La composition des « collections » de Cezanne en France.

Philippe Cezanne

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Tout au long de sa carrière mon aïeul a été incompris, vilipendé et même parfois détesté par nombre de critiques d’art, de marchands de tableaux ou de collectionneurs. Sa vision de l’art, faire de la peinture pour la peinture, délaissant l’anecdote et cassant les codes établis depuis des siècles l’ont mis pendant longtemps au ban des artistes. Peu nombreux étaient les amateurs qui acceptaient ou admiraient l’univers du peintre.

Il fallut attendre 1895 et la première rétrospective de Paul Cezanne organisée par le marchand Ambroise Vollard, dont l’intérêt pour le peintre venait en partie des conseils d’Auguste Renoir et Claude Monet, pour que de nouveaux amateurs du monde entier s’y intéressent. Mais les réticences ont subsisté jusqu’à nos jours. J’en ai pour preuve cette anecdote. Au début des années 1960, sur les conseils d’une amie, la fille du peintre Albert André, je me suis présenté à Charles Durand-Ruel, le petit fils de Paul Durand-Ruel le marchand qui a fait connaître les Impressionnistes, et qui cherchait un jeune collaborateur.  Mais après quelques minutes de conversation sur mes motivations et mes connaissances de l’Art, il me dit soudain : « vous savez, je suis ennuyé car ma famille n’a jamais beaucoup apprécié l’œuvre de votre ancêtre alors, avoir comme collaborateur un Cezanne cela pourrait être gênant ». Je décidais de répondre par l’ironie « Mais monsieur, m’accepter serait je pense une bonne façon de réparer cette erreur » et je fus engagé. Charles Durand-Ruel tout au long de notre collaboration de douze années ne manqua jamais de me présenter, et je crois avec fierté, à tous ses interlocuteurs français et étrangers.

Paul Durand-Ruel et ses fils, malgré leur réticence, ont négocié ou acheté autour de 85 peintures de Cezanne. Mais pour la plupart de la période dite impressionniste. Ils furent acquéreurs en 1899 de la moitié de la collection Victor Choquet, 18 peintures sur 35. Ils furent aussi les premiers correspondants du docteur Barnes à Paris qui leur acheta 17 des 61 tableaux de Cezanne de sa collection. En fait, la plupart des tableaux furent négocié auprès d’amateurs étrangers ou par leur galerie de New York. En 1899, ayant vendu pour le compte de Madame Havemayer deux œuvres du peintre, Paul Durand-Ruel lui écrit « Je suis très heureux d’avoir pu vous vendre ces deux Cezanne pour un bon prix et il est fort probable que cette cote ne durera pas longtemps. Car malgré tout le bruit fait autour du peintre, il n’a que peu d’acquéreurs, surtout en Allemagne ou en Russie, qui achètent très cher ses tableaux, ce que je ne comprends pas »

Mais comble de l’ironie et avec un certain plaisir j’ai pu admirer dans le salon de madame Lefébure, la sœur de Charles Durand-Ruel un très beau paysage intitulé « verger à Hattenville, 1882 » (FWN180) et dans le salon de mon patron Charles « Vase de fleurs sur un tapis fleuri, 1877 » (FWN 733) ainsi que trônant dans sa salle à manger « Pommes et gâteaux, 1877-79 » (FWN 744) au côté des « Galettes des roi », un tableau de Claude Monet.

 

Parmi les premiers amateurs on peut citer le docteur Gachet, d’Auvers sur Oise, ami de Pissarro, de Courbet, et lui-même peintre amateur sous le nom de « Van Ryssel », en référence à ses origines flamandes. Il côtoie et héberge dans son atelier, Cezanne pendant son séjour entre 1872 et 1874. Est- ce le fruit du hasard ? En effet, en1858 Gachet lors d’un séjour à Marseille pour rencontrer les peintres Monticelli et Guigou, et à la demande de sa logeuse, se rend à Aix en Provence pour remettre un document à Louis Auguste Cezanne le père de l’artiste.  A- t- il rencontré le jeune Paul alors âgé de 19 ans ?  Nul ne le sait. Par- contre, pendant ce long séjour de Paul à Auvers, le docteur Gachet a écrit un courrier à Louis Auguste, le père de l’artiste, pour lui rappeler leur rencontre d’autrefois et l’attendrir en faveur de son fils auquel il ne verse pas toujours sa pension.

Au cours de ces 18 mois passés à Pontoise et Auvers, avec femme et enfant, Cezanne travaille sur le motif avec Camille Pissarro et Armand Guillaumin, mais aussi Victor Vignon et Frédéric Cordey, parcourant ensemble les champs de Pontoise à Auvers. Gustave Coquiot dans son livre paru en 1911 raconte qu’un paysan lui aurait dit avoir observé les deux artistes peindre, et avait remarqué qu’en travaillant monsieur Pissarro piquait alors que monsieur Cezanne lui, plaquait.  Paul Cezanne s’installait les jours de pluie dans l’atelier du docteur pour réaliser des natures mortes ou des bouquets de fleurs composés par madame Gachet. Une partie de ces œuvres, achetées ou données, constitueront la collection Gachet, 17 peintures dont certaines sont aujourd’hui au musée d’Orsay avec une petite palette que le docteur lui avait prêtée. Paul Cezanne réalise aussi quelques gravures sur cuivre, les plus connues sont « tête de jeune femme » et « Guillaumin au pendu » qui seront réédités plus tard par Vollard, ainsi que trois paysages, mais il n’était pas très à l’aise avec ces techniques.

Enfin, pour vous montrer le tempérament de Paul Cezanne. Dans ses notes le docteur Gachet écrit à son sujet « Au motif qu’il menait deux fois par jour : celui du matin ; celui du soir ; par temps gris, par temps clair ; il lui arrivait fréquemment de s’acharner sur un tableau et de le mener d’une saison à l’autre, de telle sorte qu’un printemps de 1873 devenait à la longue un effet de neige de 1874…

Paul Cezanne avait aussi de modestes collectionneurs comme monsieur Armand Rondest, épicier à Pontoise de son état et fournisseur du peintre pendant son séjour, qui accepta d’être réglé en partie en peintures. Cezanne lui écrit « Je vais quitter Auvers dans quelques jours pour aller me fixer à Paris. Je prends en conséquence la liberté de me rappeler à vous.  Si vous désirez que je signe la toile dont vous m’avez parlé, veuillez la remettre chez monsieur Pissarro, où j’y mettrais mon nom. »

Monsieur Rondest posséda trois peintures de Cezanne : Vieille route à Auvers, 1872 – 73 (FWN 69) ; Géranium et pied d’alouette dans un vase de Delft, 1873 (FWN 720) et Dahlias dans un grand vase de Delft, 1873 (FWN 721)

 

Puis apparaît Eugène Meunier dit Eugène Murer. Il est un des personnages des plus curieux de cette période Impressionniste, il fut écrivain, peintre et pâtissier. Dès son arrivée à Paris à l’âge de quinze ans, il se passionne pour la littérature et se cultive le soir. Apprenti pâtissier, son patron le pousse à écrire, et il publie huit romans entre 1870 et 1885 sous le pseudonyme de « Gêne-Mûr ». Il fait la connaissance du peintre Armand Guillaumin qui lui fait découvrir le Louvre où il retourne presque journellement. Travaillant trois jours par semaine pour vivre, il se cultive le reste de la semaine, fréquente les journalistes, il écrit quelques critiques d’art dans la « Correspondance française ». Enfin il s’établit à son compte comme pâtissier restaurateur boulevard Voltaire. Guillaumin y amène ses amis peintres : Renoir, Monet, Pissarro, Sisley et Cezanne. Très vite il s’enthousiasme pour leur travail et achète de leurs œuvres. Pour eux la table est ouverte et le plus souvent gratuite. Tous les premiers mercredis du mois, il organise un dîner où se réunissent ses amis, les artistes, mais aussi le docteur Gachet, le musicien Cabaner, le collectionneur Hoschedé (dont la veuve épousera Claude Monet en seconde noce). En février 1878, Murer prévient Pissarro « L’ami Cezanne part dans les premiers jours de mars ; si vous désirez le voir avant son départ venez donc dîner mardi prochain, il sera à la maison avec sa femme et son fils ».

Il montre aux amateurs qui viennent dans son établissement les peintures de ses amis laissés en dépôt dans l’espoir d’en vendre. Son gâte-sauce avait l’habitude de dire « C’est moi qui fait la pâte et c’est le patron qui achète les croûtes » En 1887, l’écrivain et critique d’art Paul Alexis, ami de Cezanne et qui fut secrétaire d’Émile Zola, écrit un article sur sa collection. On y dénombre 27 Pissarro, 15 Renoir ; 10 Monet ; 27 Sisley ; 22 Guillaumin ; 4 Delacroix ; 2 Van Gogh ; 2 Gachet et 8 Cezanne. (FWN 110 ; 621 ; 630 ; 667 ; 713 ; 738 ; 739 ; 740)

 

En 1875, conseillé par Auguste Renoir, Victor Chocquet, fonctionnaire à la direction des Douanes, achète trois petits tableaux de Cezanne chez le père Tanguy, puis très vite une amitié s’instaure entre les deux hommes, confortés par leur amour commun du peintre Eugène Delacroix. Chocquet, à l’époque, était le plus important collectionneur de cet artiste, il possédait des centaines d’aquarelles et dessins et souvent le soir après un bon dîner, Chocquet, Renoir et Cezanne tapissaient le sol du salon de ses œuvres pour les admirer et, en quelque sorte, communier ensemble face au Maître. Ambroise Vollard, plus tard, donna à Cezanne une très belle aquarelle de Delacroix qu’il avait accrochée dans sa chambre face à son lit, et dont il fit une copie à l’huile aujourd’hui à Saint-Pétersbourg. Cezanne réalisa 6 portraits de son ami Chocquet et celui-ci lui acheta 35 tableaux, qui furent vendus en vente publique en 1899 après son décès.

Théodore Duret lui, est un écrivain, critique d’art et collectionneur. Il est proche de Manet et de Courbet. En 1870 Il demande à Zola l’adresse de Paul Cezanne qu’il veut rencontrer, mais Zola refuse disant que son ami se cherche et a besoin de solitude.  En décembre 1873 Pissarro écrit à Duret « Dès le moment que vous cherchez des moutons à cinq pattes, je crois que Cezanne pourra vous satisfaire, car il a des études fort étranges et vues d’une façon unique » En 1906, dans la réédition de son ouvrage « Histoire des Impressionnistes », Théodore Duret écrit un très long article élogieux sur Cezanne. Entre temps il acheta 8 peintures de l’artiste, deux au marchand de couleurs de Cezanne « Le Père Tanguy » et les autres chez le marchand Ambroise Vollard. (FWN 78 ; 126 ; 163 ; 205 ; 276 ; 492 ; 653 ; 778)

 

Il ne faut pas oublier tous ses amis peintres qui eux aussi collectionnèrent ses œuvres. Camille Pissarro, bien sûr, qui fut son professeur et conseiller à Auvers et Pontoise, il fut propriétaire de 22 toiles.

Auguste Renoir, l’ami et protecteur, lui, n’avait que quatre peintures dans sa collection mais il fit beaucoup pour Cezanne, le soutenant dans les moments difficiles. Il fut, entre-autre, l’artisan de la rencontre entre le peintre et Ambroise Vollard à qui il précisa qu’aucun marchand ne s’intéressait à lui, alors qu’il était le plus doué de sa génération. Il séjourna plusieurs fois à Aix en Provence et Cezanne lui rendit visite à la Roche Guyon (FWN 66 ; 167 ; 204 ; 657)

Edgard Degas trouvant les couleurs de Cezanne par trop agressive, montra une certaine réticence au début de leur rencontre. Il est vrai que Degas, par son classicisme dans les premières années de sa carrière, est le fruit du passé alors que Paul donne naissance au futur. Néanmoins Degas acheta sept peintures toutes réalisés entre 1876 et 1880, chez Vollard pour sa collection. (FWN 438 ; 450 ; 760 ; 779 ; 797 ; 852 ; 913)

Claude Monet fut aussi un inconditionnel, il admirait le peintre, et cette admiration était réciproque.  Il lui rendit visite à Aix en Provence plusieurs fois avec Renoir. Quant à Cezanne il séjourna à deux reprises à Giverny, près de la maison de Monet en 1894. Monet avait une collection de peintres impressionnistes mais aussi des Cezanne. Paulette Howard- Johnston, la fille du peintre Paul César Helleu, grand ami de Monet me raconta sa visite à Giverny. Elle eut le privilège de monter dans les appartements privés du peintre où se trouvaient ses collections. Au mur du cabinet de toilette, trônait un grand tableau « le Nègre Scipion » et dans la chambre on pouvait admirer onze Cezanne, dont celui offert par son père, Paul Helleu. Claude Monet eut en tout, quatorze peintures de Cezanne entourées de quelques Manet, Renoir, Degas, mais aucun Gauguin ni van Gogh. (FWN 111 ; 145 ; 154 ; 163 ; 360 ; 413 ; 422 ; 495 ; 626 ; 824 don Helleu ; 839 ; 878 ; 880 ; 950)

Paul Gauguin, quant à lui, avait une admiration sans borne pour l’artiste, admiration non partagée par Cezanne qui se méfiait de lui. Une tradition familiale orale voudrait que le peintre un jour ait dit à son fils « Il a été cherché bien loin son talent » faisant référence à ses séjours en Martinique et Polynésie. Gauguin, après une carrière dans la marine, devint après la guerre de 1870, courtier en bourse, ce qui lui permit d’acheter des œuvres de plusieurs artistes dont six Cezanne. Il est alors marié à une Danoise dont il a cinq enfants. Mais en 1882 il décide de devenir peintre, laisse femme et enfants à Copenhague avec ses tableaux et s’installe à Paris. En 1885, il demande à son épouse de ne pas vendre deux de ses Cezanne, puis en 1887 il lui confirme ne pas vouloir vendre un Cezanne « une perle exceptionnelle, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux, je ne m’en déferais qu’après ma dernière chemise » Malgré les problèmes financiers que pouvaient avoir son épouse, il se battit bec et ongles pour retarder la vente de ce qu’il considérait comme des chefs d’œuvre de l’art moderne. (FWN 124 ; 130 ; 149 ; 585 ; 651 ; 780)

Il y eut aussi Gustave Caillebotte, il fut peintre, collectionneur et architecte naval. Membre du groupe impressionniste il expose avec eux. A l’abri des problèmes financiers grâce à un important héritage de son père, il devient aussi mécène, achetant de nombreux tableaux de ses amis. Il décède brutalement en 1894, il a 46 ans et lègue sa collection de 67 peintures à l’État français souhaitant qu’elle soit présentée dans son ensemble au musée du Luxembourg. Henri Rougeon, directeur des Beaux- Arts, devant le tollé des Académiciens propose de n’accepter que vingt- sept œuvres. Après le refus des exécuteurs testamentaires, Renoir et Martial Caillebotte le frère de l’artiste, et après l’intervention de Léonce Bénédite, le directeur du musée du Luxembourg, treize peintures sont rajoutées dont deux Cezanne (FWN 119 : 129) (refusées 637 ; 722 ; 926) Pour rappel c’est ce même Bénédite qui déclara, plus tard, sans intérêt les peintures du grand salon du Jas de Bouffan…

L’exposition rétrospective de Cezanne organisée par Ambroise Vollard en 1895, environ 150 peintures présentées par groupe de 50, les murs de la galerie ne pouvant en accueillir plus, se révéla une sorte de déclencheur. Cet événement fut à la fois la reconnaissance de son talent, de son originalité et de son importance dans l’histoire de l’art. Mais Cezanne ne se déplaça pas pour l’évènement. Pour la première fois de nombreux critiques d’art, parmi les plus célèbres à l’époque : Thadée Natanson, Thiébault Sisson, Georges Lecomte et bien d’autres s’inclinent enfin devant l’œuvre de cet artiste si original.

Parmi eux, Gustave Geffroy, qui publie en 1893 un article avec en première page le portrait à l’eau forte de l’artiste par Pissarro. Puis l’année suivante dans « La vie artistique » il écrit un très long texte élogieux sur le peintre et son œuvre. En novembre 1894, Claude Monet écrit à Geffroy pour l’inviter à Giverny et y rencontrer Cezanne « j’espère que Cezanne sera encore ici et qu’il sera des nôtres, mais il est si singulier, si craintif {…} C’est un véritable artiste et qui en est arrivé à douter de lui par trop. Il a besoin d’être remonté ; aussi a-t-il été bien sensible à votre article ». La rencontre eu lieu et le peintre lui proposa de faire son portrait. Après de nombreuses séances de pose Cezanne décida de retourner à Aix promettant de revenir terminer le tableau, ce qu’il ne fit jamais. En 1895 Geffroy termine son article sur l’exposition Vollard par cette phrase prémonitoire « C’est un Grand véridique, ardent et ingénu, âpre et nuancé. Il ira au Louvre et il y a là, plus d’une toile pour les musées de l’avenir. » Geffroy acheta sept tableaux du peintre en plus de son portrait (FWN 516) (FWN 202 ; 305 ; 467 ; 469 ; 820 ; 849 ; 871)

 

Tous ses amis peintres viennent admirer et acquérir ses peintures, Renoir et sa filleule Julie Manet, la fille de Berthe Morisot, durent tirer au sort pour déterminer qui allait acheter l’aquarelle « Le meurtre » et ce fut Julie qui gagna.

Parmi les nouveaux amateurs il y eu aussi Maurice Gangnat. Personnage atypique, il est le patron d’une importante entreprise de métallurgie, il décide de se retirer précocement des affaires au début du siècle, pour se consacrer à collectionner des œuvres de Renoir. Il a acheté une propriété proche des « Collettes » le domaine du peintre à Cagnes sur mer. La vente de sa collection après son décès, en 1925 comportait 160 peintures, de Renoir, mais aussi quelques Vuillard et huit peintures de Cezanne, de belle qualité, achetées chez Vollard en 1906 et 1907,  peut être conseillé par son ami Renoir..

Mais il y eu aussi les premiers collectionneurs étrangers américain Suisse, allemand.

Parmi eux, Egisto Fabbri, un florentin d’origine américaine fils d’une famille de soyeux et apparenté à la famille Vanderbilt. Il séjourne à Paris entre 1896 et 1913.

Il y a Charles Loeser, américain lui aussi, qui légua huit tableaux de sa collection à la Maison Blanche,

Karl Ernst Osthaus et son épouse qui rencontrèrent l’artiste à l’atelier des Lauves en 1906, puis bien sûr, quelques années plus tard le docteur Albert Barnes. Mais ces sujets sont développés par d’autres intervenants.

Parmi tous ces nouveaux amateurs il ne faut pas oublier Auguste Pellerin, le plus important d’entre eux, par le nombre d’œuvres achetées et exposées dans son hôtel particulier. Auguste Pellerin est un industriel français qui fait fortune grâce à ses usines installées dans toute l’Europe fabriquant la margarine « Tip ». Passionné d’art, il installe dans sa maison sa collection de tableaux impressionnistes, Manet avec trente-neuf peintures et treize pastels, sans oublier des Monet, Renoir, Sisley. Puis il découvre en 1895 chez Ambroise Vollard, l’œuvre de Cezanne. Il décroche toutes ses collections pour y installer à la place les peintures de l’artiste, qu’il achète en grand nombre. On y comptera 156 peintures et, parmi elles, plusieurs grands chefs d’œuvre : Une grande version des  « joueurs de cartes » aujourd’hui au Qatar, « Louis Auguste Cezanne lisant l’évènement » aujourd’hui à Washington, deux versions des « grandes baigneuses », l’une est au musée de Philadelphie, l’autre est sortie de France en 1964 pour rejoindre à Londres la National Gallery avec la bénédiction du ministre de la Culture de l’époque, André Malraux, qui ne fit pas jouer son droit de véto de sortie du territoire, malgré la pétition organisée par des peintres écrivains ou intellectuels, convaincus qu’il ne fallait pas laisser partir un des derniers chef d’œuvre du Maître. Mais j’appris à l’époque grâce aux relations de Charles Durand-Ruel que Malraux n’avait pas d’attirance pour Cezanne et surtout ne supportait pas la vision des baigneuses, qui étaient pour lui, une honte à la beauté féminine, du moins tel qu’il la concevait.

J’aimerai conclure en disant :

Collectionner est un acte de possession bien sûr, un plaisir qui peut être égoïste mais aussi partagé par quelques privilégiés, chacun ayant ses propres critères. Mais le collectionneur est aussi un conservateur et un passeur. Au fil des siècles il a protégé des chefs d’œuvre qui sans cela, seraient oubliés, abandonnés ou détruits et qui finalement se retrouvent aujourd’hui dans des fondations ou des musées pour le plaisir de tous.