Entre Jas de Bouffan et musée Granet, la Femme à la Cafetière

D’une série d’aticles  intitulés  » Chefs d’oeuvre des musées » publiés par Alain Paire

 

Femme à la cafetière
vers 1895
R781 – FWN 514

Dans des circonstances autrement émouvantes, dans le premier chapitre de son Education Sentimentale, Flaubert que Cézanne lisait souvent, avait écrit à propos d’une autre femme aperçue sur le promenoir d’un bateau que « ce fut comme une apparition ». Bien que pour cette Femme en bleu, l’ébranlement que l’on peut ressentir en face de son surgissement soit complètement différent, de manière irrésistible, l’envie prend d’employer la même expression.

Son assise et sa frontalité ne sont pas récusables. D’ordinaire, les visiteurs du musée d’Orsay ne devraient pas éviter son interpellation, le silence de sa composition. En face de son aplomb et de sa verticalité on a le sentiment qu’elle se tient debout. La franchise de ses traits, la dignité de son visage, son buste et ses bras, la rudesse de ses mains de travailleuse domestique et le ruban qui la sangle laissent imaginer que cette personne est intouchable.

Cette gouvernante est puissante. Elle n’est pas jeune. Elle ne refuse pas le regard du peintre qui éprouve à son égard un invincible respect. Son immobilité a quelque chose d’actif et de non subi. Un pacte silencieux fut conclu, aucune pose ne pouvait lui être dictée. Quand une séance lui fut demandée, de manière instinctive, une entente se noua, abruptement : la Femme à la cafetière aurait tacitement compris comment se construiraient son espace et la force tranquille de sa sommation. Solennel et sans mots, quelque chose d’intuitif et de presque sacré l’habite et la détermine impérieusement. Amples et massifs, les plis de sa robe ont les apparences d’une intangible cuirasse.

Parce que d’autres détails sautent aux yeux – la cuiller qui se dresse au-dessus de la très haute tasse, la géométrie de la cafetière – d’autres commentateurs voudraient que cette toile illustre la formule de Cézanne recueillie par Émile Bernard : le peintre « traite la nature par le cylindre, la sphère, le cône ». Par ailleurs, l’histoire de l’art accomplit de menus progrès, on sait à présent que les fleurs du papier peint sur la gauche, les placards qui tanguent en fond de toile figuraient dans une pièce du premier étage du Jas de Bouffan.

Cette toile, écrivait Vincent Bioulès, c’est « l’amour de l’exactitude », c’est « crainte et tremblement ». Juillet 1961, il a 13 ans quand il la découvre au Pavillon de Vendôme : plusieurs fois, il a raconté qu’il éclata en sanglots.