Janvier

Renoir séjourne au Jas de Bouffan. Il écrit à Monet :

« Mon cher ami
Je suis installé au Jas de Bouffan. Pays superbe mais il gèle à pierre fendre le matin jusqu’à 10 heures après c’est possible. Soleil admirable.
Madame Manet a envoyé son adhésion rue de Seize [Sèze] Je suppose que Petit l’aura reçue la même chose.
Dis moi s’il fait très froid dans ton coin, et si tu es content.
A toi.
Renoir
chez Cezanne Jas de Bouffan
Aix en Provence ».

Lettres de Renoir à Durand-Ruel, [fin janvier 1888], et à Monet, [mi-janvier 1888] ; Venturi Lionello, Les Archives de l’impressionnisme. Lettres de Renoir, Monet, Pissarro, Sisley et autres. Mémoires de Paul Durand-Ruel. Documents, 2 volumes, Paris, New York, Durand-Ruel, 1939, tome I, n° 34, p. 138-139.
Lettre de Renoir à Monet [mi-janvier 1888], vente Archives de Claude Monet, collection Cornebois, Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 242, reproduit ; Baudot Jeanne, Renoir, ses amis, ses modèles, Paris, Gallimard, 1949.
Vollard Ambroise, Renoir, Les Éditions G. Crès & Cie, Paris, 1920, 286 pages, p. 34 :

« » Je me rappellerai toujours les bons moments que j’ai passés, aux environs d’Aix, dans la maison du père de Cezanne, le Jas de Bouffan, cette si jolie construction du xviiie siècle. On savait, à cette époque, bâtir des maisons habitables, avec des cheminées où l’on pouvait se chauffer. Et, de fait, ce grand salon, qui aurait dû être glacial avec son plafond si élevé, eh bien ! quand on était assis à la cheminée, un paravent derrière soi, l’agréable chaleur qu’il faisait ! Et ces bonnes soupes au fenouil que nous préparait la mère de Cezanne ! Je l’entends encore donnant sa recette, il me semble que c’est d’hier : « On prend une branche de fenouil, une petite cuillerée d’huile d’olive… » La brave femme que c’était ! »

1er février ?

Renoir part rapidement du Jas de Bouffan, « à cause de l’avarice noire qui règne dans la maison ». Il s’installe à l’hôtel Rouget aux Martigues, comme il l’écrit à Monet :

« Hôtel Rouget aux Martigues
Mon cher ami,
J’ai eu beaucoup d’ennuis depuis que j’ai reçu ta lettre et n’ai pu te répondre, errant dans des hôtels borgnes et sans argent. Nous avons été obligés de quitter subitement la mère Cezanne, à cause de l’avarice noire qui règne dans la maison. Bref. Je suis maintenant aux Martigues, la Venise et la Constantinople des Ziem et peintres Suédois. […] »

Lettre de Renoir, Martigues, à Monet, 1er février 1888 ? ; Baudot Jeanne, Renoir, ses amis, ses modèles, Paris, Éditions littéraires de France, 1949, 140 pages, p. 53-54
Vente Archives de Claude Monet, collection Cornebois, Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 243.

Rewald semble confondre le séjour au Jas de janvier 1888, qui ne se termine pas très bien,  avec un autre séjour en 1889 où Renoir a loué Bellevue (selon lui) ou Montbriand (selon Ratcliffe), pour une durée indéterminée (« plusieurs mois » selon Rewald), et où il peint sur la colline de Valcros en compagnie de Cezanne, vraisemblablement durant l’été ou au début de l’automne :

« À Aix, Cezanne se coupait du monde extérieur et ne renouait que des contacts épisodiques, comme lorsqu’il reçut, en 1889, la visite de Renoir et de sa femme. Renoir loua la propriété de Bellevue à Maxime Conil et y passa plusieurs mois. Les deux amis allaient parfois peindre ensemble dans la vallée de l’Arc, ou dresser leurs chevalets devant le pittoresque pigeonnier de Bellevue. Mais il semble que le séjour de Renoir à Aix se soit achevé sur une note discordante. Cezanne devenait en effet de plus en plus irritable, et le diabète dont il commença à souffrir vers 1890 ne fit qu’aggraver ses sautes d’humeur. En tout cas, après avoir passé quelques jours au Jas de Bouffan, Renoir informa Monet que lui et sa femme avaient été « obligés de quitter subitement la mère Cezanne à cause de l’avarice noire qui règne dans la maison ». »

Rewald John, Cezanne, Paris, Flammarion, 2011, 1re édition 1986, 285 pages, p. 185.

14 février

Date du mardi-Gras en 1888, cf. la toile Mardi-Gras [FWN668-R618] peinte dans l’atelier loué par Cezanne rue de Vaugirard à son retour à Paris, ce qui montre que Cezanne et sa famille sont revenus à Paris peu de temps après le départ de Renoir du Jas de Bouffan.

Courant de l’année [début février ?]

Cezanne et sa famille s’installent à Paris, 15, quai d’Anjou, sur l’île Saint-Louis, au 2e étage au-dessus de l’entresol, à gauche, propriétaire « Félix Anatole Lafosse, y demeurant ». L’appartement comprend « antichambre, salle à manger, cuisine, couloir 2e jour, pièce à feu, cabinet ».

Calepins cadastraux D1P432, Archives de Paris ; Annuaire-Almanach du commerce, Didot-Bottin, Paris, 1889, 1890. Les XX. Catalogue de la VIIe expositionannuelle, Bruxelles, 1890.

 

« Cezanne a habité 15, quai d’Anjou », Beaux-Arts. Le journal des arts, n° 291, 29 juillet 1938, à voir ; Rewald John, Les Aquarelles de Cezanne. Catalogue raisonné, Paris, Arts et Métiers graphiques, 1984, 487 pages, 645 numéros, notice 375, p. 174 :

« Parmi les éléments caractéristiques de ce logis, il y avait une cheminée avec une glace dont le cadre dépassait légèrement la largeur de la tablette. A une douzaine de centimètres au-dessous de cette tablette, une cimaise accompagnée par un galon étroit couleur lie-de-vin courait tout autour de la pièce ; près de la cheminée, une petite porte, ou une baie avec un rideau. »

 

Imbourg Pierre, « Cezanne et ses logis… à Paris », Beaux-Arts, n° 316, 20 janvier 1939, p. 3 :

« 15, quai d’Anjou
Huit ans plus tard, en 1890, on retrouve le peintre dans l’île Saint-Louis, 15, quai d’Anjou. Un numéro qu’on connaît depuis cet été, depuis qu’un des locataires successeurs de Cezanne, M. Baugin, décorateur, a bien voulu nous permettre de reproduire l’enveloppe derrière une glace :
Monsieur Cezanne, 15, quai d’Anjou
C’est à côté de l’hôtel Lauzun, une belle demeure xviiie, Cezanne habitait au 2e étage : on a une vue admirable sur les quais. De grands arbres ajoutent encore à la tranquille majesté du paysage. Guillaumin habitait au 13. Ils ont tous deux peint, chacun à sa manière, la même vue des quais. »

Cezanne loue également un atelier rue du Val de Grâce, où il peint Mardi-Gras [FWN668-R618].

Souvenirs de Paul junior rapportés par Venturi Lionello, Cezanne, son art, son œuvre. 1600 illustrations, Paris, 1936, Paul Rosenberg éditeur, 1936, tome I « Texte », 408 pages, notice V 552, p. 183-184.

14 mai

Vincent van Gogh, arrivé en Arles depuis peu, écrit à son frère que le paysage lui fait penser à quelques tableaux de Cezanne qu’il a pu voir, et il « regrette de ne pas en avoir vu davantage » :

« Beaucoup des motifs d’ici sont absolument — comme caractère — la même chose que la Hollande — la difference est dans la couleur.— Il y a partout du souffre là que tape le soleil. Tu sais bien que nous avons vu de Renoir un magnifique jardin de roses. Je m’étais imaginé trouver des motifs pareils ici et en effet lors des vergers en fleur cela était le cas. Maintenant l’aspect a changé et la nature est devenue beaucoup plus apre. Mais une verdure et un bleu ! Je dois dire que les quelques paysages que je connais de Cezanne rendent fort fort bien la chôse et je regrette de ne pas en avoir vu davantage. »

Lettre de Vincent van Gogh à Theo Van Gogh, vers le 14 mai 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 610 p. 84-85.

 

Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), 213 pages de texte, 200 planches, p. 75 :

« Il me parla quelquefois, et toujours avec sympathie, de Van Gogh, dont il se plaisait à admirer deux toiles chez moi, et de Paul Gauguin ; je ne crois pas qu’il les soit allé voir, comme on l’a prétendu, à Arles. Il rencontra Gauguin chez le père Tanguy et au café, mais rarement.

Juin

Gauguin écrit à Schuffenecker qu’il refuse toujours de vendre un tableau de Cezanne de sa collection, probablement Compotier, verre et pomme (R 418) :

« Le Césanne que vous me demandez [R 418] est une perle exceptionnelle et j’en ai déjà refusé 300f : j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux et à moins de nécessité absolue je m’en déferai après ma dernière chemise. Du reste quel est donc le fou qui se paierait celà [Schuffenecker lui-même] — Vous ne m’en dites rien — »

Lettre de Gauguin à Schuffenecker, [Pont-Aven, début juin 1888] ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, 561 pages, n° 147, p. 182.

12 ou 13 juin

Vincent van Gogh estime que le « côté apre de la Provence » lui rappelle le tableau de Cezanne que lui et son frère ont vu ensemble (à la galerie d’Alphonse Portier, 54, rue Lepic, à Paris) : La Moisson (FWN651-R301). Il admire la justesse de tons de ses toiles, qu’il explique par la connaissance intime que Cezanne a de son pays.

« Involontairement ce que j’ai vu de Cezanne me revient à la mémoire parceque lui a tellement — comme dans la moisson que nous avons vu chez Portier [FWN651-R301] — donné le côté apre de la Provence. […]
Il faut que j’arrive à la fermeté de couleur que j’ai dans cette toile qui tue les autres. Lorsque j’y pense que Portier racontait dans le temps que les Cezanne qu’il avait eu avaient l’air de rien du tout vus seuls mais que raprochés d’autres toiles cela enfoncait la couleur des autres. Et aussi que les Cezanne faisaient bien dans l’or, ce qui suppose une gamme très montée.
Alors peutêtre peutêtre je suis sur la piste et mon œil se fait-il à la nature d’ici. Attendons encore pour être sûr.—
Ce dernier tableau supporte l’entourage rouge des briques dont l’atelier est pavé. — Lorsque je le mets par terre sur ce fond rouge brique très rouge la couleur du tableau ne devient pas creuse ou blanchâtre. La nature près d’Aix — où travaille Cezanne — c’est juste la même qu’ici, c’est toujours la Crau. Si en revenant avec ma toile je me dis : tiens voila que je suis arrivé juste à des tons au père Cezanne, je veux seulement dire ceci que Cezanne étant absolument du pays même comme Zola et le connait donc si intimement, il faut qu’on fasse interieurement le même calcul pour arriver à des tons pareils. Va sans dire que vus ensemble cela se tiendrait mais ne se ressemblerait pas. »

Lettre de Vincent van Gogh à Theo Van Gogh, 12 ou 13 juin 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 624 p. 124.

Quand Gauguin est parti pour la Martinique, au printemps 1887, il doit avoir laissé cette peinture au marchand Alphonse Portier, pour qu’il la vende. La petite galerie de Portier est au 54, rue Lepic, dans le même immeuble où habitent Théo et Vincent van Gogh.
Portier a eu aussi un autre Cezanne, Le Chemin du village (FWN74-R187).

Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), 213 pages de texte, 200 planches, p. 76 :

« Il songe au tableau des Moissons[La Moisson (FWN651-R301)]Il imagine, en une ébauche très poussée, dont la collection Bernheim-jeune possède une réplique, il imagine, à la manière du Poussin, mais toute parente de la campagne qui environne le Jas, une plaine biblique à moitié moissonnée, avec, au premier plan, un groupe de rustres qui se reposent, mangent et boivent en plein soleil. Une femme les sert. Ils sont en bras de chemise et en chapeaux de paille. Un, entre ses coudes nus, hausse une dame-jeanne pansue et, la tête renversée, reçoit un long jet de vin dans la gorge. Un grand arbre, un pin tordu, se dresse. Plus loin, d’autres faucheurs s’enfoncent dans les blés énormes, et la vague jaune, sous le ciel de pourpre bleue, bat les coteaux ordonnancés que contemple un château, la bastide du Diable, où Cezanne revint et qu’il loua dans ses dernières années, ravi par la haute façade dominant les pinèdes du Tholonet. »

27 juin

Vincent van Gogh explique la difficulté qu’il a de peindre dehors quand souffle le mistral. Il pense que c’est la raison pour laquelle la touche de Cezanne lui paraît parfois malhabile, maladroite, avec son « chevalet qui branle » :

« Si tu voyais mes toiles qu’en dirais-tu — tu n’y trouverais pas le coup de brosse presque timide et consciencieux de Cezanne.—
Mais puisqu’actuellement je peins la même campagne de la Crau & Camargue — quoiqu’à un endroit un peu divergent — toutefois il pourrait y demeurer certains rapports de couleur.— Qu’en sais-je — involontairement j’ai de temps en temps pensé à Cezanne, justement lorsque je me suis rendu compte de sa touche si malhabile dans certaines etudes — passe moi le mot malhabile — vu qu’il a exécuté les dites études probablement lorsque le mistral soufflait.
Ayant affaire à la même difficulté la moitié du temps, je m’explique la raison pourquoi la touche de Cezanne est tantôt très sûre et tantôt parait maladroite. C’est son chevalet qui branle. »

Lettre de Vincent van Gogh à Émile Bernard, 27 juin 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 633 p. 156-157.

14 juillet

Zola est nommé chevalier de la Légion d’honneur.

 

19 juillet

Tanguy adresse à « Monsieur Cézanne » le décompte de sa dette :

Facture communiquée par Philippe Cezanne, aujourd’hui au Musée Granet.

Été (?)

Selon le témoignage de Paul Cezanne fils, rapporté par Lionello Venturi, Cezanne aurait vécu cinq mois à l’hôtel Delacourt à Chantilly. Un guide de Chantilly publié en 1891 mentionne : « Delacour. Hôtel et Restaurant, avenue de la Gare » (actuelle avenue du Maréchal-Joffre).

Noël C., Chantilly 1870 à 1891, Senlis, imprimerie Ernest Payen, 1891, 174 pages, p. 164.
Venturi Lionello, Cezanne, son art, son œuvre. 1600 illustrations, Paris, 1936, Paul Rosenberg éditeur, 1936, tome I « Texte », 408 pages, notice V 626, p. 200 :

« Selon le témoignage de son fils, Cezanne a vécu cinq mois du 1888 à l’hôtel Delacourt à Chantilly. »

Le site du bois Bourillon est identifiable sur les tableaux L’Allée à Chantilly I, II, III (FWN246-R614, FWN245-R615, FWN244-R616) ; La Barrière à Chantilly (RW308) et Allée à Chantilly (RW309).

Entre le 17 et le 20 juillet

Van Gogh envoie à Émile Bernard des croquis faits d’après des études peintes de paysages qui font penser à ceux de Cezanne, sachant combien celui-ci l’aime :

« Mon cher copain Bernard,
je viens de t’envoyer aujourd’hui encore 9 croquis d’après des études peintes. De cette façon tu verras des motifs de cette nature qui inspire le père Cezanne. Car la Crau près d’Aix c’est à peu près la même chôse que les environs de Tarascon et la Crau d’ici.— La Camargue est encore plus simple car souvent il n’y a plus rien — plus rien que de la mauvaise terre avec des buissons de tamaris et des herbes dures qui sont à ces maigres pâturages ce que l’alfa est au désert.
Sachant combien tu aimes Cezanne j’ai pensé que ces croquis de Provence pourraient te faire plaisir. Non pas qu’il y ait des similitudes entre un dessin de moi & de Cezanne, oh cela pas plus qu’entre Monticelli et moi — mais moi aussi j’aime bien le pays qu’eux ils ont aimé tant et pour les mêmes raisons de couleur, de dessin logique. »

Lettre de Vincent van Gogh à Émile Bernard, entre le 17 et le 20 juillet 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 643 p. 179-185.
Correspondance complète de Van Gogh, enrichie de tous les dessins originaux, introduction et notes de Georges Charensol, 3 tomes, Paris, Gallimard / Grasset, 1960, tome III, 1960, n° B11 F, p. 140.

Entre le 17 et le 20 juillet

Van Gogh considère que le vent continuel donne aux peintures un air hagard, comme parfois chez Cezanne :

« Je crois tout de même que le vent continuel d’ici doit y être pour quelque chôse dans ce que les études peintes ont cet air hagard. Puisque chez Cezanne on voit cela aussi. »

Lettre de Vincent van Gogh à Theo van Gogh, entre le 17 et le 20 juillet 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 644 p. 186-189.

4 août

Huysmans publie dans La Cravache parisienne un article, « Trois peintres », consacré à Cezanne, Tissot et Pierre Wagner, qui sera repris l’année suivante dans Certains. La partie consacrée à Cezanne paraîtra également dans La Plume le 1er septembre 1891.

« CÉZANNE
En pleine lumière, dans des compotiers de porcelaine ou sur de blanches nappes, des poires et des pommes brutales, frustes, maçonnées avec une truelle, rebroussées par des roulis de pouce. De près, un hourdage furieux de vermillon et de jaune, de vert et de bleu ; à l’écart, au point, des fruits destinés aux vitrines des Chevet, des fruits pléthoriques et savoureux, enviables.
Et des vérités jusqu’alors omises s’aperçoivent, des tons étranges et réels, des taches d’une authenticité singulière, des nuances de linge, vassales des ombres épandues du tournant des fruits et éparses en des bleutés possibles et charmants qui font de ces toiles des œuvres initiatrices, alors que l’on se réfère aux habituelles natures-mortes enlevées en des repoussoirs de bitume, sur d’inintelligibles fonds.
Puis des esquisses de paysages en plein air, des tentatives demeurées dans les limbes, des essais aux fraîcheurs gâtées par des retouches, des ébauches enfantines et barbares, enfin, de désarçonnants déséquilibres : des maisons penchées d’un côté, comme pochardes ; des fruits de guingois dans des poteries saoules ; des baigneuses nues, cernées par des lignes insanes mais emballées, pour la gloire des yeux, avec la fougue d’un Delacroix, sans raffinement de vision et sans doigts fins, fouettées par une fièvre de couleurs gâchées, hurlant, en relief, sur la toile appesantie qui courbe !
En somme, un coloriste révélateur, qui contribua plus que feu Manet au mouvement impressionniste, un artiste aux rétines malades, qui, dans l’aperception exaspérée de sa vue, découvrit les prodromes d’un nouvel art, tel semble pouvoir être résumé, ce peintre trop oublié, M. Cezanne. Il n’a plus exposé depuis l’année 1877, où il exhiba, rue Le Pelletier, seize toiles dont la parfaite probité d’art servit à longuement égayer la foule. »

Huysmans J.-K., « Trois peintres », La Cravache parisienne, 4 août 1888 ; repris par Huysmans J. K. : Certains. G. Moreau, Degas, Chéret, Wisthler, Rops, le monstre, le fer, etc., Paris, Tresse & Stock, éditeurs, 1889, 230 pages, Cezanne p. 41-43 ; repris par Huysmans J.-K., « Indépendants – Paul Cezanne », La Plume, 3e année, n° 57, 1er septembre 1891, p. 301.

5 août

Après une réflexion sur la peinture virile de Degas, Rubens, Courbet et Delacroix, van Gogh écrit à propos de Cezanne :

« Cezanne est justement homme marié bourgeoisement comme les vieux hollandais s’il bande bien dans son œuvre c’est que ce n’est pas un trop evaporé par la noce. »

Lettre de Vincent van Gogh à Émile Bernard, 5 août 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 655 p. 216-218.

17 octobre

Van Gogh indique, dans une lettre à son frère, qu’il a entendu dire que Cezanne détruit parfois ses œuvres :

« Et dans ces moments-là, juste après le travail dur et plus qu’il est dur, je me sens la caboche vide aussi, allez. Et si je voulais me laisser aller à cela rien ne me serait plus facile que de détester ce que je viens de faire et de donner des coups de pied dedans comme le père Cezanne. Enfin, pourquoi donner des coups de pieds dedans — laissons les études tranquilles et seulement si on n’y trouve rien, bon, si on y trouve ce qu’on appelle du bon, ma foi tant mieux. »

Lettre de Vincent van Gogh à Theo van Gogh, 17 octobre 1888 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 707 p. 334-335.

18 octobre

Tanguy fournit à Cezanne des tubes de couleurs pour une somme de 43 francs, et accuse réception des 200 francs envoyés par l’artiste dans les premiers jours du mois d’octobre.

Paris, Institut néerlandais, Fondation Custodia.

18 décembre

Lettre de Tanguy à Cezanne.

Lettre de Tanguy, Paris, à Cezanne, 18 décembre 1888, ancienne collection Jean-Pierre Cezanne ; Ratcliffe Robert William, « Cézannes Working Methods and their Theoretical Background », thèse de doctorat, Londres, University of London, The Courtauld Institute of Art, 1960, 448 pages, p. 17 et notes 47a et 52a p. 386.

27 décembre

Naissance de Marie Rose Amélie Conil (Aix, 20, rue Émeric-David, 20 septembre 1892 – Carpentras, 30 septembre 1966), cinquième enfant de Rose et Maxime Conil.

Acte de naissance, Archives de l’Hôtel de Ville d’Aix-en-Provence. Antonini Luc, Flippe Nicolas, La Famille Cezanne, Paul et les autres, préface de Philippe Cezanne, Paris Septème-les-Vallons, 2006, 154 pages, p. 123.

Entre 1888 et le début de l’année 1890

La description de l’appartement des Cezanne au 15, quai d’Anjou, permet d’identifier quelques portraits que le peintre y a exécutés.
La glace plus large que le dessus de la cheminée, la cimaise ou la baie avec le rideau peuvent être observés à l’arrière-plan de plusieurs portraits de Mme Cezanne, ainsi que sur une série de tableaux pour lesquels, selon Georges Rivière, a posé un jeune modèle italien aux longs cheveux, du nom de Michelangelo di Rosa :
Madame Cezanne au fauteuil jaune (FWN493-R655)
Madame Cezanne (FWN490-R651)
Madame Cezanne au fauteuil jaune (FWN492-R653)
–                  Le Garçon au gilet rouge (FWN494-R656)
–                  Le Garçon au gilet rouge (FWN495-R657)
–                  Le Garçon au gilet rouge (FWN496-R658)
–                  Le Garçon au gilet rouge (FWN497-R659)
–                  Le Garçon au gilet rouge I (aquarelle RW375)
–                  Le Garçon au gilet rouge II (aquarelle RW376).

 

Venturi Lionello, Cezanne, son art, son œuvre. 1600 illustrations, Paris, 1936, Paul Rosenberg éditeur, 1936, tome I « Texte », 408 pages, notice V 680, p. 211 :

« Tableau peint [V 680, FWN495-R657], ainsi que les nos 681-682-683 et 1094 [FWN496-R658, FWN497-R659, FWN494-R656 et RW375], d’après un modèle italien, qui, à en croire la tradition, se nommait Michelangelo Di Rosa. »

Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, H. Floury éditeur, Paris, 1923, 243 pages, p. 204 :

« Jeune Italien.   Ce modèle, fort joli garçon, se nommait Michel-Ange di Rosa. »

 

Rewald John, Les Aquarelles de Cezanne. Catalogue raisonné, Paris, Arts et Métiers graphiques, 1984, 487 pages, 645 numéros, notice 375, p. 174.

Il loue aussi un atelier rue du Val-de-Grâce.

Selon les souvenirs du fils de Cezanne, rapportés par Lionello Venturi, c’est dans l’atelier de la rue du Val-de-Grâce, en 1888, que l’artiste peint Mardi gras (FWN668-R618). Les modèles sont le fils de Cezanne pour Arlequin, et Louis Guillaume, fils du cordonnier Antoine Guillaume, pour Pierrot. Le tableau a appartenu à Victor Chocquet (n° 1 de la vente des 1er, 3 et 4 juillet 1899), il a donc été terminé avant son décès le 7 avril 1891.

« D’après le témoignage de M. Paul Cezanne fils, ce tableau [V 552, FWN668-R618] a été peint dans l’atelier de la rue du Val-de-Grâce, en 1888. Les modèles ont été, pour l’Arlequin, M. P. Cezanne fils lui-même, et pour le Pierrot, M. Louis Guillaume. »

Venturi Lionello, Cezanne, son art, son œuvre. 1600 illustrations, Paris, 1936, Paul Rosenberg éditeur, 1936, tome I « Texte », 408 pages, notice V 552, p. 183-184.

D’autres œuvres représentent les mêmes modèles costumés, sans qu’il faille en déduire qu’elles ont été exécutées en même temps et dans l’atelier de Paris :

– Arlequin (FWN669-R619)
– Arlequin (FWN671-R620)
– Arlequin (FWN670-R621)
Arlequin (aquarelle RW295)
Études pour Mardi gras (dessin C0938)
Études pour Mardi gras (dessin C0939)
Louis Guillaume en costume de Pierrot (dessin C0940)
Arlequin (dessin C0941)
Arlequin (dessin et lavis C0944)

 

de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 216-217 :

« À Paris, Cezanne a bientôt ressenti une sorte de solitude, et il s’est renfermé dans sa peinture. Hortense a retrouvé ses modestes amis les Guillaume, et Paul s’amuse avec le fils du cordonnier. Les deux garçons se sont costumés pour le Mardi-Gras. Le peintre a l’idée d’en tirer un tableau, et il les fait poser dans l’atelier qu’il a loué au Val-de-Grâce. Louis Guillaume en Arlequin et Paul Cezanne en Pierrot, sur un fond de mur bleu violet, avec un rideau drapé à dessins verts, bleus et jaunes, et le plancher violet. Arlequin, les chairs rougeâtres, porte fièrement un damier bleu et rouge, tandis que son bicorne et ses souliers sont d’un bleu violet sombre, les ombres bleues. (Les séances de pose sont si dures que le jeune Guillaume s’évanouit au cours de l’une d’elles.) Pierrot est habillé de blanc, mais d’un blanc bleuté à reflets violets. La toile a 1 m sur 81 cm. Cezanne évolue : il passe d’une manière constructive à une manière synthétique. »