L’héritage romantique de Zola et de Cézanne

Gila Ballas

En avril 1886 paraissait L’Oeuvre d’Emile Zola, roman nourri des souvenirs d’une jeunesse partagée avec Paul Cézanne. Nous nous proposons de tracer ici le parcours émotionnel et intellectuel – fortement imprégné de romantisme – des deux jeunes gens au travers de leur attitude face à l’amour, à la mort et à la création artistique.

L’amour lascif – la Séductrice

On sait que, dans leur jeunesse, Paul Cézanne et Emile Zola éprouvaient envers la Femme des sentiments mêlés d’attirance et de méfiance. Les sujets érotiques et violents présents chez Cézanne jusqu’aux années 1875-1877 et l’érotisme mélancolique des premiers récits et nouvelles de Zola, font écho à leurs craintes et à leurs fantasmes. Or ces sujets revêtent dans leurs oeuvres des formes proches des visions évoquées par la poésie romantique. On peut donc penser que cette attitude ambivalente n’est pas entièrement hors du commun, à une époque et dans une société où les filles honnêtes (ou considérées comme telles) sont jalousement gardées et où seules les « femmes lascives », les courtisanes et les « filles perdues » sont accessibles aux jeunes gens. Le dilemme moral que pose le choix entre la vertu et le vice est, en effet, l’un des principaux thèmes de la littérature de ce temps. Alfred de Musset, par exemple, l’expose avec beaucoup de finesse et une grande pénétration psychologique dans La coupe aux lèvres (1832)[1]Cf. La coupe et les lèvres, poème dramatique en cinq actes, le premier du recueil Un spectacle dans un fauteuil publié en 1832..

   En classe de troisième déjà, les deux amis avaient découvert les grands poètes romantiques grâce à un « professeur exceptionnel » venu de Paris, dont vingt ans plus tard Zola évoque le souvenir avec émotion : « Je ne peux pas, encore maintenant, oublier notre étonnement quand il commença à nous parler des contemporains, Victor Hugo, Musset, Lamartine. »    [2]Cf. Emile Zola, Oeuvres complètes, H. Mitterrand (éd.), Paris 1966-70, Tome 14, p. 245, cité par C. Becker dans l’introduction biographique de Emile Zola, La Correspondance I : 1858-1867, H.B. Bakker (éd), Paris-Montréal, 1978, p. 35.

Dans L’Oeuvre, Zola raconte comment les trois amis inséparables (lui-même, Cézanne et Baille) vivaient dès quatorze ans « isolés, enthousiastes, ravagés d’une fièvre de littérature et d’art. » Au début, ils étaient ravis par Hugo; puis Musset vint les « bouleverser de sa passion et de ses larmes. »[3]Emile Zola, L’oeuvre (1886), Livre de poche, Paris, 1964, p. 46..Ailleurs, Zola avoue : « La lecture de Musset fut pour nous l’éveil de notre propre coeur […] relisant pour la vingtième fois peut-être Rolla ou Les nuits […] sans doute, à seize ans […] nous subissions, sans la discuter, la séduction de Musset. »[4]Cf. E. Zola, « Alfred de Musset » in Oeuvres complètes, éd. Charpentier, Paris, Tome 19, pp. 383-84. Alfred de Vigny, lui aussi, devait enchanter les jeunes amis. Cézanne, par exemple, connaît par coeur au moins l’un de ses poèmes célèbres, Moïse, dont il cite le refrain dans Mes confidences, une feuille de jeu de société qu’il remplit à une date imprécise entre 1866 et 1869[5]Cf. « Mes confidences », in Conversations avec Cézanne, édition critique présentée par P.M. Doran, Macula, Paris, 1978, pp. 101-104. La date du document demeure controversée.

   Il n’est donc pas surprenant de voir que les sujets d’invention peints par Cézanne à l’époque reflètent, en même temps que ses fantasmes les plus intimes, l’état d’esprit quasi général des jeunes intellectuels de sa génération. « Nous sommes enfants du siècle » , conclut Zola dans une lettre à Baille (14 janvier 1860), se reférant, sans doute, à l’ouvrage de Musset La Confession d’un enfant du siècle (1836). Comme il devait l’écrire plus tard, « Alfred de Musset parlait des femmes avec une amertume et une passion qui nous enflammaient. Nous sentions bien qu’il les adorait sous son masque de Don Juan méprisant et railleur […] Il était sceptique et ardent comme nous, plein de faiblesse et de fierté. »[6]Cf. E. Zola, « Alfred de Musset » in Oeuvres complètes op. cit., p. 384.

   Rien d’étonnant à ce que des jeunes hommes sensibles et romantiques comme le sont Zola et Cézanne, soient à la fois effrayés et émerveillés à la seule pensée d’approcher de telles femmes, mystérieuses et remplies de vices[7]A ce sujet cf. Mario Praz, La chair, la mort et le diable, le romantisme noir (Florence 1966), Denoël, Paris, 1977..

Ils se contentent de rêves, de poésies et attendent le miracle de l’amour idéalement pur, tout en vouant de la rancune aux femmes qui (selon l’expression de Cézanne) « se jouent » des sentiments sincères des hommes. Les lettres et les poèmes de jeunesse de Cézanne contiennent plusieurs spécimens de ce genre de réflexions. Quant à Zola, lui aussi participe à ces rêveries : en 1859 il écrit à Cézanne qu’il « demande au ciel une douce colombe (c-à-d) une femme aimante », mais entre-temps (en l’attendant) il avoue sa difficulté « à remplir trois cents pages sans avoir jamais aimé qu’en rêve » et sans avoir été « jamais aimé, même en rêve ! »[8]E. Zola, Correspondance I, op. cit., p. 119; voir également Paul Cézanne, Correspondance, John Rewald (éd.), Grasset, Paris, 1937, p. 35, lettre à Zola du 9 juillet 1858..

     Lorsque, plus tard, Zola fait l’expérience de « l’amour réel », il est bouleversé, « écoeuré »; il écrit à Cézanne en février 1861 : « Je sors d’une école rude, celle de l’amour réel; de telle sorte que je ne saurais trop aborder un sujet quelconque, tellement mon esprit se trouve abattu »[9]E. Zola, Correspondance, op. cit., p. 259, lettre 38.. Cinq jours après, dans une lettre à Baille, à la suite d’une lecture de L’Amour de Michelet (1858), il se lance dans un long discours sur le genre de femme qu’il souhaiterait choisir. Il rejette, bien entendu, la fille perdue parce que « toujours la trace de la débauche demeure dans son coeur ». « Par bonheur, poursuit-il, nous retirons de cet amour trompé un excellent résultat. Nous nous sentons pris d’une horreur profonde pour la débauche » (souligné par nous). Il conclut sa lettre par ces mots : « telle est la navrante réalité : la noceuse est à jamais perdue, la veuve m’effraie, la vierge n’existe pas […]. Je ne nie point l’amour, et je ne désespère de rien, seulement j’attends […] quelques rares exceptions aux règles »[10]Ibid.,pp. 263-66, lettre à Baille, 10 février 1861. Dans une lettre précédente(14 janvier 1860) il cite une phrase de Cézanne : « L’amour de Michelet, l’amour pur, noble, peut exister mais il est bien rare, avoue-le »..

     L’attitude du jeune Cézanne ne diffère guère. Bien que la débauche l’effraie (la petite toile des Courtisanes autour de 1871, l’atteste parfaitement), il ne hait pas les femmes, mais leur nature même lui demeure mystérieuse, le stupéfie et le déroute.

Les Courtisanes
1867-1868 ou plus tard
R144-FWN603

Ne soyons donc pas surpris de ce que la femme lui apparaisse le plus souvent sous les traits d’une redoutable séductrice. En effet, que ce soit comme courtisane, comme femme fatale ou comme femme lascive (la « fille perdue« ), la séductrice est au coeur de nombreuses oeuvres en prose et en vers de l’époque. Son image ambigue, si fréquente dans la littérature romantique, qui intrigue par sa beauté indifférente et hautaine, et qui terrifie par le danger de corruption et de déchéance qu’elle récèle, persistera jusque chez les auteurs réalistes de la seconde moitié du dix-neuvième siècle[11]Cf. Mario Praz op. cit. p. 167 où il dit que dès le début du romantisme, c.à.d. selon lui, à partir de Mathilde de M. Lewis dans Le moine de 1796, se sont développées deux lignées de femmes fatales : l’une par Velléda (Chateaubriand dans Les Martyrs, 1809) et Salammbô (Flaubert, 1862); l’autre à partir de Carmen (Mérimée, 1845), Cécily (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, 1842-43) et Conchita (P. Louÿs, La Femme et le pantin, 1898)..

   L’abbé Prévost (1697-1763), est sans aucun doute le premier à aborder ce thème caractéristique dans Manon Lescaut. Publié en 1753, ce roman sera accueilli par les milieux romantiques avec une particulière ferveur. Alfred de Musset lui dédie des vers enthousiastes[12]Cf. A. de Musset, Namouna, poème qui complète le recueil Un spectacle dans un fauteuil. et l’on peut imaginer son influence sur Rolla (1833), tant admiré par Zola et Cézanne. Depuis le premier quart du XIXe siècle, les éditions de Manon Lescaut se succèdent sans interruption, toujours accompagnées de préfaces élogieuses[13]Cf. Dictionnaire des oeuvres de tous les temps et de tous les pays, Lafont-Bompiani, Paris, 1980 (première édition Bompiani, 1954), Tome IV, pp. 366-67.. Comme les réalistes, les romantiques y voient un roman captivant, émouvant, « réaliste non seulement par la peinture exacte des moeurs contemporaines, mais encore par l’étude de problèmes moraux qui, pendant plus d’un siècle, ont dominé la littérature – celui de la lutte entre le plaisir et la passion, et celui du droit et du pouvoir de cette passion »[14]Cf. E. Lassere, Manon Lescaut, 1930, cité dans Dictionnaire op. cit. Tome IV, p. 367..

   Inspirée de Manon Lescaut, la pièce Les Filles de marbre de Théodore Barrière (1823-1877), écrite en collaboration avec Marc Fourier, transforme la séductrice en « simple courtisane impitoyable, la fille avide qui dévore un fils de famille le matin et un père de famille le soir »[15]Cf. A. Thibaudet, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, Stock, Paris 1936, p. 387.. Représentée pour la première fois à Paris en 1850, cette pièce fut la plus jouée dans les théatres de province sous l’Empire. A visée moralisatrice, elle dessine le portrait de la séductrice dans toute son horreur[16]Ibid., selon Thibaudet, « les femmes se communiquaient l’une à l’autre qu’il fallait y mener leurs maris et leurs fils pour leur faire haïr la courtisane »..

   On peut encore citer Le Demi-monde d’Alexandre Dumas fils (1824-1895), comédie de moeurs représentée pour la première fois en mars 1850, dans laquelle une femme jeune et belle, Suzanne, essaie à tout prix (mais en vain) de se délivrer d’un passé peu glorieux pour atteindre à une honnête position sociale ; et aussi La Vieille maîtresse de Barbey d’Aurevilly (1808-1889) publiée en 1851 qui, en ramenant le héros Ryno à sa maîtresse Vellini, conduit sa jeune épouse au seuil de la mort[17]Cf. Barbey d’ Aurevilly, La Vieille Maîtresse (1851), A. Codot, Paris 1858.. Si dans La Dame aux camélias de Dumas fils (drame joué à Paris pour la première fois en 1852) la courtisane suscite encore la pitié, dans La Femme de Claude (1874) elle apparaît profondément corrompue[18]La Femme de Claude, drame en trois actes de Dumas fils, fut publié à Paris en 1874. L’héroine, Césarine, est une femme douée de toutes les séductions; abandonnée par son mari à cause de ses trahisons, non sans qu’il ait tenté de la sauver, elle se trouve impliquée dans des complots d’espionnage qui la conduiront à la mort.. Citons également quelques oeuvres moins importantes, mais très populaires à l’époque, comme Fanny d’Ernest Feydeau (1821-1878) publiée en 1858[19]Fanny d’Ernest Feydeau est un roman qui appartient à l’école réaliste et que son auteur considère comme une étude de moeurs., et Le Roman d’un jeune homme pauvre d’Octave Feuillet (1821-1890) paru la même année[20]Zola a écrit à propos de ce roman : « C’est de la confiture à pleine bouche », et parlant des héros principaux : « Ils réalisent merveilleusement les aspirations des coiffeurs enrichis […] ils sont l’expression de l’art bébête d’un peuple ». Cf. Oeuvres complètes, Tome X, p. 1120, cité dans Correspondance op. cit., p. 147, note 56..

   Toutes ces oeuvres, et d’autres que nous n’avons pas évoquées, de conception plus ou moins romantique, tracent un tableau vivant de la société de l’époque et du personnage de la femme corrompue qui entraine fatalement les hommes à leur perte. L’épouse idéale, qui s’identifie à son époux bien-aimé lequel, de son côté, la forme à son image, n’existe que dans les rêves de Michelet (L’Amour) et encore, lui-même reconnaît (dans La Femme) qu’en réalité l’époux et l’épouse vivent dans deux mondes séparés[21]C’est surtout Balzac qui a peint, dans ses livres, les tableaux de la vie conjugale. Il n’est pas sans intérêt de rappeler ici l’anecdote que raconte Maxime du Camp à propos de la quête de la « femme libre » par les saint-simoniens guidés par Enfantin. Cette « femme libre (qui) devait être une femme de réflexion et de raisonnement (…) était un rêve : devant l’homme, la femme ne se dévoilera jamais. Ce sont deux êtres non pas seulement différents, mais dissemblables ; le mode de génération des idées n’est pas le même chez l’un et chez l’autre et la fin du monde arrivera avant qu’ils ne se soient compris ». Cf. Souvenirs littéraires, tome 2, 1850-1880, Hachette, Paris 1906, chap. XIX : « Les Saint-Simoniens », pp. 91-92..

   Dèjà dans une oeuvre de jeunesse La confession de Claude (autre allusion à Musset), publiée en 1865 et qui s’appuie sur une expérience vécue, Zola évoque la fatalité du destin de la fille perdue qui, malgré sa candeur, est marquée à jamais par son péché[22]Dans Thérèse Raquin (1867), E. Zola décrit la violence des passions cachées qui animent l’héroine, et dans Madelaene Férat (1868), autre exemple de femme fatale, de séductrice, il brosse le portrait d’une femme qui entraîne son entourage dans sa perte. Mais, c’est dans Nana (1879) qu’il mène à la perfection sa théorie (fortement inspirée du romantisme) de la courtisane débauchée qui se détruit elle-même en même temps qu’elle détruit les hommes qui l’entourent.. Ce flottement entre l’innocence et la corruption s’exprime à merveille dans Rolla d’Alfred de Musset que Zola et ses amis relisent sans cesse, où Jacques, le protagoniste du poème, voit dans ses hallucinations, tour à tour l’image pure de Marie et celle (plus réelle) de la prostituée Marion. Cette même vision ambivalente de la femme, incarnée dans ses oeuvres par la séductrice, hante également l’esprit de Cézanne.

   Toutefois, c’est à Alfred de Vigny que nous devons la description romantique la plus saisissante de l’homme trahi dans son amour par la malice et l’indifférence de la séductrice. Dans la Colère de Samson, poème écrit en 1839 mais publié en 1864 seulement dans le recueil posthume Les Destinées, il aborde le mythe de l’Eternel Féminin :

Celle à qui va l’amour et de qui vient la vie
Celle-là, par orgueil, se fait notre ennemie.

En effet, depuis toujours « Une lutte éternelle (…) se livre sur la terre […] entre la bonté de l’Homme et la ruse de la Femme ». « Car la femme est un être impur de corps et d’âme ».

L’Homme a toujours besoin de caresse et d’amour
Sa mère l’en abreuve alors qu’il vient au jour

(mais…) « La Femme est toujours DALILA » (que Vigny apelle plus loin « la prostituée ») « Elle rit et triomphe; en sa froideur savante, […] Elle se fait aimer sans aimer elle-même ».

   Le poète, par la bouche de Samson, se déclare las de

Toujours voir serpenter la vipère dorée
Qui se traîne en sa fange et s’y croit ignorée
Toujours ce compagnon dont le coeur n’est pas sûr
La Femme, enfant malade et douze fois impur

et il annonce :

La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome,
Et, se jetant de loin un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté[23]Cf. Alfred de Vigny, « La colère de Samson » in Oeuvres complètes I, La Pléiade, Paris, 1950, pp. 143-46..

Il est étrange de voir à quel point cette description passionnée et âprement pessimiste fait écho aux sentiments confus de Cézanne envers la femme. Toute son oeuvre intime s’y trouve : et la figure obsessionnelle et obsédante de la séductrice des Tentations de Saint Antoine, et la femme en idole adorée des compositions Une moderne Olympia et l’Eternel Féminin, sans parler de la Lutte d’amour. Fait intéressant, Cézanne ne parvient à maîtriser les pulsions manifestées dans les dessins et les toiles aux sujets érotiques et violents de sa jeunesse qu’en séparant la Femme de l’Homme dans les deux séries parallèles des Baigneuses et des Baigneurs [24]Cf. Guila Ballas, Baigneuses et Baigneurs de Paul Cézanne, thème et composition, Thèse de Doctorat d’Etat, Université de Paris IV, Sorbonne, 1987. Publiée en 2002 chez Adam Biro, Paris.

Il semble probable, bien que l’on ne puisse l’affirmer, que Cézanne connaissait le poème de Vigny. Certes, il ne s’agit pas de soutenir que ces oeuvres de Cézanne sont de simples transpositions plastiques du poème mais l’affinité fondamentale qui existe entre les sentiments de ces deux créateurs est pour le moins remarquable[25]Cézanne s’identifie avec la force tragique exprimée par Vigny dans Moïse dont il cite, en les approuvant, les lignes suivantes : Seigneur, vous m’avez fait puissant et solitaire / Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. Cf. « Mes confidences » in Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 104. P.M. Doran signale un dessin qui offre une représentation de Moise, dans un carnet de jeunesse (c. 1858) de Cézanne. Ibid., p. 206 note 8.. Elle témoigne surtout de l’état d’esprit qui régnait et qui marqua, de manière différente, tant de jeunes coeurs ardents.

   La séductrice, telle que la décrit Gustave Flaubert, est encore plus provoquante et plus pittoresque dans ses fastes orientaux. Si Samson, l’homme fort, est vaincu par son besoin d’amour, par sa lassitude, Saint Antoine est protégé de la séductrice par sa force spirituelle et par son refus absolu de l’amour charnel. La séductrice, en la personne de la reine de Saba, doit donc pour le tenter déployer tous ses charmes, exposer toute la beauté de sa chair. Les mots qu’elle prononce avant de quitter le Saint : « Tu te repentiras, bel ermite, tu gémiras ! Tu t’ennuieras ! Mais je m’en moque ! »[26]Cf. Gustave Flaubert, La Tentation de Saint Antoine (1874), Garnier-Flammarion, Paris, 1967, p. 70., rappellent la fille dont parle Cézanne dans une lettre à Zola de 1859, celle qu’il voit dans l’une de se rêveries s’envoler riant et se moquant de lui dans la fumée de son cigare. Il se peut même que ce soit Flaubert qui lui ait donné l’idée de la Tentation de Saint Antoine et que la parution en librairie, en 1874, de la version définitive de l’oeuvre l’ait engagé à reprendre ce thème vers 1875[27]La Tentation de Saint Antoine paraissait en feuilleton dans L’Artiste en 1856-57. Nous avons démontré ailleurs qu’une gravure d’après Papety, parue dans L’Artiste en 1847, fut une source d’inspiration directe des deux versions tardives de la Tentation de Saint Antoine de Cézanne. On peut penser qu’il a, en fait, lu le livre de Flaubert dès sa parution dans la revue, et peut-être s’en était-il même inspiré pour le sujet de sa première version de 1867-69. Cf. Guila Ballas, « Corot, Daumier, Papety et Delacroix, inspirateurs de Cézanne », Bulletin de la Société d’Histoire de l’Art Français, année 1974, Paris, 1975, pp. 193-99. Signalons d’ailleurs que Zola était abonné à L’Artiste et qu’il en possédait sans doute plusieurs volumes. Cf. Guila Ballas, « Paul Cézanne et la revue de L’Artiste », Gazette des Beaux Arts, sér. 6, 98 (décembre 1981), pp. 223-32..

 

L’amour et la mort
La mort comme châtiment et comme tentation

L’image de la femme fatale, la séductrice, est indubitablement liée à la mort : ou bien c’est elle qui meurt, ou bien ce sont les hommes et les femmes à qui elle s’attache qui meurent, ou bien encore tous dissparaissent. Dolorida se tue après avoir empoisonné son mari adultère, et Alfred de Vigny met en tête de son poème cette phrase en espagnol : « J’aime mieux ton amour que ta vie » [28]Cf. A. de Vigny, « Dolorida » dans Oeuvres complètes op. cit., pp. 63-66. Poème écrit en 1823, dans les Pyrénées.. Quoi qu’on fasse, la débauche – incarnée par la séductrice – a comme conséquence inéluctable la mort. Telle est aussi la leçon de La Vengeance d’une femme, conte bizarrement macabre de Barbey d’Aurevilly[29]Cf. Barbey d’Aurevilly « La vengeance d’une femme » dans Les Diaboliques, Garnier Frères, Paris 1963, pp. 165-243..

   En fait, tous les drames cités plus haut, et bien d’autres, s’achèvent par la mort :

La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome […],
Les deux sexes mourront chacun de son côté.

Le sort de Samson et de Dalila symbolise la fatalité de toute débauche.

   L’amour charnel illégitime est considéré dans la société judéo-chrétienne bourgeoise comme un péché capital ; et comme depuis le péché originel aucun péché ne demeure impuni, la mort devient fatalement sa rétribution. La notion de crime et châtiment est à ce point enracinée dans l’éducation de l’époque, qu’elle ranime les sentiments de culpabilité dont souffrent les jeunes gens et marque de façon plus ou moins notable leur évolution.

De même que la séductrice suscite l’horreur tout en éveillant le désir, de même la mort fascine tout en provoquant l’effroi. C’est dans une oeuvre de Zola déja signalée, La Confession de Claude, inspirée à la fois par Les Confessions d’un enfant du siècle et par Rolla, qu’on trouve ce rapprochement si extraordinaire de l’amour et de la mort : lorsque Claude aperçoit, pour la première fois de sa vie, la poitrine découverte de la jeune femme, Laurence, il sent sa virginité le quitter dans son regard ; et il dit (le récit se déroule à la première personne, ce qui accentue son authenticité) : « Mes impressions avaient un charme si étrange que je ne puis aujourdhui les comparer qu’à la sainte horreur qui m’a secoué le jour où j’ai vu un cadavre pour la première fois […]. Je n’ai pu détacher mes regards du cadavre, frémissant d’une volupté douloureuse, attiré par je ne sais quel rayonnement de la réalité. Ainsi, la première gorge nue me retenait d’une émotion que je ne saurais définir »[30]Cf. E. Zola, La Confession de Claude (1865), Oeuvres complètes, Cercle du livre précieux, Pasquelle, Paris 1966, Tome I, p.19..

   Zola accorde ici à la mort une attirance et une intensité de sentiments semblables à ceux de l’amour. Dans un autre état d’âme, dans la tristesse que lui cause la fin de sa liaison avec Laurence, Claude aspire à la mort comme à une consolation, comme à l’oubli. Assis au chevet de Marie mourante, il est en proie à de confus sentiments de jalousie et d’amour pour Laurence : « Moi, je m’absorbe à elle [à Marie], je prends sa souffrance […], je me dis que je vais mourir à la même minute qu’elle et j’ai une grande joie. Oh ! quel étrange attrait et quel apaisement ! La mort est puissante, elle a des tentations âpres, d’irrésistibles appels. J’oublie alors, j’oublie Laurence »[31]Ibid., p. 98. C’est nous qui soulignons..

   Gustave Flaubert a su exprimer cet attrait pour la mort dans sa double personnification, celle de la mort et celle de la luxure – l’une complétant l’autre – d’une manière précise et dépouillée de sentimentalisme : à peine Saint Antoine se remet-il de ses angoisses précédentes, qu’il voit apparaître deux femmes, l’une jeune et belle, l’autre vieille. La première lui propose de « goûter dans la caresse l’orgueil d’une initiation et l’apaisement d’un besoin« , la seconde le met en garde : « On n’a pas besoin de posséder les joies pour en sentir l’amertume; rien qu’à les voir de loin, le dégoût vous en prend ». Ouvrant les bras, la vieille insiste : « Viens, je suis la consolation, le repos, l’oubli, l’éternelle sérénité ! » et la jeune, en offrant ses seins : « Je suis l’endormeuse, la joie, la vie, le bonheur inépuisable ». Antoine tourne les talons pour s’enfuir, mais « chacune lui met la main sur l’épaule, le linceul s’écarte et découvre le squelette de la mort, la robe se fend et laisse voir la taille mince avec la croupe énorme et de grands cheveux ondés s’envolant par le bout »[32]Cf. G. Flaubert, La tentation de Saint Antoine, op. cit., p. 235. Il est intéressant de signaler que chez Cézanne, la séductrice, de même que plusieurs des baigneuses, sont souvent dotées de longs cheveux blonds et ondulés.. La Mort et la Luxure se mettent alors à se disputer; le saint tombe, effrayé, et quand il ouvre les yeux il voit les deux femmes enlacées, métamorphosées en une sorte de monstre – « une tête de mort avec une couronne de roses »[33]Ibid., p. 237..

   Il est rare de trouver une vision aussi fantastique, aussi belle dans son effroyante étrangeté, que cette double image de la séductrice. Elle nous ramène à ce passage du poème/rêve Une terrible histoire, où Cézanne sent se transformer dans ses bras le corps palpitant et désiré de la séductrice en un squelette effrayant :

La femme, dans mes bras, la femme au teint de rose
Disparaît tout à coup et se métamorphose
En un pâle cadavre aux contours anguleux :
Ses os s’entrechoquaient, ses yeux éteints sont creux…
Il m’étreignait, horreur!…[34]Lettre à Zola du 29 décembre 1859..

Le souvenir de ce rêve fantastique est évoqué dans un dessin, qui représente deux scènes de viol et, à droite, un grand crâne dessiné au-dessus d’une tête de femme aux orbites vides[35]La présence de crânes dans plusieurs oeuvres de Cézanne, aussi bien dans ses peintures de jeunesse que dans celles des dernières années, montre une préoccupation constante, quoiqu’en perpétuelle évolution, pour le thème de la mort..

Page d’études, avec un crâne
vers 1868
C0125B

La lecture du poème nous révèle le contenu latent du dessin qui, de son côté, montre que pendant des années Cézanne, autant que Zola, considérait l’amour charnel comme étroitement lié à l’agression et à la mort.

   Ce rapprochement de l’amour lascif, de la débauche en général et de la mort est traité, sous un angle différent, par Musset. En quelques années de vie anarchique et voluptueuse, Rolla gaspille son bien et lorsqu’il a tout dépensé, il se tue, comme il en a fait le serment, à la fin d’une dernière nuit de débauche. C’est donc de plein gré qu’il choisit le chemin de l’immoralité en s’écriant : « Vive l’amour que l’ivresse accompagne ! »[36]Cf. A. de Musset, « Rolla » dans Poésies complètes, Bibl. de la Pléiade, Paris 1957, p. 283.. Mais, sous des apparences de frivolité se cachent en réalité une grande sensibilité et une crainte immense de l’ennui, de l’habitude, qui le pousse à chercher l’oubli libérateur dans l’ivresse, dans l’amour lascif, puis dans la mort. Il faut croire que c’est plutôt cette aspiration à la liberté, même au prix de la vie, qui a séduit, dans ce poème, les jeunes gens de la même génération que Cézanne et Zola. Comme ce dernier l’écrit, en 1860 : « Quelle grande et belle figure que Rolla ! Combien est petit auprès de lui l’homme qui court après une position ! Lui ne cherche qu’une chose, la sainte liberté, et ce seul amour suffit à le grandir ». Il n’en reste pas moins qu’au fond, la mort est envisagée ici aussi comme la tentation de l’oubli, de la liberté absolue.

   C’est dans un autre esprit encore que Zola nous raconte dans Simplice (écrit en 1862) l’histoire d’un amour pur, accessible seulement au prix de la mort[37]Cf. E. Zola, Contes à Ninon (1864), Cercle du livre précieux, Paris, 1966-70, Tome 9, pp. 36-37 et 39. Zola serait-il inspiré ici aussi par Musset ? La chose est fort probable. . Une Ondine, nommée Fleur-des-Eaux, est la « fille d’un rayon et d’une goutte de rosée », (donc, en réalité – immatérielle); elle était « si limpidement belle (…) que le baiser d’un amant devait la faire mourir (…), elle n’ignorait pas qu’elle devait mourir d’amour; elle se plaisait dans cette pensée, et vivait en espérant la mort ». Simplice, jeune et beau prince rêveur (le poète, en fait), l’aperçoit un jour dans la forêt en train de se baigner dans une source ; négligeant les prières des arbres et des oiseaux qui lui enjoignent de s’arrêter et qui le mettent en garde contre l’issue fatale de sa course, il poursuit l’Ondine qui s’enfuit. Quand elle s’arrête enfin : « elle sourit, elle lui fit signe d’approcher, en disant à la forêt : voici venir le bien-aimé. Leurs lèvres s’unirent, leurs âmes s’envolèrent ». Zola serait-t-il inspiré ici aussi par Musset ? La chose est fort probable. Dans un poème intitulé A Ninon (1837) le poète adresse à l’amante les vers suivants :

Ma Muse vous ressemble, ou plutôt, c’est vous-même
Pour que je l’aime encore elle vient sous vos traits
[38]Voir le poème « A Ninon » (1837) dans « Poésies nouvelles » in A. de Musset, Poésies complètes op. cit., pp. 377-78 et « Poésies posthumes », Ibid., pp. 529-31. Ninon et Ninette sont aussi les noms des deux filles de la comédie « A quoi rêvent les jeunes filles » du recueil Un spectacle dans un fauteuil, 1832. Dans l’introduction des Contes à Ninon (p. 29), Zola reprend presque mot à mot les vers de Musset dans « La Nuit de Mai » (Poésies nouvelles op. cit. p. 306)..

Il y a donc ici, comme dans La Nuit de mai, une confusion voulue entre l’amante et la Muse[39]« Les nuits », quatre poèmes qu’A. de Musset composa après sa rupture avec George Sand, où l’on voit le poète s’entretenir avec sa muse (« Nuits » de Mai, d’Août et d’Octobre), puis avec son double (« Nuit de Décembre »). « Les Nuits » ont paru dans la troisième partie des Poésies nouvelles (1835-1840) qui contient aussi « Rolla ».. Cela ne fait pas de doute, la Ninon de Zola est en même temps la femme aimée et la Muse, pareille en cela à la Ninon de Musset et à l’Ondine dans Simplice. Bien que généralement considéré comme un simple récit lyrique, ce conte de Zola exprime, outre un amour passionné pour la nature, une aspiration à l’amour pur, donc à un Absolu qui – sous peine de périr – ne peut se réaliser ni dans la chair ni non plus dans la création artistique[40]Cf. E. Zola, « Simplice » in Contes à Ninon op. cit., pp. 33-40. La recherche de l’absolu est le thème principal de quelques nouvelles de Balzac, en particulier du Chef-d’oeuvre inconnu, dont on sait que Cézanne s’identifiait au peintre Frenhofer, héros de cette nouvelle et que Zola s’en inspira pour quelques idées clefs de L’Oeuvre. .

Très curieusement, c’est une atmosphère semblable, décrite plutôt gauchement, que l’on trouve dans un poème que Cézanne a envoyé à Zola à l’été 1859 :

C’est ainsi qu’à mes yeux se présentent parfois
Des êtres ravissants, aux angéliques voix […]
Ils semblent me sourire et je leur tends la main
Mais j’ai beau m’approcher, ils s’envolent soudain […]
Mais c’est en vain, en vain que je veux les toucher
Ils ne sont plus – déjà la gaze transparente
Ne peint plus de leurs corps la forme ravissante
[41]Cf. P. Cézanne, Correspondance, op. cit., p. 56, lettre à Zola n.d. (début de mois de juillet 1859). Le 1er août 1860, Zola écrit à Cézanne : « Mon vers est peut-être plus pur que le tien, mais le tien est plus poétique, plus vrai. Tu écris avec le coeur, moi avec l’esprit »..

   Entre 1883 et 1885, Cézanne peint une toile intitulée Les Ondines, où l’on voit plusieurs baigneuses près d’une source, à l’abri de grands arbres au feuillage touffu.

Les Ondines
1883-1885
R588-FWN957

Cette toile peut être considérée comme une variante du thème des Baigneuses, même si les figures, quoique proches de celles de la série, sont plus petites et la forêt bien plus présente qu’elles. Ceci, ainsi que son titre d’ailleurs, laisse penser qu’en peignant cette toile, Cézanne s’est souvenu de l’Ondine de Zola, qui est, en réalité, la personnification de l’amour chaste, et peut également s’interpréter comme une allégorie de la muse du poète.

   Or, l’amour pur, nous l’avons vu, ne peut exister qu’en rêve; fruit de l’imagination du poète – la Muse pour Musset, il n’est donné qu’au regard – l’Ondine chez Zola; dès qu’on essaie de le ramener sur terre par le baiser, il s’évanouit dans le néant – la mort. C’est donc par le regard que Cézanne a voulu, dans ses compositions des Baigneuses (ces « êtres ravissantes »), immortaliser cet amour. Ces compositions sont, en un sens, la réalisation symbolique, on pourrait même dire la fixation, de l’aspiration à un amour idéal, irréél.

La création – réponse optimiste à la mort

Nous arrivons ici au dernier volet de ce conflit entre l’amour et la mort. L’amour pur, pour Cézanne comme pour Zola à l’instar des Romantiques, est symbolisé par la Muse, en d’autres mots – par la création artistique. Comme l’amour, la création peut engendrer une peine extrême. Mais, c’est ce travail même qui donne à l’artiste une véritable satisfaction, ainsi que le dit Musset : « l’amour de vous, il est doux à souffrir »[42]Cf. A. de Musset, « A Ninon » dans Poésies nouvelles op. cit., p. 530. Voir aussi M. Praz op. cit. p. 153, où il cite l’aveu de Delacroix (Correspondance I, p. 433, lettre de 24 avril 1852) : « J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre ». Selon Praz « ce peintre inlassable aurait pu répéter (ces mots) avec Flaubert ».. Et c’est aussi le travail qui rend à l’artiste le goût pour la vie que l’assouvissement de l’amour lascif remet en question. C’est le travail, enfin, qui guérit les deux amis du « mal du siècle » et leur fournit la réponse optimiste à la mort.

Ainsi, Cézanne se donne tout entier à son travail qu’il considère « malgré toutes les alternatives [comme] le seul refuge où l’on trouve le contentement réel de soi »[43]Cf. Paul Cézanne, Correspondance op. cit., p. 181, lettre à Zola du 20 mai 1881 (souligné par nous). Zola venait de perdre sa mère à laquelle il était très attaché.. En 1902 il écrit à Léo Aurenche: « J’ai beaucoup à travailler; c’est qui arrive à tout homme qui est quelqu’un. Je vous engage vivement à travailler intellectuellement ; c’est le seul dérivatif sérieux que nous ayons sur terre pour nous distraire des ennuis qui nous talonnent »[44]Ibid., p. 181, lettre à Zola du 20 mai 1881..

   Ainsi, revenant, triste et chagriné, des funérailles de son ami, le peintre Claude Lantier, Sandoz (qui n’est autre que Zola) dit :

« Allons travailler »

et c’est sur ces mots-là que s’achève L’Oeuvre.

Références

Références
1 Cf. La coupe et les lèvres, poème dramatique en cinq actes, le premier du recueil Un spectacle dans un fauteuil publié en 1832.
2 Cf. Emile Zola, Oeuvres complètes, H. Mitterrand (éd.), Paris 1966-70, Tome 14, p. 245, cité par C. Becker dans l’introduction biographique de Emile Zola, La Correspondance I : 1858-1867, H.B. Bakker (éd), Paris-Montréal, 1978, p. 35.
3 Emile Zola, L’oeuvre (1886), Livre de poche, Paris, 1964, p. 46.
4 Cf. E. Zola, « Alfred de Musset » in Oeuvres complètes, éd. Charpentier, Paris, Tome 19, pp. 383-84.
5 Cf. « Mes confidences », in Conversations avec Cézanne, édition critique présentée par P.M. Doran, Macula, Paris, 1978, pp. 101-104. La date du document demeure controversée
6 Cf. E. Zola, « Alfred de Musset » in Oeuvres complètes op. cit., p. 384.
7 A ce sujet cf. Mario Praz, La chair, la mort et le diable, le romantisme noir (Florence 1966), Denoël, Paris, 1977.
8 E. Zola, Correspondance I, op. cit., p. 119; voir également Paul Cézanne, Correspondance, John Rewald (éd.), Grasset, Paris, 1937, p. 35, lettre à Zola du 9 juillet 1858.
9 E. Zola, Correspondance, op. cit., p. 259, lettre 38.
10 Ibid.,pp. 263-66, lettre à Baille, 10 février 1861. Dans une lettre précédente(14 janvier 1860) il cite une phrase de Cézanne : « L’amour de Michelet, l’amour pur, noble, peut exister mais il est bien rare, avoue-le ».
11 Cf. Mario Praz op. cit. p. 167 où il dit que dès le début du romantisme, c.à.d. selon lui, à partir de Mathilde de M. Lewis dans Le moine de 1796, se sont développées deux lignées de femmes fatales : l’une par Velléda (Chateaubriand dans Les Martyrs, 1809) et Salammbô (Flaubert, 1862); l’autre à partir de Carmen (Mérimée, 1845), Cécily (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, 1842-43) et Conchita (P. Louÿs, La Femme et le pantin, 1898).
12 Cf. A. de Musset, Namouna, poème qui complète le recueil Un spectacle dans un fauteuil.
13 Cf. Dictionnaire des oeuvres de tous les temps et de tous les pays, Lafont-Bompiani, Paris, 1980 (première édition Bompiani, 1954), Tome IV, pp. 366-67.
14 Cf. E. Lassere, Manon Lescaut, 1930, cité dans Dictionnaire op. cit. Tome IV, p. 367.
15 Cf. A. Thibaudet, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, Stock, Paris 1936, p. 387.
16 Ibid., selon Thibaudet, « les femmes se communiquaient l’une à l’autre qu’il fallait y mener leurs maris et leurs fils pour leur faire haïr la courtisane ».
17 Cf. Barbey d’ Aurevilly, La Vieille Maîtresse (1851), A. Codot, Paris 1858.
18 La Femme de Claude, drame en trois actes de Dumas fils, fut publié à Paris en 1874. L’héroine, Césarine, est une femme douée de toutes les séductions; abandonnée par son mari à cause de ses trahisons, non sans qu’il ait tenté de la sauver, elle se trouve impliquée dans des complots d’espionnage qui la conduiront à la mort.
19 Fanny d’Ernest Feydeau est un roman qui appartient à l’école réaliste et que son auteur considère comme une étude de moeurs.
20 Zola a écrit à propos de ce roman : « C’est de la confiture à pleine bouche », et parlant des héros principaux : « Ils réalisent merveilleusement les aspirations des coiffeurs enrichis […] ils sont l’expression de l’art bébête d’un peuple ». Cf. Oeuvres complètes, Tome X, p. 1120, cité dans Correspondance op. cit., p. 147, note 56.
21 C’est surtout Balzac qui a peint, dans ses livres, les tableaux de la vie conjugale. Il n’est pas sans intérêt de rappeler ici l’anecdote que raconte Maxime du Camp à propos de la quête de la « femme libre » par les saint-simoniens guidés par Enfantin. Cette « femme libre (qui) devait être une femme de réflexion et de raisonnement (…) était un rêve : devant l’homme, la femme ne se dévoilera jamais. Ce sont deux êtres non pas seulement différents, mais dissemblables ; le mode de génération des idées n’est pas le même chez l’un et chez l’autre et la fin du monde arrivera avant qu’ils ne se soient compris ». Cf. Souvenirs littéraires, tome 2, 1850-1880, Hachette, Paris 1906, chap. XIX : « Les Saint-Simoniens », pp. 91-92.
22 Dans Thérèse Raquin (1867), E. Zola décrit la violence des passions cachées qui animent l’héroine, et dans Madelaene Férat (1868), autre exemple de femme fatale, de séductrice, il brosse le portrait d’une femme qui entraîne son entourage dans sa perte. Mais, c’est dans Nana (1879) qu’il mène à la perfection sa théorie (fortement inspirée du romantisme) de la courtisane débauchée qui se détruit elle-même en même temps qu’elle détruit les hommes qui l’entourent.
23 Cf. Alfred de Vigny, « La colère de Samson » in Oeuvres complètes I, La Pléiade, Paris, 1950, pp. 143-46.
24 Cf. Guila Ballas, Baigneuses et Baigneurs de Paul Cézanne, thème et composition, Thèse de Doctorat d’Etat, Université de Paris IV, Sorbonne, 1987. Publiée en 2002 chez Adam Biro, Paris
25 Cézanne s’identifie avec la force tragique exprimée par Vigny dans Moïse dont il cite, en les approuvant, les lignes suivantes : Seigneur, vous m’avez fait puissant et solitaire / Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. Cf. « Mes confidences » in Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 104. P.M. Doran signale un dessin qui offre une représentation de Moise, dans un carnet de jeunesse (c. 1858) de Cézanne. Ibid., p. 206 note 8.
26 Cf. Gustave Flaubert, La Tentation de Saint Antoine (1874), Garnier-Flammarion, Paris, 1967, p. 70.
27 La Tentation de Saint Antoine paraissait en feuilleton dans L’Artiste en 1856-57. Nous avons démontré ailleurs qu’une gravure d’après Papety, parue dans L’Artiste en 1847, fut une source d’inspiration directe des deux versions tardives de la Tentation de Saint Antoine de Cézanne. On peut penser qu’il a, en fait, lu le livre de Flaubert dès sa parution dans la revue, et peut-être s’en était-il même inspiré pour le sujet de sa première version de 1867-69. Cf. Guila Ballas, « Corot, Daumier, Papety et Delacroix, inspirateurs de Cézanne », Bulletin de la Société d’Histoire de l’Art Français, année 1974, Paris, 1975, pp. 193-99. Signalons d’ailleurs que Zola était abonné à L’Artiste et qu’il en possédait sans doute plusieurs volumes. Cf. Guila Ballas, « Paul Cézanne et la revue de L’Artiste », Gazette des Beaux Arts, sér. 6, 98 (décembre 1981), pp. 223-32.
28 Cf. A. de Vigny, « Dolorida » dans Oeuvres complètes op. cit., pp. 63-66. Poème écrit en 1823, dans les Pyrénées.
29 Cf. Barbey d’Aurevilly « La vengeance d’une femme » dans Les Diaboliques, Garnier Frères, Paris 1963, pp. 165-243.
30 Cf. E. Zola, La Confession de Claude (1865), Oeuvres complètes, Cercle du livre précieux, Pasquelle, Paris 1966, Tome I, p.19.
31 Ibid., p. 98. C’est nous qui soulignons.
32 Cf. G. Flaubert, La tentation de Saint Antoine, op. cit., p. 235. Il est intéressant de signaler que chez Cézanne, la séductrice, de même que plusieurs des baigneuses, sont souvent dotées de longs cheveux blonds et ondulés.
33 Ibid., p. 237.
34 Lettre à Zola du 29 décembre 1859.
35 La présence de crânes dans plusieurs oeuvres de Cézanne, aussi bien dans ses peintures de jeunesse que dans celles des dernières années, montre une préoccupation constante, quoiqu’en perpétuelle évolution, pour le thème de la mort.
36 Cf. A. de Musset, « Rolla » dans Poésies complètes, Bibl. de la Pléiade, Paris 1957, p. 283.
37 Cf. E. Zola, Contes à Ninon (1864), Cercle du livre précieux, Paris, 1966-70, Tome 9, pp. 36-37 et 39. Zola serait-il inspiré ici aussi par Musset ? La chose est fort probable.
38 Voir le poème « A Ninon » (1837) dans « Poésies nouvelles » in A. de Musset, Poésies complètes op. cit., pp. 377-78 et « Poésies posthumes », Ibid., pp. 529-31. Ninon et Ninette sont aussi les noms des deux filles de la comédie « A quoi rêvent les jeunes filles » du recueil Un spectacle dans un fauteuil, 1832. Dans l’introduction des Contes à Ninon (p. 29), Zola reprend presque mot à mot les vers de Musset dans « La Nuit de Mai » (Poésies nouvelles op. cit. p. 306).
39 « Les nuits », quatre poèmes qu’A. de Musset composa après sa rupture avec George Sand, où l’on voit le poète s’entretenir avec sa muse (« Nuits » de Mai, d’Août et d’Octobre), puis avec son double (« Nuit de Décembre »). « Les Nuits » ont paru dans la troisième partie des Poésies nouvelles (1835-1840) qui contient aussi « Rolla ».
40 Cf. E. Zola, « Simplice » in Contes à Ninon op. cit., pp. 33-40. La recherche de l’absolu est le thème principal de quelques nouvelles de Balzac, en particulier du Chef-d’oeuvre inconnu, dont on sait que Cézanne s’identifiait au peintre Frenhofer, héros de cette nouvelle et que Zola s’en inspira pour quelques idées clefs de L’Oeuvre.
41 Cf. P. Cézanne, Correspondance, op. cit., p. 56, lettre à Zola n.d. (début de mois de juillet 1859). Le 1er août 1860, Zola écrit à Cézanne : « Mon vers est peut-être plus pur que le tien, mais le tien est plus poétique, plus vrai. Tu écris avec le coeur, moi avec l’esprit ».
42 Cf. A. de Musset, « A Ninon » dans Poésies nouvelles op. cit., p. 530. Voir aussi M. Praz op. cit. p. 153, où il cite l’aveu de Delacroix (Correspondance I, p. 433, lettre de 24 avril 1852) : « J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre ». Selon Praz « ce peintre inlassable aurait pu répéter (ces mots) avec Flaubert ».
43 Cf. Paul Cézanne, Correspondance op. cit., p. 181, lettre à Zola du 20 mai 1881 (souligné par nous). Zola venait de perdre sa mère à laquelle il était très attaché.
44 Ibid., p. 181, lettre à Zola du 20 mai 1881.