François Chédeville

Le Viaduc dans la plaine de l’Arc IV (FWN265-R695, FWN293-R758, FWN256-R613, FWN302-R814, RW233)

(Cliquer sur les images pour les voir en vraie grandeur)

Les œuvres de Cezanne représentant le célèbre viaduc de chemin de fer de la vallée de l’Arc (dit viaduc de l’Arc de Meyran) sont au nombre de 17 : 7 toiles, 6 aquarelles et 4 dessins, que l’on peut regrouper en 3 séries et deux tableaux isolés.

Nous traiterons dans ce quatrième chapitre du tableau intitulé L’Aqueduc par Rewald et y associerons quelques-unes des toiles dont on peut penser qu’elles ont été peintes depuis la colline de Valcros.

Localisation de  L’Aqueduc FWN265-R695 (titre de Rewald)

Ce tableau, à la différence de toutes les œuvres précédentes, met en scène le viaduc de la plaine de l’Arc vu à travers un bosquet de pins dont le peintre se tient à distance :

 Fig. 57 . R695 L’Aqueduc c90

Fig. 57 . FWN265-R695 L’Aqueduc c90

 

 

 

 

 

 

 

 

La montagne et le viaduc sont situés ici plus bas que dans toutes les autres œuvres examinées jusqu’ici (à l’exception de C0896), où le viaduc se situe entre 40 et 60 % de la hauteur de la toile, alors qu’il est placé ici au tiers seulement de la hauteur, d’où l’impression commune d’un tableau ayant été peint depuis un point relativement bas [Cf Bruno Ely, p. 180 du catalogue de l’exposition « Cezanne en Provence » : « Exceptionnellement, le point de vue n’est pas pris d’une hauteur, il est au creux de la vallée et sans doute plus au sud, non loin du cours de l’Arc »]. Mais il faut tenir compte de plusieurs éléments :

  • contrairement aux autres œuvres ayant adopté le format dit « paysage », celle-ci est dans le format « portrait », donnant ainsi une grande importance à la canopée qui occupe à elle seule la moitié supérieure du tableau. Ceci se traduit évidemment par un tassement vers le bas de la montagne et de la plaine qui occupent à peine le tiers de la surface du tableau ;
  • Les pins sont manifestement situés sur un tertre qui domine la plaine, comme en témoignent les champs ocre situés à gauche et à droite du tableau et qui ne pourraient pas être représentés de cette façon si l’on était au ras du sol de la plaine. En outre, le viaduc ainsi que la maison esquissée à son niveau sous la montagne Sainte-Victoire semblent aperçus au niveau même des yeux du peintre, et non par dessous. Or le viaduc se situe à une hauteur comprise entre 152 et 160 m et la maison vers 170 m, alors que la plaine est à 130-135 m de hauteur seulement. Il est donc vraisemblable que le peintre se situe aux alentours de 150 à 160 m de hauteur ;
  • dans les œuvres précédentes, le peintre se situe à un point en surplomb du paysage d’où la plaine lui apparaît clairement déployée devant lui sans obstacle lui en cachant une partie (notamment devant le viaduc). Or ici ce sont les pins qui sont en surplomb, le peintre étant à distance du bord sur un terrain plat, ce qui a pour effet immédiat de lui rendre invisible la plus grande partie de la plaine :

 

Fig. 58 . Modification de l’angle de vision sur la plaine

Fig. 58 . Modification de l’angle de vision sur la plaine

De ce fait, le tassement du paysage est encore accentué, la partie inférieure du tableau étant occupée par le terrain qui sépare le peintre de la bordure de pins. Si l’on recadre dans ce tableau la partie qui figure dans les œuvres précédentes, on obtient une image dans laquelle, finalement, le viaduc se situe, comme pour elles, à peu près à la moitié de la hauteur du tableau. L’impression d’une image vue d’un point bas s’estompe considérablement :

 

Fig 59 . Passage du format « Portrait» au format « Paysage »

Fig 59 . Passage du format « Portrait» au format « Paysage »

Comme il n’existe aucune ondulation de terrain dominant le reste de la vallée dans l’espace situé entre le viaduc et le bord du plateau de Valcros où nous avons situé toutes les œuvres précédentes – et naturellement pas au bord de l’Arc, situé au point le plus bas de la plaine – il semble clair que Cezanne, ici aussi, s’est situé sur le versant de ce plateau, à quelques mètres du bord de la colline occupée par le bosquet de pins.

Une photo comme celle-ci, bien que prise trop près de l’orée du bois de pins surplombant le Tubet, peut donner une idée du lieu où Cezanne a planté son chevalet :

 

Fig. 60 . La Vallée de l’Arc vue de la colline derrière le Tubet (photographie Didier Bonfort)

Fig. 60 . La Vallée de l’Arc vue de la colline derrière le Tubet (photographie Didier Bonfort)

Où situer plus précisément le peintre ? Plusieurs positions sont possibles sur le plateau de Valcros :

61. Posiionnement R695

Fig. 61. Positions possibles de Cezanne pour FWN265-R695 (vue en tournant le dos à la montagne Sainte-Victoire)

Fig. 62. Positions possibles de Cézanne pour R695 (vue face à la montagne Sainte-Victoire)

Fig. 62. Positions possibles de Cezanne pour FWN265-R695 (vue face à la montagne Sainte-Victoire)

  • solution A (cote 170 m) : Cezanne se situe sur la butte au-dessus de Montbriand, en lisière du bois de pins, par exemple au coin de celui-ci qui domine le Tubet. De là, la vision sur la plaine peut parfaitement coïncider avec celle du tableau :

    Fig.63. Hypothèse A (reconstruction 3D à 150 m d’altitude par rapport à la position A)

    Fig.63. Hypothèse A (reconstruction 3D à 150 m d’altitude par rapport à la position A)

  • solution B (cote 165 m) : tenant compte de la position du bosquet de cinq pins figurant à gauche sur FWN185-R511 et FWN184-R512 au-delà du toit du Tubet, on peut imaginer que ce bosquet est le même que le nôtre sur FWN265-R695. Cette solution élégante aurait l’avantage de faire le lien entre notre toile et FWN185-R511, FWN184-R512 ;
Fig.64. Hypothèse B (reconstruction 3D à 120 m d’altitude par rapport à la position B)

Fig.64. Hypothèse B (reconstruction 3D à 120 m d’altitude par rapport à la position B)

  • solution C (cote 168 m) : elle est également envisageable pour réinterpréter deux éléments de la toile : l’esquisse de bâtiment que l’on peut éventuellement discerner au centre du bosquet et le champ carré figurant à sa gauche :
Fig. 65. Cézanne au pied du pilône actuel ?

Fig. 65. Cezanne au pied du pilône actuel ?

 

Fig. 66. Reconstruction 3D de la perspective depuis le pilône

Fig. 66. Reconstruction 3D de la perspective depuis le pilône

 

 

 

 

 

 

 

 

On constate cependant sur la fig. 66 que la Bastide Vieille se situe trop à droite par rapport à sa présence éventuelle sur la toile à la gauche du milieu du bosquet de pins. En outre, la butte surplombant cette bastide à gauche devrait alors faire écran par rapport à la plaine, ce qui n’apparaît pas sur le tableau. Cette hypothèse est à écarter.

Pour les tenants d’une position basse du peintre plus proche du fond de la vallée, deux hypothèses seulement sont possibles compte tenu de la configuration du terrain :

  • solution D  (cote 150 m) : le peintre se situe sur la butte de l’Ensoleillée. Compte tenu des constructions modernes qui ont remplacé la bastide et se sont livrées à un déboisement important du versant regardant vers la montagne Sainte-Victoire, cette position est impossible à vérifier sur place aujourd’hui.

 

Fig.67. Hypothèse D (reconstruction 3D à 120 m d’altitude par rapport à la position D)

Fig.67. Hypothèse D (reconstruction 3D à 120 m d’altitude par rapport à la position D)

Cela dit, cette position se situe à une altitude inférieure à une vingtaine de mètres par rapport aux positions A, B et C, et seulement à une quinzaine de mètres au-dessus de la plaine de l’Arc. En outre, le viaduc est vu trop à droite par rapport à sa figuration dans le tableau. Cette hypothèse semble donc à exclure.

  • Solution E (cote 145 m) également possible, le bosquet surplombant la voie ferrée près de la maison de retraite du Tubet. Cette solution est celle qui donne au peintre la position la plus basse, dominant la plaine de 10 à 15 m seulement :
Fig.67. Hypothèse E (reconstruction 3D à 40 m d’altitude par rapport à la position E)

Fig.68. Hypothèse E (reconstruction 3D à 40 m d’altitude par rapport à la position E)

Cette position apparaît comme située trop proche du niveau de la plaine pour permettre de créer l’effet de surplomb visible dans le tableau. Elle semble elle aussi à exclure.

Restent en lice les positions A et B. Faute d’éléments topographiques déterminants issus du tableau, il est difficile de trancher ici avec un haut degré de certitude. La différence entre ces hypothèses est d’ailleurs plutôt d’altitude que de position, puisqu’elles se situent à une vingtaine de mètres d’une de l’autre. Une visite effectuée sur le terrain nous pousse cependant à privilégier la position A, à partir de laquelle les éléments du tableau se mettent parfaitement en place.

Bien entendu, le titre de ce tableau doit être corrigé, d’abord parce que l’aqueduc évoqué dans le titre de Rewald est en réalité un viaduc, et que surtout ce n’est pas le sujet principal du tableau. Nous proposons :

FWN265-R695 La Montagne Sainte-Victoire vue à travers les pins de la colline de Valcros c90.

ANNEXE

On peut relever un certain nombre de parentés entre la toile précédente et quelques autres, sans que cela prouve, bien entendu, qu’elles ont été réalisées à Valcros. Par exemple :

R613 Sous-bois c88

FWN256-R613 Sous-bois c88

RW233 La Futaie 80-85

RW233 La Futaie 80-85

 

 

 

 

 

 

Dans ces deux cas, on peut imaginer la position de Cezanne dans le champ qui sépare la maison de retraite de la colline boisée et qui choisit de peindre la lisière de la forêt vue d’un peu plus bas. En outre, pour FWN256-R613, la palette de couleurs et l’harmonie globale sont identiques à celles de FWN265-R695.

La même harmonie de couleurs se retrouve dans FWN302-R814, qui pourrait avoir été peint à la lisière du bois (la trouée de gauche suggère la pente descendante de la colline) non loin de l’endroit où a été peint FWN265-R695. On est ici davantage centré sur la forêt que sur ce qu’on peut apercevoir au-delà de la lisière :

R814 Clairière c95

FWN302-R814 Clairière c95

Plus tard, Cezanne semble avoir repris le même thème de la vallée peinte depuis la lisière du bois de la colline de Valcros. Dans FWN293-R758, s’il s’agit de la vallée de l’Arc comme l’indique le titre choisi par Rewald, on peut l’imaginer placé au-dessus de Montbriand (qu’on peut deviner à gauche) et orientant son regard vers la chaîne de l’Étoile, le Cengle et la montagne Sainte-Victoire étant hors du cadre très à gauche. Sinon, une autre possibilité serait que la maison du second plan représente la Bastide Vieille et que le regard est orienté au nord, Cezanne étant pratiquement situé au même endroit que pour FWN265-R695 mais ayant fait un quart de tour à gauche en se rapprochant un petit peu de la lisière, la montagne Sainte-Victoire étant alors hors champ sur la droite  :

R758 Paysage des environs d'Aix (la plaine de l'Arc) 92-95

FWN293-R758 Paysage des environs d’Aix (la plaine de l’Arc) 92-95