Cezanne et Gauguin

Alain Madeleine-Perdrillat

Né en 1949, Alain Madeleine-Perdrillat a dirigé à Paris, pendant quinze ans, le département de la Communication de la Réunion des Musées nationaux (RMN – Grand Palais), puis, pendant sept ans, celui de la Communication et des Manifestations scientifiques de l’Institut national d’Histoire de l’Art (INHA). 
     Il est l’auteur de : Seurat (éditions Skira, 1990), Nicolas de Staël (éditions Hazan, 2003), Entretiens avec Claude Garache (avec Florian Rodari et Marie du Bouchet, éditions Hazan, 2010), Laurent de La Hyre, « La mort des enfants de Béthel » (éditions Invenit, 2011), Damiers – sur la peinture de Lucy Vines (éditions des Cendres, 2015), et de nombreux textes publiés dans des catalogues d’exposition et des revues.
     Il a traduit Roberto Longhi (Masolino et Masaccio, éditions Pandora,1981 ; Dialogue entre Caravage et Tiepolo, revue Conférence n°27, 2008), Gino Severini (La Vie d’un peintre, éditions Hazan, 2011), Lawrence Gowing (L’originalité de Thomas Jones, Fage éditions, 2017) et Serge Gregory (Anton Tchékhov et isaac Lévitan, éditions 5 Continents, à paraître en 2021).

 

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On est presque étonné d’apprendre que Cezanne et Gauguin se connurent, tant leurs œuvres principales, celles dont on garde mémoire, nous paraissent différentes, voire étrangères, et le tempérament des deux hommes éloigné, pour ce que l’on en sait, – Cezanne étroitement attaché à sa région natale, au point de ne pas prendre la peine de faire le voyage d’Italie, et Gauguin toujours par monts et par vaux, sur les routes et sur les mers, fidèle au rêve incessant de trouver ailleurs une nature intacte[1]Ramuz note ainsi : « Tout prétexte est bon à Cézanne : planté dans ce pays, il ne va pas chercher plus loin. Acceptation, ici aussi, des alentours, tels qu’ils existent ; utilisation de ces alentours. D’autres ont poussé jusqu’en Océanie ; lui, a découvert l’Océanie dans son cœur. » C. F. Ramuz, L’Exemple de, Cézanne dans L’Exemple de Cézanne et autres pages sur Cézanne, Du Lérot éditeur, Tusson, Charente, 2011, p. 23..

Il faut d’abord rappeler les faits. En 1874 (Cezanne a 35 ans, Gauguin 26 ans), Pissarro, qui a rencontré Cezanne en 1861, à l’Académie Suisse, à Paris, mais n’est vraiment devenu son ami qu’en 1872, fait deux portraits de lui, une eau-forte et une huile. C’est aussi en 1874 qu’il invite Gauguin à Pontoise, mais celui-ci n’y séjournera que plusieurs années plus tard, en 1879, puis en 1881 et en 1882, époque au cours de laquelle il se déclare élève de Pissarro, – tout comme Cezanne le fera encore à la fin de sa vie, en 1906, dans le catalogue d’une exposition à la Société des Amis des Arts d’Aix-en-Provence.

Pissarro connaissait déjà Gauguin depuis un certain temps ; il lui avait été présenté par Gustave Arosa, un ami de la famille de Gauguin. Homme d’affaires, collectionneur d’art et photographe, Arosa était devenu le tuteur de Gauguin quand celui-ci avait perdu sa mère en 1867, et il lui procura en 1871 un emploi chez l’un de ses confrères, l’agent de change Paul Bertin. Gauguin y travaillera comme coulissier jusqu’en 1882, l’année du krach boursier qui entraîna sa démission. Au cours de cette période, il s’intéressa de plus en plus à la peinture, qu’il commença à pratiquer vers 1872, on ne sait pas exactement : « J’étais, en ce temps, employé d’agent de change et je n’étudiais l’art que la nuit et les jours de fête[2]Paul Gauguin, Avant et après, in Oviri. Écrits d’un sauvage, choisis et présentés par Daniel Guérin, Gallimard, collection Essais folio, réédition 2017, p. 303.. » Il trouve tout de même le temps de visiter, en avril ou en mai 1874, la première exposition des peintres que l’on allait appeler par dérision impressionnistes, et il put y voir notamment les trois œuvres que Cezanne y présenta, La Maison du pendu, Une moderne Olympia et Étude : Paysage à Auvers[3]Deux de ces œuvres sont conservées à Paris, au musée d’Orsay, la troisième au Philadelphia Museum of Art.. On aimerait savoir s’il les remarqua, ou si Pissarro, qui de son côté en présentait cinq, prit la peine de les lui faire remarquer.

Pissarro est bien le trait d’union entre les deux peintres et il est au fond assez étrange qu’il ait nourri et aidé leurs approches de la peinture, qui se sont révélées si rapidement distinctes, sans du tout s’en inquiéter, dirait-on, comme si la force de leurs talents suffisait à faire qu’ils s’imposent à lui. Aussi bien saura-t-il vite distinguer le génie de Seurat (de même Degas soutiendra-t-il toujours Gauguin, dont le « primitivisme » paraît essentiellement contraire à la délicatesse de ses œuvres et, d’une façon générale, relever d’une esthétique différente).

Dans les premières années 1870, Gauguin peint des paysages dans une manière qui rappelle celle de Corot et des artistes de Barbizon, par exemple Clairière[4]Orléans, musée des Beaux-Arts, en 1874, ou La Seine au pont d’Iéna, temps neigeux[5]Paris, musée d’Orsay, en 1875, mais aussi des natures mortes comme Cerises et carafon ou Jacinthes et pommes sur un journal[6]Ces deux oeuvres appartiennent à des collections privées.. Il obtient un modeste premier succès en 1876 en réussissant à exposer un tableau au Salon de Paris, Sous-bois, à Viroflay[7]Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek.

En avril 1877, présent à Paris, Gauguin a très certainement visité la troisième exposition des Impressionnistes, la dernière à laquelle Cezanne participa, mais en y occupant grâce à Pissarro une place d’honneur, au centre, avec dix-sept œuvres, dont en particulier quatre paysages que l’on voudrait pouvoir identifier avec certitude, les Baigneurs au repos[8]Merion (Philadelphie), Fondation Barnes, trois études de fleurs[9]Dont le Bouquet de fleurs dans un vase bleu, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage. et trois aquarelles. Zola écrit à cette occasion que Cezanne « est à coup sûr le plus grand coloriste du groupe[10]Émile Zola, Notes parisiennes – Une Exposition : les Peintres impressionnistes (19 avril 1877).. »

Si Gauguin connaît Pissarro depuis 1874, l’influence de celui-ci sur ses œuvres ne deviendra évidente qu’à partir de 1879, lors de son premier séjour chez lui, à Pontoise, au cours de l’été, au lendemain de sa première participation à une exposition des Impressionnistes, la quatrième, en avril-mai, avenue de l’Opéra. Participation précisément obtenue grâce au soutien de Pissarro (et de Degas), et certainement in extremis puisque son nom ne figure même pas dans le catalogue de l’exposition ; il n’y présente d’ailleurs qu’une œuvre, une sculpture en marbre de facture assez classique, le buste de son fils Émile enfant[11]New York, The Metropolitan Museum of Art, ce qui est plutôt surprenant.

Durant cette période où il gagnait très bien sa vie chez Bertin, Gauguin sut réunir une importante collection de tableaux qui font de lui l’un des tout premiers collectionneurs de ceux de Cezanne. Plus tard, il notera dans un carnet qu’il en avait acquis alors cinq : L’ Allée[12]Göteborg, Konstmuseum., La Maison de Zola à Médan[13]Glasgow, Kelvingrove Art Gallery and Museum. L’œuvre est aussi appelée Le Château de Médan., La Moisson[14]Japon, collection privée. Van Gogh a vu l’œuvre à Paris et, dans une lettre de mai 1888 à son frère Théo, il parle à son propos du « côté âpre de la Provence » que Cezanne a su y rendre , une nature morte, Compotier, verre et pommes[15]Compotier, verre et pommes, dit aussi Nature morte au compotier, 1879-1880, huile sur toile, 46 x 55 cm, Paris, collection privée., et Montagnes en Provence[16]Cardiff, National Museum of Wales. Le lieu représenté n’a toujours pas été identifié. On y a parfois vu, à tort, le lac du barrage Zola, à l’est d’Aix-en-Provence. Faut-il penser à un paysage entièrement recomposé, ce qui étonnerait de la part de Cezanne, toujours si attaché au motif ? Dans leur catalogue raisonné The Paintings of Paul Cézanne, John Rewald en collaboration avec Walter Feilchenfeldt et Jayne Warman, Volume I, The Texts, Londres, Thames and Hudson, 1996, pp. 259-262, notice n°391, ajoutent sans argument, à propos de ce tableau, en usant de parenthèses et d’un point d’interrogation : (près de L’Estaque ?). Voir aussi le site de la Société Paul Cezanne (www.societe–cezanne.fr), Chronologie, Année 1893. , toutes œuvres peintes par Cezanne au cours des années 1879-1880 (sauf La Moisson, qui daterait de 1877), que Gauguin acheta au père Tanguy, dans sa boutique de la rue Clauzel – que Pissarro fréquentait aussi –, où l’on pouvait voir et acquérir très bon marché beaucoup d’œuvres de Cezanne[17]Dans une lettre à Emmanuel Bibesco de mai 1900, Gauguin dit avoir possédé douze Cezanne (Gauguin, Lettres à  sa femme et à ses amis, recueillies, annotées et préfacées par Maurice Malingue, Paris, éditions Bernard Grasset, Les Cahiers rouges, 1946, lettre CLXXIII, p. 301).. Il faut citer ici la lettre que Gauguin écrivit à Pissarro en juillet 1883 :

« Je fais réentoiler en ce moment deux tableaux de Césanne [sic], j’ai fini par les extorquer à Tanguy dans les prix doux 120f la paire. Vous devez les connaître l’un est une allée ébauchée, les arbres rangés comme des soldats et les ombres portées en gradin comme un escalier. L’autre est une vue du Midi inachevée mais cependant très poussée. Bleu vert et orangé. Je crois que c’est tout simplement une merveille […][18]Lettre de Gauguin à Pissarro, non datée, entre le 25 et le 29 juillet 1883 ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, n°38, pp. 50-51. ».

Le premier tableau est L’Allée, l’autre Montagnes en Provence, une oeuvre que le grand critique d’art anglais Roger Fry déclarera « one of the greatest of all Cézanne’s landscapes[19]Revue The New Statesman, Londres, 27 mai 1922. » et qui allait curieusement inspirer Gauguin quelques mois plus tard.

Mais en juillet 1881, de façon imprévisible, dans une lettre à son « cher Professeur » Pissarro, Gauguin paraît bien se moquer gentiment de Cezanne :

« Mr Cézanne a-t-il trouvé la formule exacte d’une œuvre admise par tout le monde ? S’il trouvait la recette pour comprimer l’expression outrée de toutes ses sensations dans un seul et unique procédé je vous en prie tâchez de le faire causer pendant son sommeil en lui administrant une de ces drogues mystérieuses et homéopathiques et venez au plus tôt à Paris nous en faire part[20]Lettre de Gauguin à Pissarro, [juillet 1881] ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, op. cit., n°16, p. 21. On sait que Pissarro était un fervent adepte de l’homéopathie.. »

Il est bien difficile de ne pas entendre dans ces phrases la suite de conversations que Gauguin a pu avoir avec Cezanne cette année-là. En effet, les deux artistes qui, selon Joachim Gasquet, s’étaient déjà rencontrés auparavant chez le père Tanguy[21]Joachim Gasquet, Cézanne, Grenoble, éditions Cynara, 1988, p. 75. Cette édition reprend sans ajout l’édition originale du texte publié à Paris par les éditions Bernheim-Jeune en 1921 puis en 1926 : « Il [Cezanne] rencontra Gauguin chez le père Tanguy et au café, mais rarement. » Le texte fut sans doute écrit par Gasquet en 1912-1913., se retrouvèrent à Pontoise, auprès de Pissarro, au printemps 1881, et, même si rien ne l’atteste vraiment, on aimerait en savoir davantage sur cette rencontre très probable : savoir comment deux hommes aux caractères si différents et aux esthétiques déjà si différentes, ont travaillé en grande proximité, ont dû parler ensemble, etc.[22]Sur cette probable rencontre, on dispose toutefois d’un témoignage hélas très tardif, celui de Pola Gauguin, le fils du peintre : « Mais Cézanne nourrissait la méfiance la plus déterminée pour tout ce qui sentait la bourgeoisie […]. De son côté  Gauguin considérait ce Provençal grossier et assez peu soigné qui usait d’un langage énergique et passablement trivial comme un rustaud qu’il valait mieux tenir à distance. La complète indifférence de Cézanne pour l’argent et son désordre dans ce domaine déplaisaient à Gauguin […]. Son antipathie allait si loin qu’il défendit à son fils Emil, âgé de six ans, de jouer avec Paul, le fils de Cézanne. »  (Pola Gauguin, Paul Gauguin mon père, traduit du norvégien par Georges Sautreau, Paris, Les Éditions de France, 1938, pp. 62-63). Je remercie Monsieur François Chédeville de m’avoir signalé ce texte.. Mais aucun témoignage, aucun document ne le permet, et Cezanne n’en dit mot dans les lettres qu’il écrit alors à Zola, ce qui surprend si cela a bien eu lieu… Dans son grand livre sur Gauguin, Françoise Cachin note en passant que celui-ci a « observé alors très attentivement la façon de peindre » de Cezanne, mais en ajoutant aussitôt que Cezanne ne joua « un rôle primordial dans l’évolution de Gauguin[23]Françoise Cachin, Gauguin, Paris, éditions Flammarion, 1988, p. 28. Toutefois, dans ses Souvenirs sur Paul Cézanne publié en 1907, Émile Bernard a rapporté ce propos de Cézanne : «  Je n’ai jamais souffert que l’on me regarde travailler, je ne veux rien faire devant quelqu’un. » (repris dans Conversations avec Cézanne, édition critique présentée par P. M. Doran, Paris, collection Macula, 1978, p. 60). Ambroise Vollard confirme cela dans En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, Paris éditions Bernard Grasset, 1985, p. 60. La première édition du texte, assurée par Vollard lui-même, date de 1914. » que plus tard, lors de son premier séjour à Pont-Aven, en 1886. Là où il va rencontrer, entre autres peintres, Émile Bernard qui, lui aussi, racontera dans un article de 1904 avoir fréquenté la boutique du père Tanguy pour y voir des tableaux de Cezanne : « Il y aura vingt ans bientôt, écrit-il, que de jeunes peintres, dont aujourd’hui Paris se préoccupe, se rendaient en pieux pèlerinage en une petite et sombre boutique de la rue Clauzel. Arrivés là, ils demandaient à un vieillard armoricain au socratique visage, des tableaux de Paul Cézanne[24]Émile Bernard, Propos sur l’art 1, Paris, éditions Séguier, 1994, p. 89. Première publication en juillet 1904 dans le n° 32 de la revue L’Occident.. » À Pont-Aven, il est donc très probable que Gauguin et Émile Bernard aient parlé de Cezanne, qu’ils admiraient l’un et l’autre, mais celui-ci avait bien pu leur laisser croire, sans s’expliquer davantage, qu’il existait une « formule » (il utilisera assez souvent le mot plus tard) que tout peintre devait rechercher inlassablement, – d’où la phrase moqueuse de Gauguin.

Il est par ailleurs intéressant de noter que Gauguin parle ici à Pissarro de « l’expression outrée de toutes ses sensations [celles de Cezanne] » quand on songe que Cezanne dira un jour, d’une façon assez inattendue, car on ne voit rien qui justifie une telle critique dans les paysages de Gauguin, que celui-ci s’était emparé de sa « petite sensation », sans davantage de précision – un propos rapporté par Maurice Denis : « Il aimait à parler avec une apparente modestie de sa petite sensation, de sa petite sensibilité. Il se plaignait que Gauguin la lui eût prise, et qu’il l’eût « promenée dans tous les paquebots. »[25]Maurice Denis, « Cézanne », article publié dans L’Occident en septembre 1907 ; cf. Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 180. Ce propos est repris par Ambroise Vollard dans « Ma visite à Cézanne », dans En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 49. Cette visite de Vollard date de 1896. ». Il y a bien lieu de s’interroger sur ce que recouvre exactement ici ce mot vague de « sensation » que Cezanne et Gauguin devaient prendre dans un sens différent. La question se pose d’autant plus qu’il s’agit certainement là, tout au moins pour Cezanne, de l’expression par la couleur, ce que suggère le fait qu’il parlera plusieurs fois, dans sa correspondance tardive, de ses « sensations colorantes »[26]Dans trois lettres à Émile Bernard (des 25 juillet et 23 décembre 1904, et du 23 octobre 1905) et dans une lettre à son fils (3 août 1906) : cf. Cézanne. Correspondance, recueillie, annotée et préfacée par John Rewald. Nouvelle édition complète et définitive, Paris, éditions Bernard Grasset, 1978, pp. 305, 308, 315 et 318. .

Toujours est-il que les œuvres peintes par Gauguin dans les années 1880-1882, notamment celles qu’il présenta aux sixième et septième expositions impressionnistes (du 2 avril au 1er mai 1881, et en mars 1882), ne révèlent pas une influence importante de Cezanne. Le grand Intérieur du peintre à Paris, rue Carcel, par exemple, ou Coin de mur, effet de nuit, ou encore Fleurs et tapis[27]Intérieur du peintre à Paris, rue Carcel  (1881), Oslo, Galerie nationale : Coin de mur, effet de nuit (1881), collection privée ; Fleurs et tapis (1880), collection privée.  sont traités en touches vivement brossées, bien visibles, avec un rendu duveteux qui fait parfois penser à Renoir[28]De Renoir, Cezanne disait durement : « Il voit cotonneux. » (Joachim Gasquet, Cézanne, op. cit., p. 148).. Toutefois, on peut noter, sans doute suscité par les natures mortes que Cezanne produisait alors en assez grand nombre, un intérêt nouveau de Gauguin pour ce genre, avec par exemple sa Nature morte à la cruche d’argile et au pichet de fer, ou celle à la coupe d’oranges[29]Nature morte à la cruche d’argile et au pichet de fer (1880), Chicago, Art Institute ; Nature morte aux oranges(1880), Rennes, musée des Beaux-Arts., et, plus tard, son Portrait de femme à la nature morte de Cezanne de 1890. Il y a aussi quelques portraits faits par Gauguin dont l’aplomb et certains détails (comme le papier peint à fleurs derrière le modèle) évoquent incontestablement Cezanne[30]Par exemple le Portrait de Suzanne Bambridge du musée de Bruxelles (cf. illustration)..

Gauguin, Portrait de Suzanne Bambridge, 1891, huile sur toile, 70 x50 cm, Bruxelles, musée des Beaux-Arts de Belgique

Cezanne, Portrait de Madame Cézanne à l’éventail, 1881, huile sur toile, 81 x 66 cm, Zurich, collection Emil G. Bührle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En revanche, l’originalité du talent de Gauguin se manifeste dès ces années-là dans sa façon de choisir et de composer certains sujets, en particulier ceux que lui inspire sa fille Aline : Intérieur avec Aline Gauguin, dont tout le premier plan est d’ailleurs occupé, pour ne pas dire envahi, par une grande nature morte qui relègue la figure de l’enfant à l’arrière (ce qui en accroît délicatement le mystère), et surtout La petite rêve, dite aussi L’Enfant endormie[31]Intérieur avec Aline Gauguin (1881), Sheffield, Millennium Gallery ; La petite rêve (1881), Copenhague, Ordrupgaard Sammlungen. Cette dernière œuvre fut présentée à la septième Exposition impressionniste, en 1882., une œuvre qui, outre le fait surprenant de représenter la figure de dos, fait déjà clairement place à une forme de symbolisme avec les feuilles et les oiseaux noirs du papier peint au-dessus d’elle, et le petit polichinelle rouge au premier plan. On perçoit ici un plaisir de « raconter », qui est tout à fait étranger à Cezanne et va au-delà ou reste en deçà de la pure recherche picturale.

Gauguin, La petite rêve dite aussi L’Enfant endormie, 1881, huile sur toile, 59,5 x 73,5 cm, Copenhague, Ordrupgaard Sammlungen

Dans les années qui suivent cette rencontre à Pontoise chez Pissarro en 1881, il est peu probable que Cezanne et Gauguin aient eu l’occasion de se revoir ; peut-être se sont-ils croisés à
Paris à la fin de 1887 ou au printemps 1889, ce que l’on sait de la chronologie de leurs vies permet de l’imaginer, mais rien ne le prouve. Ce qui au contraire paraît sûr, c’est que l’admiration de Gauguin pour les œuvres de Cézanne restait constante, comme le montre une lettre de juillet 1884, où il raconte à Pissarro avoir vu chez le père Tanguy « quatre Césanne [sic] très travaillés de Pontoise : voilà des merveilles d’un art essentiellement pur et qu’on ne se lasse pas de regarder –[32]Lettre de Gauguin à Pissarro, Copenhague, vers le 10 juillet 1884 ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, op. cit., n° 49, p. 65. » Il est probable que ces quatre tableaux de Cezanne peints à Pontoise, hélas impossibles à identifier avec certitude, aient agréablement remémoré à Gauguin leur séjour commun dans cette ville en 1881. Mais, quelques mois après cette lettre à Pissarro, en janvier 1885, depuis Copenhague, Gauguin en écrit une autre bien étrange à son vieil ami Émile Schuffenecker (ils s’étaient connus chez l’agent de change Bertin, où tous deux avaient travaillé). Rédigée sans doute très vite, sans relecture, elle n’est pas d’une grande clarté et semble se complaire à inventer une image irréelle du peintre d’Aix :

« Voyez Césanne [sic] l’incompris, la nature essentiellement mystique de l’Orient (son visage ressemble à un ancien du Levant) il affectionne dans la forme un mystère et une tranquillité lourde de l’homme couché pour rêver, sa couleur est grave comme le caractère des Orientaux ; homme du Midi il passe des journées entières au sommet des montagnes à lire Virgile et à regarder le ciel, aussi ses horizons sont élevés ses bleus très intenses et le rouge chez lui est d’une vibration étonnante. Comme Virgile qui a plusieurs sens et que l’on peut interpréter à volonté, la littérature de ses tableaux a un sens parabolique à deux fins ; ses fonds sont aussi imaginatifs que réels. Pour résumer quand on voit un tableau de lui on s’écrie, Étrange mais c’est une folie – Écriture séparée mystique, dessin de même[33]Lettre de Gauguin à Schuffenecker, Copenhague, 14 janvier 1885 ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance avec Paul Gauguin, op. cit., n° 65, p. 88.. »

Il est en effet assez difficile de reconnaître Cezanne dans cette description qui fait de lui un contemplatif rêveur et vaguement mystique[34]Il est intéressant de noter qu’Émile Bernard parlera aussi de Cezanne comme d’un mystique ; cf. Conversations avec Cézanne, op. cit., pp. 38-39., quand on sait que Cezanne ne louait que le seul travail[35]Ainsi Joachim Gasquet rapporte ce propos du maître : « Travailler !… Il n’y a que ça… » (Cézanne, op. cit., p. 207) et note qu’il terminait souvent ses phrases par l’impératif « Allons travailler » ou « Travaillons » (pp. 95, 99, 105, 157, 191). et l’acharnement qu’on y mettait. Puis il ne passait pas son temps à grimper sur les montagnes (sans doute fit-il quelques ascensions de la Sainte-Victoire avec Zola, puis plus tard, Philippe Solari, mais le fait est qu’il n’en parle jamais) et il lisait autant Stendhal, Baudelaire, Balzac et Flaubert que Virgile. Il est aussi abusif de parler de « littérature », comprise comme pur abandon à l’imaginaire, à propos des tableaux d’un homme qui déclarait qu’un artiste devait toujours « redouter l’esprit littérateur « qui fait si souvent le peintre s’écarter de sa vraie voie – l’étude concrète de la nature – pour se perdre trop longtemps dans des spéculations intangibles[36]Lettre de Cezanne à Émile Bernard, Aix, 12 mai 1904 ; Cézanne, Correspondance  recueillie, annotée et préfacée par John Rewald. Nouvelle édition complète et définitive, Paris, édition Bernard Grasset, 1978, pp. 301-302.. » Le terme « littérature » ne s’appliquerait-il pas d’ailleurs beaucoup mieux aux œuvres de Gauguin ? En outre, le terme de « folie » utilisé ici, rappelle fâcheusement les violentes critiques que les œuvres de Cezanne avaient d’abord suscitées[37]Ainsi le critique Marc de Montifaud écrivit en 1874, l’année de la première Exposition impressionniste, dans l’article « Exposition du boulevard des Capucines », dans L’Artiste. Revue du XIXe siècle – Histoire de l’art contemporain : « M. Cézanne n’apparaît plus que comme une espèce de fou, agité en peignant du delirium tremens. » .

Mais il est clair que si Gauguin ne comprenait guère l’homme Cezanne, avec lequel rien ne prouve qu’il ait vraiment sympathisé, et donnait ainsi de lui une image quasi caricaturale, il est certain que son admiration pour son œuvre restait entière, quand même ses moyens ne lui permettaient plus d’acquérir de nouveaux tableaux de lui. Il la manifeste d’ailleurs cette même année 1885 d’une manière inattendue, en copiant sur une toile d’éventail le paysage du tableau Montagnes en Provence[38]Gauguin, Montagnes en Provence, éventail, gouache sur toile,  Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek. Pour le tableau de Cezanne, cf. supra note 16.  qu’il avait acheté en 1883.

Cezanne, Montagnes en Provence, vers 1879, huile sur toile, 53,5 x 72,4 cm, Cardiff, National Museum of Wales

Gauguin, Éventail, Montagnes en Provence, d’après Cezanne, 1885, gouache sur toile, 28 x 57 cm, Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek

Si l’idée de peindre des éventails était dans l’air du temps, avec le japonisme à la mode, comme le montrent ceux réalisés par Degas en 1879-1880[39]Par exemple : La Farandole, gouache sur soie, Suisse, collection privée ; Le Ballet, gouache sur soie, Paris, musée d’Orsay ; Danseuses, gouache et pastel sur soie, Washington, Tacoma Art Museum. il est à noter que Pissarro peignit aussi quelques éventails, par exemple Coteaux de Chaponval (Paris, musée d’Orsay, le fait que Gauguin choisisse ce support pour y reprendre un paysage de Cezanne peut paraître singulier : on dirait qu’avec cette œuvre il rapproche et cherche à concilier symboliquement, inconsciemment ou non, l’image qu’il porte en lui de deux maîtres admirés entre tous. Mais on imagine aisément ce que Cezanne aurait dit d’une telle œuvre s’il l’avait connue… La nature même d’objet usuel de l’éventail, qui réduisait son tableau au statut de simple motif décoratif, et sa forme qui en détruisait évidemment la savante composition, l’auraient sans doute mis hors de lui. De cela Gauguin ne s’est aucunement préoccupé et il faut considérer cet éventail comme un simple hommage privé qu’il n’exposa jamais mais offrit à un peintre ami danois, Pietro Krohn[40]Pietro Krohn (1840-1905) fut également directeur du musée national du Danemark, à Copenhague. – et qui ne diminue bien sûr en rien la grande admiration qu’il portait au tableau de Cezanne, si grande même qu’il chercha (en vain) à le récupérer après que sa femme dans le besoin l’eut vendu à Copenhague : en décembre 1893, il lui demandait donc de voir si l’acquéreur, l’écrivain danois Edvard Brandes, n’accepterait pas de lui restituer le « Césane [sic] avec les toits rouges » en échange de l’une de ses œuvres ramenées de Tahiti, et il ajoutait en soulignant ses mots : « J’aimerais énormément à avoir ce tableau. »

Il est frappant que Gauguin, quand il évoque cette œuvre, ne parle jamais que de ses couleurs : une fois de son « Bleu vert et orangé[41]Cf. supra » , ici de ses « toits rouges » (quand, dans le tableau, il n’y en a qu’un), sans s’arrêter à sa composition ni au caractère bien distinct, à des endroits presque emporté, de ses touches, – qui explique peut-être, d’ailleurs, que Gauguin ait considéré le tableau comme « inachevé » quand rien n’est moins sûr. Cezanne use déjà là d’une technique qui n’a plus grand-chose à voir avec celle de ses amis impressionnistes, qui cherchaient d’abord à rendre des sensations fugitives, des effets de lumière ou d’atmosphère : le principe qu’ils suivaient de la division des tons, propre à restituer plus finement la vibration d’une couleur, fait place à l’usage d’une gamme de couleurs assez réduite, et pour tous les « objets », tels les arbres en l’occurrence, de touches saisissant d’un coup leur forme, même sommairement, afin d’organiser la composition et d’assurer son unité par la reprise des mêmes couleurs. Ainsi dans Montagnes en Provence, les verts des feuillages des arbres et les jaunes de la terre encerclent prestement le motif central, composé par le bleu du lac et le rouge du toit de la maison, qui prend du coup une force particulière. On sent qu’ici le propos du peintre est moins de restituer des sensations que de mettre le motif au service de la peinture, de mettre celle-ci en évidence. Et en ce sens, d’une certaine façon, le paysage devient quasi secondaire – même si, dans le cas de Cezanne, l’artiste était extrêmement attaché au pays d’Aix –, il n’y a pas lieu d’aller le chercher bien loin, il suffit d’en retenir quelques uns que l’on connaît et que l’on aime, près de chez soi. C’est d’ailleurs ce que Degas reprochait avec humour à Gauguin, en dépit de toute l’admiration qu’il lui portait[42]« Degas plaçait Gauguin très haut mais, disait-il,  » Aux Batignolles, ne peut-on pas faire d’aussi bonne peinture qu’à Tahiti ? » » Ambroise Vollard, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Paris, éditions Albin Michel, 1984, p. 184. . Et Félix Fénéon notera de son côté, avec finesse : « Mais est-il certain que, dédiés à toute autre région, ils [les tableaux de Cezanne] eussent revêtu un aspect sensiblement différent ? C’est la Provence peut-être qui, devant nos regards fervents, s’est modelée sur lui, et non pas lui sur elle. Et n’importe où, Cezanne, imperturbablement, eût fait des Cézanne[43]Félix Fénéon, article « Cézanne » dans Œuvres plus que complètes. Textes réunis et présentés par Joan U. Halper, tome 1, Genève-Paris, Librairie Droz, 1970, p. 309. . »

Vers la fin de cette même année 1885, dans une situation très précaire, Gauguin écrivait à sa femme qui, demeurée à Copenhague, songeait déjà à vendre certains tableaux qu’il lui y avait apportés l’année précédente :

« J’ai laissé en Danemarck [sic] les tableaux et au train que cela prend, un jour je n’aurai plus rien. Je tiens à mes deux Cézanne, qui sont rares de ce genre là, car il en a fait peu d’achevés, et un jour ils auront une très grande valeur. Vends plutôt le dessin de Degas […][44]Lettre de Gauguin à Mette, non datée [fin novembre  1885] ; Lettres de Gauguin à sa femme et à ses amis, op. cit., lettre XXX, p. 75. Les deux œuvres de Cezanne sont L’Allée et Montagnes en Provence achetées par Gauguin au père Tanguy : cf. supra notes 12 et 15.. »

À cette date Gauguin fait ainsi preuve d’une véritable intuition prémonitoire, qui ne se vérifiera que quelques années plus tard. Mais l’on peut s’étonner qu’il semble considérer que Cezanne laissait beaucoup d’œuvres inachevées, ce qui n’est aucunement le cas pour la plupart de ses paysages et natures mortes de ces années-là. Plus étonnant encore : il sous-entend ici que les deux tableaux en cause seraient des œuvres « achevées », quand lui-même qualifiait explicitement l’un d’eux, Montagnes en Provence, de « vue du Midi inachevée » deux ans plus tôt, dans sa lettre de juillet 1883 à Pissarro[45]Cf. supra et note 18., et le fait est que ce paysage, plus que d’autres peints par Cezanne au cours de cette période, pourrait paraître inachevé.

En réalité, cette question posée de l’achèvement d’un tableau éclaire une différence d’approche des motifs par les deux peintres. À la fin de sa vie, en 1905, Cezanne écrira à Émile Bernard :

« […] les sensations colorantes qui donnent la lumière sont chez moi cause d’abstractions qui ne me permettent pas de couvrir ma toile, ni de poursuivre la délimitation des objets quand les points de contact sont ténus, délicats ; d’où il ressort que mon image ou tableau est incomplète[46]Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 23 octobre 1905, p. 315. Il y a aussi cette phrase de Cezanne : « Comprenez un peu, monsieur Vollard, le contour me fuit ! » dans Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 63.. »

Tout au contraire, la voie que Gauguin, Schuffenecker, Émile Bernard, Louis Anquetin et d’autres peintres vont ouvrir dès juin 1889 (soit trois ans après l’ultime exposition impressionniste), au Café des Arts, à Paris, avec l’exposition assez étrangement intitulée « impressionniste et synthétiste »[47]Exposition appelée aussi « Exposition Volpini » du nom du gérant du Café des Arts., comme si une continuité réelle existait entre les deux pratiques, les deux esthétiques, cette voie s’oppose directement à ce que Cezanne désignait en parlant de ces « abstractions » qui allaient jusqu’à l’empêcher d’achever ses tableaux. En effet, le traitement des formes par larges aplats de couleurs souvent cernés par un trait noir ou gris, comme dans La Vision après le sermon ou La Famille Schuffenecker[48]Gauguin, La Vision après le sermon, 1888, Édimbourg, National Gallery of Scotland. ; Gauguin, La Famille (ou L’Atelier de) Schuffenecker, 1889, Paris, musée d’Orsay., annule d’un coup l’incertitude ou l’inquiétude que peut susciter le rendu de leurs zones de contact, soit l’harmonie que leur juxtaposition nécessite. Et sur cette question complexe qui implique à la fois le dessin et les couleurs, Cezanne poursuivait sa lettre à Émile Bernard en critiquant le néo-impressionnisme (et ce mot désigne sous sa plume Gauguin et ses émules, nullement Seurat) qui, précisait-il, « circonscrit les contours d’un trait noir, défaut qu’il faut combattre à toute force[49]Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 23 octobre 1905, p. 315. C’est aussi, selon Joachim Gasquet (Cézanne, op. cit., p. 167), ce que Cézanne aurait reproché aux artistes  japonais : « ils cernent brutalement leurs bonshommes, leurs objets, d’un trait brut, schématique, appuyé […]. Rien ne vit. ». On a peine à croire ce témoignage.. » Le « cloisonnisme » du jeune groupe était donc pour lui un grand péril à écarter.

Sans prendre ombrage de ces réserves essentielles qui auraient dû l’inquiéter, mais que Cezanne sans doute n’exprimait pas encore aussi clairement ou bien formulait avec modération en présence de ses amis, Gauguin lui rendit en 1890 un nouvel hommage pictural en peignant le Portrait de femme à la nature morte de Cezanne[50]Portrait de femme à la nature morte de Cezanne, 1890, huile sur toile, 65 x 55 cm, Chicago, The Art Institute. On reconnaît généralement dans ce portrait Marie Merrien (dite Lagadu, c’est-à dire « les yeux noirs » en breton), qui travaillait à la célèbre pension-auberge Gloanec, à Pont-Aven., avec, à l’arrière-plan, la nature morte qu’il avait acquise une dizaine d’années plus tôt, soit très peu de temps après qu’elle avait été peinte par Cezanne : Compotier, verre et pommes[51]Cf. supra note 15. On retrouve cette oeuvre dans l’Hommage à Cézanne peint par Maurice Denis en 1900-1901 (Paris, musée d’Orsay), où curieusement, Gauguin – qui possédera l’œuvre – ne figure pas dans le groupe des artistes représentés, même si sa présence tutélaire est discrètement évoquée par l’un de ses tableaux à l’arrière-plan.. Et l’on sait que Gauguin tenait à cette œuvre au moins autant qu’à Montagnes en Provence comme il ressort de la lettre qu’il écrivit à son sujet, en juin 1888, à Émile Schuffenecker : « Le Césanne [sic] que vous me demandez est une perle exceptionnelle et j’en ai déjà refusé 300 fr. ; j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux et à moins de nécessité absolue je m’en déferai après ma dernière chemise. Du reste quel est donc le fou qui se paierait celà – Vous ne m’en dites rien –[52]Lettre de Gauguin à Schuffenecker, [Pont-Aven, début juin 1888] ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, op. cit., n°147, p. 182. ». Gauguin se résoudra toutefois à le vendre en 1897, depuis Tahiti, par l’intermédiaire de son marchand Georges Chaudet, pour payer des frais médicaux. Pour autant, il n’oubliera jamais le tableau et il en parle encore dans Avant et après, son dernier écrit, en 1903 (l’année de sa mort), comme s’il l’avait sous les yeux : « D’un compotier les raisins mûrs dépassent la bordure : sur le linge les pommes vert pomme et celles rouge prune se marient – Les blancs sont bleus et les bleus sont blancs – Un sacré peintre que ce Cézane [sic][53]Paul Gauguin, Avant et après, dans Oviri. Écrits d’un sauvage, op. cit. p. 305.. » Cette très grande admiration pour lui, Gauguin l’éprouva toute sa vie : « […] soyez persuadés que la peinture colorée entre dans une phase musicale, avait-il encore écrit l’année précédente. Cezanne, pour citer un ancien, semble être un élève de César Franck ; il joue du grand orgue constamment, ce qui me faisait dire qu’il était polyphone[54]Paul Gauguin, Racontars de rapin, dans Oviri. Écrits d’un sauvage, op. cit. p. 256. Il est singulièrement émouvant de voir Cezanne traité d’« ancien » en 1902.. » Pour autant, Gauguin n’a jamais été « l’élève soumis » de Cezanne, comme l’écrivit un jour Camille Mauclair[55]Camille Mauclair, « M. Paul Cézanne », dans Gil Blas, lundi 18 novembre 1895, p. 2.. L’admirateur de toujours, certes, mais l’élève, jamais, et encore moins « soumis ».

Cezanne, Nature morte au compotier, 1879-1880, huile sur toile, 46 x 55 cm, New York, Museum of Modern Art

Gauguin, Portrait de femme à la nature morte de Cezanne, 1890, huile sur toile, 65 x 55 cm, Chicago, The Art Institute

Ce Portrait de femme à la nature morte de Cezanne est un tableau bien étrange. Pour n’être pas absolument originale si l’on pense à certaines peintures anciennes[56]Parmi beaucoup d’exemples, Le Prêteur et sa femme de Quentin Metsys (Paris, musée du Louvre)., l’idée même d’user dans une même œuvre de deux genres différents, paraît plus singulière par le fait que la nature morte n’est pas ici « réelle » mais copie une peinture, d’abord en l’agrandissant nettement (par rapport à la figure), puis en usant d’elle d’une façon trompeuse, comme s’il s’agissait d’un papier peint derrière la figure (aussi cette copie de la peinture de Cezanne n’a-t-elle pas de cadre, contrairement aux tableaux assez souvent reproduits derrière des personnages dans de nombreuses œuvres hollandaises, par exemple de Vermeer ou de Gabriel Metsu). On peut imaginer qu’au-delà du simple hommage au maître admiré, Gauguin oppose ainsi la « vraie » vie à laquelle il rêve depuis toujours, représentée ici par la servante de la pension Gloanec, aux choses immobiles des natures mortes et aux illusions de l’art, fussent-elles merveilleuses. S’établirait alors, voulue ou non, avec ce couteau obliquement tendu vers la jeune femme, une sorte de concurrence symbolique entre les deux voies que le peintre a inlassablement parcourues : celle d’une vie libérée des mensonges de la civilisation – mais la peinture n’en est-elle pas un ? – et celle d’un art qu’il voudrait « simple », dit-il. Un art qui, en fait, n’a rien de simple quand on voit ici le grand raffinement des tons de rose et de violet du corsage de la dame et du revêtement du fauteuil derrière elle.

En réalité, ce qui apparaît clairement dans plusieurs tableaux de Gauguin de ces années 1888-1890, et en particulier dans deux de ses autoportraits, construits sur le même principe d’une image « significative »[57]Celui conservé à Paris au musée d’Orsay : Autoportrait au Christ jaune (1889-1890), comme celui intitulé Portrait charge de Gauguin (1889) de la National Gallery of Art, à Washington, – et c’est le même principe dans le Portrait du peintre Louis Roy (1889) appartenant à une collection privée., c’est le fait que soit ajouté à la représentation du sujet un sens qu’elle ne saurait apparemment avoir toute seule, et qui reste « extérieur » à la peinture (ce que Cezanne n’a jamais fait, dans aucun de ses vingt-cinq autoportraits peints[58]Cezanne s’est aussi représenté dans 24 ou 25 dessins (l’un d’eux, La morsure, est contesté) et une aquarelle. Il est remarquable qu’il ne se représente jamais sans autre « accessoire » qu’une fois son chevalet et sa palette (tableau de la ollection Emil. G. Bührle, à Zurich), rien donc qui évoque exclusivement la peinture. ). Ainsi dans son Autoportrait au Christ jaune, on ne peut pas éviter d’associer l’évocation de la Crucifixion du Christ au destin malheureux de Gauguin : au sacrifice qu’il avait consciemment consenti pour se lancer dans une carrière très périlleuse, après avoir mené une vie confortable quand il travaillait chez Bertin. Et même quand il peint une nature morte comme Fête Gloanec[59]Gauguin, Nature morte Fête Gloanec (1888), Orléans, musée des Beaux-Arts., il ajoute une légende au tableau, dans le tableau, pour que l’on sache bien qu’il évoque un événement heureux à la pension Gloanec et nulle part ailleurs (comme si cela avait une véritable importance). Le Portrait de femme à la nature morte de Cezanne peut ainsi surprendre puisque cette femme, Marie Derrien dite Lagadu[60]Cf. supra note 50., était une simple employée de cette pension et qu’il est douteux qu’elle eût apprécié l’art de Cezanne si elle avait pu voir de ses œuvres. Ou bien faut-il imaginer une « affaire » entre elle et Gauguin, dont lui seul aurait connu le sens et qui expliquerait pour partie son très grand attachement à l’œuvre.

De même, dans le célèbre portrait de La Belle Angèle[61]Gauguin, La Belle Angèle (1889), Paris, musée d’Orsay. L’œuvre appartint à Degas, qui l’acquit à la vente que Gauguin organisa de ses tableaux le 23 février 1891., le fait de le détacher dans un grand médaillon et de lui ajouter à gauche une poterie assez inquiétante, inspirée de statuettes de la culture péruvienne mochica (hommage, sans doute, aux années de petite enfance que Gauguin passa au Pérou), change le sens de la simple représentation d’un visage de femme : lui donne à la fois l’aspect d’un objet précieux, à l’écart du monde vivant, et un caractère vaguement inquiétant, de nature littéraire, son regard entrant en résonance avec celui de la statuette.

Gauguin, La Belle Angèle, 1889, huile sur toile, 92 x 73 cm, Paris, musée d’Orsay

Cezanne, Portrait de Madame Cezanne, 1890, huile sur toile, 81 x 65 cm, Paris, musée de l’Orangerie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que l’on compare ainsi ce portrait aux différents portraits de Madame Cezanne peints par son mari au cours de ces mêmes années 1888-1890[62]À Paris, au musée d’Orsay et au musée de l’Orangerie, au Detroit Institute of Arts, au Houston Museum  of Fine Arts… et l’on voit tout de suite paraître une irréductible différence entre l’un et les autres, et qui ne porte pas du tout sur leur qualité d’exécution, remarquable, mais sur leurs visées profondes. Gauguin compose une image sans crainte de distraire l’attention, en invitant même à s’interroger sur la signification exacte ou possible de tel ou tel détail qu’il veut suggestif bien plus que plastique, quand Cezanne ne s’attache qu’à la figure elle-même en cherchant à lui donner, avec les seuls moyens de la peinture, une existence de création réelle[63]C’est l’idée cézannienne de l’art comme « harmonie parallèle à la nature ». Cf. infra page 24 et note 78., d’œuvre qui, par surcroît, au-delà de l’étude des formes, va entrer en profondeur dans la figure, la comprendre. Et quand, exceptionnellement, il ajoute des détails « narratifs », comme la cafetière, la tasse et la cuillère dans le grand portrait de femme conservé au musée d’Orsay[64]C’est l’idée cezannienne de l’art comme « harmonie parallèle à la nature ». Cf. infra page 24 et note 78., ces détails qui modifient à peine la perception de la figure, n’ont rien de mystérieux ni de littéraire, et leur intérêt est d’apporter une touche de couleur (surtout blanche en l’occurrence) ou une forme intéressante, en harmonie avec la figure, sans ajouter quoi que ce soit de signifiant.

Dès lors, avec cette nette opposition entre le tableau comme image visant à saisir des émotions, certes, mais aussi à illustrer des idées, des symboles, et le tableau comme recherche, par les seuls moyens de la peinture, de ressaisir de l’intérieur le monde, dans sa genèse et sa beauté, sans secours « intellectuel » (d’où le besoin le plus intense de la présence du motif), on comprend le rejet par Cezanne de l’esthétique de Gauguin et de Van Gogh, qu’il assimile d’ailleurs un peu vite : « Vous avez l’intelligence de ce qu’il faut faire, écrit-il à Émile Bernard en 1904, et vous arriverez vite à tourner le dos aux Gauguin et [Van] Gogh.[65]Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 15 avril 1904, page 300.. » Ambroise Vollard reprend ces propos dans le récit qu’il fit en 1914 de sa visite à Cezanne au cours du printemps 1896 – soit près de vingt ans plus tôt – en leur ajoutant une phrase qu’il a peut-être bien inventée : « Cézanne ne pouvait souffrir ni Van Gogh, ni Gauguin. Émile Bernard raconte que, Van Gogh ayant fait voir de ses toiles à Cezanne en lui demandant ce qu’il en pensait, ce dernier répondit : « Sincèrement, vous faites une peinture de fou ! « [66]Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 49. » (On aimerait en savoir davantage sur cette rencontre entre Cezanne et Van Gogh, si tant est qu’elle eut lieu, ce qui est improbable[67]Cezanne n’en a jamais parlé dans sa correspondance, ce qui est d’autant plus étonnant qu’il a certainement regardé à Paris les œuvres de Van Gogh avec intérêt..) Assez curieusement, Joachim Gasquet apporte toutefois un témoignage contradictoire en notant : « Il [Cezanne] me parla quelquefois, et toujours avec sympathie, de Van Gogh, dont il se plaisait à admirer deux toiles chez moi, et de Paul Gauguin ; je ne crois pas qu’il les soit allé voir, comme on l’a prétendu, à Arles[68]Joachim Gasquet, Cézanne, op. cit., p.75.. » Maurice Denis rapporte aussi, dans son Journal, ces propos de Cezanne : « Le peintre, c’est l’orgueil avant tout […] : il faut ça et ne pas trop le laisser voir, être potable. Mais Gauguin l’était trop, il m’épatait[69]Maurice Denis dans Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 94.. » (Il faut sans doute comprendre que Gauguin était trop orgueilleux, mais à cet égard il n’est pas sûr que Cezanne fût toujours lui-même très « potable ».) Si ces témoignages n’ont évidemment pas le poids des mots qu’emploie Cezanne dans sa lettre du 15 avril 1904 à Émile Bernard, il est probable que le peintre d’Aix ait su et voulu distinguer, chez les artistes qu’il tenait pour ses amis, les qualités proprement humaines des qualités artistiques, – on le voit ainsi prévenant et chaleureux avec Charles Camoin, dont les œuvres ne devaient guère l’enchanter, et l’on peut imaginer de même qu’en 1888 les premiers tableaux « cloisonnistes » d’Émile Bernard durent l’exaspérer – à moins que le peintre ne les lui ait cachés – et auraient dû faire qu’il leur reproche ce qu’il reprochait si âprement à ceux de Van Gogh et de Gauguin.

D’un plus grand intérêt est un propos tenu par Cezanne en avril 1906, soit six mois avant sa mort, et rapporté par un visiteur allemand, Karl Ernst Osthaus, un témoin probablement plus sûr que Gasquet ou Bernard : « Il ne fait que mentionner Van Gogh, Gauguin et les néo-impressionnistes. « Ils se facilitent un peu la tâche », dit-il.[70]Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 98. » D’abord, il y a le fait que le peintre ne s’acharne pas contre ses deux jeunes contemporains et que ses paroles sont mesurées, en tout cas moins dures que dans sa lettre de 1904. Puis, en sept mots, Cezanne résume là le fond de sa pensée, et l’on comprend qu’il pût être irrité – et déconcerté – par des artistes qui, sans s’interroger davantage, faisaient le choix de se détourner purement et simplement de toutes les difficultés qu’il avait affrontées sa vie durant. En usant pour les formes principales de larges aplats de couleurs unies nettement cernés par des traits, ils résolvaient en effet, ou plutôt écartaient d’un coup la question de leurs zones de contacts, et celle de leur modelé. Et par suite, la présence réelle du motif, que Cezanne tenait pour essentielle, devenait assez superflue, sinon inutile, en tout cas d’une moindre importance que l’imaginaire – ce que d’ailleurs Gauguin dira explicitement lui-même. D’une façon plus précise encore, en octobre 1907, juste un an après la mort du peintre, Émile Bernard, dans ses « Souvenirs sur Paul Cézanne » parus au Mercure de France (et son témoignage ne manque pas de sel si l’on pense à ce que lui-même peignait alors), publiait ces lignes qui permettent de mieux comprendre, peut-être plus clairement qu’ailleurs, ce qui n’était pas acceptable par Cezanne :

« Il me disait surtout beaucoup de mal de Gauguin, dont l’influence lui paraissait désastreuse : « Gauguin aimait beaucoup votre peinture », lui dis-je, « et il vous a beaucoup imité. – Eh bien ! il ne m’a pas compris « , répondait-il furieusement ; « jamais je n’ai voulu, et je n’accepterai jamais le manque de modelé ou de graduation ; c’est un non-sens. Gauguin n’était pas peintre, il n’a fait que des images chinoises. »[71]Conversations avec Cézanne, op. cit., pp. 62-63. »

Et Émile Bernard ajoute un peu plus loin : « Les plans ! c’était sa continuelle préoccupation. « Voilà ce que Gauguin n’a jamais compris », insinuait-il. »[72]Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 65. Et cette fois Émile Bernard ajoute avec modestie : « Je devais aussi pour beaucoup prendre ma part de ce reproche et je sentais que Cézanne avait raison, il n’est pas de belle peinture si la surface plane reste plate, il faut que les objets tournent, s’éloignent, vivent. C’est toute la magie de notre art. » Toutefois, on peut considérer qu’il n’est pas vraiment question de compréhension ici, mais de choix esthétique : ayant choisi d’exprimer les formes principales par des aplats bien délimités, il était tout à fait logique que Gauguin se désintéressât du problème de l’articulation des plans. Et quand Cezanne souligne ainsi, à l’attention d’Émile Bernard, la subtilité d’un détail de l’Autoportrait aux bésicles de Chardin conservé au Louvre : « Avez-vous remarqué qu’en faisant chevaucher sur son nez un léger plan transversal d’arête, les valeurs s’établissent mieux ?[73]Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 27 juin 1904, page 304. », on ne saurait imaginer rien de plus étranger à ce que recherchait Gauguin que cette remarque inattendue, qui suggère un lien entre la luminosité des couleurs (« les valeurs ») et la construction des plans, et sous-entend par là que le traitement des formes par aplats unis, pratiqué par Gauguin et ses émules, nuit au rendu des couleurs, à leur subtilité. D’où les précisions données par Cezanne sur deux points : d’une part, qu’il faudrait moduler les formes par la couleur, plutôt que les modeler ; d’autre part, et plus important, qu’il ne faut jamais les cerner d’un trait[74]Émile Bernard rapporte ces propos de Cezanne : « On ne devrait pas dire modeler, on devrait dire moduler. » dans son texte paru dans L’Occident (Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 36), et : « Il faut absolument combattre le cerné néo-impressionniste ! »  dans un texte de 1924 consacré aux aquarelles du maître (Émile Bernard, « Les aquarelles de Cézanne », dans Propos sur l’art 1, op. cit., p. 239).. Car, dit en un mot : « La ligne et le modelé n’existent point.[75]Propos rapporté par Léo Larguier dans son livre Le dimanche avec Paul Cézanne publié en 1925 : Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 16. », – sous-entendu : dans la nature.

Gauguin, Autoportrait au Christ jaune, 1890 ou 1891, 30 x 46 cm, huile sur toile, Paris, musée d’Orsay

Cézanne, Autoportrait à la palette, 1888-1890, huile sur toile, 92 x 73 cm, Zurich, collection Emil G. Bührle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Derrière ce rejet énergique de l’esthétique de Gauguin et de ses amis de Pont-Aven, ce qui est en cause, c’est non seulement une question de relation au motif, mais de relation au monde. La position de Cezanne, en cela resté fidèle aux Impressionnistes, sera toujours claire : l’œuvre peinte doit restituer quelque chose du monde, qu’il s’agisse de la nature, de figures humaines ou d’objets, non pas en les copiant bien sûr, comme certains artistes « réalistes » s’appliquent minutieusement à le faire (Cezanne trouvait ainsi un tableau célèbre de Rosa Bonheur « horriblement ressemblant »[76]Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 78. ), et sans recourir à quoi que ce soit de littéraire, mais en créant, dit-il à Joachim Gasquet, « une harmonie parallèle à la nature.[77]Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 26 septembre 1897 à Joachim Gasquet, page 262, reprise par Gasquet dans son Cézanne, op. cit., p. 131 (Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 109). » Ce parallélisme implique un lien et une fidélité : l’artiste ne peut faire n’importe quoi ; tout en se tenant à distance de ce qu’il voit, il ne saurait s’en détacher entièrement sans faire que l’art ne menace souvent de se réduire à quelque chose de décoratif. Cette question de la juste distance, dont il a parlé à Karl Ernst Osthaus à la fin de sa vie[78]Karl Ernst Osthaus, dans Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 97., l’a d’ailleurs certainement beaucoup préoccupé, quand elle ne retient guère l’attention de Gauguin dans la mesure où pour lui l’imagination prévaut toujours sur le motif, ce qui lui laisse une liberté que Cezanne ne veut pas s’accorder. Et l’on devine chez lui, diffuse, jamais nettement exprimée, une crainte de se détacher du motif, pour ainsi dire de l’oublier en route, qui paraît indiquer un rejet quasi prémonitoire de l’abstraction, dont il est plus que probable qu’il ait lui-même subi la tentation, comme le montrent plusieurs de ses œuvres des dernières années, les ultimes Sainte-Victoire, celle du musée de Bâle par exemple, ou le Jardin des Lauves de la Phillips Collection, – des œuvres où l’on sent un emportement sinon une exaspération pouvant parfois conduire l’artiste à renoncer à achever telle ou telle d’entre elles, mais sans que rien pourtant ne pût jamais le distraire de son approche passionnée du monde, comme divers éléments symboliques ou imaginaires le permettaient toujours à Gauguin. Avant qu’il ne devînt un terme banal qualifiant une nouvelle pratique de la peinture, Cezanne utilisa d’ailleurs lui-même, plusieurs fois, le mot « abstraction » pour expliquer ce qui lui interdisait souvent d’achever complètement sa toile[79]Cf. supra pages 14-15, l’extrait de la lettre du 23 octobre 1905 de Cezanne à Émile Bernard. Le même propos est rapporté par Joachim Gasquet, Conversations avec Cézanne, op. cit.,  p. 123. … Quoi qu’il en soit, si l’on peut s’étonner de le voir ainsi, malgré certaines libertés prises avec le motif (avec les couleurs du ciel notamment), rester attaché à la représentation du monde, on peut aussi imaginer aisément ce qu’il aurait pensé des premières œuvres cubistes, au fond très indifférentes à la nature, peintes par Georges Braque en 1906 à L’Estaque, là où il avait si souvent travaillé lui-même, et plus encore des œuvres vraiment abstraites nées à peine quelques années après sa mort, celles de Čiurlionis, de Kandinsky ou de Mondrian. Sans doute aurait-il dit encore une fois que ces peintres « se facilitaient un peu la tâche ». D’une certaine façon, et c’est peut-être ce qui l’angoissait obscurément, devait-il pressentir que son œuvre marquerait la dernière des approches « profondes » de la nature, auxquelles allait succéder une suite ininterrompue de constructions et d’inventions, parfois brillantes assurément, mais qu’il n’aurait sans doute pas hésité à dire « intellectuelles », seulement « intellectuelles » ou pire, « littéraires », en s’emportant d’autant plus qu’il arrivait souvent qu’elles se réclament de lui.

On peut penser que Gauguin disparut assez tôt et sans retour de l’horizon de Cezanne, qui n’eut plus guère l’occasion de voir de ses œuvres ni même d’en entendre parler lors de ses derniers séjours à Paris entre 1897 et 1899, à moins qu’il n’ait pu voir, on aimerait le savoir, l’exposition chez Vollard, à la fin de l’année 1898, du grand tableau D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (aujourd’hui conservé au musée de Boston). Mais Gauguin avait alors définitivement quitté la France depuis juillet 1895, pour aller mourir jeune encore, à cinquante-cinq ans, en 1903 à Atuona, dans les îles Marquises, moins de trois ans avant Cezanne[80]Curieusement, dans son dernier écrit, Avant et après, Gauguin évoque encore un « rutilant paysage » de Cézanne, en l’occurrence La Maison de Zola à Médan (cf. supra note 13), et rapporte à son propos une anecdote : devant ce tableau et devant Cézanne, un « passant » se serait permis de lui faire la leçon et de corriger le tableau de quelques touches, sans provoquer d’autre réaction du peintre qu’un gros pet, après le départ du « vandale » (Avant et après, op. cit. page 304). Pour ma part, je tiens cette anecdote pour une simple blague d’atelier.. Leur histoire restera celle du refus essentiel (bien plus que d’une incompréhension), par Cezanne, d’un art décidément détaché de la nature, – l’histoire d’un rejet qui, si l’on peut y voir aujourd’hui une sorte de « résistance » à un avenir que l’artiste pressentait, devait ouvrir, autant que l’œuvre de Gauguin, mais différemment et surtout paradoxalement, bien des voies où allait s’engager la peinture du XXème siècle, et où il n’aurait sans doute pas reconnu son héritage.

Novembre-décembre 2020

Références

Références
1 Ramuz note ainsi : « Tout prétexte est bon à Cézanne : planté dans ce pays, il ne va pas chercher plus loin. Acceptation, ici aussi, des alentours, tels qu’ils existent ; utilisation de ces alentours. D’autres ont poussé jusqu’en Océanie ; lui, a découvert l’Océanie dans son cœur. » C. F. Ramuz, L’Exemple de, Cézanne dans L’Exemple de Cézanne et autres pages sur Cézanne, Du Lérot éditeur, Tusson, Charente, 2011, p. 23.
2 Paul Gauguin, Avant et après, in Oviri. Écrits d’un sauvage, choisis et présentés par Daniel Guérin, Gallimard, collection Essais folio, réédition 2017, p. 303.
3 Deux de ces œuvres sont conservées à Paris, au musée d’Orsay, la troisième au Philadelphia Museum of Art.
4 Orléans, musée des Beaux-Arts
5 Paris, musée d’Orsay
6 Ces deux oeuvres appartiennent à des collections privées.
7 Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek
8 Merion (Philadelphie), Fondation Barnes
9 Dont le Bouquet de fleurs dans un vase bleu, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.
10 Émile Zola, Notes parisiennes – Une Exposition : les Peintres impressionnistes (19 avril 1877).
11 New York, The Metropolitan Museum of Art
12 Göteborg, Konstmuseum.
13 Glasgow, Kelvingrove Art Gallery and Museum. L’œuvre est aussi appelée Le Château de Médan.
14 Japon, collection privée. Van Gogh a vu l’œuvre à Paris et, dans une lettre de mai 1888 à son frère Théo, il parle à son propos du « côté âpre de la Provence » que Cezanne a su y rendre
15 Compotier, verre et pommes, dit aussi Nature morte au compotier, 1879-1880, huile sur toile, 46 x 55 cm, Paris, collection privée.
16 Cardiff, National Museum of Wales. Le lieu représenté n’a toujours pas été identifié. On y a parfois vu, à tort, le lac du barrage Zola, à l’est d’Aix-en-Provence. Faut-il penser à un paysage entièrement recomposé, ce qui étonnerait de la part de Cezanne, toujours si attaché au motif ? Dans leur catalogue raisonné The Paintings of Paul Cézanne, John Rewald en collaboration avec Walter Feilchenfeldt et Jayne Warman, Volume I, The Texts, Londres, Thames and Hudson, 1996, pp. 259-262, notice n°391, ajoutent sans argument, à propos de ce tableau, en usant de parenthèses et d’un point d’interrogation : (près de L’Estaque ?). Voir aussi le site de la Société Paul Cezanne (www.societe–cezanne.fr), Chronologie, Année 1893.
17 Dans une lettre à Emmanuel Bibesco de mai 1900, Gauguin dit avoir possédé douze Cezanne (Gauguin, Lettres à  sa femme et à ses amis, recueillies, annotées et préfacées par Maurice Malingue, Paris, éditions Bernard Grasset, Les Cahiers rouges, 1946, lettre CLXXIII, p. 301).
18 Lettre de Gauguin à Pissarro, non datée, entre le 25 et le 29 juillet 1883 ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, n°38, pp. 50-51.
19 Revue The New Statesman, Londres, 27 mai 1922.
20 Lettre de Gauguin à Pissarro, [juillet 1881] ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, op. cit., n°16, p. 21. On sait que Pissarro était un fervent adepte de l’homéopathie.
21 Joachim Gasquet, Cézanne, Grenoble, éditions Cynara, 1988, p. 75. Cette édition reprend sans ajout l’édition originale du texte publié à Paris par les éditions Bernheim-Jeune en 1921 puis en 1926 : « Il [Cezanne] rencontra Gauguin chez le père Tanguy et au café, mais rarement. » Le texte fut sans doute écrit par Gasquet en 1912-1913.
22 Sur cette probable rencontre, on dispose toutefois d’un témoignage hélas très tardif, celui de Pola Gauguin, le fils du peintre : « Mais Cézanne nourrissait la méfiance la plus déterminée pour tout ce qui sentait la bourgeoisie […]. De son côté  Gauguin considérait ce Provençal grossier et assez peu soigné qui usait d’un langage énergique et passablement trivial comme un rustaud qu’il valait mieux tenir à distance. La complète indifférence de Cézanne pour l’argent et son désordre dans ce domaine déplaisaient à Gauguin […]. Son antipathie allait si loin qu’il défendit à son fils Emil, âgé de six ans, de jouer avec Paul, le fils de Cézanne. »  (Pola Gauguin, Paul Gauguin mon père, traduit du norvégien par Georges Sautreau, Paris, Les Éditions de France, 1938, pp. 62-63). Je remercie Monsieur François Chédeville de m’avoir signalé ce texte.
23 Françoise Cachin, Gauguin, Paris, éditions Flammarion, 1988, p. 28. Toutefois, dans ses Souvenirs sur Paul Cézanne publié en 1907, Émile Bernard a rapporté ce propos de Cézanne : «  Je n’ai jamais souffert que l’on me regarde travailler, je ne veux rien faire devant quelqu’un. » (repris dans Conversations avec Cézanne, édition critique présentée par P. M. Doran, Paris, collection Macula, 1978, p. 60). Ambroise Vollard confirme cela dans En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, Paris éditions Bernard Grasset, 1985, p. 60. La première édition du texte, assurée par Vollard lui-même, date de 1914.
24 Émile Bernard, Propos sur l’art 1, Paris, éditions Séguier, 1994, p. 89. Première publication en juillet 1904 dans le n° 32 de la revue L’Occident.
25 Maurice Denis, « Cézanne », article publié dans L’Occident en septembre 1907 ; cf. Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 180. Ce propos est repris par Ambroise Vollard dans « Ma visite à Cézanne », dans En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 49. Cette visite de Vollard date de 1896.
26 Dans trois lettres à Émile Bernard (des 25 juillet et 23 décembre 1904, et du 23 octobre 1905) et dans une lettre à son fils (3 août 1906) : cf. Cézanne. Correspondance, recueillie, annotée et préfacée par John Rewald. Nouvelle édition complète et définitive, Paris, éditions Bernard Grasset, 1978, pp. 305, 308, 315 et 318.
27 Intérieur du peintre à Paris, rue Carcel  (1881), Oslo, Galerie nationale : Coin de mur, effet de nuit (1881), collection privée ; Fleurs et tapis (1880), collection privée.
28 De Renoir, Cezanne disait durement : « Il voit cotonneux. » (Joachim Gasquet, Cézanne, op. cit., p. 148).
29 Nature morte à la cruche d’argile et au pichet de fer (1880), Chicago, Art Institute ; Nature morte aux oranges(1880), Rennes, musée des Beaux-Arts.
30 Par exemple le Portrait de Suzanne Bambridge du musée de Bruxelles (cf. illustration).
31 Intérieur avec Aline Gauguin (1881), Sheffield, Millennium Gallery ; La petite rêve (1881), Copenhague, Ordrupgaard Sammlungen. Cette dernière œuvre fut présentée à la septième Exposition impressionniste, en 1882.
32 Lettre de Gauguin à Pissarro, Copenhague, vers le 10 juillet 1884 ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, op. cit., n° 49, p. 65.
33 Lettre de Gauguin à Schuffenecker, Copenhague, 14 janvier 1885 ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance avec Paul Gauguin, op. cit., n° 65, p. 88.
34 Il est intéressant de noter qu’Émile Bernard parlera aussi de Cezanne comme d’un mystique ; cf. Conversations avec Cézanne, op. cit., pp. 38-39.
35 Ainsi Joachim Gasquet rapporte ce propos du maître : « Travailler !… Il n’y a que ça… » (Cézanne, op. cit., p. 207) et note qu’il terminait souvent ses phrases par l’impératif « Allons travailler » ou « Travaillons » (pp. 95, 99, 105, 157, 191).
36 Lettre de Cezanne à Émile Bernard, Aix, 12 mai 1904 ; Cézanne, Correspondance  recueillie, annotée et préfacée par John Rewald. Nouvelle édition complète et définitive, Paris, édition Bernard Grasset, 1978, pp. 301-302.
37 Ainsi le critique Marc de Montifaud écrivit en 1874, l’année de la première Exposition impressionniste, dans l’article « Exposition du boulevard des Capucines », dans L’Artiste. Revue du XIXe siècle – Histoire de l’art contemporain : « M. Cézanne n’apparaît plus que comme une espèce de fou, agité en peignant du delirium tremens. »
38 Gauguin, Montagnes en Provence, éventail, gouache sur toile,  Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek. Pour le tableau de Cezanne, cf. supra note 16.
39 Par exemple : La Farandole, gouache sur soie, Suisse, collection privée ; Le Ballet, gouache sur soie, Paris, musée d’Orsay ; Danseuses, gouache et pastel sur soie, Washington, Tacoma Art Museum. il est à noter que Pissarro peignit aussi quelques éventails, par exemple Coteaux de Chaponval (Paris, musée d’Orsay
40 Pietro Krohn (1840-1905) fut également directeur du musée national du Danemark, à Copenhague.
41 Cf. supra
42 « Degas plaçait Gauguin très haut mais, disait-il,  » Aux Batignolles, ne peut-on pas faire d’aussi bonne peinture qu’à Tahiti ? » » Ambroise Vollard, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Paris, éditions Albin Michel, 1984, p. 184.
43 Félix Fénéon, article « Cézanne » dans Œuvres plus que complètes. Textes réunis et présentés par Joan U. Halper, tome 1, Genève-Paris, Librairie Droz, 1970, p. 309.
44 Lettre de Gauguin à Mette, non datée [fin novembre  1885] ; Lettres de Gauguin à sa femme et à ses amis, op. cit., lettre XXX, p. 75. Les deux œuvres de Cezanne sont L’Allée et Montagnes en Provence achetées par Gauguin au père Tanguy : cf. supra notes 12 et 15.
45 Cf. supra et note 18.
46 Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 23 octobre 1905, p. 315. Il y a aussi cette phrase de Cezanne : « Comprenez un peu, monsieur Vollard, le contour me fuit ! » dans Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 63.
47 Exposition appelée aussi « Exposition Volpini » du nom du gérant du Café des Arts.
48 Gauguin, La Vision après le sermon, 1888, Édimbourg, National Gallery of Scotland. ; Gauguin, La Famille (ou L’Atelier de) Schuffenecker, 1889, Paris, musée d’Orsay.
49 Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 23 octobre 1905, p. 315. C’est aussi, selon Joachim Gasquet (Cézanne, op. cit., p. 167), ce que Cézanne aurait reproché aux artistes  japonais : « ils cernent brutalement leurs bonshommes, leurs objets, d’un trait brut, schématique, appuyé […]. Rien ne vit. ». On a peine à croire ce témoignage.
50 Portrait de femme à la nature morte de Cezanne, 1890, huile sur toile, 65 x 55 cm, Chicago, The Art Institute. On reconnaît généralement dans ce portrait Marie Merrien (dite Lagadu, c’est-à dire « les yeux noirs » en breton), qui travaillait à la célèbre pension-auberge Gloanec, à Pont-Aven.
51 Cf. supra note 15. On retrouve cette oeuvre dans l’Hommage à Cézanne peint par Maurice Denis en 1900-1901 (Paris, musée d’Orsay), où curieusement, Gauguin – qui possédera l’œuvre – ne figure pas dans le groupe des artistes représentés, même si sa présence tutélaire est discrètement évoquée par l’un de ses tableaux à l’arrière-plan.
52 Lettre de Gauguin à Schuffenecker, [Pont-Aven, début juin 1888] ; Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, op. cit., n°147, p. 182.
53 Paul Gauguin, Avant et après, dans Oviri. Écrits d’un sauvage, op. cit. p. 305.
54 Paul Gauguin, Racontars de rapin, dans Oviri. Écrits d’un sauvage, op. cit. p. 256. Il est singulièrement émouvant de voir Cezanne traité d’« ancien » en 1902.
55 Camille Mauclair, « M. Paul Cézanne », dans Gil Blas, lundi 18 novembre 1895, p. 2.
56 Parmi beaucoup d’exemples, Le Prêteur et sa femme de Quentin Metsys (Paris, musée du Louvre).
57 Celui conservé à Paris au musée d’Orsay : Autoportrait au Christ jaune (1889-1890), comme celui intitulé Portrait charge de Gauguin (1889) de la National Gallery of Art, à Washington, – et c’est le même principe dans le Portrait du peintre Louis Roy (1889) appartenant à une collection privée.
58 Cezanne s’est aussi représenté dans 24 ou 25 dessins (l’un d’eux, La morsure, est contesté) et une aquarelle. Il est remarquable qu’il ne se représente jamais sans autre « accessoire » qu’une fois son chevalet et sa palette (tableau de la ollection Emil. G. Bührle, à Zurich), rien donc qui évoque exclusivement la peinture.
59 Gauguin, Nature morte Fête Gloanec (1888), Orléans, musée des Beaux-Arts.
60 Cf. supra note 50.
61 Gauguin, La Belle Angèle (1889), Paris, musée d’Orsay. L’œuvre appartint à Degas, qui l’acquit à la vente que Gauguin organisa de ses tableaux le 23 février 1891.
62 À Paris, au musée d’Orsay et au musée de l’Orangerie, au Detroit Institute of Arts, au Houston Museum  of Fine Arts…
63 C’est l’idée cézannienne de l’art comme « harmonie parallèle à la nature ». Cf. infra page 24 et note 78.
64 C’est l’idée cezannienne de l’art comme « harmonie parallèle à la nature ». Cf. infra page 24 et note 78.
65 Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 15 avril 1904, page 300.
66 Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 49.
67 Cezanne n’en a jamais parlé dans sa correspondance, ce qui est d’autant plus étonnant qu’il a certainement regardé à Paris les œuvres de Van Gogh avec intérêt.
68 Joachim Gasquet, Cézanne, op. cit., p.75.
69 Maurice Denis dans Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 94.
70 Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 98.
71 Conversations avec Cézanne, op. cit., pp. 62-63.
72 Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 65. Et cette fois Émile Bernard ajoute avec modestie : « Je devais aussi pour beaucoup prendre ma part de ce reproche et je sentais que Cézanne avait raison, il n’est pas de belle peinture si la surface plane reste plate, il faut que les objets tournent, s’éloignent, vivent. C’est toute la magie de notre art. »
73 Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 27 juin 1904, page 304.
74 Émile Bernard rapporte ces propos de Cezanne : « On ne devrait pas dire modeler, on devrait dire moduler. » dans son texte paru dans L’Occident (Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 36), et : « Il faut absolument combattre le cerné néo-impressionniste ! »  dans un texte de 1924 consacré aux aquarelles du maître (Émile Bernard, « Les aquarelles de Cézanne », dans Propos sur l’art 1, op. cit., p. 239).
75 Propos rapporté par Léo Larguier dans son livre Le dimanche avec Paul Cézanne publié en 1925 : Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 16.
76 Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, op. cit., p. 78.
77 Cézanne. Correspondance, op. cit., lettre du 26 septembre 1897 à Joachim Gasquet, page 262, reprise par Gasquet dans son Cézanne, op. cit., p. 131 (Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 109).
78 Karl Ernst Osthaus, dans Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 97.
79 Cf. supra pages 14-15, l’extrait de la lettre du 23 octobre 1905 de Cezanne à Émile Bernard. Le même propos est rapporté par Joachim Gasquet, Conversations avec Cézanne, op. cit.,  p. 123.
80 Curieusement, dans son dernier écrit, Avant et après, Gauguin évoque encore un « rutilant paysage » de Cézanne, en l’occurrence La Maison de Zola à Médan (cf. supra note 13), et rapporte à son propos une anecdote : devant ce tableau et devant Cézanne, un « passant » se serait permis de lui faire la leçon et de corriger le tableau de quelques touches, sans provoquer d’autre réaction du peintre qu’un gros pet, après le départ du « vandale » (Avant et après, op. cit. page 304). Pour ma part, je tiens cette anecdote pour une simple blague d’atelier.