R954 – Le Jardinier Vallier, 1906 (FWN549)

RW641 – Portrait de Vallier de profil, 1906

Pavel Machotka

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Portrait de Vallier de profil
1906
RW641

Le Jardinier Vallier
1906
R954 – FWN549

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On dit qu’un portrait de profil de Vallier est le dernier tableau de Cézanne, celui sur lequel il travaillait le lendemain matin suivant son attaque, le 15 octobre[1]. Il n’y a aucune raison de ne pas croire cette histoire, parce qu’elle est cohérente avec ce que le tableau révèle de l’intérieur, là où Vallier fait face à un soleil matinal assez bas pour qu’il éclaire son front sous le bord du chapeau. Nous devons aussi supposer que le tableau était bien avancé, parce que Cézanne n’avait plus que ce matin de travail à y consacrer ; il retourna à son atelier en ville, subissant une nouvelle attaque, et il mourut une semaine plus tard, (le 23). Peindre la lumière du matin représente un défi important : le mur derrière le personnage est dans l’ombre et pourtant le sarreau de couleur claire est intensément éclairé, et ce fort contraste risque de séparer la figure du fond, l’un trop clair ou l’autre trop foncé. Cézanne se montra à la hauteur : il sut préserver à la scène sa lumière, à la blouse sa couleur et son volume, et au fond, avec ces verts et marrons à peine perceptibles, son lien intime avec la figure. Le résultat est totalement accompli et assuré que dans les autres derniers portraits.

Dans ce portrait, on ne discerne pas le sentiment d’épuisement que Cézanne a ressenti les jours et les semaines précédant son attaque. Déjà le 21 septembre il écrivit à Bernard en disant « Je me trouve en un tel état de troubles cérébraux, dans un trouble si grand, que j’ai craint à un moment que ma frêle raison y passât. ». Le 13 octobre, il était encore épuisé et écrivit à son fils, plus ouvertement et en style télégraphique : « Le temps est orageux et très variable. Système nerveux très affaibli, il n’y a que la peinture à l’huile qui puisse me soutenir. Il faut poursuivre.». En revanche, le 15 précisément, à son fils, il proclama qu’il n’allait pas «trop mal. Je me soigne, je mange bien. »[2]. Il déclinait nettement mais avait de bons moments. Mais le portrait est plus que le produit d’un bon moment ; il est d’une conception originale et soutenu par sa facture vigoureuse (comme son étude préparatoire à l’aquarelle, RW641). Une lumière horizontale est rare dans un tableau, et la première lumière du jour encore plus rare – on pense au Caravage, mais la sienne vient généralement d’une fenêtre, et pas nécessairement le matin – et c’est nouveau pour Cézanne ; de même les coups de pinceau répétés pour délimiter le profil. Ces deux traits sont des effets étudiés, non pas des impulsions du moment ; l’aquarelle préparatoire fut faite avec la même lumière et une touche similaire. On pourrait être tenté de voir la touche comme expérimentale, mais si elle l’était, alors les touches convergeraient sur le contour qui était le plus proche de ce qu’il souhaitait ; au contraire, ici – comme dans de nombreux dessins et aquarelles – toutes les touches ont un poids égal. Si Cézanne était à la recherche d’un seul effet, on peut en douter, et ici, de toute façon, les touches attirent l’attention sur le rythme du profil : l’angle où la couronne rencontre le bord du chapeau est répété d’abord dans le nez et ensuite dans le bras éloigné.

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A profile portrait of Vallier is thought to be Cézanne’s last painting, the painting he worked on in the morning following his collapse the day before, on October 15[3]. There is no reason not to believe this account, because it is consistent with the internal evidence of the painting, where Vallier faces an early morning sun low enough to illuminate his forehead under the brim of the hat. We must also assume that the painting was well along, because Cézanne could add only that one morning’s work to it; he returned to his studio in town in a state of collapse again and died a week later (on the 23rd). The early morning light presents a sharp challenge for the painter: the wall behind is in shadow yet the light smock is brightly illuminated, and the great contrast risks pulling the figure and the background apart, with the one too light or the other too dark. Cézanne rose to the occasion: the scene retained its illumination, the smock its color and volume, and the background, with its just perceptible greens and browns, its close connection with the figure. The result is fully as accomplished and resolved as any of the late portraits.

In the portrait there is no sense of the exhaustion that Cézanne felt in the days and weeks preceding his collapse. Already on September 21 he wrote to Bernard saying “I find myself in such a state of mental disturbance, in such great trouble, that I fear that my sanity might give way.” On October 13 he was still exhausted and wrote to his son, more openly and telegraphically, “The weather is stormy and variable. Nervous system much weakened, only oil painting can sustain me. I have to carry on. I simply must go on painting after nature”. On the other hand, on the 15th itself, again to his son, he claimed that he was “not feeling too badly. I take care of myself, and I eat well[4].” Clearly he was declining but had good moments. But the portrait is more than the product of a good moment; it is original in its conception and sustained in its vigorous handling (as is the watercolor study for it, RW641). A horizontal light is rare in painting, and the first light of day even rarer—one thinks of Caravaggio, but his comes generally from a window, and not necessarily in the morning—and it is new for Cézanne; so are the repeated, independent stabs at outlining the profile. Both are studied effects, not momentary impulses; the preparatory watercolor was done by the same light and with a similar touch. One might be tempted to see the touch as tentative, but if it were so, then the touches would converge on the outline that came closest to his wishes; instead, here—as in many late drawings and watercolors—all the touches have equal weight. Whether there was a single effect that Cézanne sought after can be doubted, and here, in any case, the touches call attention to the rhythm of the profile: the angle where the crown meets the brim of the hat is repeated first in the nose and then in the distant arm.

[1] Voir Rewald, PPC, vol. 1, p. 558, et Rewald, Cézanne, p. 263.

 

[2] Voir Rewald, Correspondance.

[3] See Rewald, PPC, vol. 1, p. 558, and Rewald, Cézanne, p. 263.

[4] My translation after Rewald, Cézanne: Correspondance.

Source: Machotka, Cézanne: the Eye and the Mind.