R636 – La Table de cuisine ; Nature morte au panier, 1888-1890 (FWN813)

Pavel Machotka

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La Table de cuisine ; Nature morte au panier, 1888-1890
65 x 80 cm
R636 – FWN813

Nature morte au panier est une composition des plus étonnantes. Extrêmement surprenant, ce grand panier qui s’impose dans une nature morte sans lui déjà complète, maladroitement perché au bord de la petite table et qui rapetisse le pot à gingembre, lequel aurait offert le sommet naturel de la nature morte déployée devant lui. De même, le panier rend plus confus le rôle qu’auraient dû jouer les grandes poires vert sourd ; celle de droite, en particulier, se voulait normalement un contrepoids substantiel à la jarre et maintenant on ne la voit presque pas. Mais il est manifeste que Cézanne pensa cette composition d’un seul tenant, sinon il n’aurait pas placé la petite table si bas dans la toile, ce qui nous oblige à voir cet amas d’objets comme intentionnel et à tenter d’en suivre le fonctionnement.

Dans ce foisonnement d’orientations indiquées par tous les objets de la nature morte, après un moment d’observation, s’éclaire la manière dont Cézanne voulut ordonner cette profusion : une première série de lignes, verticales, nous conduisent presque directement en haut à gauche et au fond, vers le paravent de l’arrière-plan, et une autre nous mène en diagonale de ce même bord gauche, vers le haut à droite. Cette seconde série commence au bord avant de la table de travail pour aller aux traverses de la chaise du fond – elle est ainsi parallèle à l’imposante anse du panier. L’adéquation de ces deux séries de lignes se situe à leur intersection, à savoir, à l’ouverture du pot à gingembre, là où le sommet de la « petite » nature morte aurait dû se trouver . C’est maintenant qu’on est en mesure de comprendre la fonction complexe de l’anse du panier : elle sert de guide au regard, le conduisant vers l’arrière en passant par-dessus la profusion de fruits contenus dans le panier, tout en indiquant en avant le pot -, pivot de la composition. Le procédé de Cézanne ici est complexe, disons-le, et nous rappelle davantage une fugue qu’un gracieux menuet, mais il récompense une étude soigneuse, ne serait-ce qu’en nous permettant de comprendre la science de la composition déployée ici par le peintre ; je suggère au lecteur de tenir la reproduction devant un miroir pour que ressortent clairement toutes ces forces[1].

Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.

[1] On devrait voir l’interruption du bord avant de la petite table comme faisant partie de cet agencement de l’espace. Si on masque du doigt la partie gauche de la table et que l’on imagine le bord continu, la table s’effondre sur la droite et contre les lignes qui vont vers le haut le long des pieds de la table.