Marcel Provence et l’atelier des Lauves

Jacky Chabert

 

Allure flamboyante, canotier, cravate lavallière. C’était Marcel Provence.

C’est ainsi qu’il nous apparut lorsque nous le rencontrâmes, pour la dernière fois, mon père et moi au printemps 1950, sur la place de l’archevêché à Aix en Provence.

Bavard et plein d’humour, personnage atypique, paraissant tout droit échappé d’un conte de Paul Arène, tous ceux, qui peu nombreux aujourd’hui, ont eu le privilège de connaître, ou tout simplement de croiser Marcel Provence se souviennent forcément de lui.

Semper Ardens, telle était la devise et la ligne de conduite permanente de cet homme exceptionnel. Il aimait l’histoire, et plus particulièrement ce qu’il est convenu d’appeler la petite histoire, plus familière, plus utile souvent que l’histoire officielle parce qu’elle nous apporte sur la vie quotidienne de nos ancêtres tant de détails savoureux et émouvants.

      Mais revenons sur sa biographie :

Charles Marie Marcel Joannon, dit Provence, voit le jour à Marseille en 1892 dans une famille bourgeoise. Son père est avocat, il s’installe à Aix avec sa famille en 1904.

Marcel est fou-passionné de patrimoine et de culture provençale. À l’âge de dix-neuf ans il décide de changer son patronyme Joannon pour celui de Provence. Désormais, porteur du nom de ce pays qu’il entend défendre, il s’engage sur tous les fronts. Pour lui, ce pays, cette Provence est à la fois une géographie et une histoire, il s’attache à l’une comme à l’autre.

En 1913, il est l’un des organisateurs de l’accueil triomphal à Aix que les étudiants réservent à Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature épique.

Provence est un homme éclectique qui touche un peu à tout avec bonheur. Il crée et préside de nombreuses associations, se passionne pour le théâtre de plein air, notamment celui de la citadelle de Sisteron et Embrun. Il anime des saisons d’art à Aix, à Nice, dans les Alpes et dans bien d’autres lieux ; des sortes de festivals avant l’heure. Il est également le créateur et le premier conservateur du musée du Vieil Aix en 1932, conservateur du musée des tapisseries, administrateur de la fondation du château de Lourmarin et fondateur du musée lapidaire de Riez. Membre puis président de l’Académie d’Aix, Provence est aussi un fervent provençalisant. C’est lui, encore, qui relance l’artisanat de la faïence de Moustiers.

Écrivain et journaliste à sa manière, il nous laisse des recueils de nouvelles, des pièces de théâtre, de la poésie, des ouvrages historiques comme Le Cours Mirabeau qui retrace trois siècles d’histoire locale, mais également un Cezanne au Tholonet, publié aux éditions du Mémorial d’Aix. Provence collabore à de nombreuses revues régionalistes et accumule les titres et les fonctions. Inventeur de talent malicieux, conférencier, poète, félibre, il fait même de la radio.

Mais la plus noble de toutes ses actions, restera sans aucun doute le sauvetage de l’Atelier de Cezanne aux Lauves.

Après la mort du peintre en 1906, l’Atelier restera fermé pendant quinze années. Période durant laquelle il demeurera dans un état de quasi abandon, notamment le jardin qui abritera des activités peu avouables. C’est à la veille de Noël de 1921 que Marcel Provence achète au fils du peintre, pour neuf milles francs, versés en espèces, l’Atelier des Lauves. Paul junior finit par céder à l’insistance de Provence, convaincu que ce jeune homme, (Provence n’a que vingt neuf ans) sera le digne défenseur de la cause cézannienne.

On ne rendra jamais assez hommage à Marcel Provence, mais également à Paul Cezanne junior pour avoir conclu cette affaire. Imaginons simplement, que lassé, découragé par l’attitude de la ville d’Aix et des aixois à l’égard du peintre, Paul junior se débarrasse tout simplement de cette propriété en la vendant à un acquéreur aux intentions vénales, l’Atelier aujourd’hui, aurait peut-être disparu, et nous aurions des immeubles de rapport à sa place.

Aix, cependant, la ville natale du peintre lui est toujours farouchement hostile. Certaines personnalités, et non des moindres, ne se gênent pas pour saper la réputation de Cezanne. Henri Dobler, propriétaire depuis 1906 du Pavillon de Vendôme, qui fut membre de la Commission Administrative de la Société des Amis des arts, ne déclare-t-il pas au début des années 1920 :

« C’est un honneur pour Aix de ne pas avoir cédé à la plus grande escroquerie artistique du siècle »

Pendant trente ans, et ce jusqu’à sa mort brutale en 1951, Provence va devoir se battre et multiplier les actions en faveur de cette noble cause. Gardien du temple, il habite même un temps le rez-de-chaussée du pavillon, conservant à l’étage ce qui s’y trouve, cédé par le fils du peintre.

L’année 1923 sera déterminante. Provence inaugure la nouvelle plaque qui indique au bas du chemin des Lauves, à l’angle de l’avenue de la Violette, le nouveau nom de la voie qui conduit à l’Atelier : Avenue Paul Cezanne. Cette même année 1923, Provence crée la première société Paul Cezanne. L’ambition de cette société est bien entendu la promotion de l’œuvre du peintre par le biais de conférences et de publications. Il crée, entre autres, un centre documentaire en y faisant entrer, une quantité importante de lettres de Cezanne qu’il s’ingénie à retrouver.

Ce qui demeure cependant l’une des actions, la plus importante de cet homme, souvent contesté par ailleurs, mais certainement la plus prometteuse, sera l’immense et inestimable documentation cézannienne accumulée ; une bibliographie universelle, dans toutes les langues ; sans oublier l’abonnement au nom « Cezanne », souscrit dans plusieurs agences mondiales spécialisées qui distribuent les coupures de presse. Internet n’existait pas à cette époque ! Toute cette matière, soigneusement rangée dans des cahiers d’écolier, classée par années, ces articles constituent un trésor inestimable. De nombreux cartons sont ainsi remplis de documents venant du monde entier, sous les signatures les plus diverses. À ce jour, tout n’a pas été dépouillé et numérisé.

En 1925, Marcel Provence et la Société Paul Cezanne font placer une plaque de marbre, à droite de la porte d’entrée du pavillon, (aujourd’hui disparue) avec l’inscription suivante :

Cet atelier fut élevé par Paul Cezanne

il y travailla jusqu’à son dernier jour.

A Paul Cezanne le pays d’Aix et la Provence

Société Paul Cezanne MCMXXV.

En 1939, alors que de nombreuses expositions sont organisées en France et à l’étranger, à l’occasion du centenaire de la naissance du peintre, Marcel Arnaud, alors conservateur du musée d’Aix, souhaite commémorer l’événement en organisant « l’Exposition du Centenaire » ; la municipalité de l’époque, conduite par son maire Jean Peytral s’y oppose ; ce peintre, n’est paraît-il pas assez connu… Ce sera finalement Edouard Herriot, alors maire de Lyon, qui acceptera l’organisation de cette exposition.

La commune du Tholonet, où Cezanne avait ses habitudes commémorera, avec ses minces moyens l’événement, et cela, grâce à son maire, Hilaire Houchard, avec la complicité du jeune John Rewald et surtout celle de Marcel Provence qui fit venir pour l’occasion les journalistes de la radio Marseille Provence. Un monument fut commandé au sculpteur aixois Marcel Barnier. Ce modeste monument en marbre du Tholonet, avec le portrait en bronze de Cezanne est visible à la sortie du village, au pied du petit moulin.

Pour terminer, n’omettons pas de nommer les principaux témoins du vivant de Cezanne que Marcel Provence a pu rencontrer : les jeunes peintres Émile Bernard et Charles Camoin — son marchand de tableaux Ambroise Vollard – son cocher Émery – les membres de la famille du peintre dont ses nièces bien entendu, et bien d’autres, moins connus, mais tout aussi précieux pour leurs témoignages.

Photos : Archives du Musée du Vieil Aix