4 janvier

Lettre de Marius Roux à Zola.
Il informe Zola que Cezanne a été dénoncé comme réfractaire par des « gentilshommes » avec qui il se « soûlait proprement » lorsqu’il venait à Aix voir sa famille.
Les choses étaient d’ailleurs allées assez loin puisque « un des membres du conseil de la moucharderie pour les réfractaires » d’Aix s’était enquis auprès de Valabrègue de la situation familiale de Zola.
Zola, qui avait été exempté du service militaire en tant que soutien de famille (sa mère veuve), n’avait pas été admis dans la garde nationale à cause de sa myopie.

« […] à propos de garde mobilisée j’ai à te donner deux nouvelles : une nouvelle fâcheuse et une nouvelle étonnante.

La nouvelle fâcheuse, c’est que Paul C… est activement recherché et j’ai bien peur qu’il n’échappe pas aux recherches si, comme l’a dit sa mère, il est vrai qu’il soit toujours à l’Estaque. Paul, qui dans les premiers temps ne prévoyait pas assez ce qui devait arriver, s’est beaucoup montré à Aix. Il y allait même assez souvent et y séjournait un, deux et même trois jours et plus. On raconte aussi qu’il s’y soûlait proprement en compagnie des gentilshommes de sa connaissance. Il a dû, il est même certain qu’il a fait connaître le lieu de sa résidence, puisque les gentilshommes en question (qui, en somme, doivent être jaloux de lui, qui vit sans compter sur le produit de sa petite journée) se sont empressés de le dénoncer et de donner tous les renseignements nécessaires pour le faire trouver.

Ces mêmes gentilshommes (voici la nouvelle étonnante) auxquels Paul aura dit qu’il habitait l’Estaque avec toi, — ignorant que depuis tu as pu quitter ce trou, — ne sachant pas au juste si tu es garçon ou marié, — t’ont signalé par la même occasion, comme réfractaire. Le soir du 2 janvier mon père me prit à part et me dit :

« Je viens d’entendre un moblot qui s’exprimait ainsi : — Nous sommes quatre, avec le caporal Untel, qui devons aller à Marseille pour ramener des réfractaires. (Il citait des noms.) Parmi les noms cités — mon père me dit — j’ai retenu ceux de Paul Cezanne et de Zola. — Ces deux-là, ajoutait le moblot, se cachent à Saint-Henri [village voisin de l’Estaque]. »

Je dis à mon père de faire la sourde oreille et de ne se mêler à n’importe quelle conversation de ce genre ; moi, j’en faisais mon affaire… et le lendemain matin je courus à la mairie. Là, j’ai mes coudées franches et je me fis exhiber la liste des réfractaires. Ton nom n’y était pas. Je contai à Ferand, qui est un homme sérieux et qui m’est dévoué, ce qui s’était dit. Il me répondit :

— On n’a dû parler de Zola qu’à cause de Cezanne, lequel est sérieusement recherché ; mais si le nom de votre ami a été prononcé, cela a dû se faire avant renseignement pris, puisque Zola n’est pas d’Aix et que, du reste, il est marié […].

À la mairie, rien d’officiel, et parmi la foule où le nom de Cezanne résonne, je n’ai jamais entendu le tien. »

Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 179-180.
Émile Zolacorrespondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, note n° 1, p. 274.

 

Besson George, Renoir, Paris, Les Éditions G. Crès et Cie, collection « Les Artistes nouveaux », 1932, 12 pages de texte, p. 6 :

« Cezanne est sur le motif à l’Estaque où il habite avec sa mère. Il a oublié la date de sa mobilisation et lorsque les gendarmes viennent à sa recherche, il fuit : « Il est parti depuis deux ou trois jours, répond Madame Cezanne, quand je saurai où il est, je vous le ferai savoir. » »

21 janvier

Lettre de Durand-Ruel, sur papier à en-tête « Society of French Artists, 168, New Bond Street, London W. », à Pissarro
A Londres, Daubigny met Pissarro en relation avec le marchand de tableaux Paul Durand-Ruel (1831-1922). Celui-ci écrit à Pissarro :

« Mon cher Monsieur,

Vous m’avez apporté un charmant tableau et je regrette de ne pas avoir été à ma galerie pour vous faire mes compliments de vive voix. Dites-moi donc, je vous prie, le prix que vous en voulez et soyez assez aimable pour m’en envoyer d’autres dès que vous le pourrez. Il faut que je vous en vende beaucoup ici. Votre ami Monet m’a demandé votre adresse. Il ne savait pas que vous étiez en Angleterre. Il demeure lui-même Bath place N° 1, Kensington.

Veuillez agréer, mon cher Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.

Durand-Ruel »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 21-1.
Venturi Lionello, Les Archives de l’impressionnisme. Lettres de Renoir, Monet, Pissarro, Sisley et autres. Mémoires de Paul Durand-Ruel. Documents, 2 tomes, Paris, New York, Durand-Ruel, 1939, tome II, p. 247-248.

Peu après ce premier contact, Durand-Ruel achètera deux tableaux à Pissarro, dont il enregistrera le paiement total de 400 ou 500 F le 16 mars 1872.

Archives Durand-Ruel, Livre de stock 1869-1872, Sydenham (n° 2031, PDRS 188) et Norwood (n° 2032).

Monet dira à Thiébaut-Sisson, en 1900 :

« » La guerre vint. Je venais de me marier. Je passai en Angleterre. Je trouvais à Londres Bonvin, Pissarro. C’était rude. Un hasard me fit rencontrer Daubigny, qui naguère m’avait témoigné de l’intérêt. Il exécutait alors des vues de la Tamise qui plaisaient beaucoup aux Anglais. Ma situation l’émut. « Je vois ce qu’il vous faut, me dit-il, je vais vous amener au marchand. » Je faisais la connaissance, le lendemain, de Durand-Ruel.

Et Durand-Ruel, pour nous, fut le sauveur. Pendant quinze ans et plus, ma peinture et celle de Renoir, de Sisley, de Pissarro n’eurent d’autre débouché que le sien. Un jour vint où il lui fallut se restreindre, espacer ses achats. Nous croyions voir la ruine : c’était le succès qui arrivait. Proposés à Petit, aux Boussod, nos travaux trouvèrent en eux des acheteurs. On les trouva tout de suite moins mauvais. Chez Durand-Ruel, on n’en eût pas voulu ; on prenait confiance chez les autres. On acheta. Le branle était donné. Tout le monde veut tâter de nous aujourd’hui. »

Thiébault-Sisson. »

Thiébaut-Sisson [François], « Claude Monet. Les années d’épreuve », Le Temps, 40e année, n° 14414, lundi 26 novembre 1900, p. 3.

 

Coquiot Gustave, « Des Monet, des Renoir pour cinquante francs », Excelsior, 28 novembre 1910, p. 3-4 ; cité par Gustave Geffroy, Claude Monet, sa vie, sonœuvre, Paris, 1924, tome I, p. 59 :

« — C’est Monet que j’ai rencontré le premier, nous dit M. Durand-Ruel.

Daubigny me présenta Claude Monet en 1870, à Londres ; et, sur sa recommandation, je me suis tout de suite intéressé à ce peintre, qui avait déjà un grand talent. Un homme solide et résistant, et qui me parut devoir peindre sans fatigue pendant plus d’années que je ne m’en donnais à moi-même de vivre ; il est vrai que je suis leur aîné, à Monet et à Renoir, de neuf ans !…

Rentré à Paris, Monet vint m’apporter ses tableaux et je devins son marchand attitré.

Deux ans plus tard, je connus Renoir, en même temps d’ailleurs que Manet ; puis, j’entrai en relations avec Pissarro, Degas, Puvis de Chavannes et Sisley.

J’étais alors installé depuis 1869 dans mes galeries actuelles de la rue Laffitte. »

En 1914, à la suite d’une visite chez Monet à Giverny, le journaliste André Arnyvelde rapporte ces propos :

« Du jour où le Salon nous refusa, continue Claude Monet, l’existence devint terrible. Personne ne voulait plus nous exposer. Personne n’achetait. Éclata la guerre. En 1871, étant à Londres avec Pissarro, nous ne savions trop comment nous débrouiller. J’eus la chance de rencontrer Daubigny, qui vit mes toiles, et qui me trouva du talent.

— Avez-vous de la fortune ? me demanda-t-il.

— Je n’ai pas le sou.

— Je vais vous amener à un marchand qui s’intéressera à vous…

Ce marchand était Durand-Ruel, qui avait transporté ses pénates à Londres.

— Ce n’est pas mal, me dit Durand-Ruel. Je ne pourrai pas vous payer bien cher… Il faut travailler, ajouta-t-il.

A partir de ce moment, Durand-Ruel nous soutint tous. Et ce fut une aventure héroïque. Et il faudrait une étude spéciale pour dire le rôle que joua ce grand marchand dans l’histoire de l’Impressionnisme. »

Arnyvelde André, « Chez le peintre de la lumière. Je sais tout interviewe Claude Monet », Je sais tout, 10e année, volume 87, 15 janvier 1914, p. 29-38, p. 34.

Le marchand René Gimpel écrit dans son journal, à la suite d’une visite chez Monet le 28 novembre 1918 :

« Il n’y a qu’une personne à qui je doive quelque chose, c’est à Durand-Ruel qu’on traitait de fou et qu’à cause de nous l’huissier a failli saisir. C’est en 1870 que j’ai fait sa connaissance, c’est Daubigny qui m’a présenté à lui en lui disant que j’avais quelque chose dans le ventre. »

René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, p. 89.

Dans la première rédaction de ses Mémoires, antérieure à 1911, Paul Durand-Ruel écrira :

« C’est dans ma galerie de Londres qu’au commencement de 1871 je fis la connaissance de Monet, dont j’avais bien remarqué les œuvres dans les derniers Salons, mais que je n’avais pas eu l’occasion de voir, car il n’était presque jamais à Paris. Il me fut amené par Daubigny qui estimait beaucoup son talent. Je lui achetai aussitôt les tableaux qu’il venait de faire à Londres. Monet me fit, à son tour, connaître Pissarro [inexact, c’est Daubigny qui a présenté Pissarro] qui était également à Londres et venait d’y peindre plusieurs toiles pleines d’intérêt. Les tableaux de Monet me coûtaient 300 francs, ceux de Pissarro 200 francs. C’est le prix que pendant bien des années j’ai continué de les leur payer. »

« Mémoires de Paul Durand-Ruel », Venturi Lionello, Archives de l’Impressionnisme, tome II, p. 179

Paul Durand-Ruel, d’après Félix Fénéon :

« En 70, à Londres, Daubigny me présenta Claude Monet : « Voilà un jeune homme qui sera plus fort que nous tous. » Et comme, devant ces toiles inhabituelles, j’étais un peu désorienté et hésitais, Daubigny de me dire : « Achetez. Je m’engage à vous reprendre celles dont vous ne vous déferez pas et à vous donner de ma peinture en échange, puisque vous la préférez. » De fait, quand Daubigny mourut [le 19 février 1878], il possédait quantité d’œuvres de Monet ; on les écarta de la vente après décès, ainsi que celles de Monticelli, comme inavouables, et on les liquida ultérieurement en une vente anonyme où leurs enchères varièrent entre 20 et 100 francs.

Quelques jours après notre rencontre, Monet m’amenait — c’était encore à Londres — Pissarro [inexact] et Sisley. Il me fit connaître Renoir à Paris, l’année suivante. »

Fénéon Félix : « Les grands Collectionneurs II. — M. Paul Durand-Ruel », Le Bulletin de la vie artistique, Paris, MM. Bernheim-Jeune & Cie, éditeurs, 1re année, n° 10, 15 avril 1920, p. 269.

 

Etienne Moreau-Nélaton, Daubigny raconté par lui-même, Paris, Henri Laurens, éditeur, 1925, 150 pages, 139 reproductions hors texte, p. 105 :

« Les convulsions dont Paris souffrait après les épreuves du siège avaient fait prendre la fuite à un jeune peintre dont Londres était le refuge, et dont le chevalet, planté sur les rives de la Tamise, accrochait le regard de son aîné. Frappé par la sensibilité de l’inconnu et par l’accent des traductions que lui avaient suggérées les spectacles naturels pris pour thèmes par son pinceau, Daubigny s’enflammait pour lui et, mis au courant des difficultés extrêmes de sa position, l’emmenait chez Durand-Ruel, qu’il invitait d’autorité à accueillir sur le champ ses ouvrages. En déférant à l’injonction, le négociant sauvait la vie à Claude Monet. D’autres palettes du même bord que la sienne, et non moins déshéritées du sort, bénéficiaient bientôt de la même sollicitude agissante. Le héros de l’aventure, à qui la Fortune n’a pas ménagé depuis les dédommagements, et dont la vieillesse rayonne aujourd’hui dans une auréole de gloire, n’a pas perdu de vue ce service-là. J’ai sous les yeux quelques lignes, dont l’illustre peintre a bien voulu m’honorer, où je lis que c’est grâce à Daubigny et à Durand-Ruel que « plusieurs de ses amis et lui-même ne sont pas morts de faim » sur le pavé de Londres, où la tempête les avait poussés. « Ce sont des choses que l’on n’oublie pas », conclut avec émotion sa fidèle reconnaissance. »

Monet confirmera à Etienne Moreau-Nélaton ces rencontres avec Daubigny et Durand-Ruel :

« Tout ce qui vous a été dit de Daubigny à propos de moi [rapporté par Moreau-Nélaton, cité ci-dessus] est exact et j’ai des raisons pour lui conserver ma grande reconnaissance. C’est grâce à lui que, me rencontrant à Londres pendant la Commune et me voyant très gêné pour ne pas dire plus et s’enthousiasmant de certaines de mes études de la Tamise, il me mit en rapport avec M. Durand-Ruel grâce auquel plusieurs de mes amis et moi ne sommes pas morts de faim. »

Wildenstein Daniel, Monet, tome IV, lettre n° 2587 p. 419.

Marc Elder rapporte ces propos de Monet :

« C’est grâce à lui [Daubigny] que je suis entré en relation avec Durand-Ruel et ce jour-là j’eus la vie sauve. Voici comment :

En 70, réfugiés à Londres, nous fréquentions, Pissarro, Bonvin, moi et quelques autres, un café où les Français tenaient assises ; Daubigny s’y montrait parfois. Il apprit que nous étions des confrères, voulut voir notre peinture. Et le voilà qui s’exalte, s’emballe, jure de nous venir en aide à Pissarro et à moi. « Je vais vous envoyer le père Durand qui avait transporté sa boutique à Londres pour la durée de la guerre. Daubigny m’avait spécialement recommandé à lui. Nous ne fûmes pas longs à nous entendre… »

Marc Elder, À Giverny chez Claude Monet, Paris, 1925, p. 24-25.

L’inventaire après décès de Charles François Daubigny, dressé le 8 mars 1878, en sa maison du 53, boulevard Rochechouart, puis le 10 avril 1878, au domicile de Bernard Daubigny, 30, rue de La Rochefoucauld, et le 3 mai 1878 en l’atelier du 44, rue Notre-Dame-de-Lorette, n’enregistre aucune œuvre de Monet. Toutefois, les biens de sa maison du chemin des Vallées et de celle « en face la station du chemin de fer du Nord », à Auvers-sur-Oise, n’ont pas été inventoriés.

Madeleine Fidell-Beaufort, Janine Bailly-Herzberg, La Vie et l’œuvre de Daubigny, Paris, éditions Geoffroy-Dechaume, 1975, p. 267-273.
Théodore Duret, Histoire des peintres impressionnistes, Librairie Floury, Paris, 1906 ; réédition 1939, p. 72-73 :

« En 1873, Daubigny achetait lui-même à M. Durand-Ruel, pour la somme de quatre à cinq cents francs, une des vues de Hollande de Monet, Canal à Saardam. [La Zaan à Zaandam, W 172] […].

Daubigny mort, on annonce sa vente, en mai 1878. Je connaissais le Canal à Saardam, qui me paraissait une des belles choses que Monet eût peintes ; je me promis donc de pousser aux enchères et d’essayer de l’acquérir. La vente a eu lieu, aucune trace du tableau. Je supposai que les héritiers avaient voulu le garder, comme une œuvre qu’ils avaient su apprécier. Quinze jours après, un dimanche, visitant l’Hôtel Drouot, j’entre dans une salle où se trouvaient des ébauches informes, de vieilles toiles salies, avec, par terre, un amas de chevalets, palettes, pinceaux, en un mot tout l’attirail d’un atelier et là, seul et isolé, le Canal à Saardam de Claude Monet. J’en pensai tomber à la renverse. L’affiche ne portait aucun nom. J’allai aux renseignements et j’appris que j’avais devant moi le débarras de l’atelier de Daubigny, présenté anonymement, comme une chose à dissimuler. C’était là que les héritiers avaient mis le tableau de Monet, exclu de la vente régulière, qu’à leurs yeux il eût, sans doute, déshonoré. Il me fut adjugé aux enchères pour quatre-vingts francs. »

29 janvier

Lettre de Félicie Estruc, Paris, à Julie, datée « Paris le 29 Janvier Dimanche ».
Félicie Estruc informe sa sœur Julie Vellay que d’après un article de journal « les batteries prussiennes se sont chargé de détruire » sa maison à Louveciennes :

« Je vous ai écrit une foie dans laquel y avait mit un peti morceau de journalle pour vous renseigne au sujet de votre maison que les Battrie Prussienne se sont chargé de détruire. J’atten avec impatience le rétablissement des chemain de ferre pour tachée d’aller jusque chez vous voire sil y a encor quelque [mot illisible] l’une sur l’autre. Je vous écrirai aussitot que j’y seré aller. »

Pontoise, musée Pissarro.

9 février

Lettre de Manet, Paris, à Zola.
Il lui apprend que Bazille a été tué :

« Paris, 9 février 1871

Je suis bien aise d’avoir de vos nouvelles et de bonnes. Vous n’avez pas perdu votre temps. Nous avons bien souffert les derniers temps à Paris. J’apprends d’hier seulement la mort du pauvre Bazille. J’en suis navré — hélas, nous avons vu mourir bien du monde ici de toutes les façons. Votre maison a été habitée un moment par une famille de réfugiés. Le rez-de-chaussée seulement, on avait mis tous les meubles dans les pièces du haut. Je crois que vous n’avez pas de dégâts à déplorer. Je pars ces jours-ci pour retrouver ma femme et ma mère qui sont à Oloron dans les Basses-Pyrénées. J’ai hâte de les revoir. Je passerai par Bordeaux, j’irai peut-être vous voir. Je vous raconterai ce qu’on ne peut écrire. Mes amitiés à votre femme et à votre mère.

Tout à vous

Édouard Manet ».

Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 185-186.
Wilson-Bareau Juliet, Manet par lui-même, Paris, éditions Atlas, 1991, p. 65.

Bazille a été tué le 28 novembre 1870 à la bataille de Beaune-la-Rolande, ce que Manet a appris le 8 février.

Rouart Denis et Wildenstein Daniel, Edouard Manet. Catalogue raisonné, tome I, Lausanne et Paris, 1975, p. 17.

12 février

Lettre de Zola à Philippe Solari, Bordeaux, 12 février 1871
Il lui donne des nouvelles de leurs amis :

« Paul est dans le Midi. Roux et Valabrègue sont ici à Bordeaux avec moi. ― Bazille a été tué. Guillemet et Monet sont, je crois, en Angleterre. »

 Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, lettre n° 125, p. 277-278.

Monet est effectivement parti en Angleterre, mais Guillemet est probablement resté à Paris.

14 février

Lettre de Félicie Estruc, Paris, à sa sœur Julie Vellay, sur papier à en-tête, datée « Mardi le 14 Février », et, sur la même feuille, de son mari Louis Estruc à Camille Pissarro, inédite.
Louis Estruc, le beau-frère de Pissarro, lui donne des nouvelles de Paris, en particulier du peintre Édouard Béliard (Paris, 24 novembre 1832 – Étampes, 28 novembre 1912).

« Mon Cher Camille

Je me suis empressé de me rendre chez Meur et Mme Béliard pour leur faire bien des compliments. ils ont été très contents d’avoir de vos nouvelles ils se portent bien je n’ai pas vu Mr Béliard il n’était pas chez lui. Madame Béliard m’a chargé de vous faire bien des compliments ainsi que de la part de Mr Béliard. J’ai vu chez eux Madame Esquiros elle est désolé parce que Mr Esquiros se trouve à Marseille depuis le 5 7bre lendemain de la république elle est sans nouvelles depuis bien longtemps. Quelques journaux avait annoncé qu’il était blessé ; vous devez penser qu’elle est bien inquiète ; il a été nommé à l’assemblé nationale à Bordeaux ; il a été elu à Lyon et à Marseille. J’ai été chez madame votre mère [90, rue des Martyrs] je me suis informé auprès du concierge il n’y à rien de déranger ; tout est en ordre ; on a eu soin de dire que c’était une dame veuve seule qui habitait l’appartement de cette manière ont à mis personne dans l’appartement ; Mr Alfred Pissarro votre frère est parti de Paris et serait aller à Londres je ne sais si vous le savez [Pissarro l’avait appris par une lettre d’Amélie Isaacson du 23 septembre 1870], d’après ce que m’a dit le concierge. […] »

Pontoise, musée Pissarro.

Alphonse Esquiros (1812-1876) a été nommé administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône le 4 septembre 1870. Il a démissionné le 3 novembre à la suite de l’échec de la Commune de Marseille, puis a été élu, le 8 février 1871, à l’Assemblée nationale.

15 février

Lettre de Paul Alexis, Paris, à Émile Zola.
Paul Alexis lui demande des nouvelles de Cezanne :

« 15 Février.

[…] Avez-vous eu des nouvelles de Cezanne ? Qu’a-t-il donc fait de sa femme ? »

Bakker B. H., Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, lettre n° 1, p. 38.

15 février

Lettre d’Édouard Béliard, Étampes, à Zola, inédite.

« Mon cher Zola

J’ai été très heureux de recevoir votre lettre et d’apprendre que vous étiez en bonne santé ainsi que votre famille. La mort de ce pauvre Bazile [sic] était ignorée ici et c’est votre lettre à Manet, que je n’ai pas vu depuis quelque temps, qui l’a fait connaître au Guerbois.

Les artistes ont malheureusement payé trop largement leur tribut dans la guerre. Vous avez appris sans aucun doute la mort de Regnault et de ce malheureux Lambert […].

Pissarro dont la femme était enceinte a quitté Paris presqu’en même temps que vous pour aller faire ses couches ou du moins celles de sa femme en Bretagne. Déjà il s’est enfui en Angleterre pour retrouver sa mère. […]

La santé de tous nos amis communs est florissante je comprends vos inquiétudes : les horreurs du siège, le courage héroïque des défenseurs de Paris ; c’est peut-être en valeur comme un tableau à certaine distance mais de près on n’y voit rien.

Duranty à son journal, pensait-il, est réduit à la parution congrue par suite de la suppression abonnements en province. […]

Guillemet est très portant. Votre jardin était toujours à sa place quand je suis allé pour vous voir mais depuis je ne sais et il y a cinq mois de cela.

Je vous serre bien cordialement la main.
E. Béliard »

Collection particulière.

22 février

Lettre d’É.[Édouard] Béliard à Pissarro, en partie inédite.
Édouard Béliard donne de ses nouvelles à Pissarro, ainsi que de l’ensemble de leurs connaissances : « Cezane [sic] est dans le midi ».

« Paris 22 février 1871

Mon vieux Pissarro

Je n’ai pu vous répondre votre commissionnaire n’ayant en mon absence laissé ni votre adresse ni la sienne. Quant à votre première lettre les sergents de ville tiraient des coups de révolver dans ce temps la et je ne pensais guère à vous répondre.

Tous vos amis bien portants. Manet est parti dans le midi il y a quelques jours. Zola qui a travaillé dans un journal de Marseille [La Marseillaise] est allé ensuite à Bordeaux [le 11 décembre] comme secrétaire de Glais-Bizoin. Aujourd’hui rentré dans la vie privée, m’écrit-il, il reste à Bordeaux attendant les événements. Il me charge de ses amitiés pour vous. Guillemet va bien, Guillaumin aussi. Thompson n’a pas changé et Duranty est toujours le même. Cezane [sic] est dans le midi, Degayes [Degas] un peu fou, me dit Duranty. Pas vu : Fantin Ciselet [Sisley] Renouard [Renoir] depuis une éternité. Monet, je crois, est à Dieppe ou en Angleterre… Oudinot travaille à la mairie et moi je ne travaille pas du tout, pas de charbon ! Regnault Salomé est mort. Leroux, le bitume Breton, blessé, ainsi que Wébert et quelques autres peintres et sculpteurs.

Dans l’artillerie dont je faisais un des plus beaux ornements — artilleur à poil quoique sans cheveux, je n’ai pas vu le casque d’un Prussien. Je regrette beaucoup de ne pas être parti avec Monsieur Esquiros qui était assez bon pour m’emmener avec lui à la place de ce pauvre William. Son père est bien affligé quoi qu’il ne dise trop rien dans ses lettres, et sa mère qui est restée ici, désolée. Je vais peut être l’amener à Bordeaux demain.

Je n’ai aucun renseignement sur votre maison de Louveciennes. Vos couvertures, habits, souliers, linge, vous pouvez ― croyez-moi ― en faire votre deuil et vos études, étant généralement admirées, j’aime à croire qu’elles feront l’ornement des salons prussiens. Le voisinage de la forêt aura sans aucun doute sauvé vos meubles.

Daubigny vient de rentrer ― retour de Londres où il a gagné beaucoup d’argent. Vollon est à Bruxelles où il change en or ses casseroles de cuivre.

Ma femme va bien ainsi que sa fille et j’ai appris avec plaisir que madame votre mère et toute la famille était à Londres en bonne santé. ― Mon respect et mon amitié à tout le monde. J’estime que madame votre mère fera sagement de rester à Londres jusqu’à nouvel ordre. Il y a lieu de croire que la paix sera signée mais il peut surgir bien des complications et événements avant et après.

Je vous remercie beaucoup de votre obligeance à vous mettre à ma disposition mais pour le moment votre secours ne serait d’aucune utilité.

La pièce de cent sols ici est plus rare que le charbon qui est plus rare que le talent qui est etc.

Je vous serre cordialement la main.
E. Béliard

[écrit dans la marge] Le blé n’a pas été mangé ! »

Extrait cité par PV, tome I, p. 23 ; par Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 169-170
Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 6.

Premiers mois de l’année

À Londres, Pissarro et Monet visitent ensemble des musées, la National Gallery et le South Kensington Museum. Dans une lettre à Wynford Dewhurst du 6 novembre 1902, Pissarro écrira :

« Bien entendu, nous visitions ces musées. Les aquarelles et les peintures de Turner, les Constable, les Old Chrome [sic, John Crome, dit Old Crome], ont eu certainement de l’influence sur nous. Nous admirions Gainsborough, Lawrence, Reynolds, etc., mais nous étions plus frappés par les paysagistes, qui rentraient plus dans nos recherches du plein air, de la lumière et des effets fugitifs. Watts, Rossetti, nous ont fort intéressés parmi les modernes. »

Lettre de Pissarro, Éragny Bazincourt, à Wynford Dewhurst, 6 novembre 1902 ; Dewhurst Wynford, « Impressionist Painting : its Genesis and Development », The Studio, An Illustrated Magazine of Fine & Applied Art, volume II9, n° 124, Londres, 15 juillet 1903, p. 21 et 94.

26 février

Signature du traité de Versailles mettant fin à la guerre franco-prussienne.

2 mars

Lettre de Zola à Paul Alexis, Bordeaux, 2 mars 1871.
Zola répond à Paul Alexis :

« Je n’ai pas de nouvelles de Cezanne, il doit être dans quelque coin de la campagne d’Aix. »

Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, lettre n° 127, p. 282.

[10 mars]

Lettre de Félicie Estruc à sa sœur Julie Vellay, sur papier à en-tête « GALONS, TRESSES, GANSES, Tisons pour Boutons, BERNARD & CARÉ, Rue Michel-le-Comte, 16, PARIS, Manufacture, Rue des Gris, 1, St ETIENNE », datée « vendredi le 10 ».
Félicie Estruc, qui s’est rendue la veille à Louveciennes, informe sa sœur Julie Vellay que sa maison est dévastée. M. Ollivon, le voisin des Pissarro, a pu sauver une quarantaine de tableaux et un peu de mobilier.

« Vendredi le 10

Ma chers Julie

Nous avon resut ta lettre hière le 9 pendent que j’aitait a louvecien J’ai vu la maison et Mr Olivon qui sont de de retour depuis deux jours seulement car le chemain de fert ne marche que depuis hière le 9 Sait le premier train que j’ai pris il ne va que jusqua Ruel [Rueil] le Pont est enco dans la seine je suis aller depuis ruel le jusqua louvecienne a pied et tout le parcoure est dans un état pitoyable la route est inpraticable pour les voiture les maisons sont Brûlées les toiture Brisées vitre vollet porte escallier et parquet tout cela a disparut Je suis arivée a louveciennes Je ne reconnaissait pas la maison et apprès avoire tout visité je suis aller voire Mr Olivon qui ma rassurée un peut il a pue sauvée quelle que pestites choses dont tes deux lit un somier mais plus de matelat plus de lit plume ton armoire ta toilette le Bureau une 40 de tablaux le peti lit en Bois et les prussiens ont abité près de 4 mois dan la maison il ont tout cherche il n’ont pas trouvé la petite armoire qui était au premier sous l’escallier tout a été retrouvé par Mr Olivon. il me prie de vous dire que si vous pouvez revenire de suite tu pourrait petaitre retrouvé Bien des choses car il y a une maison où ont a mis tout les affair vollée ont été dépauser par ordre de l’autorité tu peut revenir en toute surté a Paris sait très calme il ni a pas démeute rien surtout la nouriture est redevenu se quel était avan la guerre cand à votre maison elle est inabitable il y a de la paille partout les cheveaux était au rez de chaussée et les soldat prussiens en haut le feu a pris au premier et a Bruller le parquet qui traverce en Bas et la cheminée. nous ne somme pas encor déménagé en ne [mot non lu] les propriétaire nous reston jusquaux 19 avrille Je cherche un logement Josephine est avec nous jusqua notre déménagement

Si tu veux revenire revien le plus teaux posible car nous enuyons Bien tous. Madame olivon mère était ches son fisse il ne lui reste plus rien non plus Olivon avait léssé du monde ches eux et rien na été toucher madame Boufard il on été ausi épargné Mr Belliard qui était a Bougivalle na plus rien non plus. […] »

Pontoise, musée Pissarro.

14 mars

Zola rentre de Bordeaux, en compagnie de sa femme et de sa mère, qui entre-temps l’avaient rejoint, pour regagner sa maison aux Batignolles, 14, rue La Condamine.

Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome II (1868 – mai 1877), p. 270.

16 mars

Lettre de Louis Retrou, instituteur, Asnières, à Pissarro, datée « Asnières le 16 mars 1871 » .
Louis Retrou, propriétaire de la maison des Pissarro à Louveciennes, leur écrit qu’elle sera nettoyée d’ici une quinzaine de jours, pour qu’ils puissent y revenir.

« Monsieur

J’ai le regret de vous annoncer que, comme beaucoup d’autres, votre mobilier et ma maison ont été bien éprouvés, l’ennemi s’y est logé même avec des chevaux pendant plusieurs mois ; de même chez maman Ollivon et M. Bouffard. On est en train de nettoyer et on s’occupe des principales réparations afin que vous puissiez y rentrer le plus tôt possible d’ici à quinze jours au plus.

Quelques-uns de vos meubles et différents objets ont été épargnés, ils sont chez M. E. Ollivon, il en a donné le détail à Mme votre sœur qui a dû vous l’écrire.

Tout le monde de votre voisinage est sain et sauf. Maman Ollivon s’installe tant bien que mal chez elle, en faisant nettoyer au fur et à mesure. Mr et Mme Bouffard en font autant, du reste en ce moment et dans toutes les maisons, chacun nettoye.

J’espère avoir bientôt le plaisir de vous voir sitôt votre retour, dites-moi le jour où vous irez à Louveciennes, je ferai en sorte de m’y trouver.

Veuillez agréer mes civilités sincères.

Bien à vous.
L. Retrou

Asnières le 16 mars 1871. »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 8 ; Pontoise, musée Pissarro.

18 mars

La population de Paris, qui a subi un siège très éprouvant, se soulève contre le gouvernement de Thiers. La Commune de Paris est proclamée.

[Fin mars]

Brouillon de lettre, de Pissarro, « Westow Hill Upper Norwood, at Canham’s Dairy », à Retrou, non daté.
Pissarro répond à Retrou qu’il compte revenir à Louveciennes aussitôt que les circonstances lui permettront, peut-être à la fin du mois :

« Vous me dites qu’une certaine quantité de mes affaires ont été sauvées par M. Ollivon ; d’après lui-même, cela n’a pas l’air d’être grand-chose, si j’en juge par mes tableaux ; il a pu en sauver une quarantaine et j’en avais de douze à quinze cents, tableaux, études, croquis, le travail de vingt ans de ma vie. […] Je n’ai plus qu’un lit qui est brisé, plus de matelas, ni sommier, pas de vaisselle, batterie de cuisine, etc., et tant de petites choses composant le ménage, mes albums, mes livres, l’outillage du métier de peintre, en fin de compte, je vois trois ou quatre gros meubles plus ou moins avariés de sauvés, c’est triste. »

Pontoise, musée Pissarro.
Bailly-Herzberg Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettre n° 12 p. 69.

27 mars

Lettre de Mme et M. Eugène Ollivon aux Pissarro, datée « Louveciennes ce 27 Mars 1871 ».
Les Ollivon transmettent à « Monsieur et Madame » Pissarro de nouvelles précisions sur l’état de leur maison et ce qu’ils ont pu sauver :

« Monsieur et Madame

[…] Vous nous demandez des renseignements sur votre maison, je vous assure que le mot est mal dit, il faut dire écurie, il y avait bien deux voitures de fumier chez vous. Dans la petite pièce à côté de la salle il y avait des chevaux, la cuisine et votre sellier était des bergeries et on tuait les moutons dans votre jardin, vous devez bien penser que les arbres et les fleurs ont en partie servit de pature, les grands arbres tels que cerisiers, poiriers, principalement l’espalier ne sont pas trop malades, il y a apparence de fruits, les pommiers sont mangés.

Les anciens locataires ont mis le feu chez vous dans la chambre il y a une poutre à remettre et des réparations à faire, on est en train de netoyer votre maison, mais enfin si vous arriviez avant qu’elle ne soit prête et que vous désiriez resté à Louveciennes nous vous donnerions bien un petit coup à la maison. Nous regrettons beaucoup que vous tardiez à revenir car vous auriez pour retrouver bien des choses vous appartenant qui n’y seront plus, c’est comme les matelats ; il y avait une ambulance ancienne, propriété Maman, quantité d’objets sont reconnus, ainsi que dans d’autres maisons je ne connais pas ce qui vous appartient, il n’y a pas moyen de réclamer. Je vous assure qu’il y a bien des personnes qui avant la guerre n’avait pas grand’choses et maintenant ils sont bien montés de tout. Nous avons des meubles à vous, tels que couchettes, acajou, celle en fer, l’armoire à glace, guéridon le marbre cassé, mais il n’en manque pas, table de nuit, table de toilette, un grand matelat et un petit, le sommier, et votre buffet, seulement lui il est malade il lui manque une porte, et un côté de l’étagère, sans lui les autres meubles ne sont pas abimés, il manque des volets, et il y a aussi des dégradations le jardin est affreux, aussi des moutons, ils tuaient toutes ces bêtes dans vos jardins, je vous assure qu’ils avaient laissé des paniers et tonneau de sang, qui ne sentait pas très bon, il a fallu faire enterer tout cela.

[…] J’oubliais de vous dire que nous avons des tableaux très bien conservés, seulement il y en a quelques-uns que ces messieurs, crainte de se salir les pieds, avaient mis par terre dans le jardin, ça leur servait de tapis, mon mari les a ramassés, ils sont aussi chez nous. »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 137-5.
Pontoise, musée Pissarro.

 

« Pour les historiens de Pissarro », Le Bulletin de la vie artistique, Paris Bernheim-Jeune, éditeurs d’art, 2e année, 1er avril 1921, n° 7, p. 205 :

« M. Jean Grave nous adresse la lettre suivante, dont les historiens de l’impressionnisme lui sauront gré.

Puisque vous publiez des anecdotes sur Pissarro, en voici une qui peut intéresser les lecteurs du Bulletin de la Vie artistique, car elle explique la rareté des œuvres de début de cet artiste. Elle me fut racontée par lui-même.
Pissarro habitait les environs de Paris (Ville-d’Avray [Louveciennes], je crois, mais mon souvenir est confus là-dessus) lorsqu’éclata la guerre de 1870-1871.
A l’approche des Allemands, Pissarro ferma sa maison et se réfugia à Paris.
Le siège levé, il retourna chez lui, mais pour constater qu’il avait été « nettoyé » de la plupart des objets que renfermait la maison, y compris, toutes les toiles qu’il avait laissées.
« Les Allemands avaient passé par là », lui expliquèrent les voisins apitoyés.
Mais Pissarro ne tarda pas à remarquer que pas mal de femmes du village se rendaient au lavoir munies de superbes tabliers de toile, faits d’un assemblage de morceaux de différentes grandeurs.
J’ai oublié comment il lui fut permis d’éclaircir le mystère en soulevant un coin… du tablier, mais le fait est que les dits tabliers portaient encore, à l’envers, la peinture de Pissarro. »

29 mars

Lettre de Louis Estruc, Paris, à Madame Pissarro, sur papier à en-tête « GALONS, TRESSES, GANSES, Tisons pour Boutons, BERNARD & CARÉ, Rue Michel-le-Comte, 16, PARIS, Manufacture, Rue des Gris, 1, St ETIENNE », datée.
Louis Estruc écrit à sa belle sœur « Madame Pissarro ». Il doute fort que les Pissarro puissent revenir habiter de sitôt leur maison à Louveciennes, étant donné son état.

« Paris le 20 Mars 1871

Madame Pissarro

[…]

Je doute fort que vous puissiez retourner à Louveciennes d’après ce que Félicie a dit dans le désordre qu’elle a trouvé la maison elle vous a dis que vous aviez pas mal de choses qui vous ont été volé par les prussiens ou des paysans de la localité ; se serai toujours bon une fois à Paris d’aller voir Mr Olivon qui a beaucoup de choses à vous. mais pour lhabiter tout de suite je ne crois pas que vous puissiez y aller de sitôt. Enfin sera un bien grand bonheur le jour de votre arrivée, car ils nous tardent bien de voir ainsi que Mr Pissarro et vos enfants que nous embrasserons avec bonheur Vous n’avez pas à vous inquiéter du logement ce sera avec le plus grand plaisir que je me met à votre disposition vous savez que vous n’avez pas à vous gêner avec nous. […] »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 8.
Pontoise, musée Pissarro.

2 avril

Début des affrontements entre la Commune, constituée par élection le 26 mars, et le gouvernement siégeant à Versailles.

10 mai

Retrou informe Pissarro que tous ses objets mobiliers ont été entreposés chez M. Eugène Ollivon. La maison a été remise en état. Retrou voudrait savoir ce que Pissarro souhaite pour le jardin. La saison étant avancée, que doit-on y planter ?

Lettre de Retrou à Pissarro, datée 10 mai 1871 ; collection privée.

Dans une autre lettre non datée, Retrou annonce à Pissarro qu’il a fait nettoyer la maison de Louveciennes et remis en état le jardin. Il lui indique un itinéraire depuis Paris où passent aisément les voitures chargées.

Lettre de Retrou à Pissarro, non datée ; collection privée.

27 mai

Lettre de Claude Monet, 1 Bath Place Kensington, à Pissarro, date ajoutée au crayon.
Monet informe Pissarro qu’il attend encore quelques jours avant de rentrer à Paris. C’est la première lettre connue de leur correspondance. Il fait allusion aux massacres commis par les Versaillais depuis le 21 mai. La Semaine sanglante durera jusqu’au 28 mai.

« Mon cher Pissarro,

Après l’état de choses actuel, découragement complet, et, ma foi, nous ne partons pas aujourd’hui.
Soyez donc assez aimable pour nous faire parvenir demain ou après les volumes en question. Si vous venez à Londres, nous y sommes encore tout au moins jusqu’à mardi [30 mai].
Vous avez appris sans doute la mort de ce pauvre Courbet [fausse nouvelle colportée par les journaux, qui ont confondu Courbet avec un sosie nommé Cournet] fusillé sans jugement. Quelle ignoble conduite que celle de Versailles, tout cela est affreux et rend malade. Je n’ai de cœur à rien. Tout cela est navrant.
A vous de cœur,

Claude Monet »

 Wildenstein Daniel, Monet, tome I, lettre n° 56, p. 427.

[Mai]

Pissarro et sa famille déménagent au 2 Chatham Terrace, Palace Road, toujours à Upper Norwood, Surrey.

Adresse donnée par une lettre de Pissarro à Duret, non datée, [mi-mai 1871], date d’après la lettre de Louis Estruc à Pissarro du 5 juin 1871.
Bailly-Herzberg Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettre n° 9, p. 63-65.

[Mi mai, avant le 30]

Lettre de Pissarro à Duret, non datée.
Pissarro répond à une lettre de Duret du 9 mai. Il l’informe qu’à Louveciennes « j’y ai tout perdu, il me reste une quarantaine de tableaux sur 15 cents ».

« 2, Chatham Terrace

Palace Road

Upper Norwood, Surrey

Mon cher M. Duret,

J’ai reçu avec grand plaisir votre bien aimable lettre, et certes je ne m’attendais pas à recevoir dans ce moment une lettre de recommandation. Je ne suis ici que pour bien peu de temps, je compte retourner en France aussitôt que possible, je vous en suis tout de même reconnaissant, et je me ferai un plaisir de présenter votre lettre à votre ami M. Berthet.

Oui, mon cher Duret, je ne resterai pas ici, et ce n’est qu’à l’étranger que l’on sent combien la France est belle, grande, hospitalière, quelle différence ici, on ne recueille que le mépris, l’indifférence, et même la grossièreté, parmi les confrères, la jalousie et la défiance la plus égoïste — ici, il n’y a point d’art, tout est affaire de commerce.

En fait d’affaires de vente je n’ai rien fait, excepté Durand-Ruel qui m’a acheté deux petits tableaux [Sydenham PDRS 188, et Norwood], ma peinture ne mord pas, mais pas du tout, cela me poursuit un peu partout.

Je vous prie de serrer les mains au père Martin de ma part, ainsi qu’à sa dame, qu’il me tarde que tout soit arrangé et que Paris recouvre sa suprématie.

Peut-être serai-je avant peu à Louveciennes — j’y ai tout perdu, il me reste une quarantaine de tableaux [d’après la lettre de Félicie Estruc du 10 mars] sur 15 cents — que diable ont-ils pu faire de tout cela ? des guerriers !

Votre bien dévoué
C. Pissarro.

N.B. — Donnez-moi des nouvelles de mon ami Béliard, car je ne reçois aucune nouvelle des amis et dans toutes ces affaires, on est dans l’anxiété à leur sujet [sans doute n’a-t-il toujours pas reçu une lettre de Béliard du 22 février]. Martin connaît Béliard, il pourra vous dire où le trouver. Excusez-moi pour la peine. »

Bailly-Herzberg Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettre n° 9 p. 63-65.

30 mai

Lettre de Théodore Duret, Paris, 20, rue Neuve des Capucines, à Pissarro, datée « 30 mai » [1871].
Théodore Duret, en réponse à Pissarro, lui exprime son désir de fuir quelques mois « l’horreur et l’épouvante » de Paris.

« Mon cher Pissarro

Je ne reçois votre lettre que ce matin. L’horreur et l’épouvante sont encore partout dans Paris. Rien de pareil ne s’était jamais vu, j’ai perdu moi-même un de mes intimes amis M. Chaudey, fusillé à Ste Pélagie par le procureur de la Commune.

Je n’ai plus qu’un désir, c’est de quitter, de fuir Paris quelques mois. Je vais aller à Londres et j’espère que vous y serez encore quand j’arriverai.

Je pense également que vous aurez vu M. Berthel.

Je désirerais beaucoup avoir un paysage anglais de vous. Voulez-vous bien me choisir et me réserver une ou deux toiles que vous aurez peintes pendant votre séjour en Angleterre. Mettez-moi de côté, quelle que soit la dimension grande ou petite, ce qui vous plaira le mieux et ce qui aura le plus d’originalité et de saveur sui generis. Vous savez que j’aime cela.

Paris est vide, et se videra encore. Monet, Degas, parmi vos amis, sont absents. De peintres et d’artistes, c’est à croire, à Paris, qu’il n’y en a jamais eu.

Bien à vous

Théodore Duret. »

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.8.

Maire adjoint du 9e arrondissement pendant la Commune, anéantie durant la Semaine sanglante (21-28 mai), Duret a échappé de justesse au peloton d’exécution.

Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, 2e édition, E. Dentu Editeur, Paris, 1896, p. 531 :

« les jours de M. Cernuschi ont été menacés dans la journée où les troupes s’emparèrent de la prison Sainte-Pélagie et du Jardin des Plantes [24 mai]. […]

M. Th. Duret, qui accompagnait M. Cernuschi, a fait à l’auteur [Lissagaray] la communication suivante :

« J’accompagnais M. Cernuschi le jour en question, et j’ai été conduit avec lui devant un peloton d’exécution et ce n’est qu’après une lutte corps à corps engagée par moi avec l’officier commandant le détachement qui nous escortait qu’on nous fit passer outre. Rencontrés alors par le lieutenant-colonel Pereira, nous dûmes à son intervention d’être immédiatement rendus à la liberté… » »

5 juin

Lettre de Pissarro à Duret, datée « 2 Chatham Terrace, Palace Road, Upper Norwood, Surrey, 5 juin 1871 ».

« J’ai eu le plaisir de recevoir votre lettre il y a deux ou trois jours, je suis particulièrement heureux de savoir que vous avez l’intention de venir en Angleterre, je serai enchanté de vous voir, d’avoir des nouvelles de Paris, si je suis encore ici, ce qui serait possible malgré tout le désir que j’ai de retourner dans ma maison de Louveciennes.

Je ne suis pas allé chez M. Berthel et depuis que j’ai appris votre décision de venir ici, j’ai pensé que ce serait mieux que vous me présentassiez à votre ami, ce serait un moyen de vaincre ma sauvagerie.

J’ai peu de tableaux, trois ou quatre tout au plus, s’il y en a parmi qui puissent vous convenir je serai content de vous les vendre. »

 Bailly-Herzberg Janine, Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, lettre n° 10 p. 66.

Berthel, comme beaucoup d’amis de Duret, est originaire de la région de Cognac et lié au négoce de vins, dont Duret lui-même tient sa fortune. Berthel est probablement la personne connue comme le premier propriétaire de Route de Upper Norwood, PDRS 192, daté 1871.

5 juin

Lettre de Louis Estruc, « 8 Rue des filles du Calvaire », à Camille Pissarro, sur papier à en-tête « GALONS, TRESSES, GANSES, Tisons pour Boutons, BERNARD & CARÉ, Rue Michel-le-Comte, 16, PARIS, Manufacture, Rue des Gris, 1, St ETIENNE », datée « Paris le 5 Juin 1871 ».

« Paris le 5 Juin 1871

Cher Camille

[…]
Je vous ai adressé une lettre à votre ancienne demeure sitôt que la poste a pu marcher vous avez dû la recevoir. […]
Je vais écrire à Mr Olivon pour savoir ce qui vous reste à Louveciennes en fait de literie et autres. »

Pontoise, musée Pissarro.

11 juin

Lettre de Mme Eugène Ollivon à M. Estruc, beau-frère de Pissarro, datée « Louveciennes ce 11 Juin 1871 », inédite.
Ollivon informe Pissarro, par l’intermédiaire de Louis Estruc, sur les affaires de celui-ci qu’il a pu récupérer.

« […] Vous nous demandez si vous pouvez venir habiter dans la maison de votre beau frère elle est prête, on est en train de finir de coller le papier.

Madame Estruc dois savoir ce que nous avons chez nous, une couchette en acajou avec un sommier, une autre en fer, un petit matelat d’enfant l’armoire, une table en chêne sans son tiroir le guéridon pas de chaises de la batterie de cuisine, une malle ou il y a du linge seulement nous ne savons pas ce qu’il y a dedans, différents objets que vous verrez voilà tous les renseignements que je puis vous donner
Si vous venez vous vous adresserez directement chez nous, pas à la bonne de ma belle mère, du reste je ne pense pas qu’elle y sera.
J’aurais bien écrit à Mr Pissarro, mais j’avais peur que ma lettre ne fasse comme la première qu’il ne la reçoive pas. Si vous leur écrivez vous voudrez bien avoir la bonté de leur souhaiter le bonjour pour nous, et de leur dire que nous attendons leur retour avec impatience.
Bien des choses de notre part à Mme Estruc.
Je vous salue

Mme Eugène Ollivon
Louveciennes ce 11 Juin 1871
P.S. il y a aussi couverture traversins, oreilliers, édredons. »

Pontoise, musée Pissarro.

14 juin

Camille Pissarro et Julie Vellay se marient à Croydon. Le certificat de mariage enregistre cette adresse : 2 Chatham Terrace. Premier témoin : Alexandre Prévost, peintre graveur ; second témoin : Charles Lecape, cordonnier. Ce choix des témoins donne à penser qu’aucun parent de Pissarro n’assiste au mariage.

Acte de mariage n° 29, District of Croydon, County of Surrey : Londres, General Register Office.

16 juin

Lettre de Théodore Duret, 8 Victoria Street, à Pissarro, datée « vendredi » et annotée d’une autre écriture « 16 juin 1871 ».
Duret, arrivé à Londres, complimente Pissarro pour son Effet de neige et les tableaux que lui a montrés Durand-Ruel. Il rendra visite à Pissarro le lendemain, accompagné de Berthel et de Hecht, « un amateur distingué de Paris ».

« Mon cher Pissarro

Je vous fais mes compliments de votre effet de neige de l’exposition ainsi que les tableaux que m’a montrés Durand-Ruel.

J’irai vous voir demain samedi, avec Mr Berthel que vous avez déjà vu et Mr Hecht un amateur distingué de Paris. J’espère que vous aurez quelque chose à nous montrer et que vous pourrez faire quelque petite affaire avec mes amis.

Soyez chez vous demain et attendez-nous de 2 heures de l’après-midi à 5 heures.

A vous

Théodore Duret ».

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.9.

17 juin

Lettre de Claude Monet à Pissarro.
Monet, parti à Zaandam, donne de ses nouvelles à Pissarro, qui n’a toujours pas réussi à lui vendre ses cadres.

« Zaandam ce 17 juin

Mon cher Pissarro,

Je vous demande pardon de ne pas avoir encore répondu à votre première lettre, mais je commence à être dans le feu du travail et n’ai guère le temps. J’ai reçu ce matin même votre seconde lettre et je vois que vous vous donnez bien du mal pour moi et pour n’arriver à rien ; je suis au regret de vous donner tant de mal ; aussi laissez là cette affaire, je verrai à demander ce service à Durand-Ruel qui pourra peut-être me caser ces maudits cadres.

Je vois que décidément vous allez quitter ce charmant pays. Où allez-vous, à Paris ou à Louveciennes ? J’espère que vous me l’écrirez.

Quant à nous, nous sommes ici très bien installés et nous resterons là l’été ; après, peut-être viendrai-je à Paris, pour le quart d’heure il faut travailler et je suis ici à merveille pour peindre, c’est tout ce que l’on peut trouver de plus amusant. Des maisons de toutes les couleurs, des moulins par centaines et des moulins ravissants, les Hollandais assez aimables et parlant presque tous le français. Avec tout cela un très beau temps, aussi ai-je déjà mis pas mal de toiles en train.

D’après votre lettre, je vois que vous n’êtes pas si bien partagé que moi et vous n’avez rien pu faire depuis mon départ, cela est bien regrettable, car c’eût été une bonne chose de remporter quelques paysages anglais ; enfin, vous allez encore retrouver de belles choses en France, il n’en manque pas non plus là.

Je viens de faire la rencontre de Lévy, le peintre qui doit passer quelque temps ici aussi [probablement Michel Lévy]. Je n’ai pas eu le temps de visiter les musées, je veux avant toute chose travailler et je m’offrirai cela après. Adieu, mon cher ami, bon voyage et bonne chance, et n’oubliez pas que vous me ferez bien plaisir en me donnant de vos nouvelles.

Tout à vous. Poignée de mains.

Claude Monet.

J’ai oublié, dans ma dernière, de vous dire qu’au moment de quitter Londres nous nous sommes aperçus que votre neveu avait mis dans le paquet de livres un volume d’Edgar Poe auquel vous tenez, je sais ; je l’ai laissé chez Mme Théobald, passez donc le prendre.

En hâte, tout à vous,
C. M.

Hôtel de Beurs, Zaandam près Amsterdam. »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 89.
Daniel Wildenstein, Claude Monet, I, lettre n° 59, p. 427.

19 juin

Lettre d’Alexis à Zola, datée « Lundi, probablement ! 11 h du matin, d’après ma montre !! Au rendez-vous des bains de mer ! L’Estaque » [lundi 19 juin 1871].
Paul Alexis écrit à Zola que le propriétaire de la maison louée par Cezanne à l’Estaque, André Giraud (1828-1880), dit lou gus (en provençal, le ventre) prétend que le couple a quitté l’Estaque pour Lyon, en attendant que « Paris ne fume plus » :

« Pas de Cezanne ! J’ai eu une longue conversation avec M. Giraud, dit lou gus. Les deux oiseaux se sont envolés… depuis un mois ! Le nid était vide, et fermé à clef. « Ils sont partis pour Lyon, m’a dit M. lou gus, attendre que Paris ne fume plus ! » Je m’étonne que depuis un mois, nous ne l’ayons pas vu à Paris. Je me plais à croire qu’au moment où vous décachèterez cette lettre, vous en saurez déjà plus long que moi, sur son compte.

J’en découvrirai peut-être plus encore à Aix, et dans ce cas, je vous l’écrirai aussitôt. »

Bakker B. H., Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, lettre n° 4, p. 43.

[Peu avant le 23 juin]

Pissarro et sa famille reviennent à Louveciennes.
Dans le Curriculum vitæ de son père, Ludovic Rodo Pissarro relèvera les adresses suivantes de Pissarro, dans des documents lui ayant appartenu :

« 23 juin Route de Versailles
près des Arcades, Louveciennes S.-et-O.
4 août maison Olivon [lettre de A. Lagier]
Route de Versailles
Louveciennes
5 août idem
6 août idem
23 septembre Maison Olivon
Louveciennes
14 novembre Route de Versailles
Louveciennes
10 décembre Maison Olivon
Louveciennes ».

Ludovic Rodo Pissarro, Curriculum vitæ ; inédit, Pontoise, musée Pissarro.

Pissarro ne revient donc pas dans la maison de Louis Retrou, route de Versailles, contrairement à l’intention qu’il exprimait dans une lettre à Retrou de la seconde moitié de mars. Il s’installe dans la maison voisine d’Eugène Ollivon, « petit gendre » de Retrou, actuel 24, route de Versailles. Mme Ollivon leur a écrit le 27 mars qu’ils possèdent à Louveciennes « deux maisons pas une n’a été habité par les Prussiens rien de cassé, notre jardin est superbe. […] nous n’avons pas eu de prussiens chez nous excepté des chevaux dans l’écurie ».

Renseignements communiqués par Jacques et Monique Laÿ.

30 juin

Lettre de Paul Alexis, Aix, à Émile Zola, vendredi soir [30 juin 1871].
À nouveau Paul Alexis demande à Zola où se trouve Cezanne : « Qu’est devenu Cezanne ? »

Bakker B. H., Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, 609 pages, lettre n° 5, p. 47.

30 juin

Lettre de Zola à Alexis.
Zola écrit à Alexis qu’il craint que sa dernière lettre, contenant « certains détails compromettants », soit réexpédiée au Jas de Bouffan. Il le prie d’y aller demander à la mère de Cezanne l’adresse de son fils. Le père de Cezanne ignore en effet la liaison de son fils avec Hortense Fiquet, tandis que sa mère, elle, est au courant.

« Ce que vous me racontez sur la fuite de Cezanne à Lyon est un conte à dormir debout. Notre ami a tout simplement voulu dépister le sieur Giraud. Il s’est caché à Marseille ou dans le creux de quelque vallon. Et il s’agit de me le retrouver au plus tôt, car je suis inquiet.

Imaginez-vous que je lui ai écrit le lendemain de votre départ. Ma lettre adressée à L’Estaque, doit être perdue, ce qui n’est pas une grande perte ; mais j’ai peur que par une suite imprévue de circonstances elle ne soit envoyée à Aix, où elle tomberait entre les mains du père. Or elle contient certains détails compromettants pour le fils. Vous suivez le raisonnement, n’est-ce pas ? Je voudrais Paul pour lui faire réclamer cette lettre.

Donc je compte sur vous pour la commission suivante. Un de ces matins, vous irez au Jas de Bouffan, où vous aurez l’air de venir chercher des nouvelles de Cezanne. Vous vous arrangerez de façon à parler un instant à la mère en particulier et vous lui demanderez l’adresse exacte de son fils pour moi. Si vous ne pouvez mener à bien cette intrigue diplomatique, vous iriez demander à Achille Emperaire, 2, rue Baulezan, et vous lui diriez que j’ai besoin de savoir où loge Cezanne. La démarche auprès de la mère est plus sûre, car il est possible qu’Emperaire se trouve dans la même ignorance que nous. »

Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, lettre n° 131, p. 288.

4 juillet

Lettre de Zola, Paris, à Cezanne.
Zola a reçu des nouvelles de Cezanne, à qui il donne à son tour de ses nouvelles.
Cezanne, qui n’a probablement pas quitté le Midi pendant les événements, est au Jas de Bouffan.

« 4 juillet 1871

Mon cher Paul,

Ta lettre m’a fait grand plaisir, car je commençais à être inquiet sur ton compte. Voilà quatre mois que nous n’avions eu de nouvelles l’un de l’autre. Vers le milieu du mois dernier, je t’ai écrit à l’Estaque. Puis j’ai appris que tu en étais parti et que ma lettre allait s’égarer. Je me trouvais fort en peine pour te retrouver, quand tu m’as tiré d’embarras.

Tu me demandes de mes nouvelles. Voici mon histoire en quelques mots. Je t’ai écrit, je crois, peu de temps avant mon départ de Bordeaux, en te promettant une lettre nouvelle, dès mon retour à Paris. Je suis arrivé à Paris le 14 mars. Quatre jours après, le 18 mars, l’insurrection éclatait, les services postaux étaient suspendus, je ne songeais plus à te donner signe de vie. Pendant deux mois j’ai vécu dans la fournaise : nuit et jour le canon, et vers la fin les obus sifflaient au-dessus de ma tête, dans mon jardin. Enfin, le 10 mai, comme j’étais menacé d’être arrêté à titre d’otage, j’ai pris la fuite, à l’aide d’un passeport prussien, et je suis allé à Bonnières passer les plus mauvais jours. Aujourd’hui, je me retrouve tranquillement aux Batignolles ; comme au sortir d’un mauvais rêve. Mon pavillon est le même, mon jardin n’a pas bougé : pas un meuble, pas une plante n’a souffert, et je puis croire que les deux sièges sont de vilaines farces inventées pour effrayer les enfants.

Ce qui rend plus fuyants pour moi ces mauvais souvenirs, c’est que je n’ai pas un instant cessé de travailler. Depuis que j’ai quitté Marseille, j’ai toujours gagné largement ma vie. À mes deux retours à Paris, je suis rentré avec plus d’argent que je n’en avais emporté. La Cloche et le Sémaphore, dont je suis correspondant, m’ont tour à tour nourri, et bien nourri. Je te dis cela pour que tu ne t’apitoies pas sur mon sort. Jamais je n’ai eu plus d’espérance ni plus d’envie de travailler. Paris renaît. C’est, comme je te l’ai souvent répété, notre règne qui arrive.

On imprime mon roman : La Fortune des Rougon. Tu ne saurais croire le plaisir que je ressens à en corriger les épreuves. C’est comme mon premier livre qui va paraître. Après toutes ces secousses, j’éprouve cette sensation de jeunesse qui me faisait attendre avec fièvre les feuilles des Contes à Ninon. J’ai bien un peu de chagrin en voyant que tous les imbéciles ne sont pas morts, mais je me console en pensant que pas un de nous n’a disparu. Nous pouvons reprendre la bataille.

Je suis un peu pressé, je t’écris à la hâte, uniquement pour te rassurer sur mon sort. Un autre jour je t’en conterai plus long. Mais toi, qui as toutes les longues journées devant toi, n’attends pas des mois entiers pour me répondre. Maintenant que tu sais que je suis aux Batignolles et que tes lettres ne s’égareront pas, écris-moi sans crainte. Donne-moi des détails. Je suis presque aussi seul que toi, et tes lettres m’aident beaucoup à vivre.

Nos compliments à ta famille. Nous te serrons cordialement la main.

Ton bien dévoué. »

Becker Colette, « La correspondance de Zola, 1871-1877 : dix-huit lettres nouvelles avec des documents complémentaires », Les Cahiers naturalistes, 30e année, 1984, n° 58, p. 171-190, lettre p. 186-187, comprenant des corrections par rapport à l’édition de 1980.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome II : 1868 – mai 1877, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1980, 644 pages, lettre n° 134, p. 293-294.

Juillet

Cezanne et sa compagne s’installent à Paris dans l’immeuble où habite son ami le sculpteur Philippe Solari, 5, rue de Chevreuse, où ils demeurent jusqu’à avant le 14 décembre.

Lettre inédite de Solari à Zola, 14 décembre 1871 ; Rewald John, Cezanne et Zola, Paris, éditions A. Sedrowski, 1936, 202 pages, p. 78.

25 juillet

Lettre inédite d’E. Béliard, Étampes, à Zola.

« Étampes, 25 juillet 71

Mon cher Zola

J’imagine que Panafieu [surnom de Paul Alexis] est à Aix et que vous le voyez quelquefois. C’est ce qui me fait vous écrire. Il est venu passer quelques jours à Etampes et a consulté sur sa maladie un vieux et brave médecin que je connais. En revenant de la consultation, Panafieu était un peu effrayé et j’avais supposé que le vieux docteur, assez perspicace, et voyant que son malade l’avait eu en faute, comme vous disiez au bœuf, l’avait effrayé à dessein mais je m’étais trompé, et il n’en est rien.

Je viens par hasard d’avoir une longue conversation avec le médecin qui fait peut-être des théories exagérées, comme l’a remarqué Panafieu, mais qui n’en a pas moins de quarante ans d’exercice et de pratique (ce qui est chose importante selon moi) – (D’autant plus que les médecins qui n’en font pas sont peut-être dans l’impuissance d’en faire et atteints de stérilité scientifique) […] Pour lui Panafieu a bien des chances de devenir poitrinaire. […]

Remarquez que Panafieu prend très soin de lui. Trop de soins peut-être, mais après des précautions minutieuses et même exagérées dans la journée, il restera le soir à se promener jusqu’à une heure du matin sous les arbres, dans la vallée, quand l’air est chargé d’humidité pour essuyer les dédains des bouchères et des cuisinières.

Il a déjà un peu peur. Il faut dans l’intérêt de la santé qu’il ait peur d’avantage. […]

Je pense que le séjour et le calme de l’Estaque vous sera très profitable et que vous reviendrez en hiver à Paris avec un nouveau chef d’œuvre. Je suis un peu triste et découragé. Je vous envoie à vous et aux vôtres nos amitiés et vous serre la main.

E. Béliard »

Collection particulière.

Le surnom Panafieu de Paul Alexis est une allusion à sa nouvelle « César Panafieu », qui paraîtra en 1890 dans son recueil L’Éducation amoureuse, datée « Novembre 1874 »).

Alexis Paul, L’Éducation amoureuse, César Panafieu, Joies d’enfant, Sur la butte, Produits du Midi, Stanislas Levillain, Le bonheur, Paris, G. Charpentier et Cie, 1890, 284 pages.

31 juillet

Lettre de Paul Alexis, Aix, à Émile Zola, lundi 31 juillet [1871].
Paul Alexis mentionne Cezanne, dans une lettre à Zola.

« Mes amitiés à Valabrègue et à Roux. Et à Cezanne. »

 Bakker B. H., Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto. University of Toronto Press, 1971, 608 pages, lettre n° 6, p. 50.

14 décembre

Lettre inédite de Solari à Zola.
Solari charge Zola de saluer Cezanne :

« bonjour à Paul Cezanne qui s’est éclipsé. J’ai entendu rouler les meubles dans l’escalier, mais je ne me suis pas montré de peur de troubler les déménageurs ».

Rewald John, Cezanne et Zola, Paris, éditions A. Sedrowski, 1936, 202 pages, p. 78.

Mi-décembre

Cezanne et sa compagne s’installent au 45, rue Jussieu (2e étage) à Paris, 5e arrondissement, en face de la Halle aux vins. Pendant son séjour, Cezanne peindra le tableau Paris : quai de Bercy — La Halle aux vins (R 179), qui représente la Halle aux vins en face de son appartement.

Acte de naissance de Paul Cezanne fils, Archives de Paris.

21 décembre

Lettre de Claude Monet, « Maison Aubry près l’hospice, Porte St-Denis à Argenteuil », à Pissarro.
Monet, venu habiter à Argenteuil, propose à Pissarro qu’il passe le voir dans son atelier parisien et lui rapporte les quelques toiles qu’il lui avait laissées en dépôt à Louveciennes.

« Comme vous avez pu le penser, nous serions déjà venus à Louveciennes vous dire un bonjour, si ce n’est ces derniers froids.

Depuis cela, nous sommes en plein coup de feu d’emménagement et, dès que nous serons tout à fait installés, nous irons vous voir.

Car voilà déjà bien longtemps que je suis de retour et nous nous sommes seulement entrevus. Du reste, si vous voulez être bien aimable, vous savez que mon atelier se trouve 8, rue d’Isly. A partir du lundi prochain [25 décembre], j’y serai régulièrement depuis 10 h. à 4. Venez-y donc passer un moment ; maintenant, si vous vouliez pousser l’amabilité jusqu’à faire un paquet de quelques [toiles] que vous avez à moi [laissées à Louveciennes], cela me ferait grand plaisir ; mais cela, je ne vous le demande que si ce ne vous dérange pas trop ; vous savez du reste que la rue d’Isly est à la porte de la gare St-Lazare. […]

Nous embrassons vos trois enfants, car j’ai appris que votre femme était heureusement accouchée d’un beau garçon [Georges] qui, je l’espère, se porte à merveille. […]

Maison Aubry près l’hospice, Porte St-Denis à Argenteuil. »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 91.
Daniel Wildenstein, Claude Monet, I, lettre n° 61, p. 428.