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Chapitre IV

Situation des grands thèmes de la catégorie « Humains » dans l’œuvre globale

Le chapitre II nous a permis de comparer l’importance numérique et l’évolution de la catégorie des humains prise dans sa globalité par rapport aux autres catégories, notamment paysages et natures mortes. Ayant défini les thèmes constitutifs de cette catégorie, on peut donc maintenant les comparer entre eux, mais aussi avec les autres catégories du corpus comme les paysages ou les natures mortes.

I.     Importance relative des grands thèmes en nombre d’œuvres

Le schéma suivant, détaillant les 6 grands thèmes de la catégorie « Humains »[1]Le graphique tient également compte des 42 images relatives aux familiers de Cezanne qui ne peuvent être assimilées à des portraits, comme indiqué au chapitre III, cf. I-1-a., permet de mesurer l’importance accordée à chacun d’eux par rapport aux autres thèmes et aux autres grandes catégories définies au chapitre II (voir Fig. 1 chap. II), en les classant par importance décroissante :

Fig. 1

Fig. 1. Ventilation de l’œuvre de Cezanne par grandes catégories et thèmes de la catégorie « Humains »

On constate que :

  • le quart de l’œuvre de Cezanne est constitué de paysages, son sujet de prédilection ;
  • les autres catégories et thèmes sont beaucoup plus dispersés et témoignent de la variété des centres d’intérêt du peintre ;
  • les portraits sont le 2e sujet le plus traité, alors que les natures mortes n’arrivent qu’en 5e position et les baigneurs en 7e. On compte 1 œuvre de baigneurs pour 2 portraits et 4 paysages, et 1 nature morte pour 3 paysages, ce qui donne une indication utile sur l’importance relative que le peintre leur accorde ;
  • les scènes de genre et celles issues du monde de la culture sont plus nombreuses que les natures mortes et les baigneurs, pourtant bien plus connus du public.

Il ne faut cependant pas oublier, comme on l’a vu au chapitre II, que de telles estimations globales ne prennent vraiment tout leur sens que si on les analyse synchroniquement par types de médias (le poids des dessins, souvent moins bien connus que les peintures, devient ici déterminant) et diachroniquement par périodes[2]L’analyse diachronique sera faite au chapitre suivant..

II.     Poids relatif des divers thèmes et catégories dans chaque média

Le nombre d’œuvres illustrant chaque thème et catégories nous fournit un premier indice de l’importance que leur accorde Cezanne. Pour cela, on peut compléter la figure 3 du chapitre II en éclatant la catégorie « Humains » en ses différents thèmes, mettant en évidence la façon dont les œuvres sont ventilées par thème et par média :

Fig. 2

Fig. 2. Nombre d’œuvres selon les catégories et médias

Un premier constat s’impose : l’absence quasi totale ou très limitée dans les peintures et aquarelles des trois catégories secondaires ainsi que de 3 des 6 thèmes de la catégorie « Humains » : les personnages issus du monde de la culture, les études de nus, les études de personnages sans identité distinctive, auxquels ont peut rajouter les personnages connus du peintre mais non représentés sous forme de portraits (nommés ici « personnages identifiés », cf. chapitre III, I-1-a). Tous ces sujets largement ignorés du grand public et rarement pris en compte par les critiques d’art représentent pourtant un bon tiers de la production cezannienne totale : il faudra en tenir le plus grand compte dans les analyses de détail le moment venu.

Seuls les paysages et les natures mortes se retrouvent en plus grand nombre dans les peintures et les aquarelles que dans les dessins. Tous les autres sujets, et notamment portraits, scènes de genre et baigneurs, sont d’abord traités par le dessin.

Pour mieux comprendre comment les médias se spécialisent en fonction des sujets, on peut reprendre la Fig. 2 en indiquant le poids de chacun dans chaque média :

Fig. 3

Fig. 3. Proportions relatives des catégories et thèmes selon les médias[3]Les légères divergences entre les % indiqués dans la colonne « Moyenne » de la Fig. 3 et ceux indiqués dans la Fig. 1 proviennent des méthodes d’arrondis et ne changent rien à la hiérarchie des sujets. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de mettre en évidence des tendances et non de parvenir à une précision mathématique absolue, dénuée de sens appliquée à un corpus d’images dont la structuration en thèmes ne peut prétendre à la précision et à la rigueur d’un classement scientifique comme celui des espèces animales ou végétales…

Les seuls thèmes relatifs aux humains significatifs en peinture et aquarelle sont donc limités à trois : les portraits (noter leur proportion identique dans les dessins et les peintures et leur quasi-absence dans les aquarelles), les scènes de genre (1 toile sur 10, 1 aquarelle sur 14) et les baigneurs et baigneuses.

Au passage, on peut noter l’importance des paysages et des natures mortes surtout dans l’aquarelle, qui leur est dédiée à près de 80 % : ces deux thèmes s’appuient sur l’observation directe et sont traités avec soin par Cezanne qui ne nous a laissé que très peu d’ébauches ou d’esquisses, à la différence du dessin qui se prête très aisément au traitement de toutes sortes de thèmes et où, vu sa souplesse, le sujet prime généralement sur le niveau de finition recherché puisqu’il vise rarement à un degré de « réalisation » poussé.

III.     Spécialisation des médias selon les thèmes

Cezanne utilise donc chaque média de façon assez spécialisée : ainsi, si le paysage est dominant dans l’œuvre de Cezanne, il reste assez secondaire dans les dessins, les natures mortes y étant elles-mêmes marginales. Inversement, le dessin reste privilégié quand il s’agit d’abord de représenter des portraits ou des scènes de genre (le tiers de la production d’humains). Plus précisément :

  • La peinture est utilisée par Cezanne d’abord pour ses paysages, comme nous l’avons déjà signalé (cf. Fig. 3 du chapitre II), puis ses natures mortes, car la catégorie « Humains » ne précède celles-ci que si l’on agrège tous les thèmes qui la constituent. Les portraits occupent donc la troisième place, les 20 % restants se partageant entre les scènes de genre et les baigneurs et baigneuses. Il faut remarquer qu’une toile sur 10 seulement porte sur ce dernier thème.

Le schéma suivant reprend la colonne « Peinture » de la Fig. 2 en la simplifiant pour plus de lisibilité :

Fig. 4

Fig. 4. Ventilation des peintures par catégories et thèmes[4]On ne fait pas figurer sur ce graphiques les % relatifs aux catégories et thèmes marginaux.

  • L’aquarelle est utilisée 2 fois sur 3 pour les paysages, le tiers restant étant dédié aux natures mortes et aux quatre thèmes de la catégorie « Humains », dont surtout baigneurs et scènes de genre. Plus des trois quarts des aquarelles excluent les humains, le plus frappant étant la quasi disparition des portraits, tellement importants en peinture et en dessin.

Le schéma suivant reprend la colonne « Aquarelle» de la Fig. 2 en la simplifiant pour plus de lisibilité :

Fig. 5

Fig. 5. Ventilation des aquarelles par catégories et thèmes

  • Le dessin, à l’inverse, couvre pour Cezanne tout le champ des représentations d’une façon assez homogène[5]à l’exception notable des natures mortes, fort peu représentées, sauf à y adjoindre la catégorie des objets isolés. Le dessin n’est guère utilisé pour représenter des natures mortes complètes, mais plutôt comme support d’études partielles ou préparatoires. pour chaque catégorie et chaque thème : il est clair que c’est donc dans l’examen des dessins que l’on trouvera la meilleure « photographie » possible de la variété de l’univers mental du peintre. Ce média lui sert manifestement à tout. Nous n’analyserons dans notre étude que les dessins de la catégorie « Humains », réservant l’examen des dessins des autres catégories à une étude ultérieure, mais on peut tout de même indiquer que très souvent le dessin est utilisé par Cezanne pour des études préalables ou des essais, comme nous avons pu l’observer lors de l’indexation de la base de dessins, et ceci est valable pour les paysages et les natures mortes, comme pour les objets ou animaux isolés.

Le schéma suivant reprend la colonne « Dessin » de la Fig. 2 en la simplifiant pour plus de lisibilité :

Fig. 6

Fig. 6. Ventilation des dessins par catégories et thèmes

On peut remarquer enfin que ce n’est que pour le thème des baigneurs et baigneuses que Cezanne utilise indifféremment tel ou tel média (7 % des dessins et aquarelles, 9 % des peintures, soit 1 œuvre sur 10 environ dans chaque média). Pour tous les autres, le choix du média n’apparaît nullement comme indifférent. Ceci est encore illustré par le graphique récapitulatif suivant qui reprend les données de la Fig. 2, mais au lieu de présenter la part de chaque thème dans chaque média, on inverse la proposition en présentant la part de chaque média dans chaque thème :

Fig. 7

Fig. 7. Proportion de chaque média affectée à un sujet donné

Conclusion

Quelques traits saillants méritent d’être soulignés à l’issue de ces analyses :

  • si le sujet de prédilection de Cezanne est le paysage, le portrait apparaît cependant comme sa seconde préoccupation, loin devant les natures mortes et les baigneurs. En effet, même les mises en situation des humains soit sous la forme de scènes de genre, soit sous la forme de références au monde de la culture sont celles qui occupent occupent la troisième place dans son univers pictural ;
  • Cezanne utilise chaque média de façon particulière :
    • il utilise la peinture en priorité pour les paysages (2/5e des toiles), puis pour les natures mortes et les portraits (1/5e des toiles chacun) ;
    • il utilise l’aquarelle de façon près majoritaire pour les paysages (3/5e des aquarelles), puis pour les natures mortes (1/6e des aquarelles) ;
    • il utilise le dessin de façon beaucoup plus diversifiée, mais essentiellement pour traiter les sujets liés à l’humain, avec une prédilection pour les portraits et les scènes de genre ;
    • le seul thème traité de façon identique sur tous les médias est celui des baigneurs (1/10e des œuvres de chaque média).

Dit autrement : Cezanne traite chaque thème en choisissant le média qui lui paraît le plus approprié :

  • pour les paysages, Cezanne utilise prioritairement l’aquarelle, puis la peinture, et secondairement le dessin ;
  • pour les natures mortes, Cezanne utilise d’abord la peinture, puis l’aquarelle, et assez peu le dessin ;
  • pour le portrait, Cezanne utilise à égalité peinture et dessin, et très marginalement l’aquarelle ;
  • pour les scènes de genre, Cezanne utilise d’abord le dessin, puis la peinture, puis l’aquarelle, dans cet ordre.

Ayant ainsi pris la mesure de l’importance statistique de chaque thème de la catégorie « Humains » par rapport aux catégories des paysages et natures mortes, nous pouvons maintenant pénétrer plus avant dans la partie de l’œuvre cezannienne consacrée exclusivement aux humains.

Il sera temps aussi de vérifier si les conclusions tirées ici ne doivent pas être nuancées lorsqu’on les examine sous l’angle de l’évolution des phénomènes dans le temps.

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Références

Références
1 Le graphique tient également compte des 42 images relatives aux familiers de Cezanne qui ne peuvent être assimilées à des portraits, comme indiqué au chapitre III, cf. I-1-a.
2 L’analyse diachronique sera faite au chapitre suivant.
3 Les légères divergences entre les % indiqués dans la colonne « Moyenne » de la Fig. 3 et ceux indiqués dans la Fig. 1 proviennent des méthodes d’arrondis et ne changent rien à la hiérarchie des sujets. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de mettre en évidence des tendances et non de parvenir à une précision mathématique absolue, dénuée de sens appliquée à un corpus d’images dont la structuration en thèmes ne peut prétendre à la précision et à la rigueur d’un classement scientifique comme celui des espèces animales ou végétales…
4 On ne fait pas figurer sur ce graphiques les % relatifs aux catégories et thèmes marginaux.
5 à l’exception notable des natures mortes, fort peu représentées, sauf à y adjoindre la catégorie des objets isolés. Le dessin n’est guère utilisé pour représenter des natures mortes complètes, mais plutôt comme support d’études partielles ou préparatoires.