Janvier

Gauguin analyse par la graphologie le caractère de Cezanne. Il voit en lui « la nature essentiellement mystique de l’Orient […] il affectionne dans la forme un mystère et une tranquillité lourde de l’homme couché pour rêver, sa couleur est grave comme le caractère des Orientaux ».

 

14 janvier

Gauguin écrit à Schuffenecker :

« Les couleurs sont encore plus explicatives quoique moins multiples que les lignes par suite de leur puissance sur l’œil. Il y a des tons nobles d’autres communs des harmonies tranquilles consolantes d’autres qui vous excitent par leur hardiesse. En somme vous voyez dans la graphologie des traits d’homme franc et d’autres de menteur, pourquoi pour un amateur les lignes et les couleurs ne nous donneraient-ils pas aussi le caractère plus ou moins grandiose de l’artiste. Voyez Césanne l’incompris, la nature essentiellement mystique de l’Orient (son visage ressemble à un ancien du Levant) il affectionne dans la forme un mystère et une tranquillité lourde de l’homme couché pour rêver, sa couleur est grave comme le caractère des Orientaux ; homme du Midi il passe des journées entières au sommet des montagnes à lire Virgile et à regarder le ciel, aussi ses horizons sont élevés ses bleus très intenses et le rouge chez lui est d’une vibration étonnante. Comme Virgile qui a plusieurs sens et que l’on peut interpréter à volonté, la littérature de ses tableaux a un sens parabolique à deux fins ; ses fonds sont aussi imaginatifs que réels. Pour résumer quand on voit un tableau de lui on s’écrie, Etrange mais c’est une folie — Ecriture séparée mystique, dessin de même — Plus je vais plus j’abonde dans ce sens de traductions de la pensée par toute autre chose qu’une littérature, nous verrons qui a raison — »

Lettre de Gauguin, Copenhague, à Schuffenecker, 14 janvier 1885 ; copie à Pontoise, musée Pissarro ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin. Documents, témoignages, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, 561 pages, n° 65, p. 88.

Mars

Cezanne est de nouveau à l’Estaque. Il souffre de fortes névralgies. Il remercie Zola de l’envoi de son livre, Germinal.

« [L’Estaque] le 11 mars 1885.
Mon cher Émile,
J’ai reçu le volume que tu as bien voulu m’adresser, il y a une dizaine de jours. Des douleurs névralgiques assez fortes, qui ne me laissaient de lucidité que par moments, m’ont fait oublier de te remercier. Mais la tête s’est calmée, et je vais sur les collines promener, où je vois de beaux spectacles de panorama. Je te souhaite bonne santé, pensant que le reste ne te manque point.
Je te serre cordialement la main,
Paul Cezanne »

Lettre de Cezanne à Zola, 11 mars 1885 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 216.

Printemps

Il est amoureux et demande à Zola de bien vouloir recevoir des lettres pour lui et de les lui renvoyer à une adresse qu’il lui indiquera.

« [Printemps 1885]
Je vous ai vue, et vous m’avez permis de vous embrasser ; à partir de ce moment un trouble profond n’a pas cessé de m’agiter. Vous excuserez la liberté de vous écrire que prend envers vous une âme [transcrit « un ami » par John Rewald] que l’anxiété tourmente. Je ne sais comment vous qualifierez cette liberté que vous pouvez trouver bien grande ; mais pouvais-je rester sous l’accablement qui m’oppresse ? Ne vaut-il pas mieux encore manifester un sentiment que de le cacher ?
Pourquoi, me suis-je dit, taire ce qui fait ton tourment ? N’est-ce pas un soulagement donné à la souffrance, que de lui permettre de s’exprimer ? Et, si la douleur physique semble trouver quelque apaisement dans les cris du malheureux, n’est-il pas naturel, Madame, que les tristesses morales cherchent un adoucissement dans la confession faite à un être adoré ?
Je sais bien que cette lettre, dont l’envoi hasardeux et prématuré peut paraître indiscret, n’a pour me recommander à vous que la bonté de ».

  1. Ce brouillon s’arrête brusquement en bas de la feuille. L’identité de cette femme n’est pas connue. Il semble que Cezanne ait eu une affaire avec une jeune bonne du Jas de Bouffan, mais cette lettre ne sonne pas comme si elle était adressée à une bonne et il n’est pas non plus probable qu’une bonne lui aurait écrit, comme il en résulte des lettres à Zola qui suivent. D’ailleurs, cette bonne avait dû quitter Aix en 1884, rappelée par ses parents lors de l’épidémie de choléra qui sévissait à Marseille de juin à octobre (Note de Rewald).
Brouillon de lettre de Cezanne à une dame, [printemps 1885] ; au verso d’un dessin de Cezanne, appartenant à l’Albertina de Vienne. Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Bernard Grasset éditeur, 1978, p. 216-217. Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, p. 199-200, reproduit figure 28. Lettre de Cezanne à Zola, 14 mai 1885 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 217.

 

de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 197-198 :

« Il ne suffit plus de peindre, il faut vivre autrement, et l’attirance physique qu’il ressent pour Fanny, la servante du Jas de Bouffan, le surprend et le bouleverse à son âge. Cette forte fille saine sait soulever à elle seule un tonneau pour le mettre sur le chais, et Cezanne, qui admire toujours la force, a dit à un camarade cette phrase surprenante : « Tu verras la servante du Jas comme elle est belle, elle ressemble à un homme. » […]
Cezanne offrira à Fanny un tableau, un tableau souvenir, puisqu’il représente un coin du Jas de Bouffan [FWN200-R595]. »

3 mai

Naissance du troisième enfant de sa sœur Rose, Marie Antoinette Paule Conil (Aix, 20, rue Émeric-David, 1er mai 1885 – Aix-en-Provence, 22 novembre 1978).

Acte de naissance, Archives communales d’Aix-en-Provence. Antonini Luc, Flippe Nicolas, La Famille Cezanne, Paul et les autres, préface de Philippe Cezanne, Paris Septème-les-Vallons, 2006, 154 pages, p. 122.

14 mai

Cezanne est devenu amoureux. Il sollicite un service de Zola :

« [Aix,] Jas de Bouffan, 14 mai 1885.
Mon cher Émile,
Je t’écris pour que tu aies l’obligeance de me répondre. Je désirerais que tu me rendes quelques services, je crois, minimes pour toi, et vastes pour moi. Ce serait de recevoir quelques lettres pour moi, et de me les renvoyer par la poste à l’adresse que je t’adresserai ultérieurement. Ou je suis fou, ou je suis sensé. Trahit sua quemque voluptas [Chacun est entraîné par son plaisir (Virgile, Les Bucoliques)] ! J’ai recours [à toi] et j’implore ton absolution ; sont heureux les sages !
Ne me refuse pas ce service, je ne sais où me tourner.
Mon cher ami, je te serre vigoureusement la main. Tout à toi,
Paul Cezanne
Je suis mince et ne peux te rendre nul service, comme je partirai avant toi, je te servirai auprès du Très-Haut pour une bonne place. »

Lettre de Cezanne à Zola, 14 mai 1885 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 217-218.

14 juin

De retour d’Aix, il passe la soirée chez Zola à Paris.

Lettre de Cezanne à Zola, 15 juin 1885, Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 218.

15 juin

Il s’installe, avec Hortense et Paul, à La Roche-Guyon chez Renoir, Grande-Rue, et donne à Zola l’adresse de la poste restante pour lui renvoyer ses lettres.

« La Roche [-Guyon], 15 juin 1885.
Mon cher Émile,
Je suis arrivé ce matin à La Roche. Je viens donc te prier de m’adresser, s’il te vient quelque lettre pour moi :
poste restante à La Roche-Guyon 1, par Bonnières
(Seine-et-Oise).
Hier soir, je m’étais un peu trop empiffré de bonnes choses, je te prie d’accepter mes remerciements et le bonjour.
Paul Cezanne
Ainsi qu’à Madame Zola, et guérison. »
« La Roche-Guyon, 27 juin 1885.
Mon cher Émile,
Voici la fin de juin qui s’avance. Lorsque l’heure de ton départ pour Médan sera venue et que tu seras installé, voudras-tu bien m’en prévenir ? Le besoin de changement m’agace un peu.
Heureux les cœurs fidèles !
Je présente mes respects à Madame, et je te remercie d’avance, et de ton obligeance pour mes lettres d’Aix.
Je suis avec les formules d’usage,
Paul Cezanne »

  1. La Roche-Guyon, où Pissarro avait travaillé vingt ans plus tôt et où Guillemet ainsi que probablement Cezanne s’étaient joints à lui, est une petite ville pittoresque près de Bonnières, directement en face de Bennecourt, où Cezanne et Zola avaient séjourné en 1866, de l’autre côté de la Seine. Cezanne venait de s’y rendre après une courte visite chez Zola ; il y était sans doute invité par Renoir qui passait l’été 1885 à La Roche-Guyon et tenait peut-être à montrer sa reconnaissance pour l’hospitalité reçue à l’Estaque en 1882.
Lettres de Cezanne à Zola, 15 et 27 juin, 3 et 6 juillet 1885, Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 218-220.

15 juin

Un article d’Émile Verhaeren, « L’impressionnisme », paru dans le Journal de Bruxelles, mentionne Cezanne. Il annonce une exposition d’œuvres impressionnistes à la troisième exposition des XX en1886. Monet et Renoir y exposeront.

« Bien des esprits hérissés à l’endroit de Monet, Pissaro, Sisley, Cassatt, Morizot, Caillebotte, Renoir, Cezanne, Guillaumin, l’acceptent et le défendent [Degas]. On nous promet pour l’an prochain une bonne cargaison d’œuvres impressionnistes aux XX. Le public pourra les étudier à loisir. Je doute pourtant qu’elles lui plaisent. En tout cas mènera-t-on autour d’elles rude combat et ardente discussion. ».

Verhaeren Émile, « L’impressionnisme », Journal de Bruxelles, 15 juin 1885.

3 juillet

En raison de « circonstances fortuites », Cezanne désire se rendre au plus vite chez Zola à Médan.

« La Roche-Guyon, 3 juillet 1885.
Mon cher Émile,
La vie me devient ici, à cause de circonstances fortuites, assez difficile. Voudrais-tu me dire, si tu pourrais me recevoir chez toi ?
Au cas où tu ne serais pas encore installé à Médan, aie l’obligeance de m’avertir par un petit mot.
Je te serre cordialement la main et te remercie vivement,
Paul Cezanne »

Lettre de Cezanne à Zola, 3 juillet 1885 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 219.

6 juillet

« La Roche [-Guyon], 6 juillet 1885.
Mon cher Émile,
Je viens te prier de m’excuser. — je suis un grand con. Figure-toi que j’oubliais de retirer tes lettres à la poste restante. Voilà ce qui explique ma seconde si insistante. Je te remercie mille fois.
Veuille présenter mes respects à Madame Zola.
Dès que tu le pourras, écris-moi un petit mot. Grande Rue, Cezanne chez Renoir à La Roche.
Tout à toi.
Paul Cezanne
S’il te venait cependant une lettre d’Aix, aie l’obligeance de l’adresser poste restante et de m’avertir par un petit mot au domicile, en faisant une croix dans un petit coin de ta lettre. »

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 220.

Au cours de son séjour à La Roche-Guyon, Cezanne peint les tableaux suivants :
La Route tournante à La Roche-Guyon (FWN204-R539)
La Route tournante à La Roche-Guyon (FWN205-R540).

11 juillet

Zola, ayant de nombreux invités, ne peut recevoir Cezanne. Celui-ci prend une chambre à l’auberge de Villennes, près de Médan, et demande à Zola de lui prêter son canot, Nana, pour peindre. En raison des fêtes du 14 juillet, tous les hôtels de Villennes sont complets ; il s’installe à l’hôtel de Paris à Vernon, place de Paris.

« Médan 4 juillet [18]85.
Mon cher Paul, ta lettre me désole davantage. Que se passe-t-il donc ? Ne peux-tu patienter quelques jours ? En tout cas, tiens-moi au courant, avertis-moi si tu étais obligé de quitter La Roche, car je veux savoir où t’écrire, quand ma maison sera enfin libre. Aie de la philosophie, rien ne marche comme l’on veut, moi-même je suis bien ennuyé en ce moment.
A bientôt, n’est-ce pas ? Dès que je le pourrai, je t’écrirai.
Affectueusement.
Émile Zola. »

Lettres de Zola, Médan, à Cezanne, datée « 4 juillet 85 » ; de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, reproduit planche II.
Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome V (1884-1886), 1985, p. 276-277.
Lettres de Cezanne à Zola, 11, 13, 15 et 19 juillet 1885, Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 219-220.

11 juillet

Lettre de Cezanne à Zola :

« 11 juillet 1885.
Mon cher Émile,
Je pars aujourd’hui pour Villennes 1. Je vais aller à l’auberge. J’irai te voir un instant dès mon arrivée ; je veux te demander si tu ne pourrais me prêter Nana pour peindre, je la rentrerai au bercail après l’étude 2.
Ne rien faisant je m’ennuie davantage.
Tout à toi,
Paul Cezanne
Ne vois rien de mal dans ma décision. Je suis obligé de changer de place seulement. Et puis, quand tu seras libre, je n’aurai qu’un pas à faire pour aller chez toi. »

  1. Localité voisine de Médan.
  2. Nana était le nom du canot de Zola dont Cezanne se servait pour se rendre à l’île du Platais située en vis-à-vis de la demeure du romancier et d’où il a peint une vue sur le château de Médan et Campagne et coteau (près de Médan) (R 527). Il a aussi peint à partir du canot sur la Seine une aquarelle Bords d’une rivière (Ra 101).
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 220-221.

13 juillet

Lettre de Cezanne à Zola :

« [Vernon] 13 juillet 1885
Mon cher ami,
Impossible pour cette semaine de fêtes de gîter à Villennes. Ni au « Sophora », ni au « Berceau », ni à 1’« Hôtel du Nord ». Je te serre la main, je suis à Vernon, « Hôtel de Paris ». Si mes toiles à peindre te sont adressées, veuille me les faire prendre et garder chez toi. Je te remercie d’avance.
Paul Cezanne
« Hôtel de Paris ».
Vernon, (Eure). »

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 221.

15 juillet

Cezanne est dans un état de vive agitation et il a décidé de partir le plus tôt possible pour Aix. Auparavant, il repassera voir Zola à Médan et lui demander qu’il lui rende des papiers qu’il lui a confiés, probablement son testament.

« Vernon, 15 juillet 1885.
Mon cher Émile,
Comme je te l’ai annoncé par un mot daté du 13 ct., je suis à Vernon. Je n’y trouve pas mon affaire dans les conditions où je me trouve. J’ai décidé de partir pour Aix le plus tôt possible. Je passerai par Médan pour t’y serrer la main. J’ai confié à ta garde obligeante quelques papiers que je désirerais avoir, s’ils se trouvent à Paris, un jour où ton domestique se rendrait rue de Boulogne pourrais-tu les lui faire rapporter ?
Au revoir et merci d’avance. Tu m’excuseras derechef d’avoir à me présenter chez toi dans les circonstances actuelles, mais sept à huit jours à attendre encore pour moi, me paraissent bien longs.
Permets-moi de te serrer cordialement la main,
Paul Cezanne »

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 221-222.

19 juillet

Lettre de Cezanne à Zola :

« [Vernon] 19 juillet 1885
Mon cher Émile,
Comme tu me le dis, j’irai mercredi à Médan. Je tâcherai de partir le matin. J’aurais voulu pouvoir m’appliquer encore à la peinture, mais j’étais dans la plus grande perplexité, car, puisque je dois descendre dans le Midi, je concluais que le plus tôt me semblait préférable. D’un autre côté, peut-être vaut-il mieux que j’attende encore un peu. Je suis dans l’indécision. Peut-être en sortirai-je.
Je te salue cordialement,
Paul Cezanne »

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 222.

24 juillet

Cezanne arrive à Médan où il passe quelques jours.

« [Aix] Jas de Bouffan, 20 août 1885.
Mon cher Émile,
J’ai reçu la nouvelle que tu me donnais de ton adresse samedi dernier. J’aurais dû te répondre tout de suite, mais les grumeleaux, qui sont sous mes pas, et qui me sont des montagnes, m’ont distrait.
Tu voudras bien m’excuser. Je suis à Aix, et je vais chaque jour à Gardanne.
Je te prierai de présenter mes respects à Madame Zola, et de me garder ton bon souvenir.
Tout à toi,
Paul Cezanne »

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 222.
Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome V (1884-1886), 1985, p. 277, note 2.

Août

Il est à Aix. De là, il se rend chaque jour à Gardanne, un village situé à une dizaine de kilomètres, et rentre le soir au Jas de Bouffan.

« [Aix] Jas de Bouffan, 20 août 1885.
Mon cher Émile,
J’ai reçu la nouvelle que tu me donnais de ton adresse samedi dernier. J’aurais dû te répondre tout de suite, mais les grumeleaux, qui sont sous mes pas, et qui me sont des montagnes, m’ont distrait.
Tu voudras bien m’excuser. Je suis à Aix, et je vais chaque jour à Gardanne.
Je te prierai de présenter mes respects à Madame Zola, et de me garder ton bon souvenir.
Tout à toi,
Paul Cezanne »

Lettres de Cezanne à Zola, 20 et 25 août 1885 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 222-223.

Parmi les tableaux que peint Cezanne à Gardanne ou dans les environs, il y a une Maison devant la Sainte-Victoire près de Gardanne (FWN227-R573), dont Georges Rivière dit qu’elle représente une maison où le peintre remisait son matériel :

« Paysage[FWN227-R573]  Route de Trets, aux environs d’Aix. Petite maison, à gauche, dans laquelle l’artiste resserrait son chevalet et ses accessoires de peintre. Au fond, rochers et colline. »

Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, H. Floury éditeur, Paris, 1923, 243 pages, p. 204.

25 août

Il traverse une période difficile. Il écrit à Zola :

« Jas de Bouffan, 25 août 1885 ―
Mon cher Émile,
C’est le commencement de la comédie, qui a J’ai écrit à La Rocheguyon, le même jour que je t’envoyais un mot pour te remercier d’avoir pensé à moi. Depuis je n’ai reçu aucune nouvelle ; D’ailleurs pour moi, l’isolement le plus complet. Le Bordel en ville, ou autre mais rien de plus. Je finance, le mot est sale, mais j’ai besoin de repos, et à ce prix je dois l’avoir.
Je te prierai donc de ne pas répondre, ma lettre a dû arriver à son heure.
Je te remercie et te prie de m’excuser.
Je recommence à peindre, mais parce que je suis à peu près sans ennui, ― Je vais tous les jours à Gardanne, et je rentre le soir à la campagne [le Jas de Bouffan] à Aix.
Si j’avais seulement une famille indifférente, tout eut été pour le mieux.
Je te serre cordialement la main ―
Paul Cezanne »

Lettre de Cezanne à Zola, datée « Jas de Bouffan, 25 août 1885 » ; Bibliothèque nationale de France, Lebensztejn Jean-Claude, Paul Cezanne. Cinquante-trois lettres, Paris, L’Échoppe, 2011, 96 pages, p. 31.
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 223.

 

Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), 213 pages de texte, 200 planches, p. 79-80 :

« Il peignit dans les alentours, à Gardanne. Il vivait chez des paysans, louant une chambre à la ferme, couchant même parfois au grenier, roulé dans un drap jeté sur la paille, mangeant à la table commune, travaillant tout le jour. »

31 août

Tanguy adresse à Cezanne une demande de reconnaissance de dette de 1 840,90 francs afin de payer son bail. Le compte de l’artiste s’élève à 4 015,40 francs.

« Paris, 31 août 1885.
Mon cher Monsieur Sézanne,
Je commence par vous souhaiter le bon jour et en même temps vous faire part de ma détresse ; figurez-vous que ce crétin de propriétaire vient de m’envoyer un commandemen avec saisie pour les six mois d’avance que je lui dois suivans notre bail, mai comme je me vois dans l’impossibilité de pouvoir le satisfaire, je viens recourir à vous cher Monsieur Sézanne et vous prie de vouloir bien faire tous vos efforts pour me donner un petit acompte sur votre note, à ce sujet je vous adresse sous ce pli votre compte comme vous me l’avez demandé, montans à francs 4 015,40 après déduction de vos acompte de 1 442,50 dans les détails ci joins.
J’ai une reconnaissance de deux mille cent soixante quatorze francs quatre vingt centimes (2 174,80) signés par vous à la date du 4 mars 1878. C’est donc une reconnaissance de 1840 f 90 c que vous devez me faire pour votre compte de 4 015,40 [d’après Jean de Beucken ; 4 014,40 transcrit par Rewald] qui m’est dû. Si vous préférez que le montans sois sur une même feuille, veuillez la faire dès aussitôt la réception de votre reconnaissance. Je vous renverrez celle que vous m’avez faits en 1878.
Je vous serais très reconnaissans, cher Monsieur, si vous pouvez me venir en aide dans ce momen critique.
Dans l’espoir que vous voudrez bien accéder à ma demande veuillez en recevoir d’avance tous mes remerciements et me croire cher Monsieur votre très dévoué serviteur 1.
Julien Tanguy. »

  1. Cette lettre semble avoir été écrite par la fille du père Tanguy, celui-ci étant plus ou moins illettré.
Lettre de Tanguy à Cezanne, 31 août 1885 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 224. de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 204-205.

[Fin août]

Lettre de Pissarro à Monet :

« On m’a dit que Cezanne était reparti pour Marseille. »

Lettre JBH 286, de Pissarro, Eragny-sur-Epte par Gisors (Eure), à Monet, non datée [fin août 1885].

Été

Huysmans écrit à Robert Caze (Paris, 3 janvier 1853 – Paris, 28 mars 1886) :

« “Le Cezanne m’est arrivé avant mon départ – Votre homme travaille vraiment bien et pas cher – C’est une bonne trouvaille – »

Lettre de Huysmans, « Lourps, près Jutigny – canton de Donnemarie (S et Marne) », à Robert Caze, vente Sotheby’s, Paris, 15 octobre 2015, lot n° 62, pages 1 et 4 reproduites.

Ancien communard, Robert Caze est revenu d’exil en Suisse en 1880, apès une aministie, et a reçu chez lui ses nombreux amis écrivains, dont Huysmans qu’il présenta à Verlaine, et des peintres.

15 octobre

Paul Alexis vient de passer trois semaines à Aix, écrit-il à Zola. Il n’a pas eu le temps d’aller voir Cezanne.

« Germinal (non ! la Grand-Combe)
Jeudi matin, 15 Octobre
Mon cher Émile,
Je suis un mufle de ne pas vous avoir écrit plus tôt… Le Cri seul vous a donné un aperçu vague de mon voyage à Aix… Je viens d’y passer trois semaines, nerveuses, anxieuses, douloureuses, cruelles… Ouf ! enfin, c’est fini, puisque je suis ici, deux ou trois jours, chez mon frère Ambroise… Je serai à Paris lundi au plus tard… À Aix, dans mon abrutissement attristé, je ne suis même pas allé voir Paul, et je n’ai entrevu Coste, qu’une après-midi, en pleines illusions électorales opportunistes — c’est-à-dire avant le 4 !) »

Lettre de Paul Alexis, La Grand-Combe, à Émile Zola, jeudi matin, 15 Octobre [1885] ; Bakker B. H., Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto. University of Toronto Press, 1971, 608 pages, lettre n° 143, p. 295.

27 octobre

Monet demande des nouvelles de Cezanne à Pissarro :

« je ne serai pas des vôtres pour le prochain dîner. Vous voudrez bien m’en excuser près des amis et leur faire mes amitiés. Et vous, que faites-vous, et Renoir, Cezanne, Sisley, et Durand, les affaires, où tout cela en est-il ? Vous serez bien aimable de me mettre un peu au courant. »

Lettre de Monet, Étretat, à Pissarro, datée, 27 octbre 1885 ; vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 118.
Wildenstein Daniel, Monet. Vie et œuvre, Lausanne Paris, Bibliothèque des arts, tome II, 1979, n° 599, p. 263.

Fin novembre

Gauguin demande à sa femme de ne pas vendre ses deux Cezanne qu’il avait emportés au Danemark.

« Ma chère Mette,
Je réponds de suite par le courrier afin que tu puisses répondre aussitôt pour la vente des tableaux, ce qui me rend du reste perplexe. J’ai laissé en Danemarck les tableaux et au train que cela prend, un jour je n’aurai plus rien. Je tiens à mes deux Cezanne, qui sont rares de ce genre là, car il en a fait peu d’achevés, et un jour ils auront une très grande valeur.
Vends plutôt le dessin de Degas, mais il faut avouer de ce côté que lui seul se vend très couramment et qu’il est côté bien plus cher que 200 couronnes. Je te laisse latitude puisque tu as besoin et qu’à défaut d’argent de moi tu as là une ressource maintenant, sauf le Manet, Miss Cassatt il faut arrêter la vente, sinon je n’aurai plus rien un jour.
L’important ce sont les miens qu’il faut pousser. »

Lettre de Gauguin à Mette, non datée, [fin novembre 1885] ; Lettres de Gauguin à sa femme et à ses amis, recueillies et préfacées par Maurice Malingue, Paris, éditions Bernard Grasset, 1946, 348 pages, lettre XXX, p. 75.

Première quinzaine de décembre

Gauguin enjoint sa femme de ne pas vendre ses deux Cezanne (FWN124-R391 et FWN130-R409) restés au Danemark avec d’autres tableaux de sa collection : « Je tiens à mes deux Césanne ; ils sont rares de ce genre-là car il en a fait peu d’achevés et un jour ils auront une très grande valeur — »

« Ma chère Mette
Je réponds de suite par le courrier afin que tu puisses répondre aussitôt pour la vente des tableaux ; ce qui me rend du reste perplexe. J’ai laissé en Danemarck les tableaux et du train que cela prend un jour je n’aurai plus rien — Je tiens à mes 2 Césanne [FWN124-R391 et FWN130-R409] ; ils sont rares de ce genre-là car il en a fait peu d’achevés et un jour ils auront une très grande valeur — Vends plutôt le dessin de Degas, mais il faut avouer de ce côté que lui seul se vend très couramment et qu’il est coté bien plus cher que 200 couronnes — Je te laisse latitude puisque tu as besoin et qu’à défaut d’argent de moi tu as là une ressource — Maintenant sauf le Manet Miss Cassatt il faut arrêter la vente sinon je n’aurai plus rien un jour — L’important ce sont les miens qu’il faut pousser — »

Lettre de Gauguin à sa femme Mette, [Paris, 1re quinzaine de décembre 1885] ; Paris, Bibliothèque d’Art et d’Archéologie ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin. Documents, témoignages, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, 561 pages, n° 90, p. 118.

23 décembre 1885 – 27 mars 1886

Publication de L’Œuvre dans Gil Blas, en quatre-vingts épisodes.

« Feuilleton du Gil Blas. L’Œuvre, roman parisien par Émile Zola », Gil Blas, du n° 2227, 7e année, 23 décembre 1885, au n° 2321, 8e année, 27 mars 1886.

 

Gil Blas, 7e année, n° 2226, mardi 22 décembre 1885, p. 1 :

« Dans le numéro qui paraîtra demain mardi, à Paris, portant la date du 23, GIL BLAS commencera la publication de

L’ŒUVRE

GRAND ROMAN PARISIEN
Par Émile ZOLA

Ce roman est une histoire simple et poignante, le drame d’une intelligence aux prises avec la nature, le long combat de la passion d’une femme et de la passion de son art, chez un peintre original, qui apporte une formule nouvelle.
L’auteur a mis ce drame dans le milieu de sa jeunesse ; il s’y est confessé lui-même, il y a raconté quinze ans de sa vie et de la vie de ses contemporains. Ce sont des sortes de mémoires qui vont du Salon des Refusés de 1863 jusqu’aux expositions de ces dernières années, un tableau de l’art moderne, pris en plein Paris, avec tous les épisodes qu’il comporte. Œuvre d’artiste, mais œuvre de romancier avant tout, et qui passionnera. »

 

Zola Émile, Les Rougon-Macquart : L’Œuvre, dossier préparatoire, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Nouvelles Acquisitions françaises, 10316, folio 316 :

« Ma jeunesse au collège et dans les champs. — Baille, Cezanne — Tous les souvenirs du collège, camarades, professeurs, quarantaine, amitié à trois — Dehors, chasse, baignade, promenades, lectures, familles des amis.
A Paris, nouveaux amis. Collège. Arrivée de Baille et de Cezanne. Mes reunions du jeudi. Paris a conquerir, promenades, Solari. Les musées. Pas de loup [concerts Padeloup]. Les divers logements — Chaillan et Valentin — Les cafés. — Solari et son mariage
Le duel de Manet [à l’épée, avec Duranty, le 23 février 1870] — Les ateliers de Cézanne. Sur les traits de son caractère. Les poser chez lui. Les séjours à Bennecourt. Mais Les reunions des jeudi continuent. »

Courant de l’année

De Saporta et Marion publient en deux tomes la suite de leur étude L’Évolution du règne végétal.

De Saporta G. [Gaston], Marion A.-F. [Antoine-Fortuné], L’Évolution du règne végétal. Les phanérogames, 2 tomes, Paris, Félix Alcan éditeur, 1885, 249 et 247 pages.

Courant de l’année

Gauguin peint à la gouache une copie d’un tableau de Cezanne de sa collection (FWN124-R391) : Éventail. Paysage provençal, d’après Cezanne, inscrit « Dédié à M. Pietro Krohn / P. Gauguin / Copenhague 1885 ».