R416 – Portrait de l’artiste, 1879-1880 (FWN450)

Pavel Machotka

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Portrait de l’artiste
1879-1880
R416-FWN450

Le regard analytique de Cézanne se déploie dans son plus haut degré de cohérence et sa plus grande pureté dans un très petit autoportrait peint au début de la période qui s’ouvre à la fin des années 1870. Semblable aux natures mortes réalisées d’une manière lente et systématique, en pleine pâte, il leur est contemporain, aux environs de 1879-1880. Dans la barbe, on reconnaît les touches déjà présentes dans le petit autoportrait de 1877, Portrait de l’artiste ; A première vue elles semblent d’abord viser à une représentation purement réaliste, mais elles s’étendent aussi dans le front et les joues, et ceci est nouveau. Pas une portion de peau, aussi petite soit-elle, n’échappe à l’analyse rigoureuse de la touche parallèle. La touche à la fois sculpte la partie de la tête qui est dans la lumière et crée une transition vers l’ombre ; allant des roses aux oranges dans la partie éclairée – avec des touches bleu gris et vert gris pour alléger l’intensité de ces couleurs chaudes –, elle crée une mosaïque lumineuse, puis, se tournant vers l’ombre, elle réalise une transition brutale grâce au vert, pour finalement l’atténuer en une harmonie plus sourde de tons chair foncés, bruns, brun rouge, et verts.

C’est peut-être parce le tableau est limité à la tête, sans que le regard du peintre ne soit distrait par les épaules, les revers, ou le fond, que Cézanne a pu consacrer toute son attention aux relations internes des couleurs, et le portrait prend l’éclat d’un joyau avec la juxtaposition magistrale des touches parallèles. Ici, elles servent à analyser la forme, pour nous la rendre dans sa totalité, au lieu de conférer un ordre à la complexité comme dans un paysage. Il me semble remarquable que pour les portraits, Cézanne a été capable, si tôt dans son évolution, d’utiliser la touche avec cette sûreté, et avec tellement plus d’intrication que dans la représentation des pommes. Groupées, les touches sculptent la tête ; individuellement, elles contrôlent la lumière, l’espace, et l’équilibre des couleurs. Les seules touches de rouge, par exemple, sont manifestement délibérées, et bien que leur propos ne soit pas évident au premier abord, on peut deviner ce qu’il en était en les masquant, l’une après l’autre. On se rend alors compte qu’à l’extrémité du sourcil, elles semblent clarifier le changement de plan sur l’arête de l’orbite ; dans la barbe et au milieu du front, elles servent à introduire une trace de lumière ; et là où le nez éclairé rencontre l’ombre projetée par l’œil, l’unique point rouge adoucit l’ombre tout en la faisant ressortir. Ces effets sont peut-être difficiles à décrire précisément, mais ils sont palpables : ils ajoutent de l’intensité et de la lumière, et ils équilibrent l’aspect jaune chaud des tons chair.

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Cézanne’s analytic gaze is at its purest and most self-consistent in a very small self-portrait painted at the beginning of this period. Similar to the still lifes done in the slow, full-paste, and systematic manner, it is best dated at the same time, about 1879-80. In the beard the touches are familiar from the small self-portrait (Portrait de l’artiste), and look at first like mere realistic representations, but they extend into the forehead and cheeks, and this is new. No part of the skin, however small, escapes the rigorous analysis of the parallel touch. The touch both sculpts the part of the head that is in light and creates a transition into shadow; ranging from pinks to oranges in the illuminated part—with touches of grey-blue and grey-green to relieve the burden of this warmth—it creates a luminous mosaic, then as it turns toward the shadow it makes a sharp transition through green, and eventually attenuates into a more muted harmony of dark flesh tones, browns, red-browns, and greens.

Perhaps because it is a head only, with the painter’s gaze undistracted by shoulders, lapels, or background, Cézanne could give all his attention to the internal relationships of color, and achieve a jewel-like brilliance through a masterly juxtaposition of parallel touches. Here they serve to analyze form, and then return it to us whole, rather than lending order to complexity as in landscape. It seems remarkable to me that in portraits Cézanne should have been able to use the touch with such sureness so early in its development, and so much more intricately than with apples. Grouped, the touches sculpt the head; individually, they control light, space, and color balance. The single touches of red, for example, are obviously willful, and although their purpose is not at first obvious, we can guess what it was by blocking them out, one after the other. We find that at the end of the eyebrow they seem to clarify the change of plane at the orbital ridge; in the beard and in the middle of the forehead they serve to introduce a faint trace of light; and where the illuminated nose meets the shadow cast by the eye, the single red dot softens the shadow and brings it back out. These effects may be difficult to describe precisely, but they are palpable: they add intensity and light, and they balance the warm yellow cast of the skin tones.

Source: Machotka, Cézanne: the Eye and the Mind

Note manuscrite de Degas après son achat du tableau chez Vollard

 

 

 

 

 

 

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