20 janvier

Lettre de Tanguy à Cezanne, postée à Aix, ce qui implique que Cezanne n’est pas à Paris.

Lettre de Tanguy, Paris, à Cezanne, 20 janvier 1889, ancienne collection Jean-Pierre Cezanne ; Ratcliffe Robert William, « Cézannes Working Methods and their Theoretical Background », thèse de doctorat, Londres, University of London, The Courtauld Institute of Art, 1960, 448 pages, p. 18 et note 47a p. 386.

7 avril

Lettre de Tanguy à Cezanne, adressée au cours Mirabeau, Aix, où elle arrive le 10 :

« Paris, le 7 avril 1889
[…] Nous désirons vous voir venir à Paris visiter l’exposition ».

Lettre de Tanguy, Paris, à Cezanne, 7 avril 1889, ancienne collection Jean-Pierre Cezanne ; Ratcliffe Robert William, « Cézannes Working Methods and their Theoretical Background », thèse de doctorat, Londres, University of London, The Courtauld Institute of Art, 1960, 448 pages, p. 18 et notes 47a et 52a p. 386.

Vers le 23 mai

Van Gogh se rappelle que Gauguin a souvent fait rentoiler des peintures, dont certaines de Cezanne :

« Tu pourrais oter des chassis les toiles chez Tanguy ou chez toi qui ont assez sechés et puis remettre sur ces chassis les nouvelles que tu en jugerais digne. Gauguin doit pouvoir te dire l’adresse d’un rentoileur pour la chambre à coucher qui sera pas cher. Cela je me l’imagine doit etre une restauration de 5 francs, si c’est plus alors ne le faites pas faire, je ne crois pas que Gauguin payait davantage lorsqu’assez souvent il a fait rentoiler des toiles de lui, de Cezanne ou de Pissarro. »

Lettre de Vincent van Gogh à Theo van Gogh, vers le 23 mai 1889 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume IV « Arles, 1888-1889 », 449 pages, lettre n° 776, p. 21-27.

Gauguin a possédé cinq tableaux de Cezanne (FWN595-TA-R140, FWN124-R391, FWN130-R409, FWN780-R418, FWN149-R437), d’après une liste qu’il a rédigée dans un carnet de croquis, dont deux qu’il a fait rentoiler par Louis Latouche, 34, rue Lafayette (FWN130-R409). Il a peut-être aussi possédé le tableau La Moisson (FWN651-R301). Voir Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, 561 pages, note 115 p. 356-387, qui en doute.

Gauguin a dressé, sans doute dans le premier semestre 1888, la liste des œuvres de sa collection qu’il avait emportées avec lui au Danemark, où sont inscrits les noms des artistes, les dimensions des œuvres et leurs titres : neuf Pissarro, un Mary Cassatt, un Sisley, cinq Cezanne, cinq Guillaumin, un Lewis Brown, un Jongkind, un Daumier. Les cinq tableaux de Cezanne sont :

« Danemark
[…]
Césanne [sic] 20 Midi (l’Estaque) [Montagnes en Provence (FWN124-R391)]
20 Maison de Zola [Le Château de Médan (FWN149-R437)]
20 Allée d’Arbres [L’Allée (FWN130-R409)]
10 Nature morte [Nature morte au compotier (FWN780-R418)]
100 femme nue [Femme nue (FWN595-TA-R140)]
2400 »

Gauguin Paul, Album de croquis, Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inventaire n° RF 30273, 5, n. d. [1888].
Merlhès Victor (éd.), Correspondance de Paul Gauguin, Paris, fondation Singer-Polignac, 1984, 561 pages, reproduction de la page de l’album de Gauguin p. 531.

Juin

Cezanne, probablement avec sa famille, séjourne chez les Chocquet à Hattenville (Normandie). Il y peint un nouveau portrait de Chocquet (R 671). Il retourne ensuite à Paris.

Rewald John, « Chocquet and Cezanne », Gazette des beaux-arts, 6e période, tome LXXIV, 111e année, 1206-1207e livraisons, juillet-août 1969, p. 33-96, p. 66-67 ; repris dans Rewald John, Studies in Impressionism, édité par Irene Gordon et Frances Weitzenhoffer, Londres, Thames and Hudson, 1985, 232 pages, p. 121-187, p. ?
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 228-231.

30 juin

Cezanne demande au comte Doria de bien vouloir envoyer son tableau La Maison du pendu (FWN82-R202) au palais des Beaux-arts, où se tient l’Exposition centennale de l’Art français.

« Paris, 30 juin 1889.
Monsieur le Comte,
Vous avez bien voulu promettre à M. Chocquet d’exposer la Maison du pendu [FWN81-R202], c’est le nom qu’on a donné à un paysage que j’ai fait à Auvers. J’apprends à l’instant que M. Antonin Proust l’a admis à figurer à l’exposition et je vous prie de vouloir bien envoyer ce petit tableau au palais des Beaux-Arts à l’Exposition universelle .
Veuillez agréer, Monsieur le Comte, avec mes remerciements, mes salutations et mon respect.
Paul Cezanne »

Lettre de Cezanne, Paris, au comte Doria, 30 juin 1889 » ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 228.

Début juillet – 31 octobre

Le tableau de Cezanne La Maison du pendu (FWN81-R202) est exposé à l’Exposition centennale de l’art français, au palais des Beaux-Arts, sur le Champ de Mars.

« Cezanne, né à Paris [sic]
124. ― La Maison du pendu. (App. à M. Choquet). »

Catalogue général officiel. Beaux-arts, Exposition centennale de l’art français (1789-1880), tome 1er « Œuvres d’art, groupe I, classes 1 à 5 », Lille, imprimerie L. Danel, 1889, 77 pages, 652 numéros de peinture à l’huile, Cezanne n° 124 p. 5.
Thomas F. G. (sous la direction de), Exposition universelle de 1889, catalogue illustré des beaux-arts, 1789-1889, Lille, L. Danel, imprimeur-éditeur, 1889, 221 pages, Cezanne p. 45.

Cette exposition, qui se tient du 5 mai au 31 octobre, dans le cadre de l’Exposition universelle, est destinée à présenter l’évolution des courants artistiques de 1789 à 1878, en commémoration du centenaire de la Révolution française — ce qui explique pourquoi Cezanne a présenté un tableau ancien.

Le catalogue officiel contient à la fois la liste des peintures présentées à l’Exposition universelle et celle des peintures présentées à l’Exposition centennale. Il mentionne Chocquet comme propriétaire de La Maison du pendu (FWN81-R202), lequel l’a acquis par échange avec le comte Armand Doria contre La Neige fondante (Étude de la forêt de Fontainebleau) (FWN145-R413), avant la publication du catalogue. Sans doute n’en avait-t-il pas encore pris possession le 30 juin, quand Cezanne, qui vient d’apprendre « à l’instant que M. Antonin Proust l’a admis », en demande le prêt au comte Doria.

Malgré l’intervention d’Antonin Proust, « commissaire spécial » de cette grande rétrospective, assisté de Roger Marx et de Georges Petit, pour faire admettre les peintres impressionnistes, la Centennale ne laisse qu’une petite place à leurs œuvres, perdues dans la masse. Manet est le seul peintre du groupe à être largement représenté, avec quatorze tableaux (nos 485-498), quatre dessins et aquarelles (nos 399-402) et cinq gravures (nos 354-358). Trois paysages de Monet (nos 526-528) et deux de « Pissaro » (nos 541-542) sont exposés, mais aucun tableau de Renoir, Morisot, Sisley ou encore Degas.

Dates de l’exposition d’après le décret du président de la République Jules Grévy du 8 novembre 1884.
Proust Antonin, remerciements, Catalogue général officiel. Beaux-arts, Exposition centennale de l’art français (1789-1880), tome 1er « Œuvres d’art, groupe I, classes 1 à 5 », Lille, imprimerie L. Danel, 1889, 77 pages, 652 numéros de peinture à l’huile
Thomas F. G. (sous la direction de), Exposition universelle de 1889, catalogue illustré des beaux-arts, 1789-1889, Lille, L. Danel, imprimeur-éditeur, 1889, 221 pages, p. VII :

« Pour l’installation de l’Exposition le commissaire spécial a été secondé, pour la peinture par MM. Roger-Marx, inspecteur principal, Georges Petit, Détriment, Marje, Durand, Chapuis et Mercier ; »

 

« Échos », Le Figaro, 35e année, 3e série, n° 40, samedi 9 février 1889, p.  :

« Les expositions des Beaux-Arts s’organisent très rapidement et très complètement par les soins du commissariat spécial des Beaux-Arts. On peut dire dès aujourd’hui que l’Exposition centennale sera, grâce à M. Antonin Proust et à ses collaborateurs, qui ont trouvé auprès des collectionneurs le meilleur accueil, une Exposition merveilleuse et sans précédent. À ce propos, nous nous permettons de faire appel aux personnes qui possèdent des chefs-d’œuvre ignorés de notre École nationale. Il y a là une œuvre de patriotisme à seconder.
Rappelons que l’Exposition centennale se composera des tableaux, statues, dessins, etc., qui appartiennent à la période comprise entre 1789 et 1878 ; elle sera complétée par l’Exposition décennale allant de 1878 à 1888. »

 

« Échos. À travers Paris », Le Figaro, 35e année, 3e série, n° 40, samedi 9 février 1889, p. 1 :

« Les expositions des Beaux-Arts s’organisent très rapidement et très complètement par les soins du commissariat spécial des Beaux-Arts. On peut dire dès aujourd’hui que l’Exposition centennale sera, grâce à M. Antonin Proust et à ses collaborateurs, qui ont trouvé auprès des collectionneurs le meilleur accueil, une Exposition merveilleuse et sans précédent. À ce propos, nous nous permettons de faire appel aux personnes qui possèdent des chefs-d’œuvre ignorés de notre École nationale. Il y a là une œuvre de patriotisme à seconder.
Rappelons que l’Exposition centennale se composera des tableaux, statues, dessins, etc., qui appartiennent à la période comprise entre 1789 et 1878 ; elle sera complétée par l’Exposition décennale allant de 1878 à 1888. »

Une photographie de Cezanne est prise par « Jacques Lavier. Photographe. 23 rue du Vieux Colombier. Paris », pour la carte d’entrée du peintre à l’Exposition universelle.

Original de la photographie dans les archives de Marcel Provence, Aix, atelier des Lauves.
Ratcliffe Robert William, « Cézannes Working Methods and their Theoretical Background », thèse de doctorat, Londres, University of London, The Courtauld Institute of Art, 1960, 448 pages, p. 19.
Photographie reproduite par Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Bernard Grasset éditeur, 1937, 319 pages, face à la page 184.

 

Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, Les éditions Georges Crès & Cie, 1924 (1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919), 247 pages, p. 64-65 :

« Mais le peintre devait avoir le bonheur d’être admis dans un milieu non moins officiel : l’Exposition universelle de 1889. Il est vrai que, cette fois encore, il était accepté par favoritisme, ou, plus exactement, par marchandage. On avait insisté auprès de M. Chocquet pour avoir un meuble précieux [aucun prêt de meuble par Chocquet n’est mentionné dans le catalogue de l’Exposition universelle], que l’on tenait à voir figurer à cette exposition. Il ne refusa pas, en principe, de le prêter, mais mit comme condition formelle qu’on exposât aussi une œuvre de Cezanne. Ce tableau, cela va sans dire, se trouva placé tout contre le plafond, de telle sorte que, seuls, son possesseur et son auteur pouvaient l’entrevoir.
N’importe, on imagine la joie de Cezanne, à se voir accroché une fois de plus ! Mais cette joie, hélas ! n’était pas sans mélange ; le père de l’artiste n’était pas là pour la partager. Cezanne, en effet, avait eu la douleur de perdre son père quatre ans auparavant, en 1885 ; mais il lui restait la consolation de pouvoir penser que ce père si regretté avait conservé jusqu’au bout une confiance inébranlable dans le triomphe final de son enfant. Cette foi exemplaire était entretenue chez M. Cezanne par son orgueil de père. Ne disait-il pas : « Moi, Cezanne, je n’ai pu avoir fait un crétin ! » Quant à la mère du peintre, qui ne devait mourir que huit ans plus tard, en 1897, si elle désirait ardemment voir les efforts de son fils récompensés, c’était parce qu’elle sentait combien son Paul souffrait d’être méconnu : autrement, qu’il vendît ou ne vendît pas, cela n’avait pas d’importance à ses yeux, puisque « le petit avait de quoi ». »

7 juillet

Cezanne renouvelle ses remerciements au critique d’art Roger Marx (Nancy, 28 août 1859 – Paris, 13 décembre 1913 à Paris) pour son appui à l’Exposition centennale et lui demande de transmettre ses remerciements à Antonin Proust, le commissaire de l’exposition.

« Paris, 7 juillet 1889.
Monsieur,
Je vous ai écrit pour vous remercier d’avoir bien voulu vous occuper de moi. Je regrette que la lettre ne vous soit pas parvenue. Je vous renouvelle bien sincèrement mes remerciements, et je vous prie de faire agréer à Monsieur Antonin Proust toute ma gratitude.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments dévoués.
Paul Cezanne

Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 229.

11 juillet

De Goncourt rencontre Mirbeau, qui lui raconte des « morceaux de sa vie ».

« Jeudi 11 juillet. — […]
Mirbeau a la gentillesse de me reconduire à Auteuil, et, en une expansion amicale, me raconte dans le fiacre, des morceaux de sa vie, pendant qu’aux lueurs passagères et fugitives, jetées par l’éclairage de la route dans la voilure, je considère cet aimable violent, dont le cou et le bas du visage ont le sang à la peau, d’un homme qui vient de se faire la barbe.
Au sortir de l’école des Jésuites de Vannes, vers ses dix-sept ans, il tombe à Paris pour faire son droit, mais n’est occupé qu’à faire la noce. Vers ce temps-là, Dugué de la Fauconnerie fonde l’Ordre, et l’appelle au journal, et il a le souvenir — lui qui vient d’écrire la notice de l’exposition de Monnet — que son premier article, fut un article lyrique sur Manet, Monnet, Cezanne, avec force injures pour les académiques : article qui lui fit retirer la critique picturale. »

Journal des Goncourt. Mémoires de la vie littéraire, 3e série, 2e volume, tome huitième « 1889-1891 », « Bibliothèque Charpentier », Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle éditeurs, 1895, 330 pages, p. 69-70.

À partir de juillet

En 1889, Olympia de Manet a été exposé à l’Exposition universelle. Un collectionneur américain proposa de l’acquérir pour 20 000 francs. De peur de voir ce chef d’œuvre quitter la France, Claude Monet, soutenu par Octave Mirbeau, lance une large souscription pour offrir le tableau au Louvre.

Ainsi, Monet écrira à Vollon le 23 novembre :

« Giverny par Vernon eure
23 nov 89
Mon cher Vollon
Je m’occupe d’une souscription que nous faisons entre amis et admirateurs de Manet pour acheter son Olympia et l’offrir au Louvre C’est le plus bel hommage que nous puissions rendre à sa mémoire – et c’est en même temps une faveur discrète de venir en aide à sa veuve à laquelle appartient le tableau
J’ai pensé que vous seriez heureux de vous associer à notre manifestation à laquelle nous serions heureux nous même de vous voir prendre part. Je viens donc vous prier de me répondre le plus tôt possible en me disant pour quelle somme je devrais vous inscrire.
Avec mes meilleurs compliments, croyez moi cordialement votre
Claude Monet. »

Lettre de Monet à Vollon, « Giverny par Vernon eure 23 nov 89 » ; en vente par Autographes des siècles, Lyon, 2015, http://www.autographes-des-siecles.com/produit/monet-claude-lolympia-dedouard-manet/.

La somme sera réunie le 7 février 1890, grâce à des contributeurs comme Caillebotte, Durand-Ruel, Huysmans, Mirbeau et bien sûr Monet. Cezanne ne figure pas sur la liste des donateurs. Peut-être que Monet ne l’a pas sollicité. D’autres, comme Zola, Fauré ou Cassat refuseront de participer à la souscription. Zola s’en explique auprès de Monet :

« Mon cher Monet,
J’en suis très chagrin, mais je ne puis m’inscrire à la souscription dont vous me parlez. C’est chez moi un parti pris absolu de ne pas acheter de peintures, même pour le Louvre. Que des amateurs se syndiquent pour faire monter les prix d’un peintre dont ils ont les toiles, je le comprends ; mais je me suis promis, moi écrivain, de ne jamais me mêler à ces sortes d’affaires.
J’ai assez défendu Manet par la plume, pour craindre aujourd’hui le reproche de lui marchander la gloire. Manet ira au Louvre, mais il faut que ce soit de lui-même, en pleine reconnaissance nationale de son talent, et non sous cette forme détournée de cadeau, qui sentira quand même la coterie et la réclame. »

Lettres de Monet à Zola, 22 juillet 1889, et au ministre de l’Instruction publique, 7 février 1890, Wildenstein Daniel, Monet. Vie et œuvre, Lausanne Paris, Bibliothèque des arts, tome II, 1979, documents nos 1000, 1032,1047, p. 250, 254, 255-256.
Lettre de Zola à Monet, Médan, 23 juillet 1889 ; Émile Zola. Correspondance, édité sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire Henri Mitterand, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Paris, éditions du CNRS, tome VI « 1887-1890 », 1987, 524 pages, lettre n° 396, p. 408.

Le tableau sera accepté par l’État pour le musée du Luxembourg par décret du 17 novembre 1890.

2 août

Renoir écrit à Monet :

« Mon cher ami
Je suis ici depuis plus d’un mois [Essoyes] et j’avais complètement oublié la souscription. J’irai a Paris la semaine prochaine et je verrai où en sont mes affaires. Je ne puis te répondre avant. Je vois avec plaisir que ca a bien marché jusqu’à présent.
Aussitôt que je pourrai je t’écrirai Je ne sais si Caillebotte est de retour de Normandie. J’irai voir.

Cézanne est à Paris tu pourrais peut-être lui écrire pour le père Chocquet. Ils se voient souvent.
Bref, je ferai tout ce que je pourrai.
a toi
Renoir
Essoyes – 2 aout. »

Lettre de Renoir à Monet, Essoyes, 2 août [1889 ?] ; vente Archives de Claude Monet, collection Cornebois, Paris, Artcurial, 11 décembre 2006, n° 249, reproduit.

30 octobre – 11 novembre

À l’initiative du critique Karl Madsen, l’Association des amis de l’art (Kunstforeningen) organise à Copenhague une exposition de peinture impressionniste française et scandinave. Des tableaux de Cezanne de la collection de Gauguin y sont présentés, d’après le compte rendu de Karl Madsen : Femme nue (FWN595-TA-R140), Montagnes en Provence (FWN124-R391), L’Allée (FWN130-R409), Le Château de Médan (FWN149-R437). La Femme nue sera retirée de l’exposition.

Copenhague, Kunst. Impressionisterne i Kunstforeningen (Copenhagen Art Society), Scandinavian and French Impressionists, 30 octobre – 11 novembre 1889.
Bodelsen Merete, « Gauguin, the Collector », The Burlington Magazine, septembre 1970, p. 602. Madsen Karl, « Kunst. Impressionisterne i Kunstforeningen », Politiken, 10 novembre 1889.

Le tableau Femme nue réapparaîtra dans la boutique du père Tanguy, à Paris, où Émile Bernard l’a vu. Bernard en donne une description qui coïncide à la fois avec le compte rendu de Karl Madsen et la caricature de Stock de l’envoi au Salon de Cezanne en 1870. Maurice Denis se souviendra lui aussi avoir vu chez Tanguy La Femme du vidangeur de Cezanne.

Madsen Karl, « Kunst. Impressionisterne i Kunstforeningen », Politiken, 10 novembre 1889 ; cité par Bodelsen Merete, « Gauguin’s Cézannes », The Burlington Magazine, n° 810, volume CIV, mai 1962, p. 204-211, cité p.  :

Traduit du danois :

« Un grand tableau de femme âgée nue [FWN595-TA-R140], peinte plus grande que nature par Cezanne, n’a pas été accroché dans le salon, dans le respect dû à l’état d’innocence absolue de Copenhague. Ce n’est ni particulièrement attrayant ni un tableau particulièrement bon, et son absence ne peut être qualifiée de perte. La femme âgée affiche les tristes ruines de ses charmes étirés sur une feuille blanche éblouissante, une main saisissant un éventail plié ; un tissu vermillon, terne, est drapé sur une chaise dans un coin ; sur le mur noir est suspendu un petit tableau, qui semble être une authentique image d’Épinal sans aucun doute. La couleur de la figure n’est pas sans rappeler la lie d’un mauvais bordeaux, les traits saillants sont blanc calcaire, les couleurs du tableau ne sont donc pas plus séduisantes que l’être qu’elles représentent. La peinture est remarquable par son coup de pinceau, qui, avec son énergie violente et tourbillonnante cherche à donner aux contours rugueux l’impression de la grandeur et de la force d’une main de maître… comme Frans Hals… et la plupart des anciens maîtres espagnols. L’origine du tableau est assez claire. Tant en couleur qu’en facture, il est calqué sur Manet, et comme ses œuvres, quoiqu’avec des couleurs peut-être mélangées en proportions différentes. Il rappelle aussi Ribera, El Greco et Goya. »

Karl Madsen écrit de Midi. l’Estaque[FWN124-R391] que la couleur « est exactement comme celle d’une image d’Épinal… », mais qu’elle véhicule « le caractère du pays qu’elle représente. » « Il y a une grande vision dans l’image. La montagne à l’arrière-plan donne un effet magnifique, les toits rouges sont très bien placés. » Et quand il ajoute en conclusion que « le chemin sinueux à travers le terrain accidenté par les jeunes arbres rappelle un peintre français — le propriétaire du tableau — du chemin solitaire le long duquel le Christ errait en de sombres pensées vers le Mont des Oliviers », nous sommes sans doute confrontés aux propres mots de Gauguin.

 

Stock, « Le Salon par Stock », Stock-Album, 1re année, n° 2, [1870].

 

Luc le Flâneur [Émile Bernard], « En quête de choses d’art », Le Moderniste illustré, 1re année, n° 2, avril 1889, p. 14.

« EN QUÊTE DE CHOSES D’ART
À travers Paris, si vous le voulez, déambulons en quête de choses d’art.
Et, d’abord, chez Tanguy ! Connaissez-vous Tanguy ? Oui, non. Rue Clauzel, 14 ; vilaine boutique et si petite ! mais aux petites boëtes, les bons onguents. Entrez et vous verrez des trésors mille-et-une-nuitesques… Ce père Tanguy, quel fin dénicheur de chefs-d’œuvre ! Comme il a su les découvrir les méconnus d’aujourd’hui, les maîtres de demain ! Mais entrons sans plus tarder… Tenez, voici d’incomparables merveilles de Cézane [sic] ! tenez, voici des toiles de Vincent, formidables de fougue, d’intensité, d’ensoleillement ; voici des coins de Seine, des ciels de banlieue, salis par les tourbillonnantes fumées des cheminées d’usine, des paysages baignés de lumière rose, et tout cela, signé Guillaumin ; voici, d’une synthèse de dessin, de composition et de couleur digne de tels maîtres primitifs, des vues de Bretagne d’Émile Bernard. »

 

Bernard Émile, « Paul Cezanne », Le Cœur, 2e année, décembre 1894, n° 9, p. 4-5 :

« Chez Tanguy, rue Clauzel, nous avons vu autrefois une femme nue couchée [FWN595-TA-R140] que Daumier, qui est un bien grand dessinateur, n’aurait point su faire, et que Michel-Ange n’aurait point désavouée malgré sa laideur ; car cette laideur même est d’une grandeur incompréhensible, qui s’impose et qui faisait dire à Baudelaire : Les charmes de l’horreur n’enivrent que les Forts.
Étendue de tout son long, cette femme vraiment immense, ce qui fait songer à la « Géante » du même poète, se détache en lumière d’un fond de mur gris où une image naïve est encore collée. Au premier plan, une étoffe rouge est jetée sur une chaise grossière.
Si Manet dans « Olympia » a mis plus de grâce et d’étrangeté, il n’a pas peint ces draps larges et clairs, ces ombres vigoureuses, ces membres puissants et ce rouge clamant comme une fanfare, qui pend sur cette chaise de campagne ; c’est là un morceau unique, sain, surprenant, énorme et qui fait songer avec désespoir au temps que perdit Cezanne, tyrannisé par son père ; et à ce que nous avons perdu nous-mêmes en ne l’employant pas sur les murs de nos édifices. »

 

Denis Maurice, « L’époque du symbolisme », Gazette des beaux-arts, 76e année, 6e période, tome XI, mars 1934, p. 165-179,  citation p. 166-168 :

« Un autre souvenir resté vivant c’est, à la veille d’une exposition des Indépendants, la calme rue Clauzel et la boutique peinte en bleu du père Tanguy. On entend des blanchisseuses qui roucoulent la Chanson des Blés d’Or :
Ah ! quand le rossignol viendra chanter encore,
et le martellement grêle des sabots des chevaux de fiacre, peu nombreux, dans le silence de ce quartier mal fréquenté. Nos toiles attendent sur le trottoir la charrette à bras qui les portera au Pavillon de la Ville de Paris, sur le Cours la Reine [1891 ?]. Mais le vieillard que Van Gogh a peint, avec son air bon et buté, sous le chapeau de paille, montre à l’intérieur de son petit magasin les soleils de Vincent, les grandes natures mortes de Cezanne, ses paysages, son portrait d’Emperère [FWN423-R139], et la Femme du Vidangeur [FWN595-TA-R140], aujourd’hui perdue. »

Vers le 3 novembre

Van Gogh écrit à son frère Théo :

« Car oui, il faut sentir l’ensemble d’une contrée — n’est ce pas là ce qui distingue un Cezanne d’autre chôse. »

Lettre de Vincent van Gogh à son frère Theo, vers le 3 novembre 1889 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume V « Saint-Rémy-de-Provence – Auvers-sur-Oise, 1889-1890 », 326 pages, lettre n° 613 p. 128-135.

[Novembre]

Gauguin, découragé :

« Ah ! si j’avais comme Cezanne de quoi entreprendre la lutte, je la ferais certes avec plaisir. »

Lettre de Gauguin, Le Pouldu, à Émile Bernard, non datée, [novembre 1889] ; Lettres de Gauguin à sa femme et à ses amis, recueillies et préfacées par Maurice Malingue, Paris, éditions Bernard Grasset, 1946, 348 pages, lettre XCII, p. 174.

27 novembre

Cezanne accepte l’invitation d’Octave Maus à participer à l’exposition des XX à Bruxelles. Durand-Ruel se charge de l’envoi et du catalogage des œuvres.

« Paris, 27 novembre 1889.
Monsieur,
Après avoir pris connaissance de votre flatteuse lettre, je vous remercie d’abord, et je me rends avec plaisir à votre aimable invitation.
Me sera-t-il cependant permis de repousser l’accusation de dédain, dont vous me gratifiez relativement à mon refus de prendre part aux expositions de peinture ?
Je vous dirai à ce sujet que les nombreuses études auxquelles je me suis livré ne m’ayant donné que des résultats négatifs, et redoutant des critiques trop justifiées, j’avais résolu de travailler dans le silence, jusqu’au jour où je me serais senti capable de défendre théoriquement le résultat de mes essais.
Devant le plaisir de me trouver en si bonne compagnie, je n’hésite pas à modifier ma résolution et vous prie d’agréer, Monsieur, et mes remerciements et mes confraternelles salutations.
Paul Cezanne »

  1. Octave Maus, animateur du groupe des « Vingt », artistes d’avant-garde à Bruxelles. Cezanne enverra à leur exposition de 1890 trois tableaux qui y seront accrochés à côté d’œuvres de Renoir, Sisley, Signac, Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Redon, etc.
Lettre de Cezanne à Maus, 27 novembre 1889, Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 229-230.

13 décembre

Décès de Claude Antoine Fiquet, le père d’Hortense, « domestique âgé de quatre vingt deux ans, […] décédé en la maison du sr Claude François Claude-François Guignaud, [gendarme] retraité » à Lantenne-Vertière. C’est le village natal de son épouse, Catherine Déprez, décédée le 23 juillet 1867 à Paris (6e), dans leur demeure, 5, rue Childebert, âgée de quarante-six ans. À Lantenne-Vertière, il cultivait quelques lopins de terre ayant appartenu à son épouse. Il était aussi domestique au service de l’ancien gendarme.

Acte de décès de Marie Catherine Déprez, n° 1611 du 24 juillet 1867, Archives de Paris, registre d’état-civil, 1867, p. 728.
Acte de décès n° 10, Claude Antoine Fiquet, le 14 décembre 1889, Archives communales de Lantenne-Vertière (Jura), registre d’état-civil :

« L’an mil huit cent quatre vingt neuf le quatorze du mois de décembre à neuf heures du matin, par devant nous Jean Baptiste Odile, maire officier de l’état civil de la commune de Lantenne Vertière, canton d’Audeux, département du Doubs, sont comparus Faivret Pierre, âgé de quarante six ans, cultivateur, et Bartès Hippolyte, âgé de quarante huit ans, instituteur, les deux domiciliés à Lantenne et voisins du défunt, lesquels nous ont déclaré que hier à neuf heures du soir Claude Antoine Fiquet, domestique, âgé de quatre vingt deux ans, né à Saligney (Jura) le quinze octobre mil huit cent sept, domicilié à Lantenne Vertière, fils de Antoine et de Barbe Prost, décédés en leur vivant cultivateur audit Saligney, veuf de Catherine Desprez, décédée à Paris, sans profession, est décédé en la maison du Sr Claude François Guignaud, retraité domicilié audit Lantenne, ainsi que nous nous en sommes assuré et les déclarants ont signé avec nous le présent acte après qu’il leur en a été donné lecture.
Odile            Bartes          P. Faivret »

 

De Beucken Jean, Un portrait de Cezanne, Paris, « nrf », Gallimard, 1955, 341 pages, p. 221-222 :

« Son père mort depuis peu, à quatre-vingt-trois ans, elle doit régler quelques petites affaires à Lantennes, où M. Fiquet s’était retiré très modestement dans la maison d’un gendarme. Hortense allait rarement le voir, et le jeune Paul n’avait été que deux fois chez ce vieillard petit et mince, mais encore vigoureux, au type assez espagnol, la barbe et les cheveux abondants restés presque noirs.

18 décembre

Cezanne demande à Victor Chocquet le prêt de La Maison du pendu (FWN81-R202), pour répondre à une invitation à participer à l’exposition de l’association des XX de Bruxelles :

« Paris, 18 décembre 1889.
Monsieur Chocquet,
Je viens avoir recours à votre obligeance, si toutefois l’idée qui m’est venue vous paraît acceptable. Mis en demeure par l’association des XX de Bruxelles de prendre part à l’exposition et m’a trouvé pris au dépourvu, je me hasarde à vous demander la maison du Pendu pour leur être envoyée. ― Je me permets de joindre à ce mot la première lettre de Bruxelles que j’ai reçue et qui vous fera connaître ma situation à l’égard de cette association, quand j’aurai ajouté que j’ai consenti à leur aimable demande.
Veuillez agréer, Monsieur Chocquet, mes plus profondes salutations, et vous prie de faire agréer à Madame Chocquet mes respectueux hommages.
La mère et le petit se joignent à moi dans cette circonstance.
Votre reconnaissant
Paul Cezanne »

Lettre de Cezanne à Victor Chocquet, datée « Paris, 18 décembre 1889 » ; vente Lettres autographes de peintres, Paris, hôtel Drouot, 10 mars 1996, Mes Laurin, Guilloux, Buffetaud, Tailleur, n° 11.
Vente, Christie’s, Londres, King Street, 23 novembre 2011, n° 16, page ⅔ reproduite.
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 230.

21 décembre

Cezanne annonce à Octave Maus qu’il pourra lui faire parvenir pour l’exposition : une « étude de paysage », prêtée par Robert de Bonnières et achetée à Tanguy, mais il ne sait pas laquelle (Le Moulin sur la Couleuvre à Pontoise, FWN158-R483) ; « Une chaumière à Auvers-sur-Oise », prêtée par Chocquet (La Maison du pendu, FWN81-R202) et une « Esquisse de baigneuses ».

« Paris, 21 décembre 1889.
Cher Monsieur,
Je me suis adressé à Tanguy pour savoir quelle était celle de mes études qu’il avait vendue à M. de Bonnières.
Il n’a rien pu me préciser. Je vous prierai donc de cataloguer cette toile : Étude de paysage. D’un autre côté, pris au dépourvu, je me suis adressé à M. Chocquet, actuellement hors de Paris 1, qui immédiatement a mis à ma disposition : Une chaumière à Auvers-sur-Oise. Mais cette toile se trouve sans bordure, le cadre commandé par M. Chocquet (bois sculpté) ne se trouvant pas prêt. Si vous aviez quelque vieux cadre pour l’envelopper, vous me mettriez bien à l’aise. C’est une toile de quinze, mesure usuelle. Enfin, je vous adresse une toile : Esquisse de baigneuses dont je vais faire remettre le cadre à M. Petit.
Agréez, cher Monsieur, mes plus cordiales salutations.
Paul Cezanne »

  1. A la mort de sa mère, en mars 1882 à Yvetot, Mme Chocquet avait hérité une fortune considérable, notamment en terrains dans la région. Le collectionneur et sa femme passeront désormais la plus grande partie de l’année en Normandie où Cezanne leur rendra visite notamment en 1882 à Hattenville ; il y retournera plusieurs fois.
Lettres de Cezanne à Maus, 21 décembre 1889 ; vente Londres, 23 novembre 2011, une page reproduite ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 230-231.

Courant de l’année

Huysmans publie Certains.

Huysmans J. K., Certains. G. Moreau, Degas, Chéret, Wisthler, Rops, le monstre, le fer, etc., Paris, Tresse & Stock, éditeurs, 1889, 230 pages, Cezanne p. 41-43.