 de cette vente, intitulé dans le catalogue Nature morte : le coquillage.

La même scène que celle du tableau FWN601-R150 est représentée sur trois dessins : C0220, C0221 et C0222.

16 juillet

Fortuné Marion soutient avec succès sa thèse de doctorat ès sciences naturelles à la faculté des sciences de Paris :

« 1re thèse. — Recherches zoologiques et anatomiques sur des nématoïdes non parasites marins.

2e thèse. — Propositions de zoologie, de botanique et de géologie donnés par la faculté. »

Thèses présentées à la faculté des sciences de Paris pour obtenir le grade de docteur ès sciences naturelles par A. F. Marion, préparateur à la faculté des sciences de Marseille, élève de l’École pratique des hautes études, soutenues le 16 juillet 1870 devant la commission d’examen, Paris, Victor Masson et fils, 1870, 14 pages de texte, planches de figures n. p.
Reynaud Georges, « Trois générations de chercheurs en biologie marine : Derbès, Marion, Stephan », Provence historique, fascicule 172, 1993, p. 174-184, p. 175-181 :

« ANTOINE-FORTUNÉ MARION (1846-1900)

Avec Marion, les sciences naturelles en général et la zoologie marine en particulier vont connaître une période faste à Marseille durant les 30 dernières années du xixe siècle(6).

Né à Aix, 2, rue d’Italie, le 10 octobre 1846, fils de Joseph-Gustave, commis d’octroi, et de Marguerite Bellon, élève du collège Bourbon (lycée Mignet), où ses aînés Cezanne et Zola terminaient leurs études, Antoine-Fortuné Marion s’intéressa dès son jeune âge aux fossiles(7). A moins de 13 ans, il découvrit dans des carrières de gypse une feuille de magnolia qui lui valut la fidèle amitié du paléobotaniste Gaston de Saporta et une recommandation immédiate auprès de Coquand et Derbès, professeurs de géologie et de Sciences naturelles à la Faculté des Sciences(8). Recruté par eux comme préparateur trois ans plus tard, en 1862, avant même d’avoir passé son baccalauréat, il partagea désormais son temps entre les études à Marseille et les excursions dans la campagne aixoise, souvent faites en compagnie de Paul Cezanne. Il avait décelé en celui-ci un artiste de talent (supérieur à son goût à Manet et Courbet) et s’essayait lui-même avec succès à la peinture, comme l’avait fait aussi Polydore Roux. On connaît plusieurs tableaux de Marion dont une vue de l’église Saint-Jean de Malte (1866), toute proche de sa maison natale, qui a longtemps été attribuée à Cezanne(9).

En 1867, après avoir mis au jour un important gisement de silex taillés dans le vallon des Gardes, il publie ses premiers travaux sur l’ancienneté de l’homme et la faune quaternaire en Provence dont les journaux locaux et nationaux se font l’écho. Licencié ès sciences l’année suivante puis docteur en 1870 (alors qu’il est rattaché au laboratoire de Lespès), il est nommé en 1872, professeur de sciences naturelles au lycée. À la mort de Lespès, il se trouve chargé de cours de géologie et de zoologie à la faculté et, à partir de 1874, directeur du laboratoire de biologie marine qui en dépend. Deux ans plus tard, ayant atteint l’âge légal de 30 ans, il prend possession de la chaire de zoologie créée en décembre 1875, charge qu’il cumulera à partir de 1880 avec celle d’administrateur du Musée d’histoire naturelle. Il y ouvrira une salle de Provence où seront exposés notamment de nombreux invertébrés marins.

En 1889, il aura la joie de voir inaugurer, après dix ans de travaux ralentis par les intrigues de collègues jaloux, le nouveau laboratoire de zoologie marine d’Endoume dont il assumera la direction. Dès 1869, ses travaux s’étaient orientés dans cette voie dont il prospecta des branches nombreuses et variées.

La zoologie et l’histoire des invertébrés et notamment :

– les espèces vermiformes, nématodes (1869, 1870, 1873, 1877), némertes (un groupe charnière important dans l’évolution, le premier à avoir acquis un tube digestif à deux orifices) (1869, 1873, 1877) et annélides polychètes (1874-1876) étudiés parfois en collaboration avec Bobretzky, professeur à Kiev.

– les crustacés (1877)

– les cnidaires alcyonaires (anthozoaires octocoralliaires) de la Méditerranée ct de l’Atlantique (1877-1882)

– les mollusques solénogastres (ou aplacophores), petit groupe caractérisé par l’absence de coquille et de pied (1884)

– les balanoglosses (stomocordés hémicordés entéropneustes), un autre petit groupe se signalant par des fissures branchiales et un rudiment de corde dorsale qui le rapproche des vertébrés (1885-1886).

Parmi les vertébrés marins, Marion s’intéressa exclusivement aux poissons : sardine (1887, 1889, 1890, 1891), athérine (1890), saumon (1890) étudié en collaboration avec Guittel.

Ces diverses études résultant de pêches ou de dragages profonds lui permirent de réaliser plusieurs inventaires de la faune locale, les deux plus fameux étant sans doute son « Esquisse d’une topographie zoologique du golfe de Marseille » avec une carte en couleurs et ses « Considérations sur les faunes profondes de la Méditerranée… », datés de 1883, qui servent encore de référence, comme le soulignait le professeur Jean-Marie Pérès en 1983, pour apprécier après un siècle l’état zéro de la pollution dans notre rade(10). Mais Marion dépassa aussi le cadre régional pour donner, en 1878-79, le résultats de dragages effectués dans le golfe d’Alger et en 1898, quelques « Notes sur la faune des Dardanelles et du Bosphore ». Il compléta ces études faunistiques marines par celle des étangs saumâtres des Bouches-du-Rhône (1886) et notamment la faune malacologique de l’étang de Berre.

De plus en plus préoccupé par les applications pratiques de ses recherches, il consacra les dix dernières années de sa vie à des observations sur la pêche : il fréquentait avec simplicité les pêcheurs qui lui fournissaient en retour de précieuses informations. En dehors de ses publications déjà citées sur la sardine, il a laissé des notes sur la pêche du jaret et de la bogue (1890), sur l’influence des conditions climatériques sur les pêches régionales (1890-1893 et 1897) et plus généralement sur « l’exploitation méthodique » des fonds et du domaine maritimes (1891, 1894).

À côté de la zoologie pure et appliquée, Marion se livra pendant une quinzaine d’années à des travaux sur la biologie de la reproduction et du développement des organismes marins, prolongeant ainsi l’œuvre de Derbès. Il s’intéressa successivement aux némertiens hermaphrodites (1869), aux organes reproducteurs de l’annélide Oria Armandi et à l’hybridation expérimentale des échinodermes (1873), à l’embryogenèse des actinies (1878) et des alyconaires (1878-1884), au mâle parasite de la Bonellie (1879) et aux œufs flottants du golfe de Marseille (1890). Plusieurs de ses études furent faites en collaboration avec le grand embryologiste russe Alexandre Kovalevski (1840-1901), d’Odessa, invité attitré du laboratoire du zoologie marine.

Marion aborda la physiologie du parasitisme par une note sur les rotifères parasites des crustacés (1872), celle de la nutrition avec plusieurs observations sur les régimes alimentaires du maquereau et de l’anchois et plus généralement ceux de la faune pélagique du golfe (1890). Il profita enfin de ses recherches sur le froid hivernal pour en examiner les effets sur la physiologie des poissons et des autres animaux marins (1891).

En dehors de la zoologie marine et limnique au sens large, pouvant embrasser tous les travaux énoncés ci-dessus (soit une bonne soixantaine de titres), on ne fera que dénombrer les publications faites en botanique (8 articles de 1871 à 1890 dont 3 avec de Saporta), en agronomie (37 articles dont plusieurs sur le phylloxéra entre 1876 et 1891), en géologie (une publication en 1872), en paléontologie végétale (5 livres en 1873 et 1885 dont 4 avec de Saporta et 8 articles entre 1876 et 1898 dont 4 avec le même), en paléontologie animale (une publication en 1867) et enfin en préhistoire : le mémoire de 1867 sur l’abri du Colombier dont M. Escalon de Fonton a souligné l’importance. Plus de 20 ans avant les recherches classiques de Piette au Mas d’Azil, Marion identifiait pour la première fois en Provence la période de transition entre le paléolithique et le néolithique(11).

Cette envergure peu commune lui permit d’aboutir à des synthèses malheureusement trop rares, en particulier sur l’évolution du règne végétal (avec de Saporta, 1885), sur « les progrès récents en sciences naturel1es » (1883) et sur la « Physionomie zoologique des Bouches-du-Rhône » (1891).

Outre les travaux de recherche et de rédaction, la vie de Marion est jalonnée par des réalisations pratiques : campagnes de pêche et de dragage, notamment avec le patron pêcheur Joseph Armand dès 1872, mais aussi à partir de 1875, avec le remorqueur à vapeur « Le Progrès » qui lui permettra d’atteindre la profondeur record de – 350 mètres, participation aux deux premières expéditions du « Travailleur » dans le golfe de Gascogne et en Méditerranée (1880-1881), tentatives de pisciculture, mise au point d’appareils destinés à l’application du sulfure de carbone aux vignes parasitées, tant en France qu’à l’étranger (jusqu’en Russie et en Hongrie où il effectua des missions en 1893 et 1895), création des Annales du Musée d’Histoire naturelle de Marseille (1883), « superbe recueil » selon Milne-Edwards, fondation de la station marine d’Endoume (1879-1889) où un aquarium sera ouvert au public dès le mois de mai 1891 et où les participants au XXe congrés de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences seront accueillis en septembre de la même année.

Cette activité exemplaire lui valut de nombreuses distinctions dont le prix Bordin dès 1869 pour sa thèse, la grande médaille de la Société nationale d’Agriculture en 1881, un grand prix de l’Académie des Sciences et la médaille de la Société de Géographie en 1884, la médaille Petit d’Ormoy de l’Institut en 1885. Marion fut membre de nombreuses sociétés savantes françaises et étrangères (suisse, néerlandaise, roumaine et russe notamment) et membre correspondant de l’Institut à partir de 1887. Il avait été fait chevalier de la légion d’honneur en 1880 et avait reçu diverses décorations italienne, portugaise et russe. Mais, comme son maître Derbès, c’était un homme simple et modeste, quoique fougueux et brillant dans son enseignement. D’après le physiologiste marseillais Étienne Jourdan, « tous ceux qui avaient suivi les cours du soirs se souvenaient de l’attrait qui y retenait non seulement ses élèves mais même les gens du monde venus une première fois en curieux, y retournant ensuite attirés par les vues inattendues ouvertes devant eux sur un monde mystérieux et inconnu, séduit par une facilité incomparable de l’élocution, par son âme d’artiste qui savait si bien donner aux sujets les plus abstraits de son domaine un abord facile et tirer des faits les conclusions les plus hardies(12) ».

Marion n’hésitait pas à utiliser dans ses articles des termes provençaux tels que « siouclet » (athérine) : il laissa d’ailleurs, en langue mistralienne, de nombreux contes pleins de charme et d’humour. Profondément attaché à sa terre natale, il refusa même, paraît-il, pour éviter le déracinement, une chaire au Muséum d’Histoire Naturelle.

[…] Marié en 1872 avec Anne Victorine Souliers, fille d’un minotier aixois (Derbès étant son premier témoin), il en aura une fille Marie-Virginie, née le 24 février 1874, qui le secondera dans ses travaux et l’accompagnera dans ses voyages. Sa disparition brutale à 25 ans, le 24 avril 1899, conjuguée aux effets d’une hépatite chronique, précipitera sa propre mort, survenue à son domicile du 22, boulevard Longchamp, le 23 janvier 1900, alors qu’il avait à peine entamé sa 54e année. La très conservatrice « Gazette du Midi » se plaira à souligner qu’il entretenait les meilleures relations avec l’évêque de Marseille et qu’il avait rendu l’âme dans de « parfaits sentiments chrétiens »(15). Le doyen Charve, quant à lui, assurera que, sur son lit de mort, Marion s’était réconcilié avec lui et d’autres collègues de la Faculté lui ayant fait du tort lors de la construction de la Station marine(16).

(6) Les deux sources essentielles sur Marion sont : E. Jourdan, A. Vayssière et G. Gastine « Notice sur la vie et les travaux de A. F. Marion, dans Annales de la Faculté des Sciences de Marseille, T. XI, 1901, pp. 1-36 et P. M. Arnaud et J. Beurois : « Un siècle d’océanographie à Marseille », Marseille, 1989 (catalogue de l’exposition tenue au Muséum du Palais Longchamp). On pourra consulter aussi : J. Beurois  et G. Reynaud : Antoine-Fortuné Marion (1846-1900), initiateur de l’océanographie à Marseille, dans Marseille, 163, 1992, 32-37.

(7) Le père de A.-F. Marion, Joseph-Gustave (1819-188I), commis de 1re classe à l’octroi d’Aix puis buraliste à Saint-Rémy-de-Provence, était Aixois, tout comme son grand-père Etienne Marion, lieutenant au 6e régiment d’infanterie de ligne, chevalier de la légion d’honneur (1780-1837). En revanche, l’arrière grand-père, Jean-Baptiste (vers 1745-1800) était Dauphinois, natif de Saint-Siméon de Bressieux dans l’Isère. Simple domestique à son mariage à Aix en 1777, il est déclaré comme propriétaire au moment de son décès (cf. Archives communales d’Aix-en-Provence).

(8) Sur le marquis Gaston de Saporta (1823-1895), géologue et paléobotaniste provençal, voir notamment : R. Zeiller, « Le marquis de Saporta : sa vie et ses travaux », dans Bulletin de la Société Géologique de France, T. XXIV, 1896, pp. 197-323.

(9) Intitulé « L’église du village », conservé au Fitzwilliam Museum de Cambridge, ce tableau a été attribué à Cezanne par L. Venturi (N° 49). L’éminent spécialiste John Rewald a tout à la fois rétabli son motif (l’église Saint-Jean de Malte) et son véritable auteur (Cf. J. Rewald, Cezanne, Paris, 1986, qui reproduit, p. 45, ce tableau ainsi que deux autres de Marion.

(10) J. M. Péres, « L’œuvre de A.-F. Marion dans le domaine des sciences de la mer », Bulletin du Muséum d’Hitoire naturelle de Marseille, T. XLIII, 1983, pp. 9-11.

(11) M. Escalon de Fonton, « Le professeur A.-F. Marion et la préhistoire », Bulletin du Muséum d’Histoire naturelle de Marseille, T. XLIII, 1983, pp. 13-14.

(12) E. Jourdan, Vaussière, G. Gastine, op. cit.

(15) La Gazette du Midi, du 26 janvier 1900, p. 2.

(16) L. Charve, « Discours prononcé sur la tombe de Marion », dans Annales de la Faculté des Sciences de Marseille, T. XI, pp. 27-36. »

19 juillet

Déclaration de guerre du gouvernement impérial de la France à la Prusse.

27 août

Lettre de Ludovic Piette à Pissarro.
Ludovic Piette donne à son ami Pissarro les renseignements pour que lui et sa famille, devant l’avancée de l’armée prussienne, viennent se réfugier le plus vite possible chez lui à Montfoucault, en Mayenne. Il détaille les conditions de transport, en train jusqu’à Mayenne, puis en voiture. Julie est enceinte de sept mois.

Bailly-Herzberg Janine (commentaires), Mon cher Pissarro, lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro, Paris, éditions du Valhermeil, 1985, 143 pages, p. 34-35.

« Vous savez, mon cher Pissarro, qu’il faut vivre avec les loups ; habitant un pays de préjugés, je suis forcé de les subir pour éviter les cancans, ainsi comme d’usage, je dois vous croire marié, et vous devez le faire croire, cela coupe court aux propos, je pense que ce sera votre avis, c’est bête mais nécessaire. »

Août (?)

Cezanne se réfugie à Aix, puis à l’Estaque, probablement rejoint par Hortense Fiquet.

Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), note n° 1 p. 225.
Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, éd. Crès et Cie, éd. revue et augmentée, 1924 (1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919), p. 37-38.

« Je demandais un jour à Cezanne quelle existence ils avaient menée, Zola et lui, pendant la guerre. Il me répondit : « Écoutez un peu, monsieur Vollard ! Pendant la guerre, j’ai beaucoup travaillé sur le motif à l’Estaque.

« Je n’ai d’ailleurs aucun événement extraordinaire à vous raconter sur les années 70-71. Je partageais mon temps entre le paysage et l’atelier. Mais s’il ne m’arriva pas d’aventures pendant ces époques troublées, il n’en fut pas de même pour mon ami Zola, qui eut toutes sortes d’avatars, notamment à son retour définitif de Bordeaux à Paris. Il m’avait promis de m’écrire dès son arrivée à Paris. Après quatre longs mois seulement, il put tenir sa promesse !

« C’est devant le refus du gouvernement de Bordeaux d’utiliser ses services, que Zola s’était décidé à regagner Paris. Le pauvre y était arrivé vers le milieu de mars 1871 ; quelques jours après, l’insurrection éclatait. Pendant deux mois, il n’en avait pas mené large : nuit et jour le canon, et, vers la fin, les obus sifflant au dessus de sa tête, dans son jardin. Enfin, au mois de mai, menacé d’être arrêté comme otage, il avait pris la fuite, à l’aide d’un passeport prussien, et était allé se terrer à Bonnières… Zola est très fort ! Quand il se retrouva tranquillement aux Batignolles, après la Commune, toutes ces choses terribles auxquelles il avait été mêlé n’eurent plus, à ses yeux, que l’importance d’un mauvais songe.

« Lorsque je vois, m’écrivait il, que mon pavillon n’a pas bougé, que mon jardin est resté le même, que pas un meuble, pas une plante n’a souffert, je puis croire que les deux sièges sont des histoires de croque-mitaine inventées pour effrayer les petits enfants.

« Je regrette, monsieur Vollard, de n’avoir pas conservé cette lettre (1). Je vous aurais montré un passage où Zola se désolait de ce que tous les imbéciles ne fussent pas morts !

« Mon pauvre Zola ! Il en aurait été bien en peine, lui le premier, si tous les imbéciles étaient morts. Figurez-vous que je lui ai justement rappelé cette phrase de sa lettre, histoire de rire, un des derniers soirs que je l’ai vu ! Il me disait qu’il venait de dîner chez un gros personnage auquel il avait été présenté par M. Frantz Jourdain. « Tout de même, ne pus-je m’empêcher de lui dire, si tous les imbéciles avaient disparu, tu serais forcé de manger tes restes de daube chez toi, en tête à tête avec ta bourgeoise ! »

Eh bien, croiriez-vous que mon vieil ami n’a pas eu l’air content ?

« Dites, monsieur Vollard, si l’on ne peut pas plaisanter un peu quand on a usé ensemble ses fonds de culotte sur les mêmes bancs d’école ! »

Cezanne reprit : « Zola terminait sa lettre en me pressant de rentrer, moi aussi. « Un nouveau Paris est en train de naître, m’expliquait-il, c’est notre règne qui arrive ! »

Notre règne qui arrive ! Je trouvais que Zola exagérait un peu, pour ce qui me concernait du moins. Mais, tout de même, cela me disait de retourner à Paris. Il y avait trop longtemps que je n’avais pas vu le Louvre ! Seulement, comprenez, monsieur Vollard, j’avais en ce moment un paysage qui ne venait pas bien. Aussi restai-je à Aix quelque temps encore, à étudier sur le motif. »

(1) La lettre de Zola a été retrouvée [lettre de Zola à Cezanne, du 4 juillet 1871]. Elle est publiée à titre de document en appendice (III). »

Maurice Denis, rendant visite à Renoir chez lui à Cagnes, dans les premiers mois de 1903, à l’occasion d’un voyage dans le Midi en compagnie de Ker-Xavier Roussel, rapporte ce récit de Renoir dans son journal :

Denis Maurice, Journal, tome II « (1905-1920) », Paris, La Colombe, éditions du Vieux Colombier, 1957, p. 34.

« En 1870, Cezanne déserteur à l’Estaque se cachait dans une maison située sur le flanc d’une colline ; quand les gendarmes arrivaient, sa mère l’avertissait et il se sauvait par une porte de derrière, dans la brousse, avec un panier de provisions. Sur sa lenteur à peindre : un bouquet d’après des fleurs en papier, les fleurs ont eu le temps de changer de couleur. »

Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), 213 pages de texte, 200 planches, p. 60.

« Je ne veux rien dissimuler, rien omettre de ce que je sais de sa vie. Les gendarmes, dit-on, le cherchèrent du côté d’Aix. Il s’était, avec sa mère, enfui à l’Estaque. Il travaillait devant la mer. »

Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 146.

« Suivant Maxime Conil, son beau-frère, les gendarmes seraient venus un jour au Jas de Bouffan avec l’ordre d’enrôler Cezanne. Celui-ci dit à sa mère d’ouvrir toutes les portes et de laisser fouiller la propriété ; il était sûr de pouvoir se tenir caché. Connaissant à fond tous les coins et recoins de la grande maison, il échappa sans peine aux gendarmes qui partirent les mains vides. A la tombée de la nuit, Cezanne prépara quelques effets et se mit en route, à pied et par le chemin des montagnes, pour l’Estaque, à vingt-cinq kilomètres environ d’Aix. Et là il resta pendant la durée de la guerre. »

4 septembre

La République est proclamée, après la capitulation de Sedan (2 septembre), et l’empereur Napoléon III est déchu.

Le soir, à Aix, un conseil municipal provisoire est proclamé, comprenant, entre autres, Louis-Auguste « Cezanne, banquier », « Baille fils aîné, astronome adjoint à l’observatoire, à Paris » et « Valabrègue, littérateur ».

6 septembre

Le Conseil municipal d’Aix nomme le père de l’artiste à la commission des finances, Baille à celle des travaux publics et Valabrègue à celle des objets divers.

Lettre de Roux à Zola, 18 septembre 1870.
« Proclamation de la République à Aix », Le Mémorial d’Aix, journal politique, littéraire, administratif, commercial, agricole, 35e année, n° 37, dimanche 11 septembre 1870, p. 2 :

« Proclamation de la République à Aix.

La dépêche télégraphique annonçant la proclamation de la République à Paris, a été reçue à Aix, vers 10 heures du soir.

Les Républicains d’Aix se sont portés aussitôt, en foule, à l’Hôtel de Ville, où ils ont prononcé la déchéance de la municipalité et du conseil municipal sorti de la dernière élection. Le Maire et un adjoint, qui étaient accourus, ont été obligés de se retirer, au milieu des cris et du tumulte.

Les républicains se sont alors réunis dans la salle du conseil et un corps municipal provisoire a été formé par l’acclamation populaire.

Il est composé de la manière suivante :

[…] Baille fils aîné, astronome adjoint à l’observatoire, à Paris ; […] Cezanne, banquier ; […] Valabrègue, littérateur. »

Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), p. 229, note 4.
Rewald John, « Paul Cezanne : New Documents for the Years 1870-1871 », The Burlington Magazine for Connoisseurs, volume 74, n° 433, avril 1939, p. 163-164, 166-169, 171, p. 167.
Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 183-184 :

« Le père du peintre ne fréquenta pas les séances du conseil municipal d’une manière très assidue. À vrai dire, il n’y apparaissait presque jamais, C’est tout juste ‘s’il intervint dans la séance du 31 octobre à propos d’une question de cartouches et de fusils, livrés à la ville. Mais à peu près tous les comptes rendus des séances mentionnent le nom du banquier parmi ceux qui sont « absents sans motifs connus ». Avait-il peur de se compromettre ? C’est possible. Élu sans avoir jamais sollicité le suffrage de ses concitoyens il devait peut-être cet honneur à ses compétences professionnelles qui le désignaient pour la commission des finances. Car il ne semble pas que ce soient ses convictions politiques qui lui aient valu cette distinction, puisque sa façon de se désintéresser des travaux du conseil deviendrait alors encore plus incompréhensible. Pendant qu’il restait chez lui, au Jas de Bouffan, par prudence ? par manque d’intérêt ? par ennui ? Mme Cezanne, rue Matheron, se faisait inscrire parmi les dames patronnesses de la société internationale de secours aux blessés, et son fils allait être particulièrement honoré par le conseil municipal. »

7 septembre

Zola, dégagé de toute obligation militaire comme fils de veuve et myope, quitte Paris avec sa femme et sa mère et s’installe à l’Estaque. Là, Cezanne et Hortense Fiquet les accueillent, dans la petite maison de pêcheurs que la mère de Cezanne loue depuis longtemps sur la place de l’Église. Ils les aident à trouver un hébergement, chez un marchand de vins. Au bout de quelques jours, ils vont s’installer en pleine ville à Marseille, 15, rue Haxo.

Mitterand Henri, Zola, tome I « 1840-1871 », Paris, Fayard, 1999, 943 pages, p. 754.
Lanoux Armand, Bonjour Monsieur Zola, Paris, Club des libraires de France, 1954, 557 pages, p. 154 :

« Le 7 septembre, la famille [Zola] quitte la capitale pour s’installer dans la banlieue de Marseille, à l’Estaque, « un petit endreoit comme Asnières, mais au bord de la mer ». Émile retrouve Cezanne. Paul y vit avec Hortense Fiquet, à l’insu de ses parents. Paul peint. Paul fait partie de cette paix impavide de la mer comme une pierre ou un olivier. Les événements « l’emmerdent furieusement ». Les hussards de la mort déferlent sur l’Est ; Cezanne avance dans sa révolution de la couleur. »

11 septembre

Le conseil municipal d’Aix fait placarder un appel à la mobilisation de la population aixoise pour sauver la France, signé par tous les conseillers.

Demangeot Bernard, Aix-en-Provence et la famille Zola, Aix-en-Provence, Les Vents contraires, 2002, 396 pages, p. 202-203.

« RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Liberté – Égalité – Fraternité

Ville d’Aix

Citoyens,

Lorsque tous les Français ne devraient avoir qu’un but, qu’une idée, la délivrance de la patrie, des hommes inconnus à notre ville cherchent à répandre des calomnies contre la République et ses défenseurs les plus ardents. Des actes de violence contre les propriétés les plus sacrées ont même été commis.

La commission municipale d’Aix proteste contre ces actes et ces calomnies, qui ne peuvent émaner que des ennemis de la République et de la France.

Le peuple en fera justice, il suffit de les signaler. Un vrai républicain est incapable de pareils excès. Il a d’autres soucis au cœur : chasser l’étranger, effacer la honte de l’invasion.

C’est par centaines que nous comptons aujourd’hui les engagements volontaires. C’est la meilleure réponse à ces diffamations.

Levons-nous donc, Citoyens, marchons comme un seul homme ! Le conseil municipal d’Aix vous appelle à la défense de la patrie ; il prend l’engagement de pourvoir aux besoins des familles de tous ceux qui volontairement prendront le fusil pour sauver la France et faire respecter notre glorieuse et pure République.

Aix, le 11 septembre 1870

La Commission Municipale provisoire d’Aix :

Alexis, maire ; Bédarride et Chabrier, adjoints ; Abram, Achard, Amoureux, Baille, Beauvois, Bremond, Cezanne, Chambarel, Coste, Ferrières, Gautier, Gibert, Hallo, Jauffret, Leydet, Mattei, Mauduech, Milhaud, Pourret, Pust, Roux, Sibille, Tassy, Valabrègue. »

[Peu avant le 13 septembre]

Face à l’avancée prussienne, la famille Pissarro quitte précipitamment Louveciennes — avant le 13 septembre (d’après une lettre de Louis Estruc à Pissarro du 17 septembre) — pour se réfugier chez Ludovic Piette, à Montfoucault.

Ils abandonnent œuvres et mobilier, y compris quelques œuvres confiées par Monet, dans la crainte d’une éventuelle saisie de justice. Ce fait est attesté par une lettre de Monet à Pissarro, écrite après la guerre, le 21 décembre 1871. Le dépôt date sans doute du début de l’été, quand, vraisemblablement, Monet, sa femme Camille et leur fils Jean ont quitté Bougival pour Trouville.

Lettre de L(ouis) Estruc à son beau-frère Pissarro, sur papier à en-tête, datée « Paris le 17 7bre 1870 Samedi 1 heure » ; inédite, Pontoise, musée Pissarro.
Tabarant, Pissarro, 1924, p. 18. Wildenstein Daniel, Monet, tome I, p. 51 et lettre n° 61 p. 428.

17 septembre

Louis Estruc écrit à son beau-frère Pissarro, qui lui a appris que lui et sa famille sont partis en province. Il donne des nouvelles de l’avancée des armées prussiennes en région parisienne.

Lettre de L(ouis) Estruc à Pissarro, sur papier à en-tête sur papier à en-tête « GALONS, TRESSES, GANSES, Tisons pour Boutons, BERNARD & CARÉ, Rue Michel-le-Comte, 16, PARIS, Manufacture, Rue des Gris, 1, St ETIENNE », datée « Paris le 17 7bre 1870 Samedi 1 heure » ; inédite, Pontoise, musée Pissarro.

« Paris le 17 7bre 1870 Samedi 1 heure

Mon Cher Pissarro

Je m’empresse de répondre à votre charmante lettre qui nous a bien fait plaisir d’apprendre que vous êtes en bonne santé. Je suis très étonné que vous n’avait pas reçu une lettre de Félicie [épouse de Louis Estruc, sœur de Julie] partie de Paris le mercredi [14 septembre] dans laquelle elle vous disait que c’était impossible d’aller à Louveciennes vu que le chemin de fer américain est supprimé et le pont de Bougival sauté vous voyait que c’était bien difficile de grimper jusque là haut. Je me suis empressé de porter la lettre à Mr Belliard le jour que nous l’avons reçu mercredi matin [14 septembre] je l’ai donné à sa dame qui la fait montée tout de suite à son mari et me demandant de vos nouvelles. Nous sommes très faché que vous soyez partis vu les circonstances actuelles parce que nous craignons toujours que les Prussiens ne se répandent dans la Province et qu’il ne vous arrivent quelques choses. Presque tous les chemins de fer sont coupés plus de communications sauf celle du midi et d’Orléans, ainsi que l’Ouest jusqu’à présent ; peut être dans quelques jours il y en aura plus. Profitons du peu de temps qu’ils nous reste à nous donner des nouvelles.

Paris tout est très cher, nous sommes sur le qui vive, nous attendons les Prussiens d’un moment à l’autre ; ils ont paru à Joinville le pont ainsi que du côté de Vincennes ; ont brûlé presque tout le bois ; démoli les maisons au abords des fortifications et en dehors tous les ponts sont sautés les fossés rempli d’eau ; Je suis de la garde nationale tous les jours 4 h. d’exercice je m’attend à aller monter la garde au chemin de fer où sur les fortifications.

Nos patrons nous ont diminué de 1/3 je ne touche que 100 F par mois ; je ne fait pas du tout d’affaires. Nous n’avons pas cherché encore de logement. Il y a une loi sur les propriétaires pour ne pas empêcher les locataires de déménager n’importe pour qu’elles raisons surtout pour les gens de la campagne. Nous avons vu Jules hier vendredi Joséphine [Daudon, sœur de Julie, compagne de Pissarro, et de Félicie Estruc] fais des sacs pour le moment, Marie [Jules et Marie Daudon, les enfants de Joséphine] continue de travailler où elle était et Jules ne fait rien, je pense qu’elle ne doit pas gagner beaucoup avec ce travail. Félicie vous fait des compliments et vous embrasse à tous ainsi que Nini [Eugénie, fille des Estruc]. Le petit prend des forces et se porte bien. Embrassez pour moi les enfants. Mon nez va mieux et commence à guérir.

Rien d’autres choses à vous dire ; si ce n’est que nous sommes très embêtés de la position où nous sommes.

Les communications sur le chemin de fer de l’ouest ne sont pas interrompues si Julie doit envoyer quelque chose elle peut le faire encore sans trop retardée.

Recevez nos amitiés sincères.
L. Estruc

89 Rue de Turbigo

Je vous enverrai le rappel tous les soirs je prenais le temps parce que c’est un journal bien rédiger. Dites moi si vous en avait reçu plusieurs à la fois ; le seul numéros de la Marseillaise qui avait paru. »

Le 13 septembre, le génie a fait sauter les ponts de Bougival et de Croissy. Le 21, les Prussiens s’empareront de Louveciennes, et toutes les routes conduisant à Paris seront coupées. Le siège de Paris a commencé.

Laÿ Jacques et Monique, Louveciennes mon village, p. 268.

Mi-septembre

Malgré la gravité de la situation, Marius Roux ne peut s’empêcher d’écrire à Zola :

Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 182.

« Je m’ennuie ici comme quatre. Je regarde passer la révolution. Dans le tas se trouvent nos admirables Baille et Valabrègue. Ils sont réjouissants et me gaudissent fort. Vois-tu ces deux francs-fileurs de Paris qui viennent ici se mêler au conseil municipal et voter la résistance. Marchons comme un seul homme, disent leurs proclamations. Marchons ! Ils sont jolis les cocos. »

25 septembre

Un décret du 16 septembre convoque des élections municipales pour toutes les communes de France, avec un premier tour le dimanche 25 septembre, un second le mercredi 28 et l’élection du maire et des adjoints par le conseil municipal le jeudi 29 septembre.

À Aix, le banquier Cezanne se présente sur une liste « en vue de l’intérêt général et du bien public ». Les noms de Baille et Valabrègue ne se trouvent sur aucune des deux listes.

Le Mémorial d’Aix, journal politique, littéraire, administratif, commercial, agricole, 35e année, n° 39, dimanche 25 septembre 1870, p. 1.

« Élections municipales de la ville d’Aix.

du 25 septembre 1870.

Cette liste a été composée en vue de l’intérêt général et du bien public.

Les candidats proposés n’ont pas été consultés.

On compte sur leur patriotisme.

LISTE DE CANDIDATS

[…] CEZANNE, Banquier. […] »

Toutefois les élections seront ajournées le 29 septembre et les précédents conseils municipaux maintenus jusqu’aux élections suivantes qui auront lieu le 30 avril 1871.

Le père de Cezanne ne participera quasiment pas aux séances du Conseil municipal. Il est absent les 12, 13, 14, 15, 19, 23, 29 décembre 1870 ; 4, 7, 13, 17, 18, 25, 31 janvier 1871, 1er, 7, 13, 17, 21 février 1871 ; 1er, 9, 13 mars 1871, « sans motifs connus » ; les 11 et 13 avril 1871, « pour cause de maladie ». Il n’est présent que le 24 mars 1871.

« Conseil municipal d’Aix », Le Mémorial d’Aix, journal politique, littéraire, administratif, commercial, agricole, 35e et 36e années.

30 septembre

Lettre de Rachel Pissarro, écrite par Amélie Isaacson, à son fils Camille Pissarro.
La mère de Pissarro le supplie de ne pas s’engager dans la Garde nationale.

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 3 ; Pontoise, musée Pissarro.

« St. Valéry 30 7bre 1870

[…] Je t’en prie, mon cher fils, ne fais pas d’imprudences pense que j’ai assez de chagrin tu n’es pas français [Pissarro est Danois] aussi ne va pas t’exposer inutilement.

C’est triste pour moi à mon âge de n’avoir que deux fils et tous deux loin de moi qui reste sans protecteur.

Ne crois pas que nous sommes gais ici. Du reste de penser aux souffrances de tout le peuple est assez je crois pour nous rendre triste. De plus nous ne savons pas combien de temps nous resterons ici si nous recevons de l’argent. Enfin tant de choses. Que faire. Mon Dieu !!!!!! (Jérémiades de grand-mère tu les connais n’est-ce pas ?)

[…]

Vve R. Pissarro »

10 octobre

Lettre de Rachel Pissarro, écrite par Amélie Isaacson, Saint-Valéry-en-Caux, à son fils Camille.
Pissarro a demandé à sa mère son consentement pour épouser sa compagne Julie Vellay, enceinte de leur troisième enfant, mais sa mère, après avoir donné son accord une première fois, se ravise et refuse qu’il se marie.

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 3 ; Pontoise, musée Pissarro.

« St Valéry le 10 octobre 70

Mon cher fils,

J’ai répondu à ta lettre hier, je te dirai que j’ai eu beaucoup de chagrin. La demande que tu m’as faite m’en a causé beaucoup, j’en suis malade, et ce n’est pas en ce moment où je suis si triste et encore souffrante que je dois avoir des émotions. Comme mère, pour te faire plaisir et sans réflexion, je t’ai répondu oui. Cela m’a rendu bien malade toute la nuit et je me suis décidée à t’écrire pour te dire que ce consentement m’afflige beaucoup, je compte donc sur toi et si tu as quelques égards pour moi, tu me renverras la lettre, car je l’ai fait écrire sans réfléchir assez pour une affaire d’une telle importance –

Si tu tiens encore un peu à moi tu feras ce que je te demande, attends que tous ces événements soient passés, alors tu pourras aller à Londres et là te marier sans mon consentement et sans que personne n’en sache rien. Je te fournirai l’argent pour ce voyage s’il plaît à Dieu. Fais bien attention, mon fils, que c’est une grâce que je te demande. C’est pour me tranquilliser car depuis, que par légèreté, je t’ai écrit la lettre d’hier, je n’ai pas eu un moment de calme. Tu peux croire que je te serai reconnaissante d’avoir fait ce que je te demande.

Ton frère ne sait rien de tout cela. Je ne lui ai pas écrit même à ce sujet. C’est moi seule qui t’en prie, car il me serait bien pénible, dans ma vieillesse, d’être blâmée par mes enfants et en le faisant comme je te dis il n’y aura personne à blâmer et j’en serai contente moi-même. Ne crains rien je serai la première à t’aider, mais fais-moi donc le plaisir de me renvoyer la lettre et de ne pas t’en servir. Sois sûre que je tiendrais à ma parole.

Je compte sur toi ou je t’assure que je ferais une maladie de folie de cette affaire. Je n’en suis pas maîtresse mais ma tête est bien malade. Si tu ne veux pas voir ta mère désespérée pour le reste de ses jours, tu me rendras ma tranquillité car un fils peut faire cela pour sa mère.

Ne t’expose pas. Espérons que cette guerre maudite finira bientôt et alors tu pourras faire le voyage et je ne serai blamée par personne. Adieu, mon cher fils, je compte sur toi pour me rendre la tranquillité.

Je t’embrasse, ta mère qui t’aime.

Vve R. Pissarro

[en marge] NB Tu sauras du reste qu’il faut d’autres papiers pour se marier. Il faut l’acte de mariage de ton père et plusieurs autres pour que le mariage soit valable. »

Probablement était-il nécessaire pour se marier en France de présenter une autorisation écrite des parents ? Rachel semble dire qu’elle craint surtout qu’Alfred, le frère de Camille, soit opposé à son mariage.

Camille et Julie ne se marieront que le 14 juin 1871, à Croydon.

18 novembre

Cezanne, qui est toujours à l’Estaque, est nommé à la tête de la Commission de l’École de dessin d’Aix, par quinze voix sur vingt, tandis que Baille, bon dernier, n’en obtint que quatre, puis huit au deuxième scrutin. Il n’assiste pas aux réunions du conseil de la Commission, qui sera dissoute le 19 avril 1871.

Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome I (1858-1867), 1978, p. 229, note 1.
Lettre de Zola à Valabrègue, 21 novembre 1870 ;
Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), n° 100, p. 229.
Ely Bruno, « Cezanne, l’École de dessin et le musée d’Aix », Cezanne au musée d’Aix, Aix-en-Provence, musée Granet, 1984, p. 200-201.
Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 184 :

« En effet, celui-ci procéda le 18 novembre 1870 à l’élection des membres de la commission de l’école de dessin pour remplacer l’ancienne commission composée surtout de nobles, de marquis, comtes, vicomtes, etc. Cette élection porta Cezanne à la tête des candidats, avec 15 voix sur 20, tandis que Baille, bon dernier, n’en obtint que 4, puis 8 au deuxième scrutin. Le 4 décembre, le maire installa cette nouvelle commission de surveillance de l’école de dessin et des musées, mais sans que Paul Cezanne semble avoir assisté à cette cérémonie. Il paraît se désintéresser autant de cette commission, à laquelle il avait pourtant pensé avec tant d’envie, que son père se désintéresse du conseil municipal. Toujours est-il que le nom de Cezanne ne se trouve pas parmi les signataires d’un rapport transmis au maire en mars 1871. Ce rapport est d’ailleurs la seule preuve de l’activité de cette commission. »

21 novembre

Zola répond à Valabrègue qui lui a annoncé « le triomphe de Paul » (son élection à la tête de la Commission de l’École de dessin d’Aix), qu’il va lui communiquer la nouvelle. Cela indique que Cezanne ne se trouve pas à Aix.

Émile Zola. Correspondance, édité sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire Henri Mitterand, tome II « 1868-1877 », Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Paris, CNRS éditions, 1980, 644 pages, lettre n° 100, p. 229.

« Je vous croyais mort. Je suis heureux que vous ressuscitiez pour m’annoncer le triomphe de Paul. Je vais lui en communiquer la nouvelle. »

3 décembre

Lettre de Rachel Pissarro à son fils Camille, datée « Ryde Lodge Lower Norwood le 3 Décembre ».
Rachel Pissarro répond à son fils Camille qu’elle a reçu sa lettre du 28 novembre lui annonçant son arrivée prochaine : « Quand tu arriveras en Angleterre envoie-nous une dépêche afin que nous te cherchions un logement à Londres car il ne faut pas penser à venir à Norwood c’est trop cher ».

 Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 3 ; inédite, Pontoise, musée Pissarro.

[Peu après le 3 décembre]

Pissarro et sa famille embarquent pour l’Angleterre. Sa mère Rachel, déjà sur place, leur a trouvé un logement à Lower Norwood, banlieue de Londres, comme l’écrira plus tard Pissarro, dans une lettre à Wynford Dewhurst le 6 novembre 1902 :

Lettre de Pissarro, Éragny Bazincourt, à Wynford Dewhurst, 6 novembre 1902 ; Dewhurst Wynford, « Impressionist Painting : its Genesis and Development », The Studio, An Illustrated Magazine of Fine & Applied Art, volume II9, n° 124, Londres, 15 juillet 1903, p. 21 et 94.

« En 1870, je me trouvais à Londres avec Monet ; j’y rencontrais Daubigny et Bonvin.

Monet et moi étions très enthousiasmés des paysages de Londres. Monet travaillait dans les parks ; j’habitais Lower Norwood, d’où je rayonnais dans les environs, qui à cette époque étaient charmants ».

Peu après, Pissarro déménagera à Upper Norwood, Westow Hill, Canham’s Dairy.

Reid Martin, « The Pissarro family in the Norwood area of London, 1870-1 : where did they live ? », Studies on Camille Pissarro, p. 57 et note n° 7 p. 64.

4 décembre

Installation de la nouvelle commission de surveillance de l’école de Dessin et des Musées d’Aix, dont font partie Baille et Cezanne.

« Nouvelles diverses », Le Mémorial d’Aix, journal politique, littéraire, administratif, commercial, agricole, 35e année, n° 50, dimanche 11 décembre 1870, p. 2.

« ― M. le Maire a installé, dimanche dernier, la nouvelle commission de surveillance de l’école de Dessin et des Musées.

Elle est ainsi composée :

MM. le Maire, président ; Escursan, vice-président ; Pégulu, secrétaire ; J. Gaut, Lambert, Lobin fils, Baille, Cezanne fils, membres. »

11 décembre

Zola quitte Marseille, seul, pour aller à Bordeaux, où siège la délégation gouvernementale. Il espère être nommé sous-préfet à Aix. Il sera finalement engagé le 21 décembre comme secrétaire du ministre sans portefeuille Alexandre Glais-Bizoin.

Lettre de Zola à Alexandrine et Émilie Zola, Bordeaux, 12 décembre 1870 ; Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, lettre n° 102 p. 232.
Mitterand Henri, Zola, tome I : « Sous le regard d’Olympia 1840-1871 », Paris, Fayard, 1999, 943 pages, p. 782.

17 décembre

Madame Alexandrine Zola lui écrit qu’elle pense que Cezanne et Hortense Fiquet (qu’elle surnomme « la Boule ») sont « cachés » à Marseille. En réalité, ils vivent toujours à l’Estaque et Cezanne rend visite de temps à autre à sa famille à Aix.

Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, note n° 6, p. 253.

« Marie [la compagne de Marius Roux] a vu passer la Boule il y a trois jours sous ses fenêtres et nous avons su, par les femmes de l’Estaque, que Paul n’y demeurait plus ; nous pensons qu’ils sont cachés à Marseille. Naïs a demandé des nouvelles de leurs affaires comme s’il s’était passé quelque chose d’extraordinaire. Quant à nous, nous ne les avons pas vus encore, deux jolis sires, l’homme et la femme. Ils sont polis ! Tourmente-toi pour ces gens-là, en voilà encore qui ne doivent pas exister pour nous. »

19 décembre

Lettre d’Alexandrine Zola à son mari.
Alexandrine Zola donne d’autres nouvelles de Cezanne à son mari :

Émile Zolacorrespondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, note n° 6, p. 253.

« On dit que la Boule habite Aix. Paul était caché par là sans doute, le malheureux. »

22 décembre

Alexandrine Zola fait suivre à son mari une lettre de Paul que madame Cezanne mère vient de lui apporter.

Lettre d’Alexandrine Zola à son mari, 17 décembre 1870, Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, note n° 6, p. 253.

Courant de l’année

Cezanne peint le tableau Pastorale, FWN609-R166, inscrivant la date « 1870 » sur le bateau à voile.
La même scène ou certains de ses éléments est représentée sur les dessins C0248, C0249, C0250.

Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, Les éditions Georges Crès & Cie, 1924 (1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919), 247 pages, note 1 p. 42.

« Scène de plein air [FWN609-R166, planche 9 de l’édition de 1914], où le peintre se représente dans l’homme étendu par terre, 1870 ; »

Vers 1870

Cezanne peint La Neige fondante à l’Estaque (FWN53-R157).

Vers 1870

Monet confirmera aux marchands René Gimpel et Bernheim, qui lui rendent visite le 1er février 1920, que la vente de son tableau (W 152) à Pierre-Firmin Martin lui a été réglée par « cinquante francs argent et cinquante francs Cezanne [un tableau de Cezanne, « trois personnages dans la campagne »] ». Il s’agit de La Partie de pêche (FWN626-R245).

Marc Elder, A Giverny chez Claude Monet, Paris, Bernheim-Jeune, éditeurs d’art, 1924, 87 pages, p. 69.

« À côté un petit tableau de Cezanne, solide comme un Velasquez, dispose ses plans saturés de couleur ainsi que des émaux. Scène champêtre, dimanche banlieusard : couple dans l’herbe et personnage en bras de chemise. Le tout en blanc, bleu et vert, d’un relief aigu et d’un équilibre imperturbable.

— Regardez les bleus dans ce Cezanne, ils sont admirables. On les sent peser sous les yeux et, en même temps étinceler de pureté… Quel peintre et comme il me donne de la joie !… Joie à bon marché d’ailleurs. Ce tableau me coûte cinquante francs, comme j’ai l’honneur de vous le dire… Oui, cinquante francs ! Mais c’est loin cette histoire, très loin… Il y a quarante ans, un petit marchand de couleurs, qu’on appelait le père Martin, nous achetait des tableaux à Sisley, à Pissarro et à moi. Un jour je lui propose une toile. Nous traitons à cent francs, mais il était à court. Nous étions entre gens riches comme vous voyez ! Désireux cependant de me payer tout de suite, il m’offre cinquante francs et ce petit Cezanne [La Partie de pêche (FWN626-R245)] pour compléter la somme. J’ai accepté. »

« Paroles. Le trafic des tableaux », Le Bulletin de la vie artistique, 6e année, n° 13, 1er juillet 1925, Paris, MM. Bernheim-Jeune, éditeurs d’art, p. 294.

« Monet nous conte cette anecdote, assez révélatrice des brillantes conditions commerciales de l’impressionnisme naissant :

Je n’ai peint qu’une fois le pont de Bougival [W 152]. Il est donc facile d’identifier le tableau en question. Pour cent francs, je l’avais vendu, en 1868, à un marchand du nom de Martin. Mais comme cette somme lui paraissait dure à décaisser, il me donna cinquante francs, plus une petite toile, que j’ai encore et dont l’auteur a pris quelque importance : un Cezanne. »

Gimpel René, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, préface de Jean Guéhenno, Paris, Calmann-Lévy, 1963, 500 pages, p. 69.

Georges Bernheim à René Gimpel, à la suite d’une visite chez Monet à Giverny le 19 août 1918 :

« Quand je [Bernheim] suis allé le [Monet] voir avec Hessel, il nous a raconté qu’il a vendu dans sa jeunesse une toile qui serait considérée aujourd’hui très importante, pour cent francs, et encore il ne reçut que cinquante francs argent plus un tableau de Cezanne [FWN626-R245] qu’il nous montra et pour lequel Hessel lui offrit vingt-cinq mille francs qu’il refusa. »

Gimpel René, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, préface de Jean Guéhenno, Paris, Calmann-Lévy, 1963, 500 pages, p. 155.

René Gimpel note sur son carnet le 1er février 1920 :

« Bernheim me montre un petit Cezanne peint comme un xviiie, trois personnages dans la campagne, et me dit : « Tu vois ce Cezanne [La Partie de pêche (FWN626-R245)], je t’ai raconté cette histoire de M. Monet qui, un jour, a vendu cent francs une de ses œuvres, et qui fut réglé : cinquante francs argent et cinquante francs Cezanne. Et, à l’époque, ce tableau n’était pas un beau cadeau. »

« Oui, dit Monet, c’était chez Martin, un marchand qui n’a jamais mis, pour une toile, plus de cent francs et qui se contentait d’un bénéfice de dix ou vingt francs. » »