Le tempérament, c’est le destin du peintre : Picasso et Cézanne[1]  

Pavel Machotka

University of California, Santa Cruz

(Présenté au colloque Cézanne et Picasso — quelle filiation ? Aix-en-Provence, Septembre, 2009. Publié dans le recueil du même titre.)

Ma réflexion sur le thème de ce congrès – la nature de la filiation entre Cézanne et Picasso – est issue de mes recherches sur la psychologie de l’art, en particulier sur le rapport entre l’œuvre de l’artiste et sa personnalité. Ces recherches confirment notre intuition, à savoir que la personnalité de l’artiste joue en effet un rôle important dans l’art qu’il crée. On est tenté de reformuler l’aphorisme d’Héraclite (vers le début du 6ème siècle avant J.-C.), proclamant “le tempérament, c’est le destin de l’homme”, pour dire que “le tempérament, c’est le destin de l’œuvre de l’artiste”. Si l’aphorisme original nous semble être un peu fort, il contient tout de même son grain de vérité : s’il nous est difficile d’imaginer un destin inexorablement déterminé, l’idée opposée, c’est-à-dire celle d’un chaos ou d’un futur dépourvu de rapport avec le présent, nous semble, elle, impossible. L’aphorisme peut bien nous servir de guide, sous réserve d’une souplesse de son utilisation : même si le tempérament de l’artiste ne détermine pas inexorablement la forme de son art, il l’influence à coup sûr, il impose des limites à son choix de styles. Il s’agit donc pour nous de préciser comment et dans quelle mesure s’effectue cette influence, et quelles en sont les conséquences.

Je voudrais dire d’emblée que le tempérament de Picasso a imposé des limites étroites aux conséquences sur sa peinture de son admiration pour Cézanne. Il est indiscutable que Picasso a admiré l’œuvre de Cézanne ; on ne saurait ni douter de la sincérité de ses paroles ni nier l’importance pour lui des trois tableaux de Cézanne qu’il possédait. Mais cette admiration, aussi fondée qu’elle soit, était-elle susceptible de se traduire dans son art par une parenté de point de vue, de style, de but esthétique ?

Selon moi ce serait aller trop loin de répondre à cette question par l’affirmatif. Ce serait aller loin, même dans le cas du style considéré comme descendant de Cézanne, le cubisme. Les origines du cubisme sont trop complexes pour lui attribuer une influence dominante, même quand on y voit celle de Cézanne – et de toute façon, la part de son développement qu’on a prêtée à Cézanne concernait l’esthétique de Braque, non celle de Picasso. En revanche Picasso, selon Rubin[2], a apporté à la naissance du cubisme son admiration pour la sculpture africaine. Il faut signaler aussi que les buts esthétiques du cubisme niaient ce qui était le plus important pour Cézanne, le lien profond, même intrinsèque, entre la couleur et la forme.

Picasso admirait Cézanne, c’est certain, mais cette admiration n’a eu que des conséquences éphémères dans son œuvre. Picasso admirait en tout cas d’autres peintres, au point de se laisser inspirer directement par leurs œuvres : Léonard, Grünewald, Rembrandt, Velasquez, Poussin, Ingres, Corot, Delacroix, Manet. Il est vrai qu’il a cherché cette inspiration à la fin de sa vie, quand la sienne commençait à lui manquer, tandis qu’il avait exprimé son respect pour Cézanne bien plus tôt. Il est également vrai qu’en s’inspirant de ces grands artistes il s’alliait avec eux de façon, pense-t-on, à s’assurer sa place dans l’histoire de l’art. Mais il reste indiscutable que Cézanne était loin d’être son seul modèle ; indiscutable, également, le fait que Picasso a ressenti une ambivalence envers lui, qu’il a révélée en disant qu’il trouvait parfois Cézanne “fatigant”[3] .

Rien de ce que je dis là ne doit surprendre ; on apprécie moins chez Cézanne son admiration pour Delacroix et pour les Vénitiens que son effort de synthèse – de synthèse de ces influences d’abord, et d’indépendance ensuite. On attribue au caractère de Cézanne une nécessité impérieuse à trouver son propre style, à réaliser progressivement ses besoins esthétiques. On n’en fera pas moins pour Picasso ; on attribuera au caractère de Picasso le même rôle dans le développement de son originalité.

Mais attribuer ce rôle au caractère implique de considérer aussi la proposition inverse : que le caractère résiste à l’adoption du style des autres. C’est donc une description de son caractère qui m’aidera à répondre à la question principale que je me pose : pourquoi Picasso n’aurait-t-il pas pu suivre Cézanne de plus près – même s’il l’avait voulu ? Parmi les innombrables biographies de Picasso qui ont été écrites, la plus incisive s’intéresse autant à la psychologie du peintre qu’à son œuvre, grâce au fait que son auteur est en même temps historien d’art et psychologue ; cet auteur est Mary Gedo. Si je ne tire de son analyse que les traits qui me seront utiles pour répondre à la question qui m’intéresse, ces traits iront de pair avec certaines conclusions que me permettent de tirer mes recherches en psychologie.

C’est à Braque que nous devons la première description du caractère de Picasso, une description qui révèle le cœur de sa personnalité. Dans une lettre datée en 1919 il écrit : “Ce qui est vraiment constant chez l’artiste, c’est son tempérament. Or Picasso reste pour moi ce qu’il a toujours été, un virtuose plein de talent[4].” Il est certain que Picasso possédait une facilité presque diabolique, qu’il en était bien conscient dès son adolescence, quand son père lui a permis de peindre les pieds des colombes dans ses propres tableaux. C’est alors qu’un psychologue se demande, quel est le sens pour l’artiste de ce grand talent ? Y a-t-il un prix à payer ? Or, pour Picasso le prix est évident : c’est une dépendance psychologique à son père qui a soutenu tout son développement d’artiste, une dépendance qui empêchait le jeune Pablo de se séparer de lui (en route pour l’école, il exigeait que son père lui laisse un objet précieux, tel un pinceau ou une colombe, comme garantie de son retour), qui l’empêchait de se concentrer à l’école, d’assister à ses cours à l’Académie San Fernando à Madrid.

La conséquence pour son art, c’était que sa qualité dépendait de son rapport avec son partenaire du moment et qu’elle changeait chaque fois que ce rapport changeait. Parmi ses partenaires on compte les femmes de sa vie et les hommes avec lesquels il travaillait : Jaime Sabartés, Jean Cocteau, Julio Gonzales, Paul Eluard. Le rôle de ces hommes dans sa vie a été pour la plupart constructif. Mais le rôle capital a été joué par Braque : le cubisme de Picasso a été le fruit de son amitié, de sa collaboration quotidienne avec ce peintre qui a duré sept ans. Du point de vue psychologique c’était la seule période de la vie de Picasso pendant laquelle, selon John Berger, il se développait comme artiste, une période pendant laquelle il était ouvert aux explications, aux suggestions, aux discussions.[5] Picasso et Braque échangeaient des visites d’atelier, se critiquaient mutuellement leurs œuvres, apprenaient les techniques développées par l’autre (bien que ce fût plutôt Braque qui inventait et Picasso qui perfectionnait). S’il y a eu à l’époque une différence entre leur style, dans certains tableaux (comme Picasso, Ma Jolie, et Braque, Le Portugais) elle est à peine perceptible.

Cependant, alors que le cubiste Braque restait un peintre abstrait dont les figures étaient conçues avec le même niveau d’abstraction que les natures mortes, Picasso lui, dans son œuvre cubiste, gardait toujours un certain réalisme, il y introduisait toujours une forme de narration, de révélation de soi. Ses portraits cubistes étaient toujours ressemblants, parfois de façon saisissante (Fig. 1), ses figures féminines avaient du mal à abandonner la grâce de leur pose ou l’attrait de leur forme (Fig. 2).

Picasso : Ambroise Vollard

Fig. 1. Picasso : Ambroise Vollard

Fig. 2. Picasso : Girl with Mandolin

Fig. 2. Picasso : Girl with Mandolin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Même le degré d’abstraction que Picasso avait atteint quand il travaillait avec Braque ne lui était pas naturel. On sait que, peu après le départ de ce dernier, le réalisme est réapparu dans son œuvre en 1914, à l’occasion de la guerre. Ou bien l’abstraction était superposée à une représentation réaliste, les deux modes d’expression prenant une importance égale, ou bien le dessin était conçu et exécuté avec un réalisme absolu (Fig. 3).

Fig. 3. Picasso : Ambroise Vollard

Fig. 3. Picasso : Ambroise Vollard

C’est le marchand d’art Kahnweiler, et non un psychologue, qui l’a noté le premier. “Tout ce qui a été fait pendant ces années [de cubisme],” écrit-il, “n’a pu être fait qu’en collaboration. Se trouver isolé, seul, a dû énormément bouleverser [Picasso], et c’était à ce moment-là que ce changement s’est produit.”[6]

De cette fuite devant l’abstraction, impossible de ne pas conclure qu’elle était intimement liée chez Picasso à la fonction de la peinture (ce qui le distingue autant de Cézanne que de Braque) . Pour lui, selon Françoise Gilot, un tableau étaint une sorte d’autobiographie peinte que plus tard on lirait comme si le tableau était une page de son journal[7]. Voici ses propres termes, cités par Brassaï : “Pourquoi croyez-vous que je date tout ce que je fais? Parce qu’il ne suffit pas de connaître les œuvres d’un artiste—il faut savoir quand il les a faits, pourquoi, comment, dans quelles circonstances…. Un jour il y aura sans doute une science—on peut l’appeler la science de l’homme—qui tâchera de comprendre l’homme en général par l’étude de l’homme créateur. Je pense souvent à une telle science et je tiens à laisser à la postérité une documentation qui sera aussi complète que possible. C’est pourquoi je date tout ce que je fais.”[8]

Nous sommes donc loin de Cézanne, loin de cette exigence d’intégration des compositions allant de pair avec l’élaboration d’un analogue de la réalité, loin de l’acceptation du monde visible comme sujet. Nous ne sommes pas non plus au même moment de l’histoire de l’art, mais ce n’est pas très important; pour Braque aussi l’unité du tableau était capitale. Ce qui est essentiel c’est que la personnalité de Picasso, son tempérament, l’éloignent inexorablement d’un art où l’intégration du tableau dit tout ce qu’il y a à dire. Pour lui, « Ce n’est pas ce que l’artiste fait qui compte, mais ce qu’il est[9] « . Pour lui , l’art est une autobiographie.

Cette fonction autobiographique de l’art représente-t-elle un choix conscient ou une pulsion de l’inconscient ? Je ne peux qu’opter pour une contribution majeure de ce dernier. On se rappelle les traumatismes de sa vie – le tremblement de terre survenu dans sa ville natale, Malaga, qui a duré trois jours juste au moment de la naissance de sa sœur Lola, un événement destructeur qui serait venu confirmer à l’enfant la puissance de ses propres désirs au moment même où il voit naître un rival ; on se rappelle les conséquences, son éloignement permanent de sa mère; on se rappelle aussi, dans ses dessins, la rage du Minotaure.

Si j’insiste sur l’importance de tels traumatismes et d’une telle sensibilité, c’est que je retrouve un mécanisme parallèle chez des jeunes peintres que j’ai étudiés. J’ai noté chez certains d’entre eux ce même rapport entre un tempérament marqué et préoccupé par le besoin de maîtriser de mauvais souvenirs et une tendance à éviter la primauté de la forme.

Afin d’illustrer les différences psychologiques entre Picasso et Cézanne, permettez-moi de vous présenter quelques résultats de cette recherche. Mon but était d’éclaircir le rôle de la personnalité dans la création de l’art visuel. J’ai étudié une œuvre produite en laboratoire par 72 individus séparément, et j’ai établi indépendamment plusieurs indices de la personnalité de chacun. L’oeuvre artistique était réalisée sur ordinateur, après une période d’apprentissage, et consistait à transformer une photo de paysage “en œuvre d’art”; ceci a permis à tous mes sujets, dont certains étaient des artistes étudiants, d’autres des profanes, de travailler sans crainte et sans inhibition—en l’occurrence, avec enthousiasme—quel que soit leur intérêt pour la peinture. Par la suite, ils se sont soumis à une interview de nature psychanalytique[10].

Mes résultats établissent une conclusion capitale : le style de chaque peintre correspond à un type psychologique. Nous avons distingué sept types distincts d’image et sept configurations psychologiques également distinctes et correspondantes qui les expliquent. Dans ce sens, il existe bien un “destin” dans le tempérament, ce qui aurait plu à Héraclite.

Des sept types d’œuvre artistique, deux correspondent assez bien aux différences entre Picasso et Cézanne ; j’y reviendrai un peu plus loin. Mais pour découvrir ces deux types dans leur contexte – car il n’y a pas que deux modes de travail – je ferai mention brièvement de quelques autres types.

Il existe, par exemple, un type d’image de tonalité triste et découragée, avec des formes minuscules et décousues, produit par des personnes dont les attachements enfantins étaient peu fiables ; la forme de leur image paraît symboliser leur jeunesse incohérente. Pour voir si ce mode de travail – autant que les autres modes – se reflétait dans le monde des artistes professionnels, nous avons cherché des correspondances dans les biographies analytiques ; malgré une certaine imprécision de cette méthode, il est légitime de penser au peintre et sculpteur Alberto Giacometti, dont les rapports d’amitié étaient ténus et distants, et les rapports érotiques très problématiques, voire sadiques ; ce ne sont pas seulement ses sculptures décharnées qui symbolisent cette distance, mais aussi ses portraits peints dont la rigidité et l’absence de chair suggèrent un univers presque malveillant[11].

Un autre type d’image en revanche est dense, avec entassement de figures, franchement alourdi par la couleur noire, exécuté par des personnes qui essaient de résoudre ou de contrôler un problème clé de leur vie, et ceci d’une façon radicale ; on voit là un style obsessionnel . On pense aux tableaux de Max Beckman[12], à ses compositions pleines, aux figures massives et à l’ambiance rendue lugubre par l’importance du noir. Leur auteur s’obstinait, s’acharnait même – après la mort de son père quand il avait dix ans – à réussir à tout prix dans la vie et il a vite prouvé son talent à ses professeurs.

Il y a aussi un type d’image, le troisième, qui en revanche nous semble audacieux et vif dans ses formes, fluide dans son mode d’exécution, et qui correspond à un caractère ouvert, aux émotions facilement accessibles . Inutile de chercher loin pour trouver une parallèle parmi les artistes connus: le style vif et mouvementé de Rubens en est l’exemple évident. Ce qui est moins évident, c’est que c’était un homme à la santé mentale robuste, aux émotions profondes (qu’il s’agisse de joie ou d’accablement), aux amitiés fortes, et à la moralité ferme[13].

Ces quelques exemples qui ne représentent qu’un petit échantillon démontrent que les configurations psychologiques sont multiples et complexes et que les images qui en sont le produit leur sont liées d’une façon logique et compréhensible. Ils ont également servi, je l’espère, à rendre plausible l’idée que l’artiste professionnel peut être soumis aux mêmes contraintes psychologiques. Sans doute bénéficie-t-il d’un degré de liberté dont ne disposent pas des amateurs , qui lui vient de son talent et de son travail constant – mais sans doute aussi ne se libère-t-il jamais totalement des contraintes.

Retournons donc aux configurations concernant Picasso et Cézanne. J’ai précédemment fait mention d’un type d’image, surtout narratif, où l’on se soucie peu de la forme de l’œuvre – type qui était produit par des peintres marqués par de mauvais souvenirs. Les auteurs de ces images avaient une histoire à raconter, un monde particulier à créer – un monde qui, dans leur cas, avait été insatisfaisant, empli de maladies enfantines ou marqué par la perte d’êtres proches. Leurs images avaient une fonction réparatrice, c’est-à-dire qu’elles créaient un monde meilleur que celui dans lequel ils avaient vécu enfant. Leur besoin réparateur de raconter une histoire ou de présenter un nouveau monde éclipsait tout souci, s’il y en a jamais eu, de forme abstraite (Fig. 4).

Student image - Reparative needs

Fig. 4. Student image – Reparative needs

Vous voyez sans doute clairement le parallèle que je vous propose entre le tempérament et l’art de Picasso. Mais immédiatement apparaît une différence entre cet artiste et les personnes que j’ai étudiées : le caractère de Picasso était bien plus riche et versatile, il faisait des images non seulement réparatrices mais aussi celles où il dévoilait ses émotions les plus négatives. On se rappelle l’aspect dépressif des personnages des tableaux de la période bleue, les destructions du Minotaure, le désespoir des femmes de sa vie (en partie provoqué par lui-même). Je ne veux nullement simplifier le caractère du grand peintre. Pourtant, on remarque chez lui les mêmes besoins de réparation : des dessins de baignade d’une douceur presque excessive, des tableaux de femmes aux formes opulentes et rassurantes, des images de mère-et-enfant parfaitement unis. C’est par ces aspects-là, par sa vision de la peinture comme un art narratif, par son dédain relatif pour la composition, autant comme par la vulnérabilité émotive qu’il manifestait dans l’enfance et l’adolescence, qu’il ressemble aux jeunes personnes qui m’ont gentiment fait entrevoir leur psychologie.

Vous me demanderez s’il y avait parmi eux de jeunes Cézanne soucieux de la forme du tableau, chez lesquels on aurait pu distinguer une configuration psychologique expliquant ce souci. La réponse est affirmative ; on a trouvé un groupe d’images qui démontrait une grande insistance sur la cohérence de la composition et où – chose non anticipée – cette insistance était liée, comme chez Cézanne, à un désir de conserver le sujet qui en était l’origine. Ces artistes réussissaient, comme Cézanne, à faire des images à la fois autosuffisantes et figuratives, c’est-à-dire unifiées et esthétiques d’une part et représentant la réalité d’autre part. La configuration psychologique qui explique chez eux ce souci découle du désir d’unifier certains aspects de leur enfance qui leur semblaient dissociés, voire rompus : dans un cas, par exemple, mère et père trop différents de caractère, dans un autre, des parents séparés par un divorce pénible. Dans le premier cas, l’artiste essaie d’unir le féminin et le masculin grâce à la qualité de sa touche (fluide et colorée d’abord, délimitée par des contours noirs autoritaires à la fin), dans le second, il « réalise » le rapprochement de la mère et du père vivant à 5.000 kilomètres l’un de l’autre par l’unification de l’espace de son tableau (Fig. 5).

Fig. 5. Student image - Need for integration

Fig. 5. Student image – Need for integration

A première vue, ce souci d’intégration ressemble aux besoins de réparation que nous avons déjà notés, mais il en est radicalement différent : il n’invente pas une réalité alternative plus agréable, par contre, il accepte visiblement la réalité en construisant une image où celle-ci demeure sous-jacente à sa transfiguration artistique. Le terme « sublimation » lui convient parfaitement.

Le souci d’intégration – le besoin d’intégrer la réalité vue et vécue – résume l’art de Cézanne. Bien que nous sachions peu de son enfance – de ce qu’il aurait voulu intégrer de sa vie d’enfant – nous sommes en mesure d’apprécier sa façon d’aborder la peinture : elle est bien différente de celle qui pousse un autre artiste à l’œuvre narrative.

Héraclite nous a aidé à voir juste, “le tempérament, c’est le destin de l’œuvre de l’artiste” . Si Picasso n’aurait pas pu devenir Cézanne, aucun de nous ne le lui aurait demandé, pas plus qu’on aurait souhaité que Cézanne devînt Veronèse.

Notes

[1] Présenté au colloque Picasso Cézanne quelle filiation? Aix-en-Provence, le 10 – 12 Septembre 2009. L’auteur tient à remercier chaleureusement Joëlle Naïm et Jean-Pierre Silvy pour leur collaboration.

[2] William Rubin, “Cézannisme and the beginnings of Cubism,” in Cézanne: The Late Work, New York: The Museum of Modern Art, 1977, 151-202.

[3] William Rubin, “Picasso and Braque: An Introduction,” in Picasso and Braque: Pioneering Cubism, The Museum of Modern Art, New York, 1989, p. 16.

[4] citée par Rubin, “Picasso and Braque,” pp. 51-52.

[5] John Berger, The Success and Failure of Picasso, New York: Pantheon, 1980, p. 35.

[6] Mary Gedo, Picasso: Art as autobiography, p. 107. From Daniel-Henri Kahnweiler, My galleries and Painters, New York: Viking, 1971, p. 54. (ma traduction)

[7] Gedo, p. 2.

[8] Gedo, p. 3.

[9] Berger, p. 13.

[10] Voir les détails de l’expérience et des résultats dans P. Machotka, Painting and Our Inner World: The Psychology of Image Making. New York: Kluwer, 2003.

[11] Wilson, L. Voir la critique de James Lord, Giacometti: A biography. New York: Farrar, Strauss, Giroux, 1983. In Gedo, M. M. (Ed.), Psychoanalytic perspectives on art, Hillsdale, New Jersey: Lawrence Erlbaum, 1985 (Vol. III, pp. 309-314).

[12] Par exemple, Fischer, Friedhelm W. Max Beckmann. London: Phaedon, 1972.

[13] Par exemple, White, C. Peter Paul Rubens, Man and artist. New Haven: Yale University Press, 1980.