François Chédeville

A quelle époque faut-il affecter les toiles qui, comme FWN447-R606, comportent un papier peint gris bleu à motif de feuilles caractéristique ?

(article à compléter par l’iconographie)

Rewald traite assez largement la question dans son catalogue, notamment au n° 420 p. 280. Lui penche nettement pour l’hypothèse que ces toiles ont été peintes à Melun, contrairement à Gowing, qui parle plutôt du papier peint du 67, rue de l’Ouest (donc avant le départ à Melun).

Quelles sont les toiles concernées ?

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À ces 13 natures mortes et 2 portraits, Rewald rajoute l’aquarelle RW107 (Carafe et bol).

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Il « soupçonne » également qu’il faut rajouter à cette liste 4 petites toiles où l’on retrouve les mêmes éléments que dans les autres natures mortes (assiette, bol, boîte à lait) :

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Dans FWN748-R422 l’assiette est la même que dans FWN781-R419. Le verre est différent de ceux de FWN780-R418 et FWN779-R424, eux-mêmes différents : si Cezanne utilise deux verres différents, pourquoi pas trois ? Cela dit, celui-ci est plein alors que les deux autres sont vides. Le fond est sombre, ce qui pousse Rewald à se poser des questions. Mais Cezanne a très bien pu renoncer ici à peindre le détail du papier peint, comme dans les trois tableaux suivants, où on peut imaginer qu’il s’est contenté de l’évoquer très grossièrement :

  • Dans FWN765-R425, bol et boîte à lait sont ceux de FWN768-R430. Un rideau semble cacher le papier peint, mais le bout qu’on peut en apercevoir à gauche peut sembler porter une évocation des feuilles du papier peint :

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  • Dans FWN767-R428, bol et boîte à lait sont ceux de FWN770-R427. Le fond semble abîmé mais le dessus du bol peut sembler porter une évocation des feuilles du papier peint :

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  • Dans FWN769-R429, bol et boîte à lait sont également ceux de FWN770-R427. Le fond derrière la carafe à droite peut sembler porter une évocation des feuilles du papier peint :

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De toute façon, papier peint ou pas, il me semble qu’on ne peut séparer ces 4 petits tableaux des 13 autres natures mortes.

Si ces tableaux ont été peints à Melun, ils s’ajoutent aux autres tableaux peints à l’intérieur sans référence à ce papier peint :

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ainsi qu’aux 7 tableaux (minimum) réalisés à l’extérieur durant cette période :

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auxquels Rewald semble suggérer qu’on pourrait éventuellement rajouter encore quelques paysages tels que ceux avec conduite d’eau ou le Village derrière les arbres.

La production de Melun serait donc au minimum de 23 tableaux peints à l’intérieur et 7 à l’extérieur.

Trente tableaux en un an dans les conditions concrètes de Melun, est-ce concevable ? Les arguments en faveur de cette hypothèse sont les suivants :

  1. Tous les tableaux peints à l’intérieur sont de petites dimensions, sauf FWN447-R606 (Mme Cezanne dans le fauteuil rouge) et FWN145-R413 (Neige à Fontainebleau).
  2. L’hiver 1879-1880 a été très rigoureux, comme le signale Rewald (cf. FWN145-R413 dans le catalogue p. 275) : il a dû beaucoup peindre à l’intérieur.
  3. Accessoirement, concernant la présence de Louis Guillaume à Melun, Rewald fait remarquer fort justement qu’il a pu venir une fois ou l’autre avec son ami Paul junior partager un moment chez Cezanne (p. 282 du catalogue).

Les dimensions des tableaux nous permettent de calculer la surface peinte :

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Surface totale peinte en intérieur (pour 23 tableaux): 57 250 cm²

Surface totale peinte en extérieur (pour 7 tableaux) : 31 700 cm²

Surface totale peinte : 88 950 cm²

La proportion est donc 57250/88950 = 64% de la surface peinte en intérieur, et donc 36 % de la surface peinte en extérieur.

Si on suppose qu’il met le même temps pour peindre une surface donnée en intérieur qu’en extérieur, on peut en déduire que sur les 12 mois de présence à Melun (si on ne tient pas compte de son séjour chez Zola à Médan à l’automne et d’autres éventuelles absences, dont on ne connaît pas la durée), il a passé 12 x 0,64 = 7 mois et demi à peindre en intérieur et 4 mois et demi à peindre dehors.

La durée moyenne consacrée à un tableau en intérieur serait donc de 7 mois et demi divisé par 23 tableaux, soit 230 jours divisé par 23, soit 3 tableau par mois en moyenne pendant presque 8 mois.

Comme on a du mal à imaginer Cezanne, avec sa bougeotte permanente, restant confiné dans une chambre d’hôtel à regarder tomber la neige pendant 8 mois et s’occupant à multiplier des natures mortes, il est assez clair que si on estime qu’il est resté tout de même en intérieur la moitié de l’année, c’est alors un tableau par semaine qu’il a dû produire.

Ce rythme de production apparaît vraiment trop rapide pour des œuvres dont la plupart sont très élaborées, même si elles sont d’une taille moyenne de 40 x 52 cm seulement, et ce n’est guère conforme à ce que l’on sait de la pratique lente de Cezanne… D’autant qu’on imagine mal une production aussi magnifique réalisée dans une chambre d’hôtel.

Il apparaît donc infiniment plus vraisemblable que la production des 19 toiles en lien avec le papier peint aux feuilles a été réalisée à son retour à Paris à partir d’avril 1880, au 32, rue de l’Ouest – ce qui, par parenthèse, explique davantage la présence de Louis Guillaume. Il habite dans cet appartement durant un an entre avril 1880 et début mai 1881, puis de mars à octobre 1882, soit une vingtaine de mois en tout, ce qui donne davantage de temps pour chaque tableau.

L’ennui c’est que dans cette hypothèse, la production de Cezanne à Melun se réduit à 11 tableaux et non plus 30. Cela fait 1 par mois en moyenne. Or étant isolé à Melun et n’étant distrait par rien, il est difficile d’imaginer qu’il n’aurait peint que ces 11 tableaux sur toute une année…

Ainsi, si l’on choisit la première hypothèse, on se trouve en présence d’une production à Melun apparemment trop abondante ; si l’on choisit la seconde, celle-ci apparaît alors bien peu fournie.

Une troisième hypothèse consisterait alors à remettre en cause la durée continue du séjour de Cezanne à Melun, mais aussi la date d’emménagement d’Hortense et du petit Paul au 32 rue de l’Ouest, qui précéderait le retour de Cezanne de Melun fin mars 1880 ; il pourrait être envisageable d’imaginer que Cezanne, bien qu’ayant pris une chambre d’hôtel place de la Préfecture, ait tout de même fait quelques séjours à Paris dans sa famille (d’où les deux portraits à l’huile d’Hortense, qui supposent des temps de pose assez longs), privilégiant l’automne ou le printemps à Melun pour réaliser les 7 toiles faites en extérieur, alors qu’il peignait une partie des natures mortes au 32 rue de l’Ouest, l’autre partie étant réalisée à son retour définitif à cette adresse une fois la parenthèse Melun refermée.

À quel appartement correspond le papier peint aux losanges de FWN462-R482 ?

Ce papier peint est également présent dans 4 natures mortes (FWN791-R478, FWN795-R479, FWN794-R480, FWN793-R481).

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L’autoportrait de Cezanne se situe ici entre FWN449-R383, qui date du premier séjour au 32, rue de l’Ouest, et FWN464-R510 et FWN463-R445, davantage contemporains du second séjour dans cet appartement (cf. fig. 26 et 30 de L’Album de famille de Paul Cezanne).

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Il pourrait donc avoir été peint, avec les 4 natures mortes l’accompagnant :

  • soit au 32, rue de l’Ouest avant mai 1881 ;
  • soit au 31, quai du Pothuis à Pontoise de mai à octobre 1881 ;
  • soit à Aix ou l’Estaque de novembre 1881 à mars 1882 ;
  • soit au 32, rue de l’Ouest entre mars et octobre 1882.

Nous n’avons aucun élément déterminant nous permettant de situer en quel lieu se situe ce papier peint, entre Paris, Pontoise, Aix ou l’Estaque. On peut simplement remarquer que le séjour à Pontoise, à Aix et à l’Estaque sont surtout consacrés à produire des paysages et non des natures mortes, alors qu’il est plus vraisemblable qu’elles aient été réalisées en appartement à Paris. Et donc le 32, rue de l’Ouest est le meilleur candidat possible.

On trouverait donc dans cet appartement deux types de papiers peints différents, soit que les natures mortes aient été réalisées dans deux pièces différentes – ce qui est toujours possible, l’appartement semble-t-il étant plus grand que celui du 67, rue de l’Ouest -, soit que le premier papier peint ait été changé entre le premier et le second séjour de Cezanne dans ce lieu.

La première hypothèse a notre préférence, parce que le portrait R482 nous paraît plus proche dans son expression de ceux réalisés lors du premier séjour dans l’appartement (cf. fig. 26 de L’Album de famille de Paul Cezanne ) que de ceux relevant du second séjour (fig. 30 de L’Album de famille de Paul Cezanne).