Cezanne/Zola
Denis Coutagne
(Conférence donnée le 6 octobre 2024 dans le cadre du pèlerinage littéraire annuel consacré à Zola dans sa maison de Médan)
Je dédie cette intervention à Henri Mitterand
Je veux remercier Monsieur Louis Gautier président de « Maison Zola/Musée Dreyfus » et madame Martine Le Blond-Zola vice-présidente.
Je veux remercier Alain Pagès qui est personnellement intervenu pour que je sois là.
***
Peut-on attendre un autre sujet que Cezanne/Zola de la part du président de la Société Paul Cezanne invité à intervenir dans le cadre du pèlerinage littéraire de Médan ? Et cela en 25 minutes !
Je partirai d’une situation, qui d’une certaine façon justifie ma présence ici ce 6 octobre :
La Société Paul Cezanne projette depuis des années la création d’un Centre Cézannien de Recherche et de Documentation dans la « Ferme du Jas de Bouffan ». Ce projet prend forme et aboutit à l’ouverture de ce Centre l’été 2025.
Disposant d’un fond de 5000 livres, dont 800 titres cézanniens, ce Centre se donne comme mission d’accueillir tout chercheur, écrivain, étudiant, universitaire soucieux de travailler sur l’œuvre de Cezanne au pays même qui fut celui de ce peintre et de développer conférences, colloques, publications, communications, gérer le Catalogue raisonné de Cezanne on line, un site spécifique.
La présente conférence est d’une certaine façon inaugurale de ce projet, dans le souci d’associer la « Société Paul Cezanne » et « Maison Zola/Musée Dreyfus ».
Dans le passé récent, la Société Paul Cezanne a édité un livre d’art et d’histoire sur le thème Cezanne/Jas de Bouffan, elle prépare pour 2025 un livre sur le thème Cezanne /Atelier des Lauves. Déjà elle prévoit un troisième livre cette fois consacré à Cezanne/L’Estaque. Bien entendu ce Centre voudra valoriser tous les visiteurs venus au pays d’Aix rencontrer Cezanne de son vivant comme Émile Bernard, Charles Camoin, Maurice Denis sans oublier des écrivains comme Gasquet ou collectionneurs comme Osthaus ou Vollard. Ce Centre entend alors se positionner au cœur d’un réseau en référence à des institutions muséographiques ou universitaires disposant d’archives ou livres et documents en rapport avec Cezanne. Je peux citer Les archives Rewald à Washington, ou le Centre Daniel Marchesseau qui prend la suite du centre de Documentation du musée d’Orsay, sans oublier la Fondation Barnes à Philadelphie.
Comment ne pas approfondir la connaissance de ce que fut l’amitié de Cezanne et Zola, et reprendre en considération l’œuvre littéraire, journalistique de Zola, romancier, critique d’art, écrivain et regarder à nouveau l’œuvre de Cezanne à l’aune de celle de Zola ? Déjà la mise en relation de Médan et du Jas de Bouffan a fait l’objet d’un article d’Alain Pagès dans le livre Cezanne/Jas de Bouffan. L’article montre comment Zola s’est rappelé à trois reprises du Jas de Bouffan dans son œuvre romanesque (d’abord sous son nom véritable puis sous des noms littéraires : Jas Meiffren, La Souléiade). L’article plus encore montre comment la maison de Zola à Médan faisait écho pour Cezanne, et peut-être pour Zola lui-même, au Jas de Bouffan avec l’eau, la voie de chemin de fer, le caractère « bastide » des deux lieux. D’ailleurs Cezanne fait de nombreux séjours à Médan (plusieurs semaines de suite parfois) entre 1878 et 1885.
Je ne voudrais alors dans le cadre de cette intervention qu’ouvrir avec vous des pistes d’échanges, de recherches, de conférences partagées voire de colloques et publications numériques ou sur papier à faire ensemble.
Cezanne/Zola donc.
On pense tout de suite au roman de Zola : L’Œuvre. Est-il, de fait, œuvre plus imposante dans la littérature française, lorsqu’on regarde les relations peinture-écriture, que ce roman qui met en scène un écrivain (Pierre Sandoz), un peintre (Claude Lantier) en lesquels on a voulu voir d’une part Emile Zola lui-même et d’autre part son meilleur ami Paul Cezanne ?
Henri Mitterand rappelle cette phrase de Zola à Cezanne en 1860 : « J’ai fait un rêve, l’autre jour. J’avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettre d’or brillaient, unis sur le premier feuillet, et, dans cette fraternité de génie, passaient inséparables à la postérité. Ce n’est qu’un rêve malheureusement. »
Mais voilà que très tôt Zola exprime son désarroi devant Cezanne : « Tu deviens une énigme, un sphinx, un je ne sais quoi d’impossible et de ténébreux… » ou à son propos : « Prouver quelque chose à Cezanne, écrit Zola à Baille, ce serait vouloir persuader aux Tours de Notre-Dame d’exécuter un quadrille. Il dirait peut-être oui, mais ne bougerait pas d’une ligne… Il est fait d’une seule pièce, raide et dure sous la main ; rien ne plie, rien n’en peut arracher une concession. Il ne veut même pas discuter ce qu’il pense ; il a horreur de la discussion, d’abord parce que parler fatigue, et ensuite parce qu’il faudrait changer d’avis si son adversaire avait raison… Au demeurant le meilleur garçon du monde. »[1]lettre de Zola à Baille 10 juin 1861 Il n’était rien à rajouter en 1902 ! La lucidité de Zola a été absolue en 1861 comme en 1902 !
Et pourtant Cezanne fascine Zola : « Comme le naufragé qui se cramponne à la planche qui surnage, je me suis cramponné à toi mon vieux Paul. Tu me comprenais, ton caractère m’était sympathique ; j’avais trouvé un ami, et j’en remerciais le ciel. » Et la conclusion s’impose : « Nous nous connaissons trop parfaitement pour jamais nous détacher. »[2]25 juin 1860
Revenons aux années de jeunesse des deux amis
Soit une lettre de Zola à Cezanne du 13 juin 1860 : « L’autre jour, par une belle matinée, je me suis égaré loin de Paris, dans les champs, à trois quatre lieues… Enfin, au-dessus d’un vieux chêne j’aperçus un clocher ; un clocher suppose un village ; un village, une auberge…. Dans ce café-… , – je remarquai en entrant des peintures qui me frappèrent. C’étaient de grands panneaux comme tu veux en peindre chez toi, peints sur toile, représentant des fêtes de village : mais un chic, un coup de pinceau si sûr, une entente si parfaite de l’effet à distance, que je demeurai ébahi. Jamais je n’avais vu de telles choses dans un café, même parisien. On me dit que c’est un artiste de vingt-trois ans qui avait commis ces petits chefs d’œuvres. Vraiment, si tu viens à Paris nous irons jusqu’à Vitry – et je suis certain que tu admireras comme moi… »
Ainsi Zola fait-il référence au projet de Cezanne de peindre d’immenses panneaux sur les murs du Grand Salon du Jas de Bouffan. Nous n’avons pas les lettres de Cezanne à Zola de la fin 1859 à 1862. Nul doute qu’elles nous auraient éclairés sur les conditions qui furent celles du tout jeune peintre lorsqu’il commença son grand œuvre sur les murs du Jas de Bouffan. Une seule certitude s’impose : il ne s’est pas agi d’un passe-temps, et le tout jeune Cezanne voulut répondre à un programme pictural de grande ampleur. Zola le savait si bien qu’il n’oubliera pas cette première vocation de peintre muraliste à propos de Cezanne quand il met dans la bouche de Claude Lantier, dans le roman L’Œuvre, ces mots : « Ah ! tout voir et tout peindre ! […] Avoir des lieues de muraille à couvrir, décorer les gares, les halles, les mairies, tout ce qu’on bâtira quand les architectes ne seront plus des crétins ! Il ne faudra que des muscles et une tête solide car ce ne sont pas les sujets qui manqueront… Hein ¸ la vie telle qu’elle passe dans les rues, la vie des pauvres et des riches, aux marchés, aux courses, sur les boulevards, au fond des ruelles populeuses ; et tous les métiers en branle ; et toutes les passions remises debout, sous le plein jour ; on verra, si je ne suis pas une brute ! J’en ai des fourmillements dans les mains. Oui ! Toute la vie moderne ! Des fresques hautes comme le Panthéon ! Une sacrée suite de toiles à faire éclater le Louvre ! »[3]pp. 46-47
A plusieurs reprises on voit d’ailleurs Cezanne ambitieux de réaliser d’immenses toiles.
Le 26 juillet 1866, Zola écrit à Numa Coste : « Cezanne travaille ; il s’affirme de plus en plus dans la voie originale où la nature l’a poussé […] Il cherche en ce moment à faire des œuvres, de grandes œuvres, des toiles de quatre à cinq mètres… » Cezanne est alors à Bennencourt[4]Cezanne excède rarement des toiles dépassant 100 cm de côté. Il faudra attendre les Joueurs de cartes (1890-92) pour retrouver une toile de près de 2 mètres de côté (R 706) ou les Grandes Baigneuses dont la dernière version atteint 250 x 208 cm de côté. Zola insiste en écrivant à Valabrègue 19 février 1867 : « Paul travaille beaucoup, il a déjà fait plusieurs toiles, et il rêve de tableaux immenses. » Nul ne connaît ces immenses formats !
Zola de son côté ambitionne une œuvre monumentale à l’aune ce celle dont il rêve pour son ami. Son projet est d’écrire une genèse de l’univers en trois phases : la création, rétablie d’après la science ; l’histoire de l’humanité arrivant à son heure pour jouer son rôle dans la chaîne des êtres ; l’avenir, les êtres se succédant toujours, achevant de créer le monde par le travail sans fin de la vie. Nul doute que le peintre et l’écrivain se soutenaient pour porter les ambitions ainsi affichées. Nul doute, alors, que le peintre en charge d’une ambition aussi grande devait trouver place dans l’œuvre littéraire de l’écrivain dans le cadre d’un roman majeur. Le projet cézannien devait nécessairement s’intégrer dans celui des Rougon-Macquart.
Cezanne et Zola se sont ainsi accompagnés, se soutenant l’un l’autre, dans l’engagement total qu’ils poursuivirent, chacun dans son ordre, peinture ou littérature, chacun devenant la conscience de toute une époque.
Comment alors aborder dans un esprit renouvelé cette relation si exceptionnelle d’un peintre et d’un écrivain ? Je rappelle cette remarque d’Henri Mitterand : « On pensera seulement à ce qu’auraient pu être trente ans de solidarité ininterrompue entre Corneille et Le Lorrain, entre Voltaire et Chardin, Delacroix et Balzac, Flaubert et Courbet. »[5]Henri Mitterand, Paul Cézanne/Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887, Gallimard 2016, p. 8.
De fait Zola n’a pas écrit un « beau livre » illustré par Cezanne.
Mais voilà que le rêve devient réalité mais bien autrement que Zola ne l’avait espéré ! Au-delà d’un simple texte écrit par Zola et illustré de gravures réalisées par son ami, les noms de Cezanne et Zola se voient associés à jamais, l’œuvre de l’un nécessitant l’œuvre de l’autre pour être comprise. Comment exprimer cette Vérité ? Comment approfondir, depuis Aix et Médan associés, cette relation du peintre et de l’écrivain ? Alain Pagès fait remarquer (dans Les Sanglots de Cezanne) que ce rêve de jeunesse habite encore Zola lorsqu’il ébauche le roman Paris. Zola construit alors le personnage du romancier idéal qu’il veut être : « Lui donner un ami cher, un grand peintre, avec lequel on le rencontre toujours. Un peintre de la vie moderne, n’excluant pas le rêve. Et tous deux voyageant sans cesse ensemble, sans se parler, ou en échangeant des mots qui éclaireraient la situation. Résumer en eux l’effort littéraire et artistique de Paris, le continuel regard de l’écrivain et de l’artiste ouvert sur les hommes et sur les choses. Tous les deux donnés comme de grands travailleurs, s’enfermant impitoyablement pendant des journées, un peu solitaires, à l’écart des coteries. »
Je voudrais encore faire remarquer que, dans le volume qui précède Paris, à savoir Rome, la peinture est grandement présente particulièrement celle de Michel-Ange. Nul doute que Zola voulait que Cezanne fût ce Michel-Ange du dix-neuvième siècle. « Fais-moi oublier le Lamartine naissant par le Raphael futur ! »[6]Lettre du 1er aout 1860. Zola ne parle pas de Michel-Ange mais avec Raphael on n’est pas très loin
Qui sait si Zola ne le reconnaissait pas, disant en 1900 : « Je commence à mieux comprendre sa peinture, que j’ai toujours goûtée mais qui m’a échappé longtemps, car je la croyais exaspérée, alors qu’elle est d’une sincérité, d’une vérité incroyables. »[7] Paroles rapportées par Gasquet après une visite à Médan en 1900.
D’où la seule question que je veux non résoudre mais prendre en compte cet après-midi : Zola s’est-il voulu le « Lamartine » de Cezanne, l’écrivain du peintre ? Bien entendu, un personnage littéraire s’est alors interposé entre Cezanne et Zola sous les traits de Claude Lantier dans le roman L’Œuvre !
Loin de moi, dans le temps imparti, de dire la part de « Cezanne » que Zola a mis en « Lantier », un « Cezanne dramatisé » dira l’écrivain. Il faut avouer que l’enjeu était monumental, peut-être insurmontable : l’un des plus grands écrivains de cette deuxième moitié du XIXème siècle, engagé dans une œuvre immense qui se voulait une fresque de la société avec l’ambition d’être reconnu au même rang que Balzac ou Flaubert, dispose, au moment où il doit écrire le roman du peintre après le roman du prêtre, de l’ouvrier, de la femme mondaine…d’un modèle inimaginable car ce modèle est un peintre qui sera l’un des plus grands peintres de l’histoire de l’art, Cezanne, non pas comme une relation parmi d’autres, mais comme son meilleur ami. Et cet ami est la fois haut en couleur (le romancier saura se rappeler du caractère de ce peintre, de ses coups de poings, de ses coups de gueule, etc.), sensible à l’extrême, inquiet de dire la vérité en peinture dans une recherche incessante, ce que finalement Lantier cherche en vain ! Déjà des écrivains s’était ainsi approprié Cezanne … en vain. Zola allait-il mieux s’en sortir car, de fait, avoir comme modèle, pour le peintre à créer littérairement comme un génie, son meilleur ami, le confident de sa jeunesse, celui à propos duquel il disait avoir tout partagé, était peut-être plus un handicap qu’un atout.
Je m’explique.
Zola partage avec Cezanne une enfance commune au cœur de laquelle l’expérience de la nature sous la forme provençale du vent, de l’eau, du soleil touche au divin. C’était l’extase. En cela ces deux artistes sont fondamentalement romantiques.
Qu’on relise quelques phrases de Zola dans la Confession de Claude :
« Nous avions douze ans alors. Je vous rencontrai un soir d’octobre dans le préau du collège, sous les platanes, près de la petite fontaine. Vous étiez chétifs & timides. Je ne sais ce qui nous unit, notre faiblesse peut-être. Depuis ce soir, nous avons marché ensemble, nous séparant pour quelques heures, mais nous tendant la main avec plus d’amitié après chaque séparation. »
« Les terrains étaient jaunes ou rouges, déserts & désolés, semés d’arbres maigres ; çà et là des bouquets de feuillage, d’un vert sombre, tachant la grande étendue grise de la plaine ; puis, tout au fond, tout autour de l’horizon, rangées en cercle immense, des collines basses, dentelées, d’un bleu tendre ou d’un violet pâle, se découpant avec une netteté délicate sur l’azur dur & profond du ciel. J’ai encore sous les yeux ces paysages pénétrants de ma jeunesse ; je sens bien que je leur appartiens, que le peu d’amour et de vérité qui est en moi me vient de leur tranquille passion.
D’autres fois, vers le soir, lorsque le soleil déclinait, nous prenions la grande route blanche qui conduit à la rivière.
Assis sur la rive, dans l’herbe fine, les jambes pendantes, les pieds nus effleurant l’eau, nous jouissions de notre jeunesse & de notre amitié. Que de beaux rêves nous avons faits sur ces berges dont le flot chaque jour emporte quelques graviers ! Nos rêves s’en vont ainsi, emportés par la vie. »
Cezanne n’oubliera pas ces révélations en peignant le Grande Baigneuses !
Ces deux amis vont alors partager une expérience première de la « nature », une vision du monde commune et plus encore une même compréhension de l’art. Zola obtiendra que Cezanne vienne le rejoindre à Paris. Il établira même son programme de travail. Il lui dictera d’une certaine façon le cahier des charges du peintre que ce dernier doit devenir. N’avait-il pas écrit le 25 mars 1861 : « Je t’ai compris. »
Et la lettre de Zola, écrite à Valabrègue en 1864[8]Zola y définit l’œuvre d’art comme « une fenêtre ouverte sur la création » ; cependant, ajoute-t-il, il y a toujours, « enchâssé dans l’embrasure de la fenêtre, une sorte d’écran transparent, à travers lequel on aperçoit les objets plus ou moins déformés » : les lignes, les couleurs se modifient en passant à travers ce « milieu » qui n’est autre que « le tempérament » de l’artiste, modifié par le « moment » historique., quand il définit le tableau comme un morceau de nature vue à travers un tempérament (celui d’une époque ou d’un homme) et projetée sur un écran n’est pas éloignée de celle de Cezanne quand il parle à la fin de sa vie de : « l’obstination que je mets à poursuivre la réalisation de cette partie de la nature qui, tombant sous nos yeux, nous donne le tableau. »[9]23 octobre 1905. N’écrit-il pas encore à Émile Bernard : […] « Le Louvre est le livre où nous apprenons à lire […] Sortons en pour étudier la belle nature […] Cherchons à nous exprimer suivant notre tempérament. »[10] Un vendredi de 1905. On croit alors lire du Zola !
L’ouvrage de Henri Mitterand, Paul Cézanne/Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887 (Gallimard 2016) montre magistralement combien Cezanne et Zola traduisent une complicité artistique profonde dans leur ordre propre, littéraire pour l’un, pictural pour l’autre. Ainsi Cezanne affirme : « Pour l’artiste voir, c’est concevoir et concevoir, c’est composer. », comme une réponse à ce mot de Zola : « Avez-vous remarqué comment je compose mes livres ? »[11]op. cit. p. 18.
De cette complicité je voudrais donner un exemple. On connaît tous les tableaux de Cezanne à l’Estaque, « des toits rouges sur la mer bleue. » On connaît moins ce texte de Zola, Naïs Micoulin, écrit précisément à l’Estaque en 1877, alors que les plus beaux tableaux de Cezanne de l’Estaque datent de 1878-1882. Zola ici précède, j’allais dire picturalement, Cezanne :
« Le pays est superbe. Des deux côtés du golfe, des bras de rochers s’avancent, tandis que les îles, au large, semblent barrer l’horizon ; et la mer n’est plus qu’un vaste bassin, un lac d’un bleu intense par les beaux temps. Au pied des montagnes, au fond, Marseille étage ses maisons sur des collines basses ; quand l’air est limpide, on aperçoit, de L’Estaque, la jetée grise de la Joliette, avec les fines mâtures des vaisseaux, dans le port ; puis, derrière, des façades se montrent au milieu de massifs d’arbres, la chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde blanchit sur une hauteur, en plein ciel. Et la côte part de Marseille, s’arrondit, se creuse en larges échancrures avant d’arriver à L’Estaque, bordée d’usines qui lâchent, par moments, de hauts panaches de fumée. Lorsque le soleil tombe d’aplomb, la mer, presque noire, est comme endormie entre les deux promontoires de rochers, dont la blancheur se chauffe de jaune et de brun. Les pins tachent de vert sombre les terres rougeâtres. C’est un vaste tableau, un coin entrevu de l’Orient, s’enlevant dans la vibration aveuglante du jour. »
Cezanne peignant en 1878 ses « mers à l’Estaque » ne cherche-t-il à transcrire en peinture ce que Zola lui avait montré par son écriture ?
Et Zola de « peindre » de sa plume l’intérieur des terres, ce que Cezanne va faire :
« Mais L’Estaque n’a pas seulement cette échappée sur la mer. Le village, adossé aux montagnes, est traversé par des routes qui vont se perdre au milieu d’un chaos de roches foudroyées. Le chemin de fer de Marseille à Lyon court parmi les grands blocs, traverse des ravins sur des ponts, s’enfonce brusquement sous le roc lui-même, et y reste pendant une lieue et demie, dans ce tunnel de la Nerthe, le plus long de France. Rien n’égale la majesté sauvage de ces gorges qui se creusent entre les collines, chemins étroits serpentant au fond d’un gouffre, flancs arides plantés de pins, dressant des murailles aux colorations de rouille et de sang. Parfois, les défilés s’élargissent, un champ maigre d’oliviers occupe le creux d’un vallon, une maison perdue montre sa façade peinte, aux volets fermés. Puis, ce sont encore des sentiers pleins de ronces, des fourrés impénétrables, des éboulements de cailloux, des torrents desséchés, toutes les surprises d’une marche dans un désert. En haut, au-dessus de la bordure noire des pins, le ciel met la bande continue de sa fine soie bleue. »
On croit voir le tableau de Sao Paolo, le tableau de l’entrée du tunnel.
Je reviens au roman L’Œuvre.
Zola n’aurait-il qu’à transcrire en phrases et pages les œuvres de son ami pour que le roman rêvé devienne vraiment « l’œuvre » ?
La question se pose alors du statut littéraire de ce livre.
Les écrivains sont nombreux à avoir écrit sur la peinture en général, sur un peintre plus spécifiquement, voire sur une seule œuvre. Dans cette bibliothèque, où situer ce roman L’Œuvre de Zola ? Où situer plus largement les écrits sur l’art de Zola ? Quel statut leur donner ?
La liste que j’ébauche ici écarte d’emblée les auteurs de catalogue, les historiens de l’art attachés à composer des biographies. Je veux retenir, d’une seule évocation, quelques auteurs qui par leur « écriture » veulent correspondre à la « peinture », la donner à voir. Différents modes d’« écriture » existent. Soient quelques exemples choisis un peu par hasard :
- Tel écrivain consacre une telle attention à une œuvre donnée qu’il n’est plus possible de la voir autrement qu’au travers du prisme littéraire choisi.
- Ainsi après Michel Foucault décryptant Les Minimes de Velázquez dans Les Mots et les Choses.
- Ainsi après Marc de Launay décryptant Aristote contemplant le buste d’Homère de Rembrandt dans Peinture et philosophie[12]Dans son dernier ouvrage Peinture et philosophie(Éditions du Cerf, 2021), le traducteur et auteur s’interroge sur le statut de la peinture. Un tableau n’est-il qu’un pur reflet – de son temps, ou d’une idée ? Contre ces lectures qui rendent les œuvres muettes, il entend plutôt comprendre une œuvre picturale comme une proposition philosophique à part entière, qui se façonne dans le travail de l’artiste. Une idée qu’il nous partage à partir de son analyse du tableau de Rembrandt, Aristote contemplant le buste d’Homère de 1653.
- Tel autre écrivain consacre une étude sur un peintre clairement identifié à tel point que le regard porté sur lui est renouvelé :
- Degas sous la plume de Valéry dans Degas, Danse, Dessin.
- Caravage sous la plume de Dominique Fernandez.
- Van Gogh sous la plume d’Irving Stone.
- Diego et Frida Kahlo sous la plume de J.M.G. Le Clézio dans Diego et Frida.
- Matisse a son écrivain, en l’occurrence Aragon qui ose le titre Henri Matisse, roman.
- Wang-Fô sous la plume de Marguerite Yourcenar dans Comment Wang-Fô fut sauvé.
- Nicolas de Staël se laisse découvrir par Georges Duthuit, Jean Leymarie, Bernard Dorival, René Char, Romain Gary…
Ils sont encore nombreux les auteurs qui composent des biographies plus ou moins romancées touchant un peintre ou sculpteur. Modigliani, Gauguin, Picasso, Cezanne aussi sont ainsi « racontés ».
- Tel poète traduit en poème ou prose poétique son admiration pour un peintre.
- Baudelaire porte son regard sur Delacroix ou Constantin Guys (le peintre de la vie moderne).
- Rilke écrit ses Lettres sur Cezanne en 1907.
- Charles Juliet révèle Bram van Velde (Rencontre avec Bram Van Velde) en 1978.
- Bobin ne fait pas découvrir Soulages mais le fait voir autrement, dans la lumière de ses noirs quand il publie Pierre chez Gallimard, pour les 100 ans du peintre.
- Gasquet a une place privilégiée, car ayant bien connu Cezanne, il publie la première monographie sur le peintre en 1921 sans oublier qu’il est poète.
- Le philosophie n’est pas en reste. Qui oublie les pages :
- de Proudhon sur Courbet,
- De Heidegger sur Van Gogh et Cezanne dans Chemins qui ne mènent nulle part,
- de Sartre sur Le Tintoret dans Le Séquestré de Venise (Les Fourberies de Jacopo ) ?
- D’autres noms viennent : Brion-Guerry, Colrat, Derrida, France-Lanord, Maldiney, Marion, Merleau-Ponty, Mondzain, Ricoeur, tous philosophes donnant à la peinture d’être elle-même « pensée » plus que le texte écrit à son propos.
N’oublions pas les peintres qui eux-mêmes écrivent sur la peinture de manière directe ou indirecte : Delacroix écrit son Journal, Kandinsky écrit un manifeste, Du spirituel dans l’art, Paul Klee, Malevich et d’autres composent des écrits sur l’art. Plus récemment Verdier revient sur son séjour de 10 ans en Chine communiste dans Passagère du silence.
- Autre cas de figure : l’écrivain veut écrire à l’aune d’un peintre admiré à tel point qu’il veut que son écriture soit l’équivalent littéraire d’une œuvre picturale donnée. Certes toute poème est à lire dans cette intelligence-là. Mais je veux retenir deux noms américains :
- Gertrude Stein invente un langage fondé sur l’ellipse, la décomposition, la déconstruction, pour une reconstruction stylistique. Elle se veut « la cubiste du langage » dans le cadre d’une relation exceptionnelle d’amitié avec le jeune Picasso d’avant les demoiselles d’Avignon.
- Hemingway. Ce dernier n’entend pas écrire sur Cezanne, mais écrire en Cezanne si je puis dire, écrire comme Cezanne peint, trouver avec des mots ce que Cezanne dit avec des couleurs. Les disposer sur les pages comme Cezanne sur les toiles. Hemingway découvre les toiles de Cezanne au musée du Luxembourg. Il écrit : « Les tableaux de Cezanne m’expliquaient qu’il ne me suffisait pas d’écrire des phrases simples et vraies pour que mes œuvres acquièrent la dimension que je tentais de leur donner. J’apprenais beaucoup de choses en contemplant les Cezanne, mais je ne savais pas m’exprimer assez bien pour l’expliquer à quelqu’un, en outre, c’était un secret. »[13]Hemingway, Paris est une fête, Pléiade, pp. 749-750. De même que Cezanne laisse des blancs et des vides, l’écrivain veut parvenir à une simplicité formelle, dans le cadre d’une écriture épurée. Ainsi Hemingway écrit-il la nouvelle La Grande rivière au cœur double (parution 1925) n’oubliant la rivière de l’Arc où Cezanne installe ses baigneurs. Il ne suffit pas de dire que, dans cette nouvelle, Hemingway veut composer ses « paysages » à l’instar des « compositions » de Cezanne, mais il veut trouver les mots chargés de la même matérialité que les touches picturales du peintre. « J’essaie de traiter le paysage comme Cezanne.» avoue-t-il dans une lettre à Gertrude Stein.
- Le surréalisme devient l’expérimentation d’une écriture qui se veut elle-même peinture et d’une peinture qui se veut écriture en référence à un inconscient imaginaire et rêvé. Dans ce cas, le texte littéraire (manifeste de Breton de 1924) précède la fabrication des images picturales (qui échappe aux techniques traditionnelles puisque grattage, collage, frottage deviennent inhérents à l’œuvre). « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.» La parole est libérée avant les visions qu’elle engendre.
- Parfois l’écrivain invente un peintre plus vrai que n’importe quel peintre :
- Balzac, invente Frenhofer,
- Proust invente Elstir.
Et la question reste ouverte : Zola a-t-il inventé « Claude Lantier » ? Quelle part de Cezanne a-t-il retenue ? Zola écrit-il à sa manière « en Cezanne » ? Ne dit-il pas qu’il fait de Claude Lantier un « Cezanne dramatisé » ? Qu’est-ce à dire ?
Les premières pages du roman répondent à cette attente. Sandoz rend visite à Lantier, lequel revient précisément de Provence. Il regarde :
« Les murs de l’atelier étaient justement couverts d’une série d’esquisses, faites là-bas par le peintre, dans un récent voyage. C’était comme s’ils avaient eu autour d’eux, les anciens horizons, l’ardent ciel bleu sur la campagne rousse. Là, une plaine s’étendait avec le moutonnement des petits oliviers grisâtres, jusqu’au dentelures rose des collines lointaines. Ici entre les coteaux brûlés, couleur de rouille, l’eau tarie de la Viorne se desséchait sous l’arche d’un vieux pont, enfariné de poussière, sans autre verdure que des buissons morts de soif. Plus loin la gorge des Infernets ouvrait son entaille béante, au milieu de ces écroulements de roches foudroyées, un immense chaos, un désert farouche roulant à l’infini ces vagues de pierres. Puis toutes sortes de coins connus : le vallon de Repentance si resserré, si ombreux, d’une fraîcheur de bouquet parmi les champs calcinés ; le bois des Trois-Bons-Dieux dans les pins d’un vert dur et verni pleurait de résine sous le grand soleil ; le Jas de Bouffan, d’une blancheur de mosquée au centre de ses vastes terres, pareilles à des mares de sang… d’autres, d’autres encore. »
Dans le même temps Zola comprend que Cezanne doit se mettre à distance de lui. L’atteste l’épisode de 1885-1886 quand Cezanne totalement désemparé par une passion amoureuse à laquelle il ne comprend rien sinon qu’elle risque de le déstabiliser, cherche refuge et compréhension chez Zola. Ce « Cezanne » là, Zola ne le comprend pas. Il n’a pas encore rencontré Jeanne avec laquelle il vivra pleinement ce que Cezanne ne vivra pas avec cette mystérieuse inconnue que d’aucuns appelleront « Fanny».
Mais L’Œuvre est là, en chantier, immense roman sur la peinture. Zola, où en est-il de son roman lorsqu’il reçoit un Cezanne pour le coup « dramatisé » par une passion violente qui met peut-être en péril sa capacité même de peindre ? Lui Zola se voit embarqué alors, malgré lui, à composer un personnage dont la folie obsessionnelle (du fait d’une « lésion trop forte du génie ») devient une marche au supplice. Seule la mort inéluctablement suicidaire peut clore un tel enchainement, du moins dans l’ordre romanesque. Zola devient alors lui-même prisonnier de son roman. Lantier s’impose malgré lui car Lantier, c’est aussi, lui, Zola ! Il a voulu prendre Cezanne à bras le corps, Cezanne vient jusque chez lui et lui confie sa passion. Cezanne aussitôt s’échappe. « Seule la vérité, la nature, est la base possible », avoue alors Sandoz-Zola à la fin du roman. Je n’en veux pour preuve que ce mot de Sandoz toujours à la fin du roman : « Moi qui pousse mes bouquins jusqu’au bout, je me méprise de les sentir incomplets et mensongers malgré mon effort. »
Ainsi Zola confesse-t-il que son roman reste en deçà de la promesse qu’il annonce. Du moins Zola, comprend qu’il doit libérer Cezanne d’une passion qui met en péril la création même du peintre, une peinture si difficile à cerner déjà. Oui, il voit son ami, en pleine tempête affective, débarquer chez lui en juin 1885. Le modèle qu’il a choisi, cet ami d’enfance, d’adolescence, de vie adulte est là désemparé. Il lui faut donc charger son personnage de roman d’un poids dont il veut libérer son ami. N’accepte-t-il pas de recevoir secrètement les lettres que l’aimée envoie à Cezanne, à charge pour lui, Zola, les faire suivre dans une poste restante à La Roche-Guyon où Cezanne se réfugie ? Le suicide de Claude Lantier n’est pas tant alors l’échec d’un homme dont l’hérédité qu’il porte interdirait qu’il puisse finir une toile, que la libération même de cette impuissance : « Il est bien heureux, dit Bongrand, il n’a pas de tableau en train dans la terre où il dort. » Lui non, mais le vrai peintre qui continue sa route oui. Le peintre que Zola a fabriqué échappe alors d’une certaine façon à son créateur : il n’a d’autre solution que d’achever son œuvre (une femme peinte si parfaite qu’il voudrait faire l’amour avec elle) en se pendant devant l’immense toile. Zola n’a plus la maitrise de son roman. Lantier marche vers sa mort. Zola essaie en vain de le retenir. Il veut sauver Paul en lui mettant sous les yeux celui qu’il pourrait être. « L’homme naîtra, rien ne se perd, il faut bien que la lumière soit ». Le roman se termine sur cette attente et cette demande. Lantier meurt pour que vive Cezanne.
Donc Cezanne peut lire L’Œuvre en toute quiétude. Ce roman le délivre de son mauvais génie. Il ne sera pas Lantier qui va à sa perte, emportant avec lui le romantisme qui pouvait encore l’entraver. Dorénavant il pourra peindre Sainte-Victoire. Après la mer de l’Estaque, ce sera la montagne de Provence.
Et la lettre du 4 avril 1886, de Cezanne à Zola, que d’aucuns ont voulu lire comme une lettre de rupture est, plus peut-être, une lettre de reconnaissance et de remerciement. Non pas seulement pour l’envoi d’un livre.
Cezanne dans la sobriété de ses phrases écrit : « Je remercie l’auteur des Rougon-Macquart de ce bon témoignage de souvenir. » C’est reconnaitre que Zola accomplit un grand œuvre à savoir les « Rougon-Macquart ». C’est reconnaitre dans le même temps que le roman obéit à une nécessité devant s’intégrer à cette fresque et à la problématique qu’elle épouse. Claude Lantier est le fils de Gervaise. Il porte le poids de ses parents… Cezanne reconnaît par là même que, pour une large part, Lantier n’est plus lui. Reste « ce bon témoignage de souvenir. » Ce roman contient donc une part commune en laquelle Cezanne se retrouve. Il le répète encore une fois : « je lui demande (lui = l’auteur des Rougon-Macquart) de me permettre de lui serrer la main en songeant aux anciennes années. » Que fois Cezanne a terminé ses lettres à Zola en lui serrant la main… Bien évidemment Cezanne fait référence aux escapades des deux adolescents en Provence, aux échanges sans fin à Paris, etc. Il conclut « Tout à toi sous l’impression des temps écoulés. »
Nul doute que le mot impression résonne du nom même d’un tableau de Monet Impressions, soleil levant. Cezanne avait d’abord écrit « des jours écoulés ». Il a barré « jours » et écrit « temps » : L’enjeu n’est pas tant chronologique, qu’existentiel : Le temps écoulé n’est surtout pas « perdu » comme l’auraient été les jours. Il s’ouvre sur d’autres temps.
Pouvait-on mieux résumer la richesse d’une amitié de plus de trente ans ? Une lettre réapparue récemment en date du 28 novembre 1887 à l’occasion de la parution de La Terre démontre s’il en était besoin que l’amitié entre les deux hommes s’est prolongée. Alain Pagès devait le révéler. Certes, comme Zola l’avait prévu, Cezanne se tourne plus encore vers la « nature » : « Je vous dois la vérité en peinture. » Il affirmera de la sorte qu’il est réellement celui qui a trouvé et imposé la formule que Lantier n’a su maîtriser.
Zola n’avait-il pas très tôt compris en écrivant à son ami déjà en 1862 : « J’approuve complètement ton idée de venir travailler à Paris et de te retirer ensuite en Provence. »
Dont acte. Plus n’était besoin de beaucoup se voir et s’écrire. L’essentiel était accompli. Lantier était enterré au milieu des enfants. Cezanne, libéré la même année de son père qui pesait sur lui (lui laissant une part de sa fortune), s’affranchit alors de Zola dont les schémas de lecture de la peinture n’étaient plus les siens. Et cela Zola l’avait compris en finissant son roman. L’œuvre de Cezanne lui échappait.
Mais lorsque Cezanne apprend la mort de Zola il s’enferme dans l’Atelier et pleure.
« La mort de Zola (1902) affecta beaucoup Cezanne. Il était dans son atelier, à Aix, en train de préparer sa palette, lorsque Paulin, un ancien lutteur, qui lui servait à la fois de domestique et de modèle, entra en coup de vent : « Monsieur Paul, monsieur Paul, Zola est mort ! » Cezanne aussitôt éclata en sanglots, puis, faisant signe au modèle de s’en aller, il s’enferma. Paulin, qui, sans oser frapper, venait de temps en temps coller l’oreille à la porte, entendit toute la journée son maître se plaindre et gémir. »[14] Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, Les éditions Georges Crès & Cie, 1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919, éd. revue et augmentée, 1924, 247 pages, p. 131, p. 172-173.
« Cezanne se met à pleurer, se terre dans son atelier. Le soir, il éprouve le besoin d’aller voir Solari. Le dimanche suivant, en sortant de la messe, il rencontre Coste, qu’il évitait depuis le séjour de Zola à Aix, et les deux hommes spontanément s’abordent, se serrent la main, balbutiant : “Zola, Zola…“ »[15] de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 290.
Références
↑1 | lettre de Zola à Baille 10 juin 1861 |
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↑2 | 25 juin 1860 |
↑3 | pp. 46-47 |
↑4 | Cezanne excède rarement des toiles dépassant 100 cm de côté. Il faudra attendre les Joueurs de cartes (1890-92) pour retrouver une toile de près de 2 mètres de côté (R 706) ou les Grandes Baigneuses dont la dernière version atteint 250 x 208 cm de côté |
↑5 | Henri Mitterand, Paul Cézanne/Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887, Gallimard 2016, p. 8. |
↑6 | Lettre du 1er aout 1860. Zola ne parle pas de Michel-Ange mais avec Raphael on n’est pas très loin |
↑7 | Paroles rapportées par Gasquet après une visite à Médan en 1900. |
↑8 | Zola y définit l’œuvre d’art comme « une fenêtre ouverte sur la création » ; cependant, ajoute-t-il, il y a toujours, « enchâssé dans l’embrasure de la fenêtre, une sorte d’écran transparent, à travers lequel on aperçoit les objets plus ou moins déformés » : les lignes, les couleurs se modifient en passant à travers ce « milieu » qui n’est autre que « le tempérament » de l’artiste, modifié par le « moment » historique. |
↑9 | 23 octobre 1905 |
↑10 | Un vendredi de 1905 |
↑11 | op. cit. p. 18 |
↑12 | Dans son dernier ouvrage Peinture et philosophie(Éditions du Cerf, 2021), le traducteur et auteur s’interroge sur le statut de la peinture. Un tableau n’est-il qu’un pur reflet – de son temps, ou d’une idée ? Contre ces lectures qui rendent les œuvres muettes, il entend plutôt comprendre une œuvre picturale comme une proposition philosophique à part entière, qui se façonne dans le travail de l’artiste. Une idée qu’il nous partage à partir de son analyse du tableau de Rembrandt, Aristote contemplant le buste d’Homère de 1653. |
↑13 | Hemingway, Paris est une fête, Pléiade, pp. 749-750. |
↑14 | Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, Les éditions Georges Crès & Cie, 1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919, éd. revue et augmentée, 1924, 247 pages, p. 131, p. 172-173. |
↑15 | de Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 290. |