Année entière

Cezanne vit toute l’année à Auvers avec Hortense et leur fils Paul. De là, il se rend tous les jours à pied à Pontoise pour travailler aux côtés de Pissarro.

Lucien Pissarro, le fils aîné du peintre, relatera dans une lettre à son frère Paul-Émile ses souvenirs de ce temps-là :

« Il est vrai que je me souviens de cette époque, mais pense que je n’avais que 9 ou 10 ans [1872-1873], et les choses sont forcément un peu déformées par les enfants. Cezanne apparaît très clairement au milieu du vague de mes souvenirs. Son portrait peint par papa [PDRS 326] est très ressemblant — Il portait une casquette, ses cheveux étaient longs et noirs et il était chauve, sa barbe était longue et plutôt en désordre, il avait de gros et grands yeux noirs qui roulaient au moindre exitement. Il se promenait habituellement armé de sa pique en guise de canne, ce qui effrayait un peu les paysans, même à ce propos, voici une anecdote assez amusante.

C’était à Pontoise, jour de marché, et des conscrits parcouraient la ville en chantant — Cezanne dans un coin, appuyé sur sa pique, regardait en clignant de l’œil les valeurs curieuses que formait ce mélange de paysans et de citadins — Il devait avoir un air bien étrange, car un gendarme se détachant d’un groupe de notables, vint lui demander ses papiers, d’où le petit dialogue suivant :
Gendarme : Avez-vous vos papiers ?
Cezanne : Non
Gendarme : Où demeurez-vous ?
Cezanne : À Auvers
Gendarme : Mais je ne vous connais pas
Cezanne : Je le re-gret-te
et le gendarme ne sachant que faire s’en revint tout penaud vers le groupe de notables — Naturellement, il faut, pour bien se rendre compte de la scène, se figurer l’accent marseillais de Cezanne, sa finesse inattendue, chez un homme d’un pareil extérieur —

Je crois que le portrait a été peint vers 1874 — Cette date doit être assez exacte car il y avait sur le mur de l’atelier la caricature d’André Gill représentant la France couchée sur un lit et M. Thiers en docteur tenant dans ses mains un nouveau-né : le sac de milliards pour payer l’indemnité à l’Allemagne et en effet cette caricature [parue en couverture de L’Éclipse, Ve année, n° 197, 4 août 1872] se trouve dans le portrait sur le mur derrière Cezanne.

A cette époque Cezanne habitait donc Auvers et il faisait tous les jours les 3 Kil. à pied pour venir travailler avec papa — Il y avait des théories sans fin — Je me rappelle qu’un jour ils avaient fait venir de Paris des couteaux à palette spéciaux pour faire des études au couteau —

Plusieurs tableaux des deux peintres existent faits à cette époque les motifs et l’exécution sont forcément similaires puisqu’ils recherchaient les mêmes choses avec les mêmes instruments et les mêmes motifs. — À ce propos une anecdote assez amusante : Cezanne était assis sur l’herbe, sans doute attendant l’heure de son effet et papa peignait un peu plus loin, un paysan qui passait s’approcha de papa et lui dit : « il s’la foule pas vot’ouvrier ».

Toujours est-il qu’ils ne continuèrent pas longtemps la peinture au couteau ; et essayèrent la touche divisée c’est à ce moment, je crois, que Cezanne a commencé à peindre avec ses divisions verticales et que papa adoptant les pinceaux longs a peint en petites virgules minuscules. Dire lequel a influencé l’autre est impossible — Tout ce que je puis dire c’est que Cezanne a emprunté un tableau peint par papa en 1870 [PDRS 207] pour le copier [FWN63-R184], sans doute pour se rendre compte de certaines théories. — la copie de Cezanne existe encore elle est, je crois, dans la collection du Doct. Gachet — il est bon de dire cela, car on aura un de ces jours, l’idée de dire que c’est papa qui a copié le Cezanne.

Un peintre amateur de Pontoise [Édouard Béliard] venait souvent les voir et il y avait des discussions sans fin et je me souviens ce lambeau de phrase qui prend une grande signification aujourd’hui : Mais, Untel, nous ne peignons pas une figure, nous faisons des Accords ! »

Lettre de Lucien Pissarro à Paul-Émile Pissarro, non datée (1912) ; Oxford, Ashmolean Museum ; Thorold Anne, Artists, Writers, Politics, Camille Pissarro and his Friends, Ashmolean Museum Oxford, 1980, p. 13 ; Meadmore W. S., Lucien Pissarro, un cœur simple, Londres, 1962, p. 25-27.

 

Ch. Kunstler, Paulémile Pissarro, Éditions Girard & Bunino, Paris, 1928, p. 47 :

« À cette époque, parmi les toiles qui tapissaient la salle à manger d’Éragny, on en voyait plusieurs peintes au couteau, par Cezanne, vers 1874. En 1874, Cezanne vivait à Auvers, Pissarro à Pontoise. Les deux artistes se voyaient fréquemment. Tous deux s’étaient mis à peindre au couteau. Ils avaient fait faire des couteaux spéciaux, très longs, plats et souples, larges comme deux doigts, pour peindre par grandes masses. Mais Pissarro, peu satisfait de ce procédé, n’avait pas tardé à changer de technique et à revenir au pinceau. Bientôt, même il avait pris en dégoût les toiles qu’il avait peintes jadis au couteau, et, pour ne plus les voir, les avait reléguées dans le grenier de sa maison à Éragny. »

 

Laran Jean, Daubigny, collection « L’Art de notre temps », Paris, Librairie centrale des Beaux-arts, s. d. [1912], p. 15 ; cité par Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 188 et note n° 22 p. 195 :

« Un jour même, un ami le [Daubigny] rencontre débordant d’enthousiasme : « Mon cher, s’écrie-t-il, je viens de voir au bord de l’Oise une pochade extraordinaire. C’est d’un jeune, d’un inconnu : un certain Cezanne ! »

 

Moreau-Nélaton Étienne, Daubigny raconté par lui-même, Paris, Henri Laurens, éditeur, 1925, 150 pages, p. 111 :

« Il n’allait pas, que je sache, jusqu’à s’offrir un Cezanne. Mais l’occasion seule peut-être faisait défaut. Le paysagiste aixois avait jeté son dévolu sur Auvers, où il faisait ses premières armes ‘après nature. Il paraît qu’un jour, en vaguant à travers la campagne, Daubigny tombait sur le personnage, et l’étude qui arrêtait ses yeux avait le don de le captiver. Il trompettait sa rencontre, et le nom de Cezanne était célébré par lui comme celui d’un fameux luron. »

Contrairement à ce qu’avancent Théodore Duret, puis Gustave Coquiot et Tabarant, mais pas Paul Gachet, Vignon (1847-1909) n’était pas à Auvers dès cette année 1872 — il y séjournera souvent plus tard, entre 1877 et 1889 — pas plus que Cordey (1854-1911).

Les œuvres de Vignon peintes à Auvers et aux alentours, quand elles sont datées, le sont de 1881, 1882, 1883.

Duret Théodore, Histoire des peintres impressionnistes, 1939, p. 39-40. Coquiot Gustave, Cezanne, 1919, p. 60. Tabarant, « Les peintres de la campagne », le Bulletin de la vie artistique, 1er septembre 1921, p. 463. Victor Vignon 1847-1909 ; catalogue d’exposition, musée Tavet-Delacour, Pontoise, 25 mai – 15 septembre 2002, p. 7. Exposition de tableaux de Victor Vignon, préface de Roger Marx, galerie Bernheim Jeune, Paris, mars-avril 1894, 20 pages, 94 numéros.

À Auvers, Cezanne, Pissarro et Guillaumin pratiquent l’eau-forte dans l’atelier du docteur Gachet.

Gachet Paul, Deux amis des impressionnistes, le docteur Gachet et Murer, Paris, éditions des Musées nationaux, 1956, p. 53-55, 60.
Lettre de Pissarro à Gachet, [28 octobre 1873]. Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris. PUF, 1980, p. 32. lettre de Pissarro à Guillemet, 3 septembre 1872. Bailly-Herzberg, tome I, 1980, n° 25, p. 83.
Lettre de Lucien Pissarro à Paul-Émile Pissarro, [1912] ; catalogue d’exposition, Artists, Writers, Politics : Camille Pissarro and his Friends, 1980-1981, n° 13.

 

Delteil Loÿs, « Camille Pissarro », Le Peintre-graveur illustré (xixe et xxe siècles). Camille Pissarro, Alfred Sisley, Auguste Renoir, tome I7e, Paris, chez l’auteur, 1923, n. p. :

« En 1873 et en 1874, Camille Pissarro qui habitait alors Pontoise, fit la connaissance de Cezanne et de Guillaumin, hôtes assidus d’un amateur des arts, le Dr Paul Gachet — alias Van Ryssel — graveur à ses heures perdues et demeurant à Auvers-sur-Oise. De Paul Cezanne, Pissarro grava le beau portrait, désigné sous le n° 13 de notre catalogue, et qu’il fit très probablement mordre chez le D’ Gachet, avec quelques vues de Pontoise du même temps, dont les cuivres ont été retrouvés chez son fils [le fils Gachet]. Ajoutons que l’aqua-tinte [sic] n’intervient pas encore dans ces quelques nouvelles eaux-fortes.

À la même époque, Camille Pissarro s’intéressa au papier à report sur pierre lithographique et exécuta par ce procédé une douzaine de pièces, parmi lesquelles le Portrait de son fils Lucien, dessinant, les Femmes portant des foins sur une civière et la Femme et enfant dans les champs. »

 

P. Gachet, Cezanne à Auvers, Cezanne graveur, Paris, Les Beaux-arts, Éditions d’Études et de Documents, 1953, n. p. :

« Celui-ci [le Dr Gachet], dès qu’il eut acheté sa maison d’Auvers, sentit la possibilité de réaliser son rêve : faire de l’eau-forte. Dare-dare (selon sa propre expression), il s’entoura des matériaux indispensables : cuivre, zinc, vernis, etc., et eut bientôt une presse à Paris et une à Auvers. Mais, en 1873, on n’imprimait pas encore à Auvers et Guillaumin écrit : « J’ai trouvé pour faire tirer les épreuves un garçon très complaisant et qui travaille bien ; à l’occasion, je vous le recommande, Legay, 1, rue des Grands-Degrés. »
Guillaumin vint plusieurs fois à Auvers, entremêlant souvent pochades et morsures. […]
Naturellement, il [Pissarro] venait à Auvers et fit partie avec Guillaumin et Van Ryssel du trio au milieu duquel tomba Cezanne. Ce dernier, tenté par l’exemple et énergiquement incité par ses amis, fut amené à s’exécuter, ce qui transforma le trio en curieux quatuor.
Van Ryssel venait précisément de graver l’Estaque, le beau dessin au crayon noir que lui avait apporté Cezanne.
Parmi les toiles de Guillaumin que Gachet possédait déjà, se voyait une Vue de la Seine, peinte en septembre 1871, représentant des péniches amarrées à la berge, du côté de Bercy, avec un pont dans le lointain [Armand Guillaumin, Péniches sur la Seine à Bercy, signé et daté 1871, musée d’Orsay, inv. RF 1954-11, don de Paul Gachet en 1954].
La gravure de ce tableau fut la première eau-forte de Cezanne [MM 1]. Ayant dessiné directement, le motif est inversé ; tout d’abord tracé d’une pointe fine, il est accentué de traits épais qui semblent griffonnés au crayon, ce qui a fait craquer le vernis : on croirait la planche usée par place, assurément pas du fait d’un tirage intensif.
Le pont, brumeux dans la peinture, est précisé et plus haut que dans l’original, enfin, en bas, à droite, on lit l’inscription renversée : d’après Armand Guillaumin pictor[…]
C’est une œuvre importante à tous points de vue : moralement, comme témoignage de camaraderie avec Guillaumin, matériellement, en qualité de premier essai gravé, enfin, par son intérêt intrinsèque et ses dimensions : c’est à ma connaissance la plus grande, elle mesure 207 millimètres de haut sur 270.
Malheureusement, l’épreuve de la collection Gachet semble unique : je n’en connais pas d’autre et personne ne l’a signalée.
Une planche plus petite, d’un graphisme plus souple, évoque également la période d’Auvers et l’amitié de Cezanne pour Guillaumin, c’est ce singulier portrait connu sous le nom de Guillaumin au Pendu [MM 2][…]
En haut, à gauche, un pendu, les bras écartés, se balance à une potence, indiquant clairement l’auteur de la Maison du Pendu [FWN81-R202], mais c’est la seule fois qu’on rencontre ce signe sur une eau-forte de Cezanne. […]
Une seule estampe de Cezanne a figuré à l’Orangerie en 1936, une épreuve sanguine de Guillaumin au Pendu. Il s’agit presque certainement d’un retirage : à notre connaissance, aucune épreuve de cette planche n’a été imprimée en rouge lors du premier tirage, et l’épreuve exposée porte les traces de piqures qui n’existent pas toutes dans les épreuves de 1873, lesquelles sont généralement imprimées, à l’exception de la Vue dansun jardin à Bicêtre, sur un papier uni très ordinaire, le même que celui des estampes contemporaines de Pissarro : Péniche sur l’Oise, au Pothuis [MM 9] ; l’Usine à Châlon[MM 10] ; Dans la plaine d’Auvers [MM 7] ; la Bouillie[MM 12], planches qui datent de 1873-74, et portent la « fleurette ».
Un peu plus petite encore, d’allure bien différente est une Vue dans un jardin à Bicêtre [MM 3], mieux écrite et tracée comme si notre graveur était déjà en possession du métier. […]
A côté de cette planche, il est intéressant de placer Une Rue à Bicêtre, mordue par Van Ryssel ; le croquis en fut fait par le docteur lors d’une randonnée dans la vallée de la Bièvre, en compagnie de Guillaumin et de Cezanne, au début de 1873. Les deux compères, le peintre et le médecin, étaient l’un à côté de l’autre : le mur qui s’élève tout de suite après le premier plan, dans le motif du docteur, n’est que la continuation de celui qui barre la planche de Cezanne.
La ressemblance apparaît frappante mais non exceptionnelle, car, au point de vue facture, les estampes de Cezanne s’apparentent bien plus avec celles du médecin-graveur qu’avec la plupart de celles de Guillaumin, et de Pissarro ; […]
La plus connue des estampes de Cezanne est la Tête de jeune fille [MM 4], d’après le modèle qui a posé pour l’admirable dessin à la mine de plomb [?].
Il reste encore une eau-forte à mentionner : un coin d’Auvers, fait en juillet 1873, Paysage[MM 5] très simple, un hangar, un appentis couvert de chaume, dans une cour de ferme.
Ainsi voilà cinq eaux-fortes de Cezanne et non trois comme affirme Coquiot (Cezanne, par Gustave Coquiot, Paris, Ollendorff, p. 62). »

L’authenticité des cinq eaux-fortes, de peu d’intérêt, paraît douteuse, même si l’une d’elle est signée dans le cuivre.
Un croquis à la mine de plomb représente Cezanne gravant auprès du docteur Gachet, ou La Morsure, sans signature ni date, don Paul Gachet au musée du Louvre, 1951, RF 29925 [C0292]. À en croire Paul Gachet, Cezanne se serait représenté lui même en train de graver, à côté du docteur qui surveille l’opération. Il est difficile d’admettre que Cezanne soit en même temps l’auteur et le modèle du dessin.

Andersen Wayne, Cezanne’s Portrait Drawings, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, Londres, 1970, 247 pages, 265 numéros, n° 28 p. 70.

« It is difficult to accept that this drawing is both of and by Cezanne. Certainly the man at the left — although only the lower half of his face is shown below the hat brim — looks like Cezanne, and the man at the right, like Dr. Gachet (compare it with No. 223), but it seems unlikely, if not impossible, that Cezanne would have executed this spontaneous drawing as if he were an onlooker rather than the subject. Although it does suggest Cezanne’s style — when compared with the other drawings of Dr. Gachet, examination of the details reveals major dissimilarities. Even in his poorest drawings Cezanne is not schematic and could not be responsible for the mechanical repetition of the short, paired lines that occur four times on the left figure (midway in each sleeve, at the coat button, and at the left shoulder) and twice on the right figure (on the sleeve and at the collar). The pattern of these and other short lines across the figure of Dr. Gachet and the blending of both figures into the table are without parallel in Cezanne’s drawings of the early seventies. »

Traduction :

« Il est difficile d’admettre que ce dessin soit à la fois de Cezanne et par lui. Certes, l’homme à gauche — bien que seule la moitié inférieure de son visage soit visible sous les bords du chapeau — ressemble à Cezanne, et l’homme à droite, au docteur Gachet (comparer avec n° 223), mais il semble peu probable, voire impossible, que Cezanne ait exécuté ce dessin spontané comme s’il était spectateur plutôt qu’objet. Bien qu’il rappelle le style de Cezanne — en comparaison avec les autres dessins du docteur Gachet, l’examen des détails révèle d’importantes différences. Même dans ses dessins les plus pauvres, Cezanne n’a jamais été aussi schématique et ne peut pas être responsable de la répétition mécanique de traits courts qui apparaissent quatre fois sur la figure de gauche (à la moitié de chaque manche, au bouton du manteau, et à l’épaule gauche) et deux fois sur la figure de droite (sur la manche et au col). Ces traits et aussi d’autres à travers la figure du docteur Gachet ainsi que la combinaison des deux figures au-dessus de la table sont sans équivalent dans les dessins de Cezanne du début des années soixante-dix. »

Dans le catalogue des Cezanne de la collection Gachet, Paul Gachet inscrit, à propos de ce croquis :

« N° 40 La morsure Dessin, mine de plomb […]

La scène se passe non à l’atelier mais dans la cour. Sur une table, la cuvette en porcelaine, la fiole à acide, la cruche à eau. Cezanne, le chapeau sur les yeux, active au pinceau la morsure. A sa gauche, son ami Gachet – avec son immuable casquette et la pipe à la bouche – s’apprête à intervenir avec le broc à eau pour arrêter le travail de l’acide. »

Gachet Paul, Collection du Docteur Gachet, II Cezanne, peintures, aquarelle, pastels, dessins, album non publié, illustré de 46 reproductions, Auvers-sur-Oise, 1928 ; Paris, Wildenstein Institute.

Les cinq eaux-fortes, de même que le croquis, n’ont été connues que tardivement, provenant exclusivement des Gachet, le docteur et son fils Paul. Rien d’autre que leurs dires ne justifie une attribution à Cezanne.

La numérotation et les titres donnés par le fils sont :

– n° 1, Péniches sur la Seine à Bercy, épreuve semble-t-il unique, qui n’a été révélée qu’en 1952 par Paul Gachet dans sa brochure Cezanne à Auvers. Cezanne graveur ;
– n° 2, Guillaumin au pendu, qui a été tiré à 1 000 exemplaires pour le frontispice du livre de Théodore Duret Histoire des peintres impressionnistes, paru en octobre 1906 (le mois du décès de Cezanne) ;
– n° 3, Vue dans un jardin (Bicêtre), épreuve semble-t-il unique, qui n’a été révélée qu’en 1952 par Paul Gachet dans sa brochure Cezanne à Auvers, Cezanne graveur ;
– n° 4, Tête de jeune fille, signé et daté dans le cuivre « P. Cezanne 73 », qui a été tiré à 1 000 exemplaires pour le frontispice du livre de Vollard Paul Cezanne, de 1914 ;
– n° 5, Entrée de ferme, rue Rémy, qui a été tiré à 600 exemplaires pour le frontispice du livre Cezanne édité par Bernheim-Jeune en 1914.

Gachet Paul, Cezanne à Auvers, Cezanne graveur, Les Beaux Arts, éditions d’études et de documents, Paris, 1952, n. p.
Vollard Ambroise, Paul Cezanne, avec eau-forte « Tête de femme » en frontispice, Paris, Galerie Ambroise Vollard, 6, rue Laffitte, 1914, 187 pages.
Mirbeau Octave, Duret Théodore, Werth Léon, Jourdain Frantz, Cezanne, avec « Eau-forte originale de Cezanne » en frontispice, Paris, Bernheim-Jeune, éditeurs, 1914, 75 pages, 59 planches.

Cezanne n’a sans doute jamais vu de tirage de ces eaux-fortes, puisque le docteur Gachet ne possédait pas encore de presse quand le peintre résidait à Auvers, et le livre de Duret n’a paru que le mois de son décès.

P. Gachet, Cezanne à Auvers, Cezanne graveur, Paris, Les Beaux-arts, Éditions d’Études et de Documents, 1953 (ou 1952 ? à vérifier), n. p. :

« Mais, en 1873, on n’imprimait pas encore à Auvers et Guillaumin écrit [au docteur Gachet le 6 septembre 1873] :
« J’ai trouvé pour faire tirer les épreuves un garçon très complaisant et qui travaille bien ; à l’occasion, je vous le recommande, Legay, 1, rue des Grands-Degrés. » »

L’inventaire après décès de Mme Gachet, femme du docteur, dressé le 13 novembre 1875, ne mentionne aucune presse. Il répertorie, dans la « Maison de campagne d’Auvers-sur-Oise, prisée du mobilier », seulement quatre gravures, sans précision d’attribution : « Dans une chambre à coucher / 26 Quatre gravures encadrées et cinq toiles peintes prisées vingt francs ».

Inventaire après décès de Mme Gachet, dressé par Me H. Megret, notaire à Paris, 13 novembre 1875 ; référence AN Mc ET XXXI/1105 .
« Extrait de l’inventaire après décès de Mme Gachet », Un ami de Cezanne et de van Gogh : le docteur Gachet, catalogue d’exposition, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 28 janvier – 26 avril 1999, New York, The Metropolitan Museum of Art, 17 mai – 15 août 1999, Amsterdam, Van Gogh Museum, 24 septembre – 5 décembre 1999, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1999. 304 pages, p. 284-285.

Chez Gachet, Cezanne peint des natures mortes, notamment : FWN718-R214, FWN221-R223, FWN720-R226, FWN719-R227, FWN735-TA-R318.

Gachet Paul, Deux Amis des impressionnistesle docteur Gachet et Murer, Paris, éditions des Musées nationaux, 1956, 233 pages, p. 55-61 :

« Pissarro est fixé à Pontoise, Guillaumin vient avec Cezanne et ce dernier reste à Auvers.
C’est lui qui trouve la solution quant à l’atelier « Le petit atelier inviolable » (toujours selon Coquiot).
Sur son conseil, le grand châssis qu’on voit sur le versant sud du toit dans la Maison du Dr Gachet, du Musée de Bâle, est déplacé et posé au nord. Le « grenier » s’éclaire alors d’une bonne lumière et Cezanne, qui n’en a pas où il habite, y vient parfois travailler.
Guillaumin barbouille de suite deux pochades dans la cour, mais brosse à l’atelier une magnifique Nature-morte 2 qu’on accroche à côté de quelques toiles plus anciennes, déjà pendues.

2Nature morte (fleurs, faïence, livres, etc.). Signée et datée : 7.72. Donné au Louvre (6 avril 1954).

C’est parmi celles-ci que Cezanne choisit le motif de sa première eau-forte : Péniches sur la Seine à Bercy, d’après Armand Guillaumin pictor.
Les cinq eaux-fortes de Cezanne constituent, dans son œuvre considérable, un bien maigre butin, mais elles soulignent curieusement sa période d’Auvers.
Dues à l’influence de Pissarro, Guillaumin et Van Ryssel, elles sont nées d’une facilité matérielle d’exécution rencontrée chez Gachet qui lui met le cuivre en mains, comme il le met, plus tard, à Vincent.
Pour Cezanne, l’estampe reste cependant un à côté analogue au pastel. De ceux-ci, nous connaissons quatre spécimens, dont trois datent également d’Auvers.

2Nature-morte (fleurs, faïence, livres… etc.) Signée et datée : 7-72. Donné au Louvre. (6 avril 1954.)

Et c’est encore le Docteur qui donne à Cezanne la « baladeuse » — modèle réduit, ne contenant que les tonalités essentielles pour les « notations » rapides de certaines colorations fugitives que Cezanne déplore de ne pouvoir fixer. Van Ryssel tient d’Amand Gautier ce procédé expéditif et Cezanne a, en outre, l’exemple de Guillaumin qui — à l’époque — pousse bien souvent la « notation » jusqu’à l’état définitif.
Mais Cezanne n’est pas venu à Auvers pour faire des eaux-fortes ou des pastels : il vient étudier le plein air pour éclaircir sa palette, le travail à l’atelier ou à l’intérieur le ramenant presque toujours au noir : témoins ces merveilleuses natures mortes, Les Accessoires de Cezanne et Bouquet au Dahlia jaune.
Les fleurs naturelles 3 qu’il affectionne pour leur coloration lui indiquent la voie à suivre : le Bouquet de Dahlias, Bouquet dans un vase de Delft et les autres de même série s’éclaircissent de plus en plus, de même que les trois Maison du Dr Gachet et le Panorama (Auvers) 2.

3 Il est certain qu’à Auvers Cezanne n’eut jamais recours aux fleurs artificielles dont parle Vollard.

Les fleurs peintes chez le Docteur constituent des œuvres audacieuses, d’une technique solide, complète et — chose extraordinaire — presque enlevées du coup.
Après le Bouquet de Dahlias (au grand Delft) aujourd’hui au Louvre (Collection Camondo), Gachet suggère — pour compenser les lenteurs du métier de Cezanne — de prendre des toiles de plus petit format, d’où les trois Bouquets (au petit Delft).

2Panorama (Auvers), n° 4 P. G. — 150 Venturi. Aujourd’hui à l’Institut of Art de Chicago.

D’ailleurs, à part le contraste manifeste des saisons, Cezanne ne traduit guère les effets de lumière qui modifient si foncièrement — en plein air — les colorations dues à l’éclaircissement proprement dit.
D’après une note du Dr Gachet, il pratique cependant une méthode dont — à part un éclaircissement général — nous n’apercevons nulle part le résultat sensible. Gachet écrit :
« Au motif, qu’il menait deux fois par jour : celui du matin, celui du soir ; par temps gris, par temps clair ; il lui arrivait fréquemment de s’acharner, sur un tableau et de le mener d’une saison à l’autre, d’une année à l’autre, de telle sorte qu’un printemps 1873 devenait à la longue un effet de neige 1874. »
Il y a pire… mais Gachet ne l’écrit pas : c’est qu’à l’atelier, plus d’une fois, il sauta sur la toile au moment où l’artiste était sur le point de tout racler.
Ajoutons enfin que les premiers « violateurs » de l’atelier Gachet furent Guillaumin et Cezanne, et le fameux petit atelier — n’en déplaise à l’ami Coquiot — reçut encore la visite de Gautier, de Pissarro et, plus tard, celle de Vincent qui tira lui-même quelques épreuves de l’Homme à la Pipe, car l’atelier de peinture logeait aussi la presse, les papiers et matériaux de l’imprimeur taille-doucier : on y confectionnait même parfois l’encre grasse et le broyage à la molette, des couleurs chimiquement pures : une marotte de P. Van Ryssel, peintre !
Pendant la saison où Cezanne fut son voisin, le Docteur lui avait dit : « Venez travailler à la maison quand vous voudrez. »
Quelques belles natures mortes témoignent — tout particulièrement — qu’il en usa, et, peu après, il aurait pu signer cette déclaration écrite par Vincent dix-sept ans plus tard, à propos des nombreux bibelots dont l’intérieur est garni : « Mais dans tout cela il y a ceci de bon que pour arranger des fleurs ou des natures-mortes, il y aurait toujours de quoi. »
Au temps de Cezanne, par les soins de Madame Gachet, les fleurs sont toutes arrangées dans les vases ; des natures-mortes posent en permanence avec des fruits sur des assiettes anciennes, des pots ou des cruches de grès sur des fonds d’étoffes et de vieilles tapisseries.
Parfois, après une laborieuse séance dans le village, Cezanne vient le soir, se reposer ; il aime — alors — que Madame Gachet se mette au piano ; ou bien, il confie à l’ami Gachet ses inquiétudes, expose les questions qui l’occupent : projets, espérances, soucis, technique, actualités ; telle est le plus souvent la nature des discussions prétendues philosophiques, qu’au demeurant le Cezanne de 1872-1873 — le révolté — ne craint guère.

Le Bon Bock, alors d’actualité bruyante, amène, un jour, la conversation sur Manet — un tout nouvel ami du Docteur.
Du « joyeux buveur » on remonte jusqu’à l’Olympia — lachair et le sang du peintre 1. La franche admiration de Gachet pique l’amour-propre de Cezanne qui riposte assez vivement que l’invention d’une Olympia, même rénovée, n’est pour lui qu’une bagatelle.

1Édouard Manet, par E. Zola. Dentu. Paris, 1867.

Il veut le prouver.
Et, sur une toile de 10, apparaît presque immédiatement Une moderne Olympia, exceptionnellement enlevée du coup, éblouissante de fraîcheur en dépit d’une période souvent sombre, enfin une « esquisse merveilleuse » sur laquelle Gachet met de suite l’embargo, tant il craint de voir Cezanne l’anéantir en voulant la pousser.
Il lui suggère d’en faire un duplicata et lui donne la toile vierge pour la copie : elle n’est pas exécutée.
Cezanne a — peut-être — déjà à son actif Le Pacha, appelé, à tort, « Une moderne Olympia » ? Il existe encore une toile avec un motif analogue : Le petit Déjeuner. Aurait-il repris un thème ancien, modifié par quelques variantes pour sa nouvelle création ?
Quoi qu’il en soit, celle qui nous occupe est la véritable, c’est le N° 43 du Catalogue de l’Exposition de 1874 1.

1 Catalogue de la Collection du Dr Gachet, Cezanne. 25 P. G. (non publié).

C’est au Louvre que s’affrontent aujourd’hui les deux Olympia, celle de Manet et celle de Cezanne ; la première prenant place après la Vénus couchée, du Titien, l’Odalisque de M. Ingres, la Maja desnuda pour arriver à celle de Cezanne : la Moderne !
Celle-ci fut prêtée par le Dr Gachet pour figurer à l’Exposition chez Nadar en même temps que le Soleil couchant à Ivry par Guillaumin — qui l’accompagne donc — sans interruption — depuis bientôt quatre-vingts ans —, union symbolisant la bonne camaraderie des deux artistes et que nous avons voulu sans divorce, en les donnant à l’État.
Tandis qu’Une Moderne Olympia figurait boulevard des Capucines, Gachet recevait de Louis Latouche la lettre suivante :

« Paris, 26 avril 1874.

Cher Docteur.

Étant obligé de rester à Paris Mardi, pour affaire et, de plus, Mercredi ouverture du Salon —pour le Vernissage des Tableaux, je ne puis partir comme il avait été convenu. Je remets ce plaisir à une autre fois et vous prie d’agréer mes remerciements.
Je vous serre la main.

Latouche.

P. S. — Aujourd’hui dimanche je suis de service à notre Exposition. Je garde votre Cezanne. Je ne réponds pas de son existence, je crains bien qu’il ne vous retourne crevé. »

[…] Rappelons que le séjour de Cezanne à Auvers — avec femme et enfant — fut assez dur, surtout au début.
L’atelier, alors rudimentaire, du Docteur lui offrait bien du matériel et quelques couleurs ; outre les toiles sérieuses Gachet lui prit encore quelques pochades, des bouts de toile, d’infâmes cartons, et des croquetons absolument invendables.
Hortense paraissait peu, « Bon-nes tri-pes » — (le P’tit Paul) —, sur le conseil du Docteur, était alimenté de Farine lactée 1, et, son père, négligé, devenait de plus en plus miteux.

1 Gachet avait dit à Cezanne que pour les jeunes enfants il n’était que de les élever à la campagne, ce qui l’avait lui-même déterminé à venir à Auvers.

C’est, d’ailleurs, ce qu’il devait conseiller quelques années plus tard à Théodore Van Gogh.
Une lettre de Cezanne écrite de Pontoise en décembre 1872, recommande à Pissarro de rapporter de Paris « de la farine pour le petit Georges » (G. Pissarro-Manzana) ; il s’agit de farine lactée Nestlé, que le Docteur, qui l’avait expérimentée, recommandait comme nourriture artificielle ou supplétive des enfants en bas âge.
Henri Nestlé, chimiste à Vevey, l’inventeur du produit, ainsi que sa femme Clémentine étaient de bons et dévoués amis du Docteur.
Certain soir qu’il revenait à pied de Pontoise, les gendarmes l’accostent, s’informent de sa personne : naturellement il n’a aucun papier ; il se recommande de Pissarro — que les Pandores ne connaissent pas — et du Docteur.
C’est entre les deux cavaliers que Cezanne arrive rue Rémy.
Rigaumont, le brigadier, rassuré, parle « service », s’excuse comme il peut et rejoint son camarade : c’étaient deux gendarmes de Méry — montés et coiffés du bicorne.
Au dos d’un vieux dessin, de l’Estaque, un récent croqueton commémore l’incident : la preuve est ainsi faite que l’artiste applique à la bête chevaline, une morphologie analogue à celle qu’il utilise pour le corps humain.
Les principaux séjours de Cezanne à Auvers eurent lieu en 1872 et 1873.
D’après une note du Docteur, il y reparut en 1874 et 1877.
Son Portrait à l’eau-forte par Pissarro — très probablement fait à Pontoise, est daté 1874 2.
Guillaumin qui vint souvent le voir a laissé une pochade enlevée dans la plaine d’Auverségalement datée 1874.

2 Il est possible, comme le dit Loys Delteil, que la planche ait été « mordue » à Auvers.

Et, le 26 novembre 1874, le Docteur écrit à sa femme en traitement à Pau :
« M. Cezanne arrivé de son pays est venu s’informer de toi, de papa Castets, des enfants. »
Quant à P. Van Ryssel, il travaille parfois avec Cezanne, soit que le peintre l’entraîne avec lui au motif, soit à l’atelier où il l’a croqué — au fusain — palette en main, la pipe à la bouche 1.

1Le Dr Gachet dans son Atelier, fusain, Auvers, 1873, n° 39, P. G. Donné au Louvre.

À la maison, Cezanne surveille assez souvent les ébauches du confrère.
« Il ne pontifiait nullement — dit le Docteur — à l’atelier, il n’y avait plus que deux camarades ; il provoquait mes critiques et lui, si hésitant pour son compte me conseillait avec une singulière sécurité des vigueurs et des audaces qu’il ne craignait point de ponctuer de coups de pinceaux sur ma toile. »
Enfin, 1874, c’est l’année mémorable de la fameuse Exposition chez Nadar, à laquelle prennent part les amis peintres, entre autres Pissarro, Guillaumin et Cezanne.
Depuis un an il en est fortement question, lors des réunions à Auvers où les conditions et les chances de l’entreprise sont débattues
Animateur convaincu, associé à la manifestation par ses amis, le Docteur Gachet est heureux et fier de leur prêter les deux belles toiles dont nous avons parlé.

En résumé, Auvers avec les appréciations énergiques mais stimulantes du Docteur, avec l’influence et les conseils de Pissarro, Auvers fut pour Cezanne, malgré ses louvoiements et réticences, une période de labeur utile, d’une technique relativement pleine, souvent complète, empreinte des meilleures caractéristiques de son tempérament : celui d’un scrupuleux dans la force de l’âge qui tout en doutant s’affirme parfois au maximum, comme constructeur, compositeur, d’abord sans système ni parti pris, à la fois volontairement, énergiquement, spontanément.
Sa misère est toute une fortune.
Spéculation à part, on découvre de jour en jour que les toiles d’Auvers sont — entre les plus typiques — au nombre des mieux écrites ; hormis quelques ébauches ce sont les plus peintes, raretés auxquelles Cezanne lui-même donnait alors la préférence. »

 

 Gachet Paul, Souvenirs de Cezanne et de Van Gogh, Auvers 1873-1890, Les Beaux-arts, Paris, 1953, n. p. :

« Cezanne a peint dans la maison de son ami quelques belles natures mortes dont les ustensiles — précieux souvenirs — sont encore là, presque à la même place.

Lui-même avait apporté, entre autres objets, un médaillon en plâtre auquel le voyage avait été funeste. Quoique cassé, il le plaça dans une composition au milieu d’un « fouillis » d’étoffes ocre jaune et brun rouge, en compagnie d’un sujet en faïence et d’un modeste encrier qu’on devine surtout grâce à la plume d’oie fichée dedans [Nature morte au médaillon de Solari (R211)][…] Baptisée par le docteur Gachet les « accessoires de Cezanne », cette nature morte fut peinte non à la maison, mais chez Cezanne, et brossée — par surcroît — sur un épouvantable carton, spongieux, effrité, que l’humidité des murs d’Auvers n’a pas épargné.

Malgré le grand intérêt de conserver un tel spécimen dans son intégralité, il a fallu procéder à son enlevage : c’est aujourd’hui une toile saine et robuste, très représentative de la période ancienne, un peu sombre, mais de technique solide, sans lacune, bien terminé, énergique.

Naturellement, Cezanne remporta ses accessoires, sauf le plâtre qu’il donna au docteur… ainsi que les deux morceaux. Ceux-ci, retrouvés et identifiés longtemps après, ont pu être recollés, la photographie montre ainsi un médaillon entier (donation Paul Gachet, novembre 1951). Quant à l’effigie, c’est un portrait de Philippe Solari par lui-même ; il est daté : 1870. »

 

Gachet Paul, Deux Amis des impressionnistes, le docteur Gachet et Murer, Paris, éditions des Musées nationaux, 1956, 233 pages, p. 19 :

« Des moulages de têtes d’assassins célèbres, guillotinés, qui rangés dans l’atelier d’Auvers excitèrent si bien la curiosité de Cezanne en 1873. »

Le catalogue en ligne des peintures de Cezanne de Walter Feilchenfeldt, Jayne Warman et David Nash ne retient pas les tableaux R203, R204, R205, R206, R208, R211 de la collection Gachet comme d’authentiques Cezanne.

http ://www.cezannecatalogue.com/catalogue/index.php.

On se doute que pour aboutir à cette conclusion les auteurs ont été influencés par le fait que ces tableaux ne sont apparus que tardivement et qu’ils proviennent de la collection Gachet, qui contenait des œuvres, en particulier de Vincent van Gogh, dont l’authenticité est remise en cause. De plus, le style de ces tableaux est pauvre.

Rewald John, The Paintings of Paul Cezanne. A Catalogue raisonné, en collaboration avec Walter Feilchenfeldt et Jayne Warman, volume I « The Texts », 592 pages, 955 numéros, New York, Harry N. Abrams, Inc., Publishers, 1996, notice n° 205, p. 154.

Traduit de l’anglais :

« Note : le marchand d’art parisien Paul Rosenberg a édité Cezanne : son art, son œuvre, catalogue raisonné de Venturi. Il était considéré par sa génération comme le meilleur connaisseur de Cezanne. Dans son exemplaire personnel annoté du Venturi, cette peinture est marquée d’un X, qui selon son fils Alexandre voulait dire qu’il ne croyait pas en son authenticité. Pour la même raison, cette peinture a été retirée d’une vente Sotheby en 1961, même si elle fut incluse dans le Venturi.

On a souvent reproché à Rewald d’accepter cette peinture. Il l’a fait à contrecœur, en raison de sa confiance en Paul Gachet fils. Toute personne qui ne partage pas la haute opinion de Rewald sur l’intégrité de Paul Gachet fils sera, cependant, moins portée à accepter l’attribution de cette peinture à Cezanne. W. [Warman] F. [Feilchenfeldt] »

Quelques anecdotes sur Cezanne à Auvers :

« Le peintre aixois aimait taquiner Julie et plaisanter avec les enfants. Goûtant particulièrement les jeux de mots, il interpella un jour Lucien qui revenait de l’école : « Eh bien, t’es-tu fait rouler aujourd’hui ? — une allusion à M. Rouleau, le maître d’école, qui, sur le conseil du Dr Gachet, avait acheté plusieurs toiles de Paul. Cezanne était en outre doué d’un humour parfois embarrassant pour les autres. Il arriva une fois chez les Pissarro à l’improviste et trouva Julie présidant à un dîner « mondain » où avaient été conviés quelques collectionneurs de la région. Invité par son hôtesse à s’asseoir malgré ses vêtements de travail sales, Paul se mit alors à se gratter énergiquement et de plus en plus fort tandis qu’une gêne croissante gagnait les autres convives. Enfin, il s’écria : « Pardonnez-moi, je vous prie, ma chère Madame Pissarro, ce sont juste ces poux qui recommencent. » »

Meadmore W. S., Lucien Pissarro, un cœur simple, Constable & Co., 1962, p. 25-27. Citation à vérifier.
Meadmore W. S., Lucien Pissarro un cœur simple, New York, Alfred A. Knoff, 1962, 252 pages, p. 26 ; traduit de l’anglais par Rewald John, Cezanne, Paris, Flammarion, 2011, 1re édition 1986, 285 pages, p. 96 et note n° 7 p. 266 :

« Un soir, des collectionneurs vinrent dîner chez Pissarro, qui espérait leur vendre des tableaux. Sa femme prépara un excellent repas et mit sa plus belle robe. Ils avaient à peine commencé à manger quand Cezanne apparut, portant ses habituels vêtements élimés. Bien entendu, on l’invita à s’asseoir à table. Mme Pissarro s’efforçait de se comporter en parfaite maîtresse de maison, très distinguée et très polie, ce qui aiguillonna l’humour malicieux de Cezanne. Il commença à se gratter énergiquement en déclarant, comme pour rassurer son hôtesse : « Ce n’est qu’une puce ». »

[Janvier]

Lettre de Piette à Lucien et à Pissarro, non datée [janvier 1874]

« Martin m’a envoyé une circulaire pour m’avertir que la vente d’Haussy profitera à la société des artistes peintres. J’espère que c’est cette société dont vous êtes le courageux fondateur : quoique je ne connaisse pas vos statuts, il m’est permis d’augurer de ce fait que, pouvant acquérir par héritage, votre société fonctionnera ; ce devrait être un article de vos statuts de faire une obligation morale à tout sociétaire de laisser en mourant à [votre] société, soit des œuvres, soit [de] l’argent, surtout quand un sociétaire [ne] laisse ni femme ni enfants, il devrait [favoriser] cette association au lieu de faire une [illisible] égoïste comme tous les grands noms de la peinture pour enrichir des parents lointains qui les ont abandonnés et blagués avant que le succès ne leur vînt pour devenir ensuite les courtisans d’une fortune convoitée, prix du travail inflexible, de la santé perdue, des misères de toutes sortes, supportées par le lutteur triomphant enfin. »

Bailly-Herzberg Janine (commentaires), Mon cher Pissarro, lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro, Paris, éditions du Valhermeil, 1985, 143 pages, p. 98-99.

La vente mentionnée se tiendra à l’hôtel Drouot le 23 février 1874 (Lugt 34557). Elle n’a pas de rapport avec la Société anonyme coopérative.

Vente de bienfaisance au profit des orphelins de L***, artiste peintre lithographe, à la demande du peintre d’Haussy, et de Gaudin (Mme Angèle), MM. Martin et Paschal, experts, Me Boussaton, commissaire-priseur, catalogue de 15 pages, 70 numéros.

Début de l’année

Pendant l’hiver, probablement au début de l’année, plutôt qu’à la fin, Cezanne et Pissarro peignent à côté l’un de l’autre chacun un tableau de la rue de la Citadelle sous la neige, à Pontoise. Le tableau de Pissarro, Rue de la Citadelle, Pontoise (PDRS 323) est daté « 1873 », ce qui permet de savoir la date de celui de Cezanne, Effet de neige – Rue de la Citadelle à Pontoise (FWN72-TA-R195).

Début de l’année

Cezanne, Guillaumin et le docteur Gachet font une excursion dans la vallée de la Bièvre, au cours de laquelle Cezanne (MM 3) et le docteur gravent une eau-forte.

Gachet Paul, Cezanne à Auvers, Cezanne graveur, Paris, Les Beaux-arts, Éditions d’Études et de Documents, 1953, n. p.

31 janvier

Lettre de Théodore Duret à Pissarro.
Théodore Duret, de retour d’un périple en Asie, reprend contact avec Pissarro.

« Paris 31 Janvier 1873

Mon cher Pissarro,

En arrivant du Japon et des pays circonvoisins, je vous envoie un petit bonjour. Surtout je vous fais mes compliments sur vos succès et ceux de l’école. Triomphe sur toute la ligne, enfoncés encore les bourgeois !
Je vais chez mon père à Cognac pour deux mois.
Je serai de retour ici au commencement d’Avril et j’irai alors vous relancer à Pontoise. Il me manque un grand Pissarro et je sais qu’il faut se hâter avant que ça ne soit aussi cher que les Corot et les Hobbema, auquel cas mes finances se feront abstenir.
Enfoncés sur toute les lignes et les coutures les Bonapartistes et les Bourgeois.
Mille Amitiés

Théodore Duret

Si par hasard la fantaisie vous prenait de répondre à ces lignes, adressez vos lettres à Cognac. Cognac tout court, là je suis connu et presqu’un grand homme. »

Lettre inédite, sauf un court extrait cité par JBH, tome I, note n° 2 p. 79 ; Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.20.

Fuyant la répression contre la Commune, Duret s’est d’abord réfugié à Londres, où il a rencontré Pissarro le 16 juin 1871. Le 8 juillet 1871, il s’est embarqué avec Henri Cernuschi (1821-1896), pour faire le tour du monde. Ils ont commencé par les Etats-Unis, puis l’Asie : le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, Batavia, l’Inde. Le 30 décembre 1872, ils se sont embarqués à Bombay pour rentrer en Europe.

Théodore Duret, Voyage en Asie. Le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, l’Inde, Paris, Michel Lévy Frères, 1874, 367 pages, p. 360.

2 février

Lettre de Pissarro à Duret, Pontoise, datée par erreur de son auteur 2 février 1870, lire 2 février 1873.
Pissarro répond à Théodore Duret.

« Mon cher Duret,

J’ai reçu avec grand plaisir votre lettre, merci d’avoir pensé à moi, je serai enchanté à votre retour de Cognac de causer un moment avec vous du Japon, cela m’intéressera beaucoup, ce pays extraordinaire, si curieux d’aspect, et surtout si artiste.
Vous aviez raison, mon cher, nous commençons à faire notre trouée, nous sommes bien contents pour certains maîtres ! mais ne faut-il pas s’attendre à ces divergences de vue, quand on arrive en intrus planter son modeste petit drapeau au milieu de la mêlée ! — Durand-Ruel tient bon, nous espérons marcher de l’avant sans nous inquiéter des opinions.
Lorsque vous viendrez, j’espère vous montrer des études hardies qui pourront vous plaire, peut-être, car il faut penser que vous revenez du Japon, pays hardi et très révolutionnaire en art !
Au revoir donc et à bientôt,
je vous serre les mains
C. Pissarro »

Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris. PUF, 1980, n° 20 p. 78-79.

8 février

Lettre d’Emperaire à un ami d’Aix, 8 février 1873 ?
Achille Emperaire évoque Cezanne (« le fils du financier ») sans le nommer.

« C’est un bien triste séjour que ce pays que l’on ne peut envier que dans l’ignorance. Ce n’est qu’un mirage trompeur… Et à côté des disgrâces dont il accable les plus méritants, puisqu’aujourd’hui encore, et même plus que jamais, la place est aux nuls et aux vils, j’ai de plus à lui en vouloir de m’avoir enlevé la dernière ancre de salut sur laquelle il m’a semblé que je pouvais me rattacher, quand j’ai eu un instant confiance dans les amis et dans les choses. Mais depuis que je me suis engagé sur cette mer dont je n’ignore pas les écueils mais qui est toujours courroucée, j’ai hâte d’en finir avec une situation difficile à décrire. — Et de dire adieu à ce séjour d’exil, de lutte surhumaine et de tristesse toujours. — J’ai d’ailleurs tenté l’impossible et ne suis pas plus fort que les plus forts. — Exceptez l’instinct (il fallait bien se reposer sur quelque chose) vous aurez un fou devant vous. — C’est ce stoïcisme qui fait leur admiration. — Ils ne paraissent pas se douter qu’il faut n’avoir plus rien à apprendre pour affronter ainsi tout… La plupart d’entr’eux sont intéressants au point de vue de l’organisation, mais tous ils ont un appui. — Aucun d’eux, excepté ce pauvre Solari, n’est strictement tenu de se soucier de demain. S’ils ne s’en tirent pas c’est faute d’ordre, mais ils ne diront jamais qu’il a fallu sacrifier à l’agitation et à l’insomnie et négliger le culte. — Quand je pense à ce phénomène d’impuissance [souligné, selon de Beucken, ainsi que les autres soulignements] en qui j’ai vu comme la récompense et le prix de la lutte désespérée pour moi depuis si longtemps, j’ai comme [« connu », selon de Beucken] des inspirations criminelles. — Il y en a si long à dire sur ce sujet inqualifiable, vrai monstre s’il en fut, (dans la signification scientifique du mot) que j’ai toujours ajourné la question. — Car enfin vous êtes souvent à vous demander ce qu’est, ou peut bien être celui dont vous avez vu certains procédés qui ne rappellent rien, non rien de ce qui s’est offert à ma stupéfaction après vingt-quatre heures [le mot « heures » manquerait, selon de Beucken] de présence chez lui. — C’est qu’il y avait, pour nous du moins, deux organisations sous cette enveloppe et que le fils du financier n’avait rien de commun avec l’habitant de la rue de Jussieu. Non rien à comparer à tant de dissonnance. Ici pourtant, quoique je n’aie pas l’intention d’aller plus loin, je dois avouer que j’étais en garde devant cette nature rugueuse, indécise, inquiète sans raison. — Non ! Dieu m’est témoin, que j’avais galbé mon homme. — Il y a en pareil cas, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’un sujet de cette classe, une règle de conduite qui ne cache aucune déception — On dit, et c’est indiscutable, l’homme est dans l’œuvre — ou l’œuvre, c’est l’homme, et je regrette chèrement d’avoir refusé parfois de voir le rustre et le manant dans celui qui, cédant à des mouvements passagers de logique et de bonne foi, avouait chez celui qui assurément a eu le plus à souffrir et à regretter son approche des instincts, en opposition complète avec les siens. — C’est que j’étais obligé d’oublier l’actualité et de songer à l’avenir. — C’est que sans être coupable que d’infiniment de misère, je me suis souvent pris à voir comme un auxiliaire puissant dans cette manière de gredin je dirai presque (passez-moi le mot), quand je songeais à une dernière campagne [« compagne », selon de Beucken] de Paris. Mais déception des déceptions ! rien n’est comparable au changement à vue qui m’a frappé et aux conséquences qui ont suivi. Non seulement je n’ai rien vu venir à moi, mais j’ai eu terriblement à faire pour maintenir le bloc qui menaçait de me broyer. — Un jour, si Dieu veut (pour employer la vieille diction) nous dirons tout ce qu’il y a à raconter sur ce point. Pour aujourd’hui soyons à nous autant que possible. »

Rewald John, « Petits maîtres du xixe siècle. Achille Emperaire, ami de Paul Cezanne », L’Amour de l’art, n° 4, mai 1938, p. 151-158.

 

La date du 8 février est indiquée, et la citation reprise, par de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 117-118 :

« L’hiver 1873 est rude. Achille Emperaire, de Paris, « Paris est un vaste tombeau, un simple et terrible mirage pour la généralité » où il ne réussit pas du tout, envoie à ses amis d’Aix de longues lettres navrantes d’une écriture et d’une pensée confuses, où il est question de la « température moscovite », de sa mauvaise santé, de sa misère dans sa soupente sans feu (mais jamais il ne demande d’argent), d’un ami ariégeois nommé Lafayette auquel il attribue du génie comme écrivain, de Proud’hon, de Victor Hugo. Si Emperaire ne manque pas de talent —-il suffit de voir ses dessins, ces sanguines, ces nus aux formes plantureuses, aux courbes rebondies (ô hantise de la femme chez ce nabot !) —, en revanche ses lettres amères et violentes sont dénuées de style. Dans une des rares lettres où il est question de Cezanne, d’ailleurs absent (8 février), il [Emperaire] l’attaque avec exagération, sans le nommer : […]
Dans cette même lettre il prie déjà ses correspondants de s’enquérir, par Marion et un peintre nommé Olive, des chances pour des leçons de dessins à Marseille, chez des particuliers ou dans des établissements municipaux… »

 

Rewald John, « Petits maîtres du xixe siècle. Achille Emperaire, ami de Paul Cezanne », L’Amour de l’art, n° 4, mai 1938, p. 151-158, p. 152 :

« Depuis qu’il a quitté Cezanne, cet envoi au Salon est son unique préoccupation et il [Emperaire] a l’étonnante idée d’aller montrer ses œuvres à Victor Hugo, homme vénéré entre tous. Voici comment il en fait part à ses amis : « Je vaisaller voir le grand Victor, lui soumettre mes cartons et luidemander un choix de deux motifs pour le Salon…
« La vue du géant ne m’effraie pas — et je vais l’œil humide et le pas ferme à lui.
« Hugo !
« J’aurai vu ainsi bien au fond de tout… »
On ne sait pas si Emperaire a pu effectuer cette démarche, en tout cas, il n’en est plus question dans ses lettres, et son envoi fut d’ailleurs refusé par le Jury. Mais il rencontre bientôt un poète, Raoul Lafagette, dont George Sand a dit : « Ce qu’il fait est souvent mauvais, parfois très beau, rarement médiocre. » Emperaire se lie avec le jeune poète qui, lui, est en correspondance avec le « grand Victor », dont il possède des livres dédicacés. Avec quelle émotion Achille raconte-t-il à ses amis comment Lafagette avait fait « une verte et franche critique » d’un passage des Travailleurs de la Mer, « qui non seulement trouva grâce, mais plein crédit devant l’auteur ». »

27 mars

Achille Emperaire, présenté par Thomas Couture, obtient une carte d’entrée aux musées du Louvre, du Luxembourg, de Versailles et de Saint-Germain, n° 173.

Il obtient également une carte d’entrée permanente à l’« exposition des Œuvres refusées de 1873, aux Champs-Élysées, derrière le palais de l’industrie », et à la « Bibliothèque impériale, Dépt des estampes, cartes et plans, section des estampes », n° 2189.

« Ministère de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-arts, musées nationaux, Louvre, Luxembourg, Versailles, Saint-Germain, Carte d’entrée personnelle pour les jours d’étude, Mr Achille Emperaire, présenté par Mr Couture, Palais du Louvre, le 27 mars 1873, n° 173 » ; Aix-en-Provence, fonds Atelier Cezanne.

22 avril

Monet écrit à Pissarro.

« Je viens de recevoir votre lettre : j’attendrai votre cousin [Alfred Nunès] dimanche [27 avril] et je ferai en sorte d’avoir le Sisley à la maison, mais j’espère que vous viendrez avec votre cousin pour déjeuner. J’y compte bien et vous me direz si vous avez vu Béliard, si nous sommes en mesure de nous réunir pour terminer.

Je suis allé à Rouen ; j’ai aussi un souscripteur, et qui ne tiendra pas de place aux expositions. C’est mon frère.

Décidément, tout le monde trouve cela bien, il n’y a que Manet contre. »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 93.
Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 64, p. 428.

La lettre de Monet à Paul Alexis du 7 mai explicite le projet qu’évoque Monet : il s’agit de fonder une société d’artistes en vue d’organiser des expositions ouvertes à « tous les travailleurs ».

Le cousin de Pissarro, Alfred Nunès, achète en avril à Monet une Vue d’Argenteuil (W 197), d’après les carnets de compte de Monet. Le tableau fera partie de la vente A. N(unès), Paris, hôtel Drouot, 16 avril 1894, n° 36.

Wildenstein, Monet, tome I, p. 63, et notice n° 197 p. 202, complétée p. 25 du tome V.

26 avril

Lettre de Théodore Duret à Pissarro.

« 26 Avril 1873

Mon cher Pissarro

Ci-inclus la somme de f. 500 en billets de banque pour le tableau que vous m’avez vendu. Vous pourrez me l’apporter à votre loisir, et si je suis absent vous le remettrez à mon concierge. J’espère que vous aurez pu donner sur le premier plan, à gauche, les quelques coups de pinceaux qui manquaient.

Votre tableau des alsaciens Lorrains m’a beaucoup plu. Excellente peinture solide, bien établie, pas trop sommaire, et puis ayant une âme.

Un paysage sans âme, sans sentiment, n’est pas un paysage, c’est une nature morte. Continuez donc cette voie sans faire de concessions aux bourgeois, et sans trop vous préoccuper de Monet et de Sisley qui frisent un peu le dilettantisme, et vous irez loin. Vous serez peut-être plus de temps à arriver à la grande renommée auprès du grand public, mais cela n’en viendra que plus sûrement en son temps.

Je voudrais bien cet été que vous me fissiez des blés murs, jaunes et fort ensoleillés. Je ne sais pourquoi les peintres ont si rarement traité ce sujet.

Si dans ce genre, vous faisiez quelque chose qui vous parût réussi, je vous serais reconnaissant de me le mettre de côté.

Le jury de cette année s’est montré plus bête que tous les autres. Vous avez bien fait de ne pas exposer. La meilleure des expositions pour vous c’est d’être chez Durand-Ruel.

Tout à vous

Théodore Duret »

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.21. Extrait cité par JBH, tome I, note n° 1 p. 79.

Fin avril – début mai

Lettre de Piette à Pissarro.
Piette annonce à Pissarro qu’il ne participera pas à une « exposition indépendante ».

« Vous voyez de suite que je n’ai pas l’air d’un adepte destiné de votre exposition indépendante — peut-être les statuts ou autre chose me feront-ils changer de manière de voir — mais voici mes impressions. Vous cherchez à opérer une réforme utile : mais elle est inexécutable, les artistes sont plus lâches que les mobiles de la Mayenne : où sont-ils ceux qui ont protesté contre l’exclusion de Courbet à Paris et à Vienne [exposition universelle de Vienne, ouverte le 1er mai 1873] ?

Les peintres ne devraient-ils pas tous protester en masse par l’abstention ? De solidarité, il n’y a pas de graine en France ; vous et quelques esprits ardents, généreux, sincères vous donnerez une légitime impulsion ; qui vous suivra ? La bande des incapables ou des malhabiles ? Puis, à mesure qu’ils prendront des forces, ceux-là même vous lâcheront ; s’ils savent gratter quelque chose au Salon officiel, ils iront et deviendront vos ennemis. Joignez à cela vos responsabilités, les dégoûts de gestion, les abus de confiance commis par les employés infidèles, car les peintres comme tous les artistes sont faciles à duper, et vous avalerez un calice mêlé de suie, mon pauvre Pissarro !

Vous me direz pessimiste, je le suis ; la fonction où je me trouve augmente encore cette tendance à tout voir en noir ; mais je n’ai aucune confiance dans la masse des artistes : et je crois que vous trouverez encore un Martinet II [?] qui vous dégoûtera de la race des peintres et des associations trop nombreuses.

Je ne dirais rien d’une association restreinte entre gens de talent, de travail, de loyauté et de hardiesse éclairée et novatrice comme vous et quelques amis qui vous entourent, j’augurerais bien d’une association de ce genre ; et je crois qu’il y aurait là à faire profit et justice, mais je me défie de la masse des paresseux et des perfides, sans conviction ni morale, ni politique, qui ne veulent que se faire des autres un marche-pied : Odi profanum vulgus, a dit Horace, ajoutez-y « Méfiez-vous des remusardiens de la peinture », c’est une tourbe qui sera la perte de votre association et qui perdra la France d’autre part ; nous en reparlerons. Sur ce, je vous embrasse en Barodet ! A bas le papa Thiers !

[…] Offrez donc le bonjour de ma part à ce Monsieur (le nom m’échappe encore, votre ami paysagiste avec lequel je me suis trouvé avec vous à Paris…). Monsieur Béliard ?

Merci de votre bien aimable invitation, vous voyez que nous ne pouvons aller mais ce sera pour un temps plus heureux. J’espère que Montfoucault ne vous verra pas en vieux ? »

Bailly-Herzberg Janine (commentaires), Mon cher Pissarro, lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro, Paris, éditions du Valhermeil, 1985, 143 pages, p. 86-87.

2 mai

Lettre de Pissarro, Pontoise, à Théodore Duret, 2 mai 1873.
Pissarro répond à Théodore Duret.

« Bien des remerciements pour votre lettre chargée de cinq cents francs, prix de mon tableau l’Inondation [Inondation à Saint-Ouen-l’Aumône, PDRS 295], je ne vous ai pas répondu avec plus d’empressements parce que j’étais à Paris avec toute ma famille, je n’ai donc votre lettre [du 26 avril] que d’hier.

Je vous remercie aussi de l’encouragement que vous me donnez et du bon conseil de suivre une voie sans faire de concessions au faux, je suis décidé.

Ne craignez-vous pas de vous méprendre sur le talent de Monet, selon moi très sérieux, très pur, il est vrai à un autre point de vue que le sentiment qui vous pousse ; mais c’est un art très étudié, basé sur l’observation, et d’un sentiment tout nouveau, c’est la poésie par l’harmonie des couleurs vraies, Monet est un adorateur de la nature vraie.

J’essaierai un champ de blés mûrs cet été. Il n’y a rien de plus froid que le plein soleil d’été, tout le contraire des coloristes, la nature est colorée en hiver et froide en été. Il faut donc vous attendre à trouver mon tableau très plâtreux, blanchâtre, etc.

Je penserai à vous.
M. Daubigny père que j’ai rencontré m’a affirmé que le jury était une absurdité. »

JBH n° 21.

Daubigny a été membre du jury du Salon en 1866, 1868, 1869 et 1870.

5 mai

Le jour de l’ouverture du Salon, Paul Alexis publie un article dans L’Avenir national qui « suggère, pour remédier aux injustices du Salon, d’avoir recours à l’association ».

« Aux peintres et sculpteurs

A l’occasion de l’ouverture du Salon, Paul Alexis publie un article sur le fonctionnement du Salon. Il critique sévèrement le système du jury qui accepte 2000 œuvres et refuse des chefs-d’œuvre. Il suggère, pour remédier aux injustices du Salon, d’avoir recours à l’association.

« […] C’est à tous que j’adresse un appel. […] Je leur donne mon idée pour ce qu’elle vaut. […] D’ailleurs puis-je dire que ceci est vraiment “mon” idée ?… Allons donc ! […] Cette idée est dans l’air. Je l’ai entendue maintes fois exprimée sous différentes formes. […] Je me souviens aussi des projets de cotisation annuelle ou mensuelle mis en avant, dans certains groupes, de statuts exprimés, de sociétés d’exposition et de vente prêtes à être conclues.. Un surtout : chaque sociétaire eût donné 5 francs par mois ; ― aurait eu droit à placer 2 œuvres dans un local d’exposition et de vente permanentes ; ― pas d’examen préalable ; pas d’exclusion ― les places sur la cimaise eussent été tirées au sort, etc., etc… […]

Le jury est innocent, parce qu’en matière d’art, tout jury ne pourra jamais être qu’inconscient et aveugle. Au lieu de crier contre, ― ce qui ne sert à rien ―, soyez pratiques : supprimez-le.― Mais comment se passer du jury ? Faudrait-il se passer aussi de l’État et de sa protection? Nous, artistes, pourrions-nous prétendre jamais nous exposer nous-mêmes ? « – Pourquoi pas ?… Associez-vous. […]

Comme toute autre corporation, la corporation artistique aurait tout intérêt à organiser sur-le-champ sa chambre syndicale… Au point de vue social, il n’y a plus ni ouvriers ni artistes, il n’y a que des producteurs… Cette puissante idée, l’association, elle n’est pas que dans l’atmosphère artistique ; riche et chaude, elle commence à transfuser un sang nouveau dans les veines du vieux monde. L’artiste contemporain ne peut plus se renfermer dans une tour d’ivoire. Il faut qu’il en descende. La lumière jaillissant de l’échange des idées, nous engageons MM. les artistes ― refusés ou non ― qui liront ceci à nous communiquer les leurs. Ils n’ont qu’à m’écrire, ou à venir me demander le mardi ou le jeudi, de 3 à 4, à la rédaction de L’Avenir national (rue d’Argout, 8). Nos informations, nos conseils, notre publicité sont à la disposition de leur initiative, s’ils veulent creuser, propager et réaliser l’idée d’une association artistique destinée à affranchir ses adhérents de l’exploitation des marchands, et de la protection de l’Etat. » »

Alexis Paul, « Aux peintres et sculpteurs », L’Avenir national, 5 mai 1873, p. 2. (À voir)

12 mai

Paul Alexis publie une lettre de Monet du 7 mai dans L’Avenir national, dans laquelle Monet remercie Alexis au nom d’un groupe de peintres réunis chez lui :

« AUX PEINTRES ET SCULPTEURS

Une lettre de M. Claude Monet

L’appel que nous avons fait à l’initiative des artistes dans notre article du 5 mai, a été entendu. Nous avons reçu plusieurs lettres de peintres et de sculpteurs qui, toutes, montrent la plus grande bonne volonté à accepter l’idée que nous avons écrite d’une sorte de syndicat affranchissant « les ouvriers peintres » de la tutelle du gouvernement.

Malheureusement, ce qui manquait, c’était un lien entre toutes ces bonnes volontés. Nous attendions de pouvoir l’indiquer à nos correspondants un commencement d’association, un groupe d’artistes déjà réuni et prêt à appeler à lui les jeunes courages. Aussi, avons-nous été très heureux de recevoir la lettre suivante signée d’un artiste de très grand talent :

Monsieur,

Un groupe de peintres réunis chez moi a lu avec plaisir l’article publié par vous dans l’Avenir national. Nous sommes heureux de vous voir défendre des idées qui sont les nôtres, et nous espérons, ainsi que vous le dites, que l’Avenir national, voudra bien nous prêter son appui quand la société que nous sommes en train de former sera entièrement fondée.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération et celle de mes confrères.

7 mai 1873

CLAUDE MONET

Porte-Saint-Denys à Argenteuil.

Comme nous l’avons déjà dit, l’Avenir national est à la disposition des artistes qui voudraient s’affranchir de la protection de l’Etat. Nous faisons donc des vœux pour la réussite du projet dont M. Claude Monet nous parle. Nous savons déjà qu’il aura plusieurs artistes de grand mérite, MM. Pissarro, Jongkind, Siseley, Belliard, Armand Gautier, Guillaumin, Authier, Numa Coste, Visconti, etc., etc. Ces peintres, qui ont exposé pour la plupart, appartiennent à ce groupe de naturalistes, ayant la juste ambition de peindre la nature et la vie dans leur large réalité. Mais leur association ne sera d’ailleurs pas une chapelle. Ils ne veulent unir que des intérêts, et non des systèmes : ils souhaitent l’adhésion de tous les travailleurs.

Ici, nous croyons devoir dire un mot de la prétendue Exposition des refusés qui doit ouvrir le 15 mai, à côté du Salon officiel, dans le baraquement construit derrière le palais de l’Industrie. Cette Exposition n’est qu’une réduction de celle d’en face : elle est dirigée par un impressario, elle a un jury parfaitement constitué, elle est l’œuvre d’un choix et d’une pensée administrative. En un mot, elle n’est qu’une révision — plus large, mais toujours restreinte — des ouvrages repoussés par le jury patenté.

Nous n’avons pas besoin d’expliquer que ce n’est pas là ce que nous sommes prêts à soutenir. Notre publicité n’est acquise qu’à la démocratie de l’Art, nous voulons [le] dire aux groupes artistiques décidés, comme celui de M. Claude Monet, à se gouverner par eux-mêmes.

PAUL ALEXIS. »

Paul Alexis, « Aux peintres et sculpteurs », L’Avenir national, 12 mai 1873, p. 2.

Les noms d’artistes soulignés par nous en italique sont ceux qui ne donneront pas suite.

1er juin

Pissarro vend à Armand Rondest le tableau La Pompe à chaleur au bord de l’Oise, Épluche (PDRS 302).

« Extrait d’un carnet de notes de l’artiste : 1873 – 1er juin. Vendu à Rondest 1 T de 10. La Fabrique (vue de la) 250 frs payé le 12 sept. »

Ludovic Rodo Pissarro, fiche PV 219 ; Paris, Wildenstein Institute.

Juin

Avant de retourner à Aix, Emperaire écrit à un ami :

« Mais entre autres casse-tête je suis furieux plus que jamais de n’avoir pas la grosse caisse que vous savez. — Je n’étais pas là quand mon bagage débarqua rue de Jussieu et il plut à mon noble amphitryon d’en décider la destruction. Grâce à cette bonne fortune je suis en présence de frais nouveaux. »

Lettre d’Emperaire à un ami, juin 1873 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 141.

16 juin

Lettre de Piette à Pissarro.
Piette confirme auprès de Pissarro ses réticences envers une « association de sectaires pour fonder une école ».

« En misanthrope de plus en plus sombre, je serais heureux de me garder de plus en plus du commerce des hommes et de leur mauvaiseté ; mais ne ferai jamais rien en matière de dévouement pour leur être agréable ou utile. Aussi vous ai-je émis mes idées relatives à messieurs les artistes, généralement parlant. Malgré votre éloignement pour (à cause d’une) association de sectaires pour fonder une école, c’est cependant pour moi la seule chose rationnelle. Hardi et large de cœur comme le Christ, vous conviez même vos ennemis au festin commun. Je ne puis que dire amen sans y croire, mais je ne puis non plus me parer des plumes du paon ; vous me faites trop d’honneur en me comptant au nombre des protestants en peinture. Je n’ai protesté que par intérêt individuel, c’est-à-dire que je n’ai pas envoyé mes petits dessins au salon, ne croyant pas qu’il y eut profit d’aucune sorte à le faire, ou bien que la vente me donnerait quelques sous immédiatement. J’en suis fâché pour la fraternité qui pouvait en résulter pour moi avec de vos amis de valeur non douteuse, mais je tiens à rester vrai. Si plus tard vous me voyez envoyer au Salon officiel dans l’espoir d’une vente douteuse, au moins si vous me décernez des épithètes malsonnantes, n’y joindrez-vous pas celles de faux frère, de renégat, etc. »

Bailly-Herzberg Janine (commentaires), Mon cher Pissarro, lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro, Paris, éditions du Valhermeil, 1985, 143 pages, p. 88.

Été

Cezanne peint le tableau Entrée de ferme, rue Rémy, à Auvers-sur-Oise (FWN76-R196), signé et daté « P. Cezanne 73 ». Le tableau appartiendra à Pissarro.

Une eau-forte, attribuée à Cezanne, Entrée de ferme, rue Rémy à Auvers, a été gravée d’après le tableau, représentant la même vue inversée. Il en existe une épreuve annotée par le docteur Gachet : « P. Cezanne, juillet 1873 » (Bibliothèque nationale).

Cezanne peint le tableau La Maison du père Lacroix, Auvers-sur-Oise (FWN77-R201), daté et signé « P. Cezanne 73 ». Les maisons représentées existent toujours, aux nos 7 et 9, rue du Gré.

26 juillet

Lettre de Monet, Argenteuil, à Duret.
Monet demande à Duret un paiement complémentaire de 400 ou 500 francs, dont il a besoin.

« J’ai bien reçu votre petite lettre contenant un billet de cent francs. J’espérais que la personne que vous en aviez chargée me ferait remettre quelqu’autre argent. J’ai le 30 de ce mois un billet à payer, c’est 4 ou 500 francs qu’il me faut. Je pense que vous ne trouverez point mal que je m’adresse à vous, vous priant bien de me les adresser, sans quoi je me trouverai dans le plus grand embarras. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 66, p. 428

5 août

Cezanne se fournit chez le marchand de couleurs Tanguy. Son premier règlement, 10 francs, remonte au 5 août 1873 ; puis 10 F le 5 avril 1875, 20 F le 15 mai 1875, 20 F en mai 1875, 52,50 F le 20 mars 1876, 50 F le 26 octobre 1877, 480 F dans le courant de l’année 1879, 200 F le 15 février 1880. Tanguy vendra un tableau de Cezanne le 25 octobre 1875, le 1er novembre et 30 décembre 1875, pour 50 F chacun ; les 30 mars et 20 septembre 1876, pour 50 F chacun ; en 1884 et 1885, pour respectivement 200 et 150 francs.

« Avoir à M. Cezanne », sur papier à en-tête de Tanguy, 14, rue Clauzel, non daté [31 août 1885] ; Andersen Wayne V., « Cezanne, Tanguy, Choquet », The Art Bulletin, juin 1967, p. 137.

De 1874 à 1880, Tanguy ne pourra vendre que trois toiles de Pissarro : 100 francs à André, 50 francs à Murer, 50 francs à Durey [Duret]. Dans la même période, Pissarro lui achètera pour 3 313,10 francs de couleurs.

Facture de Tanguy à Pissarro, sur papier à en-tête de Tanguy, 14, rue Clauzel, non daté [vers fin 1880] ; vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 7.

On ne sait pas exactement quand Tanguy a ouvert sa boutique en 1873. Son nom apparaît dans les calepins cadastraux en 1873, décrivant les lieux du 14, rue Clauzel : rez-de-chaussée, à droite : boutique, arrière-boutique, pièce à feu, cuisine ; bail de 1873, prenant effet à partir de 1874, au nom de Vve Tanguy.

Calepins cadastraux, archives de Paris, 1874, 14, rue Clauzel ; None Monique, « Les marchands de van Gogh », Van Gogh à Paris, catalogue d’exposition, Paris, musée d’Orsay, 2 février – 15 mai 1988, 403 pages, note 97 p. 346.

Son nom apparaît aussi dans l’annuaire Didot-Bottin en 1874, sous l’indication : « Couleurs fines, 14, rue Clauzel ».

Annuaire-almanach du commerce et de l’industrie Didot-Bottin, 1874.
Distel Anne, « Some Pissarro collectors in 1874 », Studies on Camille Pissarro, édité par Christopher Lloyd, p. 68 et note n° 22 p. 73.

7 août

Lettre de Monet, Argenteuil, à Pissarro.
Monet, ayant un différend avec Duret, qui a parlé de lui en « termes peu convenables », informe Pissarro qu’il est décidé à annuler sa vente à Duret d’un tableau (W 94), si Alfred Nunès veut bien acquérir son tableau. Monet propose que Pissarro lui apporte la réponse de Nunès en venant déjeuner chez lui le lendemain.

« Comme vous nous quittiez, je recevais une lettre de M. Duret dans des termes peu convenables ; je me déciderais à annuler l’affaire que j’ai faite avec lui, si votre cousin était désireux encore de posséder le tableau en question [Cabane à Sainte-Adresse, W 94].

Je serais content de satisfaire votre cousin puisque le tableau lui plaisait, et en même temps je serais enchanté de faire voir à M. Duret que je ne suis pas son obligé quand je lui vends une toile.

Communiquez la chose à M. Nunès [Alfred] et rendez-moi réponse demain en venant déjeuner, je ne répondrai à M. Duret qu’après cela. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 67, p. 428, et vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 94.

La transaction est consignée dans le carnet de Monet en mai 1873, au prix très élevé de 1 200 francs. Duret, dans sa lettre du 17 septembre à Pissarro, précisera qu’elle a eu lieu le 24 mai.

Wildenstein, Monet, tome I, p. 64 et note n° 447 p. 64.

19 juillet

Lettre du docteur Paul-Ferdinand Gachet à Louis-Auguste Cezanne.
Le docteur Gachet fait part de la mort de son neveu et de la naissance de son fils au père de Cezanne. Il sert aussi d’intermédiaire auprès de ce dernier pour la pension de l’artiste.

Gachet Paul, Deux amis des impressionnistes, le docteur Gachet et Murer, Paris, éditions des Musées nationaux, 1956, 233 pages, p. 29 :

« Arrivé à Auvers, avec Hortense et le jeune Paul (dit Bon-nes Tri-pes), Cezanne se trouva plus que gêné, ne vendant rien, sciemment oublié par son père, qui non seulement n’augmente pas sa pension, mais en diffère l’envoi.

Gachet, à Auvers, fait ce qu’il peut pour aider l’artiste, conseille plus souvent l’ami qu’il ne soigne le peintre, et se fait fort de plaider sa cause. Il écrit à M. Auguste Cezanne, lui rappelle sa visite de 1858, lui fait part de la mort de son neveu André Gachet, lui annonce la naissance de son fils Paul [Paul Gachet, le 21 juin], l’attendrit progressivement, jusqu’à le gagner en faveur de son propre fils, Paul Cezanne, qui reçoit incontinent une pension sensiblement améliorée. »

10 août

Lettre de Louis-Auguste Cezanne au docteur Paul-Ferdinand Gachet.
Le père de Cezanne adresse ses condoléances au docteur Gachet pour le décès d’un de ses neveux. Gachet lui a précisé que Paul s’est très bien comporté à son égard.

« Aix 10 août 1873.

Monsieur le Docteur P. F. Gachet,

J ai reçu votre pénible lêtre du 19 Juillet dernier m’aprenant la perte douloureuse d’un fils à Mr votre frère à l’âge de 19 ans ; j’en suis bien peiné et vous prie croire que je prend part à votre douleur, vous me dites encore, que Mdme votre épouse vient d’accoucher [naissance de Paul Gachet] à la suite d’une maladie d’un mois, très grave, mais qu’aujourd’uy elle va un peu mieu, je désire que la présente trouve la continuité de son améllioration et le rétablissement complet, Mr Paul dont je reçois une lêtre aujourduy à laquelle je répons, me dite vous, c’est très bien comporté à votre égard, il na fait que son devoir.

Soyez mon interprète auprès de votre honnorable famille pour lui faire acepter leur respec, et ceux de votre très humble serviteur.

Cezanne. »

1 Il paraît que le Dr Gachet avait connu le banquier Cezanne lors d’un voyage d’études à Aix. Il allait s’employer auprès de lui pour obtenir une rente plus généreuse pour le peintre. En effet, ne pouvant avouer à son père les circonstances de sa vie privée, Cezanne devait vivre avec sa petite famille sur un budget supposé suffisant pour un célibataire.

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 143.
Gachet Paul, Deux amis des impressionnistes, le docteur Gachet et Murer, Paris, éditions des Musées nationaux, 1956, 233 pages, p. 29.

29 août

Lettre de Monet, Argenteuil, à Duret.

« Serais-je indiscret en vous demandant quand vous pensez me donner quelque peu d’argent ? Je dois moi-même et je voudrais, avant de promettre, savoir quand je pourrai promettre et tenir. Un mot de réponse, s. v. p., et vous obligez votre tout dévoué serviteur.

P.-S. J’insiste pour que vous ne croyiez pas à une exigence de ma part, afin que cela ne me prive pas du plaisir de vous voir un de ces jours à Argenteuil. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 68, p. 428.

6 septembre

Lettre de Guillaumin au Dr Gachet.
Guillaumin écrit au docteur Gachet qu’il espère aller le voir prochainement à Auvers. Il aimerait « bien avoir votre avis et ceux de Pissarro et de Paul [Cezanne] » sur ses études nouvelles.

« Voilà bien du retard pour répondre à votre lettre, mais je voulais aller vous voir, soit à Auvers, soit ici. Je suis allé mercredi dernier [le 3 septembre, à Paris] espérant vous rencontrer, mais j’ai appris que depuis longtemps vous n’étiez venu ; j’espère, cependant, que ce n’est pas que l’état de Mme Gachet ait empiré [elle décédera d’une phtisie le 25 mai 1875] ; […] cependant, M. Richard Lesclide [éditeur de Paris à l’eau-forte] m’avait dit que vos eaux-fortes paraîtraient dans ce mois, et je n’en vois pas l’annonce ; les avez-vous terminées ? Dans ce cas, faites m’en parvenir une épreuve, en retour, je vous donnerai celles que j’ai faites depuis vous.

J’espère toujours aller à Auvers, mais il y a toujours des contre-temps, malgré tout cependant je pense aller vous voir avant la fin septembre.

J’ai trouvé pour faire tirer les épreuves un garçon très complaisant et qui travaille bien ; à l’occasion, je vous le recommande (Legay, 1, rue des Grands-Degrés).

Que vous dire encore ? J’ai eu la visite de Martin qui a paru assez content des études nouvelles que j’ai ; il m’a promis de penser à moi pour la rentrée des pratiques, mais je voudrais bien avoir votre avis et ceux de Pissarro et de Paul [Cezanne].

Tâchez donc en attendant que vous veniez à Paris de venir jusqu’au Boulevard, nous déjeunerions ensemble à midi ; j’y suis toujours dans ce moment et nous vous attendons ou, du moins, nous vous espérons. »

Gachet Paul, Lettres impressionnistes au docteur Gachet et à Murer, Paris, Grasset, 1957, 188 pages, p. 65-68.

La publication Paris à l’eau-forte. Actualité, curiosité, fantaisie, 2e volume, contient une nouvelle de G. R. (Richard Lesclide), « De Paris à Paris, par le chemin de fer de ceinture », illustrée de onze eaux-fortes de paysages, non signées, sûrement de Guillaumin.

R., « Itinéraire. De Paris à Paris par le chemin de fer de ceinture », Paris à l’eau-forte. Actualité, curiosité, fantaisie, 2e volume, 20e livraison, 10 août 1873, p. 4-7 (1 estampe). G. R., « Itinéraire. De Paris à Paris par le chemin de fer de ceinture, 2e étape », Paris à l’eau-forte. Actualité, curiosité, fantaisie, 2e volume, 21e livraison, 17 août 1873, p. 25-29 (3 estampes). G. R., « Itinéraire. De Paris à Paris par le chemin de fer de ceinture, 3e étape », Paris à l’eau-forte. Actualité, curiosité, fantaisie, 2e volume, 22e livraison, 24 août 1873, p. 42-46 (3 estampes). G. R., « Itinéraire. De Paris à Paris par le chemin de fer de ceinture, 4e étape », Paris à l’eau-forte. Actualité, curiosité, fantaisie, 2e volume, 23e livraison, 31 août 1873, p. 49-55 (4 estampes).

 

Gachet Paul, Deux Amis des impressionnistes, le docteur Gachet et Murer, Paris, éditions des Musées nationaux, 1956, 233 pages, note n° 1 p. 75 :

« Dans le troisième volume de Paris à l’eau-forte, appartenant à la première année (1873) de cette publication, on trouve sept eaux-fortes de P. Van Ryssel [le docteur Gachet][…]

Il est certain qu’il [le docteur Gachet] conseilla à Guillaumin de faire de l’estampe et non moins vrai qu’il le présenta à Lesclide pour lui en faciliter le placement : on trouve ainsi dans Paris à l’Eau Forte une vingtaine d’épreuves dont certains cuivres furent mordus à Auvers. »

12 septembre

Lettre de Monet à Pissarro.
Monet invite Pissarro à passer chez lui le lendemain, afin qu’ils améliorent les statuts de leur future société. Il précise que Renoir ne sera pas présent.

« Argenteuil 12 sept 73

Mon cher Pissarro

J’allais vous écrire, votre lettre m’arrive. Si vous voulez venir demain samedi à Argenteuil, j’ai à vous soumettre des améliorations quant à la forme de certains articles qui ne sont pas suffisamment clairs et qu’il faut absolument mieux formuler, puisque déjà j’ai trouvé des personnes qui interprétaient les choses différemment.

Venez demain pour rester le soir, ou ne venez que pour le dîner si vous avez à faire. Renoir n’est pas là, vous pourrez coucher. Je vous dis cela parce qu’il doit venir demain soir un monsieur adhérent très au courant de la chose qui doit nous donner la meilleure formule.

Je compte sur vous.

A demain.

Cl. Monet »

Archives départementales du Val-d’Oise, Pontoise. Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 95. Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 69, p. 429.

17 septembre

Lettre de Théodore Duret, « Paris 20 Neuve des Capucines » à Pissarro.
Duret demande à Pissarro de « servir d’intermédiaire » dans le différend qui l’oppose à Monet, puisque que c’est lui qui les avait présentés.

« Mon cher Pissarro,

Une difficulté s’est élevée entre M. Claude Monet et moi. Comme c’est vous qui m’avez présenté à lui, je vous prie de vouloir bien me servir d’intermédiaire pour lui transmettre la réponse que contient cette lettre. Voici le cas :

Je lui ai acheté un tableau le 24 mai, lui dit pour douze cent francs, moi je dis pour mille. Mes souvenirs sont absolument précis.

Il m’a montré chez lui, entre plusieurs tableaux, deux anciens tableaux de lui, en me disant qu’il en demandait respectivement 15 cent 12 cent francs. A ces prix, je les laisserai à 12 cent et à mille francs. C’est après cette réduction que j’ai fait affaire, pour le plus petit à mille francs.

Manet était allé quelques jours après à Argenteuil, le plus grand des deux tableaux, celui qu’on m’avait laissé à 12 cent lui ayant été montré, Monet lui en a également demandé 12 cent francs. C’est Manet lui-même qui, me parlant du tableau, m’a parlé de ce prix de 12 cent francs. Cela confirme pleinement le fait de la réduction qui m’a été faite de 15 et 12 cent à 12 cent et à mille, réduction qui seule m’a permis d’acheter le tableau.

J’ai aujourd’hui envoyé à M. Monet le complément des mille francs que je lui devais ; je suis donc libéré envers lui.

Seulement je ne voudrais à aucun prix qu’on pût penser que je cherche à faire une spéculation en achetant un tableau à M. Monet. Si M. Monet croit pouvoir vendre ailleurs son tableau plus de mille francs je le tiens à sa disposition contre remboursement des mille francs. Je tiendrai cette offre valable pendant un délai de six mois à partir de ce jour.

Je vous prie de vouloir bien être assez bon pour voir M. Claude Monet, et pour lui communiquer le contenu de cette lettre.

En vous remerciant par avance du souci que je vous donne, je demeure, mon cher Pissarro,

votre bien dévoué

Théodore Duret. »

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.23. JBH, tome I, note n° 3 p. 85-86. Wildenstein, Monet, tome I, p. 445.

20 septembre

Lettre de Théodore Duret, Paris, à Pissarro, datée.
Puisque Monet affirme à Pissarro avoir raison, Duret s’en tiendra à cette assurance et paiera le prix demandé. Il ajoute, concernant Pissarro : « J’ai reçu le petit tableau [PDRS 320], je le trouve très réussi. »

« Mon cher Pissarro,

Je ne crois pas m’être trompé. Mais ce n’est plus affaire entre M. Monet et moi.

Vous m’avez présenté chez M. Monet, c’est votre ami ; du moment qu’à vous il affirme avoir vendu le tableau douze cent francs et qu’il vous charge de me donner cette assurance, cela me suffit. Je paierai les 200 francs.

Je vous prie de vouloir bien en informer M. Monet. Je me réserve seulement de le payer quand j’aurai des rentrées et sans que cela puisse me gêner ; ce sera donc le courant de l’hiver.

Je vous remercie du soin que vous avez bien voulu prendre dans cette affaire. J’ai reçu le petit tableau, je le trouve très réussi.

J’irai vous voir un de ces dimanches.

Tout à vous

Théodore Duret. »

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.24. Wildenstein, Monet, tome I, p. 445.

23 septembre

Lettre de Monet, Argenteuil, à Pissarro.
Son beau-père étant décédé, Monet en informe Pissarro. Il lui demande de presser Duret d’effectuer son règlement.

« Une triste nouvelle attendait ma femme à son retour de Pontoise : son père est mort hier.

Nous sommes naturellement obligés de prendre le deuil et je me trouve dans un moment de gêne. Je serais bien content si vous pouviez obtenir le payement de M. Duret. »

Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 96.1.
Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 70, p. 429.

Le décès de M. Doncieux, père de Camille Monet, est survenu le 22 septembre, à Paris, rue du Faubourg-Saint-Denis.

Wildenstein, Monet, tome I, p. 64.

11 octobre

Lettre de Pissarro au Dr Gachet.
Pissarro prévient le docteur Gachet — Cezanne a dû le faire déjà — que son bébé et sa fille « Jeane » sont malades. Il souaite que le docteur passe les voir. Tous ces ennuis les ont empêchés de chercher une nouvelle maison. Celle que le docteur leur a trouvée ne leur convient pas. Dans l’immédiat, ils ont retenu une maison à l’Hermitage, où ils emménageront le lundi 13 octobre, « une petite maison à l’Hermitage en attendant mieux, nous la prenons par trimestre. C’est pas gai, mais c’est propre, et il y a beaucoup de place. »

« Pontoise, 11 octobre 1873

Mon cher Gachet,

Depuis quatre ou cinq jours, nous ne vivons pas, tellement nous sommes inquiets.

Cezanne a dû vous le dire, Jeane est malade.

Notre médecin d’ici a constaté une bronchite ; aujourd’hui, cela ne va pas mieux ; il craint une fièvre muqueuse, bébé aussi est malade.

Enfin, tous ces ennuis nous ont empêché de nous occuper d’avoir une maison.

Je vous remercie de vous être occupé de la chose, mais je ne puis accepter ; cette maison est adossée à la route, elle est enterrée, rien ne peut changer cet inconvénient, et du reste ce n’est pas fait.

Nous avons arrêté une petite maison à l’Hermitage en attendant mieux, nous la prenons par trimestre. C’est pas gai, mais c’est propre, et il y a beaucoup de place.

Nous déménageons lundi [13 octobre], comment ferai-je avec mes malades, surtout si cela s’aggrave, vous verrai-je d’ici là ?

Vous savez que cela nous fait toujours plaisir, vous verrez les malades et nous donnerez quelques bons conseils.

Compliments de la part de ma femme et de la mienne à Madame Gachet.

Je vous serre les mains.

C. Pissarro. »

Gachet Paul, Lettres impressionnistes au docteur Gachet et à Murer, Paris, Grasset, 1957, 188 pages, p. 28-29.
Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, n° 23, p. 81. Lettre de Pissarro à Duret, 31 octobre 1873 ; Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris. Presses universitaires de France, 1980, 390 pages, p. 32. Lettre de Pissarro à Guillemet, 3 septembre 1872 ; Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris, Presses universitaires de France, 1980, n° 27, p. 85.

13 octobre

Les Pissarro emménagent au 26, rue de l’Hermitage, à Pontoise (d’après les lettres JBH nos 26 et 27).

Gachet Paul, Lettres impressionnistes au docteur Gachet et à Murer, Paris, Grasset, 1957, 188 pages, note n° 1 p. 28. JBH, tome I, note n° 1 p. 81.

Dans ses lettres du 2 février et du 2 mai 1873 (JBH nos 20 et 21), Pissarro indiquait seulement Pontoise comme adresse. Sans doute s’agissait-il toujours du 16, rue Mallebranche, puisque Ludovic Rodo précise, dans le Curriculum vitæ de son père, que celui-ci s’y trouvait les 6 et 28 avril.

La maison du 26, rue de l’Hermitage, propriétaire Nicolas Cassard, est devenue l’actuel 54, 54 bis, rue de l’Hermitage.

Plan d’alignement de la rue de l’Hermitage, vers 1860 ; Archives départementales du Val-d’Oise.

[23 octobre]

Lettre de Pissarro, Pontoise, au docteur Gachet, datée jeudi.
Pissarro demande au docteur Gachet de passer à Pontoise voir sa fille Jeanne, qui est malade.

« Jeane [sic] a mal à la gorge depuis deux jours. Nous lui avons fait prendre les potions que vous aviez faites pour cette affection.

Elle ne semble pas aller mieux, craignant que ce ne soit plus grave cette fois-ci, nous serions bien contents de vous voir. Si vous avez un moment, pourriez-vous vous arrêter à Pontoise ? »

 JBH n° 24.

[28 octobre]

Lettre de Pissarro, Pontoise, au Dr Gachet, datée mardi.
Pissarro prévient le docteur Gachet qu’il compte aller « à Auvers dans quelques jours ». Il s’attendait à la visite de « l’ami Cezanne qui semble nous oublier ». Duret et Baudry sont venus lui acheter des tableaux. Ils désirent un effet de neige, aussi Pissarro demande à Gachet qu’il renvoie par l’intermédiaire de Cezanne celui qu’il lui a prêté.

« Jeane a fini sa potion : calcaria carbonica hier, auriez-vous l’obligeance de nous faire savoir ce qu’il faudra faire.

Elle va toujours bien, cependant l’appétit se relâche, elle mange, mais avec peine.

Je comptais aller à Auvers hier, mais j’en ai été empêché, et j’attendais avec presque certitude l’ami Cezanne qui semble nous oublier. […]

Duret et Baudry [lettres respectives du 17 décembre 1873 et du 13 février 1874] sont venus m’acheter des tableaux ; ils désiraient un effet de neige, ma femme m’a fait penser que celui que je vous ai prêté pourrait faire l’affaire. Quoique j’en demanderai un bon prix, pourriez-vous me l’envoyer par Cezanne s’il vient, dans tous les cas, j’irai à Auvers dans quelques jours. »

JBH n° 25.

On voit à nouveau Cezanne servir de liaison entre Pissarro et le docteur Gachet.

Paul Gachet apporte quelques précisions sur les médicaments homéopathiques que prescrit le docteur. Calcaria carbonica, celui qu’a pris Jeanne, est un des principaux. « Sur un calepin de notes du docteur, à côté de quelques dessins de Cezanne, on trouve mentionnés par lui deux médicaments usuels : n° 1, Bryonia ; n° 2, Nux vomica. »

Gachet Paul, Lettres impressionnistes au docteur Gachet et à Murer, Paris, Grasset, 1957, 188 pages, note n° 1 p. 30.

30 octobre

Lettre de Pissarro, Pontoise, 26, rue de l’Ermitage, au docteur Gachet.
Pissarro signale au docteur Gachet qu’il est passé le voir ce jour-là, sans succès. Il demande qu’il lui apporte « une grande plaque cuivre ».

« Je suis allé à Auvers aujourd’hui, vous faire savoir, ainsi qu’il était convenu, que la potion de Jeane était finie, et vous demander ce qu’il fallait faire.

La potion est finie d’hier soir mercredi. Ma femme est très tourmentée, elle vous prie de lui faire savoir la continuation du traitement ; elle a fait son corset, elle désire vous le faire voir, afin que vous jugiez par vous-même si c’est bien conforme à ce que vous lui avez prescrit, si vous pouviez en revenant, vous arrêter un moment à Pontoise vous nous feriez grand plaisir.

Si vous avez un moment veuillez passer chez ma mère, elle désirait vous voir.

[…] Veuillez m’apporter une grande plaque cuivre. »

JBH n° 26.

Pissarro a fait partie de la Société des Aquafortistes (1862-1867) fondée par Cadart. De cette époque datent ses six premières eaux-fortes (LD et MM 1 à 6). Aucune ne figura dans les publications de la Société.

C’est grâce au docteur Gachet que Pissarro se remet à la gravure, en même temps que Guillaumin, Cezanne et le docteur Gachet lui-même, sous le pseudonyme de Paul Van Ryssel.

« Sur la proposition du docteur, le quatuor-graveur d’Auvers avait adopté une marque pour chacun. » : une fleurette pour Pissarro (sur les gravures MM 7, 9, 10, 12), un pendu pour Cezanne (MM 2), un chat pour Guillaumin, un canard pour Van Ryssel. »

Gachet Paul, Cezanne à Auvers, Cezanne graveur, Les Beaux-Arts, Éditions d’études et de documents, Paris, 1953, n. p.

31 octobre

Lettre de Pissarro, Pontoise, à Théodore Duret.
Pissarro remercie Duret de l’envoi de son récit de voyage autour du monde, paru dans Le Siècle. Il donne sa nouvelle adresse à Pontoise. Puis il regrette le différend survenu entre Duret et Monet, d’autant qu’il a de l’estime pour chacun d’entre eux. Il recommande à Duret d’« oublier tout cela pour ne penser qu’à l’Art ».

« J’ai reçu avant-hier par la poste votre feuilleton paru dans le Siècle. A cause d’ennuis de toutes sortes je n’ai point encore trouvé un moment pour lire ce voyage en Asie, qui m’intéresse tant, mais voilà un mois que l’artiste a perdu ses droits devant la famille en danger, j’ai eu ma fille fort malade, pour comble d’ennuis, ces ennuis coïncidaient avec mon déménagement, mais la tourmente est passée, je me remets au travail avec ardeur, aussitôt que j’aurai rattrapé le temps perdu, je lirai tranquillement le grand voyage.

Je demeure 26, rue de l’Ermitage, toujours à Pontoise.

La dernière fois que j’ai vu Monet, il m’a prié de vous demander de vouloir bien lui donner les 200 francs qui restent dus, il est dans un moment difficile, cela lui serait bien utile de les avoir, d’un autre côté, le plus tôt vous serez débarrassé de cette petite affaire ne sera que le mieux.

Je regrette beaucoup cette affaire qui est venue mettre la scission dans notre camp, Monet est un garçon que j’estime beaucoup, je me trouve donc fort contrarié entre vos deux amitiés sans pouvoir vous réunir, vous faire oublier un moment de mauvaise humeur, je vous estime aussi trop pour croire un instant que vous y mettrez du parti pris, il faudra donc oublier tout cela pour ne penser qu’à l’Art.

Les journaux m’ont appris l’incendie de l’Opéra, savez-vous si Durand-Ruel a souffert ? »

JBH n° 27.

Le récit du périple en Asie de Duret a paru en feuilleton dans Le Siècle, 18 articles, du 30 septembre au 23 octobre 1873, puis sera édité en 1874.

Duret Théodore, « Voyage en Asie », Le Siècle, 39e année, nos 14916 à 14940, du mardi 30 septembre au jeudi 23 octobre 1873. Théodore Duret, Voyage en Asie. Le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, l’Inde, Michel Lévy Frères, Editeurs, Paris, 1874, 367 pages.

L’incendie de l’Opéra, rue Le Peletier, s’est produit le 30 octobre. Un pâté de maisons, compris entre les rues Drouot, Le Peletier, Rossini, a dû être évacué. Les dégâts ont été importants, mais les archives de Durand-Ruel ont pu être sauvées.

Vassy Gaston, « L’incendie de l’Opéra », Le Figaro, 20e année, 3e série, n° 304, vendredi 31 octobre 1873, p. 1-2.

1er novembre

Lettre de Pissarro, Pontoise, au Dr Gachet.

Pissarro sollicite du docteur Gachet de nouveaux conseils pour soigner ses enfants malades.

« Le soir même du jour de votre visite, la fièvre a repris l’enfant [Minette] vers la tombée de la nuit.

Bien entendu, nuit agitée et digestion mal faite, les selles avec des aliments intacts. Cela se passe la journée comme à l’ordinaire, le soir cela recommence.

J’ai recommencé métallum-album, pendant combien de jours ? Faudra-t-il Camomilla pour faire suite.

Quant à l’autre petit [Georges], son état n’a pas encore changé, quoique cependant la respiration me paraît déjà plus libre.

Je suis débarrassé de mon mal de gorge ; à la deuxième cuillerée, c’était réglé, c’est miraculeux ! »

JBH n° 28.

8 novembre

Billet de Monet à Duret, 8 novembre 1873, et reçu de Monet à Duret, 8 novembre 1873.

« Ci-joint le reçu réclamé. Merci et bien à vous. »

Le reçu :

« Reçu de M. Duret par l’entremise de M. Pissarro la somme de 200 francs pour solde de compte. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettres n° 71 et 72, p. 429, et vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 96.2.

9 novembre

Lettre de Théodore Duret à Pissarro.
Duret, « par l’entremise de M. Pissarro », paie à Monet les 200 F qu’il lui doit.

« 20 Rue Neuve des Capucines 9 Novembre 73

Mon cher Pissarro,

Je vous envoie les deux cents francs de Monet. Je vous prie bien de les lui faire parvenir, en lui demandant un reçu pour solde de compte.

J’ai appris avec peine que votre fille avait été malade ; mais puisque vous me dites qu’elle va mieux, je vois que vous êtes rassuré.

Durand-Ruel n’a point souffert de l’incendie ; mais les monarchistes ont été égorgés par Chambord. La monarchie disparaissant sous le dernier coup que lui porte le Roy lui-même, c’est mieux que tout ce qu’on eût pu imaginer.

J’irai vous voir prochainement.

Mille amitiés

Théodore Duret. »

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.22. JBH, tome I, note n° 3 p. 86.

19 novembre

Lettre de Léopold Robert, « à Barbizon près Fontainebleau par Chailly », à Pissarro.
Léopold Robert donne son accord à Pissarro pour faire partie de la Société des artistes. Il ajoute : « Bonjour à Cezanne que vous devez voir assez souvent ».

« Mercredi 19 novembre 1873

J’étais absent quand votre lettre est arrivée, sans cela je vous aurais déjà répondu. Il va sans dire que je suis des vôtres, je n’irai pas à Paris de sitôt, mais il me semble que vous pouvez pouvez signer pour moi. Je ne voudrais pas vous déranger pour cela, mais si vous pouviez par hazard [sic] venir me voir, [mot illisible] encore la forêt qui est splendide en ce moment, cela me ferait grand plaisir. En tous cas vous pouvez vous dis-je, signer pour moi, puis vous avez ma lettre.

Ecrivez moi, je vous prie, et envoyez moi les statuts. Mais j’adhère d’avance, car j’étais résolu plutôt à garder mes tableaux chez moi qu’à envoyer encore.

Je suis très content d’être à Barbizon, la forêt est tout à fait ce qu’il me faut, et puis je vais me mettre aussi à faire de la figure se rattachant à la forêt. Il y a tout à faire avec la forêt de Fontainebleau, on en a beaucoup parlé, il y a beaucoup de peintres, et on n’en a rien fait, sauf Rousseau, mais…

Je vous serre la main

Mes salutations à Mme Pissarro.

Bonjour à Cezanne que vous devez voir assez souvent
L. Robert

à Barbizon près Fontainebleau par Chailly »

Bibliothèque d’Art et d’Archéologie Jacques Doucet, Paris. Vente Archives Pissarro, n° 138.

30 novembre

Lettre de Monet, Argenteuil, à Pissarro.
Monet confirme à Pissarro qu’il continue de s’occuper de la société. Il espère obtenir les adhésions de Gill et de Lançon.

« Je n’oublie pas la société, je fais ce que je peux. Je suis allé plusieurs fois chez Carjat sans le rencontrer : enfin il m’a promis d’avoir la signature de Gill et de Lançon. J’espère donc à mon premier voyage à Paris avoir ces deux signatures en plus. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 73, p. 429, et vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 97.

5 décembre

Lettre de Monet, Argenteuil, à Pissarro.
Monet informe Pissarro qu’il a couru Paris toute la journée, pour tenter de trouver les cinq sociétaires qu’il leur manque afin de compléter les quinze déjà réunis. Sans succès.

« Je reviens de Paris où j’ai passé toute la journée à courir pour obtenir les cinq signatures en question, et je rentre bredouille. Je ne donne pas encore ma langue aux chiens, mais véritablement c’est plus difficile qu’on ne croit, chacun a une excuse différente. Carjat m’a renvoyé les statuts hier avec un mot me disant que Lançon et autres me priaient d’attendre leurs signatures à plus tard, je ne sais pourquoi. Bref, c’est, il me paraît, plus difficile d’obtenir ces cinq signatures que les quinze premières. Il est vrai que ces quinze étaient certaines d’avance.

J’ai vu aujourd’hui Lévy qui craint de se compromettre ; c’est la timidité. Le terrible La Rochenoire qui dit s’être trop occupé de ces questions-là dans sa vie et qui ne veut plus s’en mêler. Puis un autre qui ne veut pas faire d’opposition à l’Etat parce qu’il n’est pas Citoyen français. Je vais aller de l’autre côté de l’eau chez Los Rios et Solari ; serai-je plus heureux ? Renoir va voir demain Guillemet. Je crois qu’il serait bon de donner rendez-vous à Robert pour qu’il vienne signer. J’écris un mot à Feyen-Perrin pour lui demander un rendez-vous. En somme, si je n’obtiens rien, ce ne sera pas de ma faute. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 74, p. 429.

Jules de La Rochenoire avait mené, lors de l’élection du jury du Salon de 1870, que les artistes admis aux Salons antérieurs soient admis de plein droit (cf. 24 mars 1870).
De tous les artistes pressentis, seuls Léopold Robert et Feyen-Perrin deviendront sociétaires. Et encore le second ne versera-t-il que 10 % du montant prévu, sans participer à l’exposition.
Le « citoyen » étranger est probablement Alphonse Visconti, originaire de Milan, dont Paul Alexis a cité le nom dans son article du 12 mai 1873.

Wildenstein, Monet, tome I, note n° 475 p. 66.

Une liste manuscrite de vingt noms, dont, en première position, celui de Pissaro (sic), et en septième celui de « Cézane [sic], rue Rémy à Auvers-sur-Oise », a été retrouvée dans les papiers de Pissarro. Ce nombre de vingt correspond à celui de sociétaires que cherche à réunir Monet. Voici la liste, où nous soulignons en italique les noms de ceux qui n’auront participé à aucune des expositions impressionnistes :

« (1) C. Pissaro [sic], 26, rue de l’Hermitage à Pontoise.
(2) E. Belliard [sic], 69, rue de Douai à Paris.
(3) C. Monet, à Argenteuil.
(4) Guillaumin, 13, quai d’Anjou à Paris.
(5) Renouar [sic].
(6) Sisley, route de la Princesse, Voisin [sic].
(7) Cézane [sic], rue Rémy à Auvers-sur-Oise.
(8) [manque]
(9) de Mollins [sic], route du Calvaire, St-Cloud.
(10) Rosse, sculpteur, 78, avenue de Breteuil.
(11) Lépine.
(12) Lançon, Auguste, 69, boulevard St-Jacques.
(13) Rouart, 34, rue de Lisbonne.
(14) Quost, Ernest, 5, rue des Rosiers.
(15) Vernier, 19, rue de Constantinople.
(16) Degas, 77, rue Blanche.
(17) Melting [sic].
(18) Authier, Lubin, 350, rue St-Jacques.
(19) Margotet, rue Clothaire 3 ou Lothaire, près le Panthéon.
(20) Robert, à Barbizon. »

Suivent, sans numéro :

« Mathou, 10, place Dancourt. Gilbert, do[micilié], Montmartre. Rios de los Rios, 11, boulevard Montmartre. Alphonse Masson, 11 ou 17, avenue des Tilleuls à Montmartre. John Lewis Brown, 64, Laroche-Foucauld. Brisset, 19, rue du Delta. Chapuis, sculpteur, 116, rue d’Assas. Gill, 116, rue d’Assas. Corroenne [?], 138, faubourg Poissonnière. Feyen-Perrin, 28, rue Mazarine. Mlle Sanson, 72, rue de Rivoli. »

Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, note n° 2 p. 385.

John Rewald, probablement d’après Lucien Pissarro, apporte cette précision :

« Pissarro, qui avait déjà triomphé des objections faites contre l’admission de Guillaumin, maintenant soutenu par Monet, plaida la cause de Cezanne avec une conviction telle que son ami fut accepté. »

Rewald John, Cezanne et Zola, 1936, note n° 2 p. 85. Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 202.

6 décembre

Lettre de Duret, « Paris, 20, rue Neuve des Capucines », à Pissarro, datée « 6 X 1873 ».
Duret demande à Pissarro qu’il lui montre des Cezanne : « En peinture, je cherche plus que jamais les moutons à cinq pattes. »
Il laisse Degas acheter à Durand-Ruel le tableau de Pissarro des Alsaciens Lorrains (PDRS 290). À la place, il achète à l’artiste ses « trois ânes avec une petite bergère dans un paysage » (PDRS 57).
Ainsi, Duret possède quatre tableaux de Pissarro. Il lui propose de faire l’échange de L’Inondation (PDRS 295), outre 200 francs, contre un Printemps (PDRS 320). Seulement, il faudrait en retoucher l’avant-plan. Il lui conseille de ne pas se laisser influencer par Monet et Sisley. « Vous n’avez pas le sentiment décoratif de Sisley, ni l’œil fantastique de Monet, mais vous avez ce qu’ils n’ont pas, un sentiment intime et profond de la nature, et une puissance de pinceau qui fait qu’un bon tableau de vous est quelque chose d’absolument assis. »

« Mon cher Pissarro,

Degas m’a dit qu’il avait envie de votre tableau des Alsaciens Lorrains [PDRS 290] : je le lui laisse. J’ai acheté vos trois ânes avec une petite bergère dans un paysage [PDRS 57]. Je ne me préoccupe pas de savoir comment cela a été fait, ni si c’est votre manière claire ou noire. Au fond cela ne fait rien à l’affaire. Tout ce que je sais, c’est que pour le sentiment et la puissance, ce paysage avec animaux est aussi beau qu’un Millet. Je persiste à penser que la nature agreste, rustique avec animaux, est ce qui correspond le mieux à votre talent. Vous n’avez pas le sentiment décoratif de Sisley, ni l’œil fantastique de Monet, mais vous avez ce qu’ils n’ont pas, un sentiment intime et profond de la nature, et une puissance de pinceau qui fait qu’un bon tableau de vous est quelque chose d’absolument assis. Si j’avais un conseil à vous donner, je vous dirais ne pensez ni à Monet ni à Sisley, ne vous préoccupez pas de ce qu’ils font, allez de votre côté ; dans votre voie de la nature rustique vous irez, dans une veine nouvelle, aussi loin et aussi haut qu’aucun maître.

Je me trouve maintenant avec quatre tableaux de vous, qui ont à peu près la même coupe d’horizon et pour motif une nature un peu triste. Il me faudrait mettre là un peu de variété et introduire une note nouvelle. Je vous propose donc de vous changer le grand tableau : l’inondation [PDRS 295] pour votre grand Printemps [PDRS 320] de l’atelier de Montmartre. Je vous donnerai en retour 200 francs outre le tableau rendu. Seulement vous reprendriez le premier plan, pour le renforcer comme vous avez déjà pensé à le faire. Si ces propositions vous conviennent, répondez-moi, je reporterai le tableau que j’ai à votre atelier de Montmartre, je pourrai vous donner les 200 francs à la fin du mois ou au commencement de l’autre.

J’irai vous faire une petite visite un de ces dimanches, et si cela était possible, je ne serais pas fâché de trouver à voir quelque chose de Cezanne chez vous. En peinture, je cherche plus que jamais les moutons à cinq pattes.

Mes respects à Mme Pissarro

Mille amitiés

Th. Duret. »

Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.10.
Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 22.
Venturi Lionello, Les Archives de l’impressionnisme.
Lettres de Renoir, Monet, Pissarro, Sisley et autres. Mémoires de Paul Durand-Ruel. Documents, 2 volumes, Paris, New York, Durand-Ruel, 1939, tome I, p. 26. JBH, tome I, note n° 1 p. 87-88.
Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 187.

Le tableau des Alsaciens-Lorrains dont il s’agit est Terrains labourés, n° 120, 45 x 55 cm (PDRS 290), adjugé 320 F à Durand-Ruel. La vente a été organisée à l’hôtel Drouot au profit des Alsaciens-Lorrains émigrés en Algérie, à l’hôtel Drouot, les 18 et 19 avril 1873, tableau acheté par Durand-Ruel.

Tableaux modernes, aquarelles, dessins, gravures, faïences, eaux-fortes et sculptures offerts par l’Union philanthropique et fraternelle des Alsaciens-Lorrains émigrés en Algérie, vente hôtel Drouot, 18 et 19 avril 1873, Paris, hôtel Drouot, 18 et 19 avril 1873, Me Charles Pillet, commissaire-priseur, M. Durand-Ruel, expert, n° 120. Prix annoté sur le catalogue de la Bibliothèque d’Art et d’Archéologie Jacques Doucet, Paris.

Le livre de compte de Durand-Ruel mentionne : « Champs labourés, stock n° 3150, vendu le 16 décembre 1873 pour 400 F. » Degas inscrira, bien plus tard, dans un inventaire de sa collection : « n° 162, Pissarro, Plaine labourée et carré de choux sur le devant, ciel mouvementé, vers 1875, acheté à Durand-Ruel. »

Archives Durand-Ruel
Roquebert Anne, « Degas collectionneur », Degas inédit, Actes du Colloque Degas, musée d’Orsay, 18-21 avril 1888, La Documentation française, Paris, 1989, note 6 p. 82.
Kendall Richard, Degas Landscapes, Yale University Press, New Haven et Londres, en association avec The Metropolitan Museum of Art, New Yok, et The Museum of Fine Arts, Houston, 1993, note 87 p. 285.

8 décembre

Lettre de Pissarro à Duret.
Pissarro répond favorablement à la demande d’échange de Duret. Il ajoute : « Dès le moment que vous cherchez des moutons à cinq pattes, je crois que Cezanne pourra vous satisfaire, car il a des études fort étranges et vues d’une façon unique. »

« J’adhère au changement de tableau que vous voulez, j’accepte vos conditions. J’espère que vous serez satisfait du Printemps, quant à moi je serais fort embarrassé de faire un choix, cela doit se comprendre.

Je regrette que vous ne puissiez avoir les Terrains labourés, d’un autre côté, comme artiste, je suis on ne peut plus flatté que ce tableau plaise à Degas, je serais enchanté si le Printemps compensait les Terrains labourés.

Merci de vos conseils, vous devez voir qu’il y a longtemps que j’ai pensé à ce que vous me dites. Ce qui m’a empêché longtemps de faire la nature vivante c’est tout simplement la facilité d’avoir des modèles à ma disposition, non pas seulement pour faire le tableau, mais pour étudier la chose sérieusement. Du reste, je ne tarderai pas à essayer encore d’en faire, ce sera fort difficile, car vous devez vous douter que ces tableaux ne peuvent se faire toujours sur nature, c’est-à-dire dehors ; ce sera bien difficile.

Dès le moment que vous cherchez des moutons à cinq pattes, je crois que Cezanne pourra vous satisfaire, car il a des études fort étranges et vues d’une façon unique. »

Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 1, « 1865-1885 », Paris. PUF, 1980, p. 32. Lettre de Pissarro à Guillemet, 3 septembre 1872 ; Bailly-Herzberg, tome I, 1980, n° 29, p. 88.

11 décembre

Lettre de Monet, Paris, à Pissarro, datée.
Monet demande à Pissarro qu’ils se voient pour faire le point des signatures obtenues.

« Que devenez-vous, que l’on ne [vous] voie plus.

Venez donc prochainement, il faut nous voir à propos de ces signatures qui sont impossibles à décrocher. Avez-vous écrit à Robert, comme je vous le disais dans ma dernière lettre ?

Renoir est allé chez Guillemet, nous ne savons pas encore s’il signera, quoiqu’il ait dit toujours en être, mais je crois qu’il voudrait trouver un joint pour ne pas signer. Nous attendons sa réponse. J’ai écrit à Feyen-Perrin lequel ne m’a même pas répondu. Aussi je me flatte de n’y être pas allé. C’est très difficile de demander cela à des gens qui ne vous connaissent pas, surtout nous autres qui ne sommes pas sympathiques à tous, loin de là. Le seul moyen, c’est par connaissance, et donc je ne connais guère que les mêmes personnes que vous.

Venez donc, car d’ici huit ou dix jours je pars en voyage.

Si le hasard vous amène à Paris après-demain samedi, je serai à l’atelier toute la journée. »

Wildenstein, Monet, tome I, lettre n° 75, p. 429. Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 99.

Guillemet ne rejoindra pas le groupe.

16 décembre

Degas achète 400 francs à Durand-Ruel le tableau de Pissarro « Champs labourés » (PDRS 290). C’est le premier tableau de Pissarro, semble-t-il, qu’achète Degas.

Roquebert Anne, « Degas collectionneur », Degas inédit, 1989, p. 66 et note n° 6 p. 82.

26 décembre

Lettre de Pissarro, Pontoise, à Théodore Duret.
Pissarro informe Duret qu’il est allé à Paris et a vendu des tableaux à Durand-Ruel. Comme il doit montrer d’autres tableaux à Faure et à Martin, il souhaite que l’échange avec Duret se réalise vite, afin de pouvoir leur montrer L’Inondation [PDRS 295].

« Je suis allé à Paris ces derniers jours avec un lot de tableaux que j’ai montrés à Durand, j’ai fait affaire avec lui, j’aurais bien désiré savoir si vous vous étiez décidé à faire l’affaire que vous m’aviez proposée, c’est-à-dire d’échanger avec deux cents francs de retour votre Inondation contre le paysage Printemps [cf. lettre du 8 décembre].

J’irai à Paris demain, je serai occupé tout le jour, mais j’y passerai probablement la semaine. J’emporte un autre lot de tableaux que je dois faire voir à Martin et Faure. Si donc vous échangez les tableaux, auriez-vous la bonté de m’envoyer l’Inondation, que je la fasse voir à ces messieurs.

Je ferai mon possible de passer chez vous, je serai curieux de voir les toiles, je ne m’en rappelle que vaguement. […]

Je tâcherai de retoucher Le Printemps pendant mon séjour à Paris. »

JBH n° 30.

27 décembre

Fondation de la « Société anonyme coopérative, à personnel et capital variables, entre les artistes-peintres, sculpteurs, graveurs et lithographes », dont des extraits des statuts seront publiés le 17 janvier 1874.
Pissarro et Monet font partie des sept administrateurs ; Renoir, du conseil de surveillance.

La Chronique des Arts et de la Curiosité, n° 3, 17 janvier 1874, p. 19 ; reproduit en fac-similé dans Centenaire de l’Impressionnisme, Paris, 1974, p. 223.

L’un des trois projets de statuts, manuscrits, qui ont été trouvés dans les papiers de Camille Pissarro et que Ludovic-Rodo Pissarro a communiqués à John Rewald, correspond aux quelques renseignements que donnent Paul Alexis, le 12 mai, et Georges Rivière.

Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 383-384 :

« SOCIÉTÉ DES ARTISTES PEINTRES, DESSINATEURS,
GRAVEURS, ETC., DE PARIS

[Annotation au crayon : Monet, Porte St Denis (Argenteuil).]

Article premier. — Les soussignés, tous artistes peintres, dessinateurs, graveurs, dans un sentiment de solidarité et d’indépendance ; ont résolu aujourd’hui de former entre eux une société d’aide et de protection mutuelle qui aura pour titre distinctif l’art indépendant.

Art. II. — La société aura pour but d’organiser des expositions libres où chacun des membres pourra envoyer ses œuvres.

Art. II bis. [ajouté]. — L’assemblée générale des sociétaires devra se réunir au moins une fois l’an en décembre.

Art. III. — Les expositions auront lieu suivant les ressources pécuniaires de la société et suivant les expositions prises en assemblée générale des sociétaires.

Art. IV. — L’Exposition devra avoir lieu au moins une fois l’an, à la même époque que l’exposition annuelle faite par l’Etat. Le droit d’entrée sera fixé à un franc tous les jours de la semaine. L’exposition sera publique le dimanche. Les sociétaires auront droit d’entrée. [Annotation au crayon : voir s’il faut renvoyer au règlement.]

Art. IV bis. [ajouté]. — Un droit sera prélevé sur chaque tableau vendu.

Art. V. — Les tableaux devront être rangés suivant leur grandeur, les petits sur la Cimaise et les plus grands au-dessus. En aucun cas il n’y aura plus de deux rangées de tableaux.

Art. VI. — La société se réserve cependant le droit de limiter le nombre et la grandeur des tableaux suivant le local que ses ressources lui permettront de louer.

Art. VII. — Des délégués seront nommés en assemblée générale pour la direction générale de l’exposition et de l’administration.

Art. VIII. — Le nombre des délégués sera toujours égal au dixième des membres de la société.

Art. IX. — L’assemblée générale pourra, s’il devient nécessaire, prendre ses délégués en dehors de la société et les rétribuer.

Art. X. — Le nombre des sociétaires sera illimité. [Annotation au crayon : à étudier.]

Art. XI. — Chaque membre devra verser la somme de soixante francs à partir du premier janvier de chaque année, qu’il pourra verser par 12e entre les mains du Trésorier.

Art. XII. — Le sociétaire ne pourra se retirer de la société qu’en prévenant. [Annotation au crayon : 1 ou 2 ans d’avance.]

Art. XIII. — Tout sociétaire qui sera en retard de trois mois pour le paiement de sa cotisation perdra par le fait seul de ce retard tous ses droits, après avertissements pourra être poursuivi selon décision de l’assemblée générale. [Annotation au crayon : à étudier.]

Art. XIV. — Les fonds versés entre les mains du Trésorier devront être mis à la Caisse des Dépôts et Comptes Courants à partir de cent francs.

[Art. XV manque.]

Art. XVI. — En cas de décès les héritiers ou ayants droit du décédé seront responsables des sommes dues.

Art. XVII. — L’assemblée générale pourra prendre toutes décisions à la majorité des voix relatives aux questions d’administration et de réglementation, soit des expositions, soit à tout autre sujet, mais en tant qu’elle ne modifiera pas les principes posés dans le présent.

Art. XVIII. — La société pourra accepter des dons et legs à elle faits soit en argent, soit autrement. »

 

Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury éditeur, 1921, 273 pages, p. 43-44 :

« L’idée, émise en 1873, de grouper quelques peintres ayant entre eux une affinité et de faire une exposition collective de leurs œuvres revient, je crois, à Claude Monet. Elle fut tout de suite bien accueillie, d’abord par Renoir et Sisley, ses deux amis, puis par Cezanne, Pissarro, Guillaumin, Degas, Mme Berthe Morisot [plus tard]. Manet, qui tenait essentiellement au Salon officiel qu’il considérait comme le meilleur terrain de combat, ne voulut pas prendre part à une manifestation qui lui eût aliéné les sympathies du Jury officiel.

L’organisation du groupe fut assez laborieuse. Degas désirait qu’on associât aux promoteurs de l’exposition un certain nombre d’autres peintres, tandis que Monet et ses amis préféraient rester entre eux. Peut-être cela eût-il mieux valu, mais Degas invoquait à l’appui de sa proposition la nécessité de ne pas donner à l’exposition un caractère trop révolutionnaire ; c’était sage, en apparence.

Pissarro qui représentait assez bien l’esprit « vieille barbe de 48 » insistait pour qu’on formât une association coopérative calquée sur celle des ouvriers boulangers dont il donna lecture à une réunion. Aux statuts de cette société de mitrons, il avait ajouté un projet de règlement intérieur rempli de prohibitions et de pénalités. Renoir qui avait l’horreur des réglementations administratives protesta contre le projet de Pissarro, qui fut rejeté.

La nécessité de couvrir les frais assez lourds de l’exposition fit accepter, au contraire, la proposition de Degas. En augmentant le nombre des exposants, on diminuait, d’ailleurs, la quote-part des frais de chacun. »

 

Rivière Georges, « Claude Monet aux expositions des impressionnistes », L’Art vivant, janvier 1929, n° 97, p. 17-18 :

« Pour se soustraire à une tyrannie insupportable, il [Monet] proposa à ses amis — victimes comme lui-même — d’exposer ensemble hors du Salon officiel et d’abandonner définitivement celui-ci. Notez qu’à ce moment-là il n’y avait qu’un seul Salon et que les expositions particulières étaient exceptionnelles.

Renoir, Pissarro, Degas, Sisley, Guillaumin accueillirent la proposition de Monet, mais ils ne l’acceptèrent pas tous sans restrictions. Renoir ne voulait pas prendre l’engagement de ne plus exposer au Salon parce qu’il lui répugnait d’aliéner sa liberté. Degas considérait qu’une exposition où ne figureraient que Monet et ses amis était vouée à un échec et qu’en outre elle aurait un caractère trop particulariste. Il proposa donc de s’adjoindre un certain nombre d’artistes déjà connus, ce qui enlèverait à l’exposition beaucoup de son allure protestataire. »

Un troisième projet de statuts, polycopié, a été retrouvé dans les papiers de Pissarro, qu’il est difficile de dater, comme il est difficile de déterminer à quel projet se rapportent les propos de Rivière :

« EXPOSITION EN PARTICIPATION

Entre les Soussignés,
Conformément aux Articles 47, 48, 49 et 50 du Code de Commerce, il est formé une Société en participation pour la réalisation d’une Exposition publique de peinture, sculpture, gravure et objets s’y rattachant, et la vente des objets exposés.
Elle prendra le nom d’Exposition en participation.
Cette Exposition sera faite à Paris dans un local qu’on trouvera disposé à cet effet ou dans une Baraque construite dans ce but. Elle aura lieu vers le 1er mars, pour durer un mois à six semaines.
Elle comprendra 300 œuvres d’art.
L’entrée pour le public sera de 1 franc.
Le placement des tableaux aura lieu par ordre alphabétique, les plus grands en dessus, sans qu’il puisse y avoir plus de deux rangées de tableaux.
Le Capital de l’Exposition en participation devant faire face aux dépenses nécessaires pour son objet, se composera de 150 parts de 60 francs chacune.
Chaque part donnera droit à l’exposition de deux objets d’art.
Nul ne pourra souscrire plus de trois parts.
Toutefois, dans le cas où d’ici au 15 février la totalité des parts n’aurait pas été souscrite, les adhérents, à cette époque, auront le droit de souscrire chacun deux parts supplémentaires.
La répartition des parts est faite comme suit : savoir : MM…….
L’exposition en participation ne sera définitivement constituée que quand toutes les parts auront été souscrites.
Le montant des parts sera versé entre les mains du Trésorier de la Participation au moment de la souscription.
L’Exposition en Participation sera administrée par un Gérant choisi ou non parmi les participants, auquel il sera alloué pour cet objet, une somme de                  et un intérêt dont il sera ci-après parlé.
Ce Gérant ne pourra ordonnancer de dépenses que sous le contrôle de deux Commissaires nommés en réunion générale.
Il devra déposer les fonds entre les mains du Trésorier de la Participation, lequel sera nommé en Réunion Générale, et pris parmi les participants :
Pour la Constitution de la Participation,
M. Martin est Gérant provisoire ;
MM. Renoir et Rouart, Commissaires ;
M…., Trésorier.
Le placement des Tableaux se fera par le Gérant assisté d’une Commission composée de Cinq membres nommés en Réunion générale.
Pour que la réunion générale soit valable, la moitié des Participants devra être présente ou représentée. Nul ne peut se faire représenter que par un Membre participant.
Les opérations de la Participation se feront au Comptant.
Les Recettes de la Participation se composeront : du droit d’entrée des visiteurs à l’Exposition, d’une prime de dix pour cent prélevée sur le prix des Tableaux vendus par les soins de la Participation, de la vente des Catalogues, Photographies ou autres objets.
La durée de la Participation est celle du temps nécessaire à sa constitution, à l’Exposition et à sa Liquidation.
Aussitôt l’Exposition terminée la Participation sera liquidée par les soins du Gérant et des Commissaires.
Le reliquat en Caisse se composant de l’excédent des Recettes quelconques sur les dépenses, sera partagé comme suit :
20 % seront donnés au Gérant ;
et les 80 % restants seront partagés entre les Participants au prorata du nombre de leurs parts.
Cette Liquidation se fera en soumettant les Comptes à une Réunion générale qui les approuvera et donnera décharge.
Si au quinze Mars prochain toutes les parts n’ont pas été souscrites, une Réunion des Souscripteurs décidera ce qu’il y aura lieu de faire.
S’adresser pour tous renseignements chez M. Martin, Rue St. Georges, n° 29. »

Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 388-389.

Apparemment, Martin ne donnera pas suite à ce projet.

Tabarant A., Pissarro, Paris, 1924, p. 43-44 :

« Ses démêlés [de Pissarro] avec Martin remontaient à quelque temps déjà [par rapport à l’année 1878]. De toutes celles des impressionnistes, la peinture de Pissarro était la plus difficile à vendre, la véridique rusticité des modèles du peintre et l’humilité de ses motifs rebutant la plupart des clients. Et Martin déclarait partout que Pissarro n’avait aucune chance de sortir de l’ornière s’il persistait à peindre aussi vulgairement, lourdement, « avec sa palette boueuse », ajoutait-il, ce qui était bien le comble de l’imposture. »

Une anecdote, que rapporte Lucien Pissarro :

« Cezanne était assis sur l’herbe, sans doute attendant l’heure de son effet et papa peignait un peu plus loin, un paysan qui passait s’approcha de papa et lui dit : « il s’la foule pas vot’ouvrier ». »

Lettre de Lucien Pissarro à Paul-Émile Pissarro, non datée, 1912 ; Oxford, Ashmolean Museum.
Rewald John, Cezanne, Paris, Flammarion, 2011, 1re édition 1986, 285 pages 1986, extrait cité p. 100 sans référence.

Gustave Coquiot rapporte cette autre anecdote qu’il tient d’un paysan d’Auvers :

« Les paysans qui sont bien moins bêtes que les amateurs connurent vite les deux peintres amis ; et jamais ils ne vinrent les importuner. Quelquefois, ils regardaient les tableaux en passant et s’éloignaient sans rien dire ; mais pas toujours sans remarquer ; car c’est l’un de ces paysans qui me disait si justement un de ces étés derniers : « Monsieur, j’ai vu bien souvent les tableaux de MM. Cezanne et Pissarro. M. Pissarro, en travaillant, piquait (et mon paysan faisait le geste) et M. Cezanne plaquait (autre geste). » »

Coquiot Gustave, Paul Cezanne, Paris, Librairie Paul Ollendorff, 1919, 253 pages, p.60- 61.