R137 – Pot vert et bouilloire d’étain, 1867-1869 (FWN709)

Pavel Machotka

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Pot vert et bouilloire d’étain, 1867-1869
63 x 80 cm
R137 – FWN709

Trois natures mortes de la main de Cezanne ont été situées entre 1867 et 1869 (La Pendule noire, celle-ci et Pots, bouteille, tasse et fruits (R138-FWN710); une quatrième, Bouteille, verre et citrons (R129-FWN711), est d’origine douteuse). Deux parmi les trois sont originales (La Pendule noire et celle examinée ici), la première un chef-d’œuvre. Mais Pot vert et bouilloire d’étain, lui aussi, est un tableau d’une solidité exceptionnelle. Son jeu de couleurs a un centre noir-blanc, un peu comme Le Pain et les œufs, mais il s’étend beaucoup plus largement, vers le rouge chaud et le vert plus froid ; et comme presque tous ses blancs sont chauds plutôt que neutres, le gris du pot en étain est teinté de bleu. Par cet élargissement du centre noir-blanc le tableau est plus proche de L’Homme au chapeau de paille (R174-FWN429), ou même de Le Festin — l’Orgie (R128-FWN596) que de la nature morte Le Pain et les œufs, par les dates également. Et il leur ressemble davantage aussi quand il réintroduit le contour, un contour ferme qui a une forme lente, ondulant, évitant consciemment la moindre légèreté ou élégance.

Dans Pot vert et bouilloire d’étain, on assiste à la première apparition d’un pot à l’ouverture élargie, à savoir, un ovale plus large que l’ellipse que l’œil verrait en réalité. C’est un moyen qui réduit la profondeur de l’espace en inclinant l’ovale vers le haut, et cela a l’avantage supplémentaire d’être cohérent avec le contour délibérément inélégant. Dix ans plus tard, il fera un pas de plus et rendra les côtés plus carrés tout en élargissant plus encore l’ouverture. Cette distorsion sera en fin de compte partie intégrante de la manière cubiste de limiter la profondeur d’une peinture, et dans les tableaux des imitateurs, un cliché. Ici, elle représente une des découvertes que Cézanne a faite qu’un tableau pouvait devenir un objet en soi autant qu’une fenêtre ouverte sur le monde.

Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.

 

Pot vert et bouilloire d’étain is a picture of exceptional solidness. Its color scheme has a black-white center point, somewhat like Le pain et les oeufs above, but it spreads out more broadly, toward the warm red and the cooler green; and because most of its whites are warm rather than neutral, the grey of the pewter pot is tinted a delicate blue-grey. In broadening out from a black-white center the painting resembles the contemporary Portrait de Gustave Boyer (R176) and other portraits. And it resembles them, as well, in reintroducing outline, a firm outline that has a slow, meandering shape, consciously avoiding any hint of lightness or elegance.

In Pot vert we also witness the first appearance of the broadened mouth of the pot, that is, an oval that is broader than the ellipse the eye would actually see. It is a device that flattens the receding space by tilting the oval upward, and it has the further advantage of being consistent with the purposefully inelegant outline. Ten years later he will go a step further and square up the sides while widening the mouth more. This distortion will eventually become an integral part of the Cubists’ way of limiting depth, and, in imitative paintings, a cliché. Here it represents one of the discoveries Cézanne made by which a painting would become as much an object in its own right as a window frame to look through.

Source : Machotka, Cézanne : The Eye and the Mind.