Conclusion

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Une bien étrange destinée que celle d’Hortense ! Née dans la misère, ayant vécu dans la pauvreté la plus grande partie de sa vie, son veuvage la rend riche. Jeune fille amoureuse capable de traverser la France pour rejoindre celui qu’elle aime, elle connaît une vie de couple particulièrement chaotique alternant rapprochement et séparations en fonction des états d’âme erratiques, des envies et des sautes d’humeur de Paul, qui l’oblige à se déplacer sans cesse dans près d’une trentaine de domiciles différents où il lui est impossible de s’installer dans ses meubles, jusqu’au moment où elle affirme son indépendance… mais pour se poser enfin et s’installer jusqu’à sa mort avec son fils !

D’une humeur gaie et enjouée pourtant, généreuse malgré ses conditions de vie peu faciles, elle demeure ouverte aux autres, fidèle en amitié et si, comme la grande majorité de ses contemporains, elle ne comprend pas le génie de son compagnon, elle le respecte, disponible durant toutes ces années pour de longues séances de pose, ce qui n’était pas une sinécure vu les exigences du peintre… Elle a su s’adapter à son caractère difficile et grâce à elle la relation a perduré jusqu’à la fin, malgré l’hostilité de la famille et des amis de Paul. Elle a ainsi permis qu’avec le petit Paul que tous deux adoraient se constitue une cellule familiale dont elle était réellement le cœur, famille pas banale certes, mais finalement tout à fait authentique et durable, fondée sur la franchise des relations entre tous. Paul a eu bien de la chance de pouvoir s’appuyer sur Hortense dans sa vie, et on ne voit pas quelle autre femme aurait pu partager une telle existence avec une telle constance.

Et quelle plus étrange destinée encore que celle de sa place dans l’histoire de l’art ! Sa présence massive dans l’œuvre de Cezanne n’a cessé d’interroger critiques et historiens, sans compter les grands collectionneurs et des peintres comme Matisse ou Picasso. Tous s’accordent à considérer les toiles la représentant comme des moments majeurs de la peinture du XIXe siècle, mais tous se sont désintéressés de sa personne pour n’en retenir que les réussites formelles, refusant de conférer une quelconque signification psychologique à l’abondance d’une telle série qui en fait un exemple quasi unique dans l’histoire de la peinture. On ne s’est pas privé de commenter abondamment le dialogue intérieur de Paul avec la Sainte-Victoire ou l’acuité de son regard sur les pommes, mais on n’a pas voulu imaginer qu’à travers les portraits d’Hortense il dialoguait également avec elle, la compagne de sa vie, et qu’il la regardait non seulement comme un pur objet à représenter, mais aussi comme une personne aimée dont il saisissait, année après année, avec une grande précision, l’évolution des traits progressivement marqués par l’âge… Peu de femmes peuvent se vanter d’avoir été ainsi regardées, et il nous plaît de considérer que chacun de ces portraits peut aussi être lu, au-delà du caractère génial de sa réalisation picturale, comme une déclaration d’amour, même si celui-ci n’entrait pas dans les canons de l’amour romantique et s’était mué, avec le temps, en respect mutuel et tendresse partagée…

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