R606 – Madame Cezanne à l’éventail, 1878 et 1886-1888 (FWN447)

Pavel Machotka

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Madame Cezanne à l’éventail
1878 et 1886-1888
R606-FWN447

Les yeux de Madame Cézanne soulèvent quelques questions dans le portrait Madame Cézanne à l’éventail, mais la gêne est dérisoire devant la magnificence de la réalisation. C’est un portrait que Cézanne a dû commencer à Melun en 1879-1880, dans le coin même où il avait peint Portrait de Louis Guillaume [1]voir ici les questions de datation posées par ces portraits ; la lumière est identique, l’éventail de feuilles situé au même endroit, et, comme le fait remarquer Rewald, la robe date vaguement de la fin des années 1870. Mais le traitement de celle-ci est nettement plus tardif – le frottis a été presque autant utilisé que dans la surface du Grand Baigneur (R555-FWN915) , et le visage et les mains sont beaucoup retravaillés tandis que le bras du fauteuil et le papier peint restent traités avec la touche parallèle. L’explication la plus probable, c’est que le tableau a été en partie repeint plus tard, peut-être vers 1888[1]. C ‘est  un portrait plus ambitieux que celui de Guillaume – et cela a dû être le cas dès le début. Cézanne déploie le modèle dans un espace clos, fourni par le fauteuil, et le sépare du fond par une aile du fauteuil ; il renforce aussi cette séparation et procure une clôture parallèle, avec le coude gauche prolongé. L’éventail, en revanche, se dirige vers celui des feuilles et relie à nouveau la figure et le fond ; et si nous sentons intuitivement que le tableau est inhabituellement bien harmonisé, c’est en partie grâce à ces mesures intelligentes.

La forme en amande noire de l’œil droit doit avoir fait partie du repeint, mais je dois admettre que je ne trouve aucun moyen pleinement convaincant d’en rendre compte. Cela situe l’œil dans le même plan que les autres objets noirs, comme les cheveux, le corsage, et le contour du fauteuil, et effectivement cela nous rend plus attentif à la forme du tableau qu’à la ressemblance avec le modèle ; de ce fait, le tableau devient encore plus un objet soigneusement confectionné qu’un portrait. C’est peut-être ce que voulait Cézanne, nous ne pouvons certes en être sûr, mais c’est précisément grâce à ce sacrifice de la ressemblance au profit de la composition que le tableau nous procure ce sentiment profond d’autorité.

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Madame Cézanne’s eyes raise some questions in the portrait, Madame Cézanne à l’éventail, but the puzzle pales in relation to the magnificence of the realization. It is a portrait that Cézanne must have begun in Melun in 1879-80, in the very corner where he had painted Portrait de Louis Guillaume ; the light is identical, the spray of leaves is located in the same spot, and, as Rewald points out, the dress is roughly from the late seventies. But the treatment of the dress is clearly from a later time—it is almost as scumbled as the surface of Le grand baigneur (R555-FWN915—and the face and hands are much worked over, while the near arm of the chair and parts of the wallpaper remain done with the parallel touch. The most likely explanation is that the painting was partly repainted later, perhaps in about 1888[2]. It is—and must have been from the start—a more ambitious portrait than the one of Guillaume. It enfolds the sitter in a close space, which is provided by the armchair, and separates her from the background by the chair’s wing; it also strengthens that separation, and provides a parallel enclosing frame, with the extended left elbow. The fan, on the other hand, points toward the second spray of leaves and reconnects the figure and the background again; and if we feel intuitively that the painting is unusually well resolved, it is in part thanks to such thoughtful measures.

The black almond shape for the right eye must be part of the repainting, but I must admit that I find no way of accounting for it that is fully convincing. It does locate the eye in the same plane as the other black objects, such as the hair, the bodice, and the outline of the chair, and it does make us concentrate on the painting’s form rather than the sitter’s likeness; as a result, the painting becomes all the more a carefully crafted object rather than a mere portrait. Perhaps this is what Cézanne intended, though we cannot be sure; but this sacrifice of likeness to composition is what elicits the deep sense of the painting’s grave authority.

[1] Rewald, PPC, vol. 1, p. 402-403.

[2] Rewald, The Paintings of Paul Cézanne, vol. 1, p. 402-403.

Source: Machotka, Cézanne: the Eye and the Mind.

On peut noter que la représentation plus fidèle du modèle apparaît aux rayons X, comme un état antérieur du tableau par rapport aux choix définitifs de Cezanne :

 

 

 

 

 

 

Le tableau est présent lors de l’exposition de 1904 chez Vollard :

 

 

 

 

 

 

Gertrude et Leo Stein aimaient tellement ce tableau qu’ils l’ont beaucoup déplacé dans leurs appartements du 27 rue de Fleurus…

 

Références

Références
1 voir ici les questions de datation posées par ces portraits