R139 – Portrait du peintre Achille Emperaire, 1867-1868 (FWN423)

Pavel Machotka

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Portrait du peintre Achille Emperaire
1867-1868
R139-FWN423

De même que rien dans la peinture du 19e siècle ne préparait aux artistes contemporains de Cézanne, rien dans le développement de Cézanne ne nous prépare au monumental et unique Portrait du peintre Achille Emperaire , de 1868 environ. Dans certains détails, comme les contours ondulant, son style rappelle d’autres œuvres de la période, mais sur tous les sujets essentiels – le point de vue impitoyablement frontal et la surface volontairement disgracieuse – Cézanne présente une conception propre à ce tableau qu’il n’a jamais réutilisée. Il n’y a peut-être pas plus grande preuve de l’honnêteté de Cézanne que le choix d’un format héroïque pour un personnage à la tête noble et grande et aux jambes rabougries, et pas de plus clair exemple de son originalité, si évidente pour nous alors qu’elle dérangeait tellement ses contemporains. Le modèle est placé dans la même chaise que le père de Cézanne et le tableau est à la même échelle. Mais le personnage est à présent vu plus frontalement et l’espace est maintenu peu profond; les formes sont à peine modelées et quelques plans se chevauchent. Chaque forme, aussi petite soit-elle, est clairement délimitée, comme s’il fallait faire preuve de la même littérale honnêteté que celle qui avait dicté la pose.

Emperaire avait de fait une belle tête, comme Cézanne le rapporte dans deux dessins et un petit portrait à l’huile, et il savait poser avec assurance, comme on le voit sur une photographie reproduite par Rewald.

Tête d’Achille Emperaire
1867-1870
C0229

Portrait d’Achille Emperaire
1867-1870
C0230

Portrait d’Achille Emperaire
1867-1868
R141 – FWN421

 

Achille Emperaire
Date inconnue

Autoportrait au crayon
Musée Granet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cézanne aurait pu le peindre de plus grande taille ou en cachant son infirmité ; vu légèrement de dessous et une main sur la hanche, on ne remarquerait pas les proportions d’Emperaire. Mais ce n’est ni dans le caractère de Cézanne ni dans son idée naissante de la peinture. Le portrait n’est pas un exercice adapté au genre de touche qui attire l’attention sur elle-même et clame sa virtuosité. Au contraire on assiste à une sorte de renonciation qui nous laisse à penser ceci : quelle que soit l’intention, voici un nouveau genre de peinture, d‘une conception incarnée peut-être seulement dans un autre tableau de l’époque, dont il ne nous reste qu’un dessin humoristique moqueur : un nu féminin apparemment cru et sévère.

Femme nue

Mais l’ironique dessin a peut-être révélé une vérité : le peintre a pu vouloir choquer le jury autant que dépeindre son sujet sans pitié. Comme avec le portrait de Valabrègue cependant, choquer pouvait n’avoir été qu’une petite partie de ses motivations complexes. Sa gravité et sa simplicité volontaire sont trop importantes pour les écarter au simple motif de son désir de choquer.

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Nothing in Cézanne’s development prepares us—as nothing in 19th century painting prepared Cézanne’s contemporaries—for the monumental and unique Portrait du peintre Achille Emperaire of c.1868. In some details, such as the undulating outlines, its style recalls other works of the period, but in all the crucial matters—the mercilessly flat, frontal conception and the self-consciously ungraceful surface—Cézanne presents a vision that is peculiar to this painting and is never used by him again. There is perhaps no greater testimony to Cézanne’s pictorial honesty than the choice of a heroic format for a figure with a large, noble head and withered legs, and no clearer example of the originality that is so apparent to us and was so disturbing to some of his contemporaries. The sitter is placed in the same chair as was Cézanne’s father and the painting is on the same scale. But the figure is now seen more frontally and the space is kept shallow; the forms are barely modeled and there are few overlapping planes. Each form, no matter how small, is clearly outlined, as if it were a matter of the same literal honesty that dictated the pose.

Emperaire had in fact a handsome head, as Cézanne records in two drawings and a small oil portrait, and could strike a self-assured pose, as we know from a photograph reproduced by Rewald. Cézanne could have painted him with his infirmity hidden or with his stature lengthened; seen from slightly below and one hand on his hip, Emperaire’s proportions would go unnoticed. But that is neither in Cézanne’s character nor in his nascent vision of painting.

Source: Machotka, Cézanne: the Eye and the Mind.

Autres dessins d’Achille Emperaire par Cezanne :