18 janvier
Ouverture de la 7e exposition annuelle des XX au palais des Beaux-arts de Bruxelles. Trois tableaux de Cezanne y sont exposés, en même temps que des tableaux de van Gogh, Sisley et Renoir.Son adresse inscrite au catalogue est, 15, Quai d’Anjou.
Cezanne ne se rend pas à Bruxelles. Aucune de ses œuvres n’est achetée pendant l’exposition.
« PAUL CÉZANNE
1. Étude de Paysage [Le Moulin sur la Couleuvre, à Pontoise, FWN158-R483]
Appartient à M. R. de Bonnières
2. Une chaumière à Auvers-sur-Oise [La Maison du pendu, Auvers-sur-Oise, FWN81-R202]
Appartient à M. Chocquet
3. Esquisse de baigneuses [Quatre baigneuses, FWN956-R667]
15, Quai d’Anjou, Paris »Catalogue de la VIIIe exposition annuelle. Les XX, Bruxelles, palais des Beaux-arts, 1890.
« Petite chronique », L’Art moderne, revue critique des arts et de la littérature, Bruxelles, 10e année, n° 1, dimanche 5 janvier 1890, p. 7 :
« PETITE CHRONIQUE
C’est le samedi 19 janvier que s’ouvrira, au Musée ancien, le VIIe Salon annuel des XX. Par le nombre et l’intérêt des œuvres, il promet de dépasser tous ceux qui l’ont précédé. On cite notamment, parmi les toiles appelées à exciter la curiosité artistique, les attachantes études de plein air de Paul Cezanne, les symphonies éclatantes de Vincent Van Gogh, les paysages de Sisley, les compositions nouvelles de Renoir et l’envoi du groupe néo-impressionniste, dont la technique s’affirme de plus en plus. »
« L’Exposition des XX », Le Soir (Bruxelles), 19 et 27 janvier 1890 (à voir) :
« Cezanne le peintre frustre dont l’art paraît être un intermédiaire entre Courbet et les impressionnistes »
Verdavainne Georges, « L’Exposition des XX », La Fédération artistique, 26 janvier 1890 ; Solvay Lucien, « Les XX », Le Soir, 4 février 1890.
Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, Les éditions Georges Crès & Cie, 1924 (1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919), 247 pages, p. 65 :
« En 1890, Cezanne exposa trois toiles au « Vingt » de Bruxelles : un Paysage appartenant alors à M. Robert de Bonnières, et aujourd’hui au musée de Berlin ; une Chaumière à Auvers-sur-Oise de la collection Chocquet, et enfin une composition de Baigneuses(1).
Cette dernière toile [Quatre baigneuses FWN956-R667] allait être criblée par le peintre de coups de couteau à palette, puis reprise, et finalement laissée en train.
(1) « Tout cela est-il de nature à nous donner une idée quelconque de l’art jeune ? » se demandera, en présence de ces envois, la Fédération artistique belge du 26 janvier 1890. La réponse vient aussitôt : « Art brouillé avec la sincérité ». »
15 février
Cezanne remercie Maus pour l’envoi du catalogue de l’exposition.
« Paris, 15 février 1890.
Cher Monsieur,
Je viens vous remercier de l’envoi du catalogue de l’exposition des XX, et d’autant plus vivement que je m’étais promis de solliciter l’envoi d’un exemplaire de votre obligeance.
Permettez-moi de vous adresser toutes mes félicitations pour l’aspect pictoresque [transcrit pittoresque par Rewald] et très réussi que vous avez donné à ce charmant livret.
Veuillez agréer mes sincères remerciements et mes plus cordiales salutations.
Paul Cezanne »Lettre de Cezanne à Maus, 15 février 1890 ; Venturi Lionello, Les Archives de l’impressionnisme, lettres de Renoir, Monet, Pissarro, Sisley et autres, mémoires de Paul Durand-Ruel, documents, Durand-Ruel éditeurs, Paris, New York, 1939, tome II : 360 pages, p. 244.
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 232
22 mars
Victor Chocquet achète un hôtel particulier, 7, rue Monsigny à Paris, pour 150 000 francs, et quitte son appartement de la rue de Rivoli. L’hôtel particulier comprend une cave, quatre étages et un grenier, une petite cour, un escalier en bois, le tout en bon état.
Selon les calepins du cadastre de la Ville de Paris, Archives de Pari
Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury éditeur, 1921, 273 pages, p. 42 :
« Quelques années avant de mourir, M. Choquet hérita d’une belle fortune. Il se décida, à regret, à quitter son appartement de la rue de Rivoli pour aller loger ailleurs sa collection sans cesse augmentée. Il acheta, rue Monsigny, un petit hôtel du xviiie siècle dont l’architecture l’avait peut-être séduit, mais dont l’occupation ne tarda pas à le décevoir. Certes, ses tableaux trouvaient là plus de place que rue de Rivoli, mais le jour y était moins bon. En outre, le vieil amateur n’avait plus sous les yeux l’admirable décor qui l’avait réjoui pendant de longues années. La maison lui paraissait triste et trop grande avec ses trois étages. Les nombreuses visites que la notoriété de sa galerie attirait chez lui ne chassèrent pas l’ennui qui remplissait pour lui sa nouvelle demeure. Peut-être aussi, depuis qu’il était riche, éprouvait-il moins de plaisir aux trouvailles qu’il faisait. »
À la demande de Chocquet, Cezanne réalisera deux panneaux décoratifs de format allongé, probablement des dessus-de-porte (FWN675-R643 et FWN676-R644).
Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, Paris, H. Floury éditeur, 1923, 242 pages, p. 217.
Baigneuses [FWN676-R644] On aperçoit une barque au fond du tableau.
La Vasque au paon [FWN675-R643] Cette toile ainsi que la précédente étaient destinées à décorer l’hôtel de M. Chocquet, rue Monsigny ; elles n’étaient achevées ni l’une ni l’autre au moment de la mort de celui-ci.
Dernier point qui peut se trouver confirmé par la lettre du 3 janvier 1895 d’Hortense Cezanne à Mme Chocquet :
« Pour les panneaux de votre chambre, je vous prie, si vous voulez bien me faire le très grand plaisir de me donner de vos nouvelles, de me faire savoir l’époque où vous pensez venir à Paris, et je prendrai mes dispositions pour vous les apporter. »
Lettre d’Hortense Cezanne, Paris 3 janvier 1895 à madame Victor Chocquet, communiquée par Philippe Cezanne.
Rewald John, « Chocquet and Cezanne », Gazette des beaux-arts, 6e période, tome LXXIV, 111e année, 1206-1207e livraisons, juillet-août 1969, p. 33-96, mentionné p. 68-69 ; repris dans Rewald John, Studies in Impressionism, édité par Irene Gordon et Frances Weitzenhoffer, Londres, Thames and Hudson, 1985, 232 pages, p. 121-187, mentionné p. 155-156.
14 avril
Renoir épouse Aline Charigot.
20 mai
Van Gogh, arrivé le jour-même à Auvers-sur-Oise, écrit qu’il vient de rencontrer le docteur Gachet, chez qui il a vu un Pissarro et deux Cezanne.
« Probablement tu verras le Dr Gachet cette semaine – il a un très beau Pissaro hiver avec maison rouge dans la neige. et deux beaux bouquets de Cezanne.
Aussi un autre Cezanne du village. Moi à mon tour je veux volontiers, très volontiers donner ici un coup de brosse. »Lettre de Vincent van Gogh à Theo et Jo van Gogh, 20 mai 1890 ; Jansen Leo, Luijten Hans, Bakker Nienke (sous la direction de), Vincent van Gogh. Les lettres. Édition critique complète illustrée, Arles, Actes Sud, Amsterdam, Van Gogh Museum, La Haye, Huygens Institute, 2009, 6 volumes, volume V « Saint-Rémy-de-Provence – Auvers-sur-Oise », 326 pages, lettre n° 873 p. 240.
Il s’agit de Châtaigniers à Louveciennes (PDRS 218), de Pissarro, et de Géraniums et pieds-d’alouette dans un petit vase de Delft (FWN720-R226), Dahlias dans un grand vase de Delft (FWN721-R223), de Cezanne. À revoir.
Premier semestre, avant juin
Cezanne et sa famille emménagent à Paris, 69, avenue d’Orléans, selon l’adresse inscrite dans l’autorisation du 28 mai 1890 de Paul Cezanne à Hortense de vendre des biens lui appartenant par succession de son père.
« Pardevant Me Coeurdevey notaire à Pin l’Emagny soussigné en présence de témoins,
A comparu
M. Paul Cezanne artiste peintre demeurant à Paris avenue d’orléans 69, actuellement à Emagny (Doubs)
Lequel a par ces présentes donné à Madame Marie Hortense Amélie Fiquet, son épouse, qu’il autorise demeurant avec lui audit lieu déclaré, et en ce moment à Emagny
Tous pouvoirs d’autorisation maritale nécessaires à l’effet de vendre par acte authentique soit à l’amiable, soit par adjudication volontaire, aux prix et avec les clauses, charges et conditions que la mandataire avisera, les immeubles dont la désignation suit appartenant en propre à Madame Cezanne
Territoire de Lantenne
[…]
[en marge] certifié sincère et véritable par Madme Cezanne soussigné devant par les témoins aussi soussigné à la minute d’un procès verbal d’adjudication par eux dressé aujourd’hui même premier juin mil huit cent quatre vingt dix
H. Fiquet Levey Spea[signature illisible]
[…]
Madame Cezanne a recueilli ces immeubles dans la succession de M. Claude Antoine Fiquet son père en son vivant propriétaire demeurant à Vertière commune de Lantenne où il est décédé le treize décembre mil huit cent quatre vingt neuf, laissant Mad Cezanne sa fille susnommée pour sa seule et unique héritière, auquelle le déclare
[…]
Dont acte fait et passé à Pin l’Emagny en l’an mil huit cent quatre vingt dix le vingt huit mai, en présence de M. Auguste Maire facteur et Léon Berton boucher les deux demeurant à Pin l’Emagny et après lecture faite M. et Mad Cezanne ont signé ainsi que les témoins et le notaire
H. A. Fiquet P . Cezanne
Maire Berton Coeurdevey »Autorisation du 28 mai 1890, de Paul Cezanne à Marie Hortense Amélie de vendre des biens appartenant à madame Cezanne par succession de son père, Archives étude notariale, Recologne, Me Guillaume, communiqué par Raymond Hurtu.
« […] qu’ils sont mariés sans contrat à la Mairie d’Aix en Provence le vingt neuf avril mil huit cent quatre vingt six ; qu’ils ne sont pas tuteurs de mineurs ni […] et que les immeubles ne sont grevés d’aucune hypothèque
Aux effets cidessus passer et signer tous actes […]
domicile, substituer et faire le nécessaire […]
Dont acte fait et passé à Pin l’Emagny et […]
L’an mil huit cent quatre-vingt-dix, le vingt huit mai, en présence de MM. Auguste Maire, facteur et Léon Berton, boucher les deux demeurant à Pin l’Emagny.
Et après lecture faite, M. et Mad. Cezanne ont signé avec leurs témoins et le notaire
H. A. Fiquet P. Cezanne
Maire Augt. L. Berton Coeurdevey »Procuration du 28 mai 1890, de Paul Cezanne, artiste peintre, à H. A. Fiquet, son épouse, demeurant actuellement à Emagny (Doubs), suivant acte reçu par Me Coeurdevey -notaire à Pin-l’Emagny, Archives étude notariale, Recologne, Me Guillaume, communiqué par Raymond Hurtu.
Théo van Gogh note dans son carnet d’adresses celle de Cezanne : « 78, avenue d’Orléans, Paris (en 1890) ».
de Leeuw et Pabst Fieke (annoté et commenté par), « Le carnet d’adresses de Theo van Gogh », Van Gogh à Paris, catalogue d’exposition, Paris, musée d’Orsay, 2 février – 15 mai 1988, 403 pages, p. 355.
L’appartement se compose d’un vestibule d’entrée, d’une cuisine, d’une salle à manger avec alcôve, d’un cabinet noir et d’une chambre à feu.
Calepins cadastraux D1P4, 1876, Archives de Paris.
Entre peu avant le 28 mai et le 7 ou 8 août
Cezanne séjourne à Émagny dans le Doubs en compagnie d’Hortense, originaire du Jura, et de leur fils. Ils s’installent à l’hôtel de la Gare Faurien, dans la Grande Rue. Hortense est venue liquider la succession de son père et vendre les biens qu’il laisse. Le 28 mai, Cezanne signe auprès de Maître Coeurdevey, notaire à Pin-l’Émagny, une procuration autorisant madame Cezanne à vendre ses biens. Le dimanche 1er juin, ils assistent à la vente qui a lieu à Lantenne-Vertière, à une quinzaine de kilomètres, en la maison commune, par-devant maître Mabile, notaire.
Autorisation du 28 mai 1890, de Paul Cezanne à Marie Hortense Amélie de vendre des biens appartenant à madame Cezanne par succession de son père, Archives étude notariale, Recologne, Me Guillaume, communiqué par Raymond Hurtu. Voir ci-dessus.
Procuration du 28 mai 1890, de Paul Cezanne, artiste peintre, à H. A. Fiquet, son épouse, demeurant actuellement à Emagny (Doubs), suivant acte reçu par Me Coeurdevey -notaire à Pin-l’Emagny, Archives étude notariale, Recologne, Me Guillaume, communiqué par Raymond Hurtu. Voir ci-dessus.
Procès-verbal d’adjudication du 1er juin 1890, Archives étude notariale, Recologne, Me Guillaume, communiqué par Raymond Hurtu :
« Du 1er Juin 1890
Adjudication
Moyt 1355
par
Mr et Madame Cezanne
à
Plusieurs
L’an mil huit cent quatre vingts dix
le dimanche premier Juin à dix onze heures du matin
Lantenne, en la maison commune
Pardevant Me Léon Auguste Mabile notaire à la résidence de Lantenne, canton d’Audeux, département du doubs, soussigné,
En présence des deux témoins instrumentaires ci-après nommés et aussi soussignés
A comparu
Madme Marie Hortense Amélie Fiquet, épouse de Mr Paul Cezanne, artiste peintre, demeurant ensemble à Paris, avenue d’Orléans, 69, actuellement à Émagny (doubs)
Madme Cezanne spécialement autorisée par son mari susnommé, à l’effet des présentes, aux termes de l’autorisation maritale qu’il lui a donnée suivant acte reçu par maître Coeurdevey notaire à Pin l’émagny le vingt huit mai dernier, dont le brevet original, enregistré est demeuré annexé aux présentes après mention.
Laquelle a dit qu’étant dans l’intention de vendre aux enchères publiques, divers immeubles en nature de labours, prés, friches et vignes, situés sur les territoires des communes de Lantenne-Vertière et Cordiron et lui appartenant, elle avait fait annoncer par affiches publiées et apposées tant à Lantenne que dans plusieurs communes voisines, qu’elle procéderait à cette vente par adjudication aujourd’hui en la maison commune de Lantenne et par le ministère du notaire soussigné, à onze heures du matin
En conséquence, elle a requis led. Me Mabile d’établir la désignation et l’origine de propriété des immeubles à vendre, ainsi que les charges clauses et conditions de l’adjudication le tout de la manière suivante
Désignation des immeubles à pendre
Territoire de Lantenne-Vertière
[…]
Les immeubles ci-dessus désignés appartiennent en propres à Madme Cezanne pour les avoir recueillis dans la succession de Mr Claude Antoine Fiquet, son père, en son vivant propriétaire demeurant à Vertière, commune de Lantenne, où il est décédé et duquel elle était seule et unique héritière, ainsi déclaré.
A la réquisition des parties, l’origine de propriété n’a été établie plus longuement.
[…]
Tableau des adjudicataires à vente dont minute précède
[…] Totaux 1355”».
Le montant total des adjudications s’élève à 1355 francs, pour 20 lots.
Malgré le mauvais temps qui sévit jusqu’au 10 juillet, le peintre travaille à des aquarelles : notamment Bourg avec église (Émagny), RW343, et Vue d’Émagny, RW344.
Lettre d’Hortense Cezanne à madame Chocquet, 1er août 1890 ; Paris, musée des Lettres et manuscrits (voir pus bas).
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 232-233.
Hurtu Raymond, « Quand Cezanne vient peindre au pays de Courbet… », Courbet / Cezanne. La vérité en peinture, catalogue d’exposition (sous la direction scientifique de Denis Coutagne), Ornans, musée Gustave Courbet, 29 juin – 14 octobre 2013, Lyon, Fage éditions, 2013, 192 pages, p. 108-117, p. 109, p. 110-111 et note 3 p. 110 :
« Madame Petit-Richard, arrière-petite-fille du gendarme Guignaud (chez lequel le père d’Hortense est décédé) se souviendra d’un peintre au caractère difficile venu fin xixe siècle. Ce peintre déchirait ce qu’il venait de réaliser (souvenir reçu de son grand-père, fils du gendarme). »
Juillet
Georges-Albert Aurier signale une nature morte de Cezanne chez Tanguy : « poires sur une serviette » (FWN796-R556 ou FWN803-TA-R559 ou FWN845-R737).
« Chez Tanguy (rue Clauzel) : des Van Gogh, des Gauguin, des Émile Bernard, des Guillaumin, des Luce et une nature morte de Cezanne (poires sur une serviette) qui est tout simplement un incomparable chef-d’œuvre. »
Aurier G.-A., « Enquêtes de choses d’art », Mercure de France, année 1890, n° 8, août 1890, p. 301-302, Cezanne p. 302.
Vollard Ambroise, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Paris, éditions Albin Michel, 1937, 447 pages, p. 35 :
« Je ne parle pas des Cezanne dont les toiles, en 1890, étaient en vente chez le père Tanguy, les plus grandes à cent francs et les petites à quarante francs. »
28 juillet
Marie Cezanne achète une propriété à Aix, 15, traverse Sainte-Anne (aujourd’hui rue Paul-Beltcaguy), pour 17 500 francs.
Testament de Marie Cezanne, Draguignan, bureau de l’Enregistrement, 16 décembre 1921, volume 2058, n° 47, communiqué par monsieur Robert Tiers.
1er août
Hortense Cezanne, depuis Émagny, prévient madame Victor Chocquet qu’elle et son mari vont passer l’été en voyage en Suisse, où elle et son fils avaient déjà séjourné dix jours, à Vevey. Elle fait allusion à une dispute survenue entre la mère de Cezanne et sa fille Marie, qui depuis sont réconciliées.
« Emagny, 1er août 1890.
Chère Madame et amie,
Vous devez être de retour à Paris, je vous y adresse donc ma lettre. Nous allons partir jeudi ou vendredi pour la Suisse où nous comptons finir la saison. Il fait très beau temps et nous souhaitons que cela dure.
Paul[1] et moi avons déjà passé dix jours en Suisse et nous avons trouvé ce pays si beau que nous en sommes revenus avec le désir d’y retourner. Nous avons vu Vevey où Courbet a fait ce joli tableau que vous possédez.
J’espère, chère Madame, que vous êtes ainsi que M. Chocquet et la petite Marie en bonne santé.
Vous devez être très occupée de votre hôtel car ce n’est pas une petite affaire que de faire réparer et aménager quatre étages[2]. J’espère que ce sera promptement fait et que vous pourrez vous installer très prochainement. Je pense que vous y serez très bien et que vous ne regretterez pas trop la peine que cela vous donne.
Nous nous portons bien. Je suis mieux qu’à mon départ et j’espère que mon voyage en Suisse va me remettre complètement. Nous avons l’intention d’y chercher une habitation et d’y passer les mois d’été. Mon mari a pas mal travaillé; malheureusement il a été dérangé par le mauvais temps que nous n’avons cessé d’avoir jusqu’au 10 juillet. Il n’en continue pas moins de se rendre au paysage avec une ténacité digne d’un meilleur sort.
Monsieur Chocquet doit être très occupé de tous ses tableaux, meubles et jolis bibelots. Nous espérons que l’année prochaine nous aurons le plaisir de vous voir en Suisse. Vous n’aurez plus le tracas de cette année et je puis vous assurer que vous trouverez le pays superbe; je n’ai encore rien vu d’aussi beau et puis il fait si frais dans les bois et sur les lacs et puis cela nous ferait tant de plaisir de vous avoir.
Mon mari et Paul se joignent à moi pour vous prier d’agréer leurs meilleurs souvenirs et vous prient de les rappeler à la bonne amitié de M. Chocquet. Nous vous prions aussi de bien embrasser la petite Marie qui doit être bien sage, nous n’en doutons pas et qui sait bien lire.
Pour vous, chère Madame et amie, je vous embrasse de tout mon cœur et suis bien votre affectionnée
Hortense CezanneP.S. Ma belle-mère et ma belle-sœur Marie sont réconciliées, j’en suis aux anges. Dès que nous serons installés en Suisse je vous donnerai notre adresse. »
[1] Il s’agit de Paul fils, alors âgé de 18 ans.
[2] Rappelons qu’en mars 1890, Chocquet avait acquis un petit hôtel particulier, 7 rue Monsigny (entre l’Opéra et la Bourse) pour 150 000 francs. Il comptait y installer sa collection qu’il n’avait pas emportée à Yvetot.
Lettre d’Hortense Cezanne à madame Chocquet, datée « Emagny, 1er août » [1890] ; Paris, musée des Lettres et manuscrits.
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p.156.
Du 7 ou 8 août jusqu’à l’automne
En compagnie de leur fils, les Cezanne se rendent en Suisse.
Date du 7 au 8 août 1890 d’après lettre d’Hortense Cezanne à madame Chocquet, datée « Emagny, 1er août » [1890] ; Paris, musée des Lettres et manuscrits ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p.156.
Ils se rendent sans doute successivement à Neuchâtel (hôtel du Soleil, rue du Seyon), Berne, Fribourg, Genève, Vevey, Lausanne, par le chemin de fer.
Sur la page d’un de ses carnets, Cezanne note les noms de villages suisses autour du lac de Neuchâtel :
« 3 Voudrey – Boudry
2 Colombiers [Colombier]
1 Auverniers [Auvernier]
1,35
1,30 – bateau »« Carnet violet-moiré », imprimé en fac-similé par Daniel Jacomet, Paris, éditions Quatre-Chemins, 1956, n. p., p. III verso.
Andersen Wayne V., « Cezanne’s Carnet violet-moiré », The Burlington Magazine, volume CVII, n° 747, juin 1965, p. 313-318.
Dans les environs de Neuchâtel, que Cezanne explore en bateau, il peint des aquarelles : Vue du château de Colombier, RW345, Cortaillod, RW317, Les Gorges de l’Areuse, RW458.
Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, Paris, H. Floury éditeur, 1923, 242 pages, p. 218.
« Bords du lac de Neuchâtel, à Serrières.
Vallée de l’Areuse. Cette toile, ainsi que la précédente, abandonnées par l’artiste à l’Hôtel du Soleil, à Neuchâtel, avaient été utilisées par un autre peintre ; elles ont été, par suite, entièrement perdues. »
Rivière Georges, Cezanne, le peintre solitaire, Paris, Librairie Floury, collection « Anciens et modernes », 1933, 176 pages, p. 145.
« En quittant la Suisse, il abandonna à l’Hôtel du Soleil, où il était descendu, plusieurs toiles inachevées, entre autres une vue des Bords du lac, à Serrières et une vue de la Vallée de l’Areuse. Ces deux toiles furent plus tard utilisées par un autre peintre. Elles ont été ainsi complètement perdues. »
Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 274-275.
« Il ne trouva sans doute pas le pays à son goût pour y peindre car il n’est resté aucun témoignage artistique de ce voyage. Rivière fait mention de deux toiles inachevées, Bords du lac de Neuchâtel et Vallée de l’Areuse, que Cezanne laissa à l’hôtel du Soleil de Neuchâtel et qui furent trouvés par un autre artiste et recouverts par lui.
C’est là le premier, et le dernier voyage de Cezanne au-delà des frontières de France. […]
Soit à l’aller, soit au retour de ce voyage, Cezanne s’arrêta un petit moment dans le voisinage de Besançon où il peignit trois paysages : Les Bords de l’Ognon, Sous-bois et un Paysage à Pin-l’Émagny. »
8 octobre
Selon les dossiers de la galerie Goupil à Paris, où Theo van Gogh est employé, celui-ci achète auprès des marchands Camentron & Martin une Femme assise par Cezanne pour 300 francs.
Rewald John, The Paintings of Paul Cezanne. A Catalogue raisonné, en collaboration avec Walter Feilchenfeldt et Jayne Warman, volume I « The Texts », 592 pages, 955 numéros, New York, Harry N. Abrams, Inc., Publishers, 1996, p. 142.
26 octobre
En Suisse, la période est marquée par une campagne électorale violente pour l’élection du Conseil national et un référendum le 26 octobre. Il semble que la famille Cezanne se promène dans les rues de Fribourg au moment où des libéraux manifestent contre la majorité catholique du canton. Des affrontements se produisent. Cezanne, effrayé, disparaît et s’enfuit par le train jusqu’à Genève, d’où il prévient sa femme et son fils par une lettre.
Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 274-275.
Lors de cette expédition en Suisse en 1891 [1890], un incident curieux se produisit. En se promenant avec sa femme et son fils dans les rues de Fribourg, Cezanne assista par hasard à une manifestation anti-catholique qui l’émut profondément car il était sincèrement pieux. Il disparut aussitôt sans un mot d’avertissement ; Madame Cezanne et le jeune Paul, tout habitués qu’ils fussent à ses fantaisies, s’inquiétèrent de ne pas le voir revenir ce soir-là à l’hôtel. Ils le cherchèrent dans toute la ville, mais sans retrouver la moindre trace du peintre disparu. Enfin une lettre de Cezanne leur arriva de Genève, et ils l’y retrouvèrent quatre jours plus tard, tout à fait remis de son agitation passagère.
« La révolution au Tessin », La Croix, vendredi 19 septembre 1890, p. 2 :
« La Liberté de Fribourg décrit en ces termes les mauvais traitements auxquels ont été soumis les catholiques tombés entre les mains des radicaux tessinois.
Pendant trois mortelles journées, nos amis ont dû coucher sur des immondices, il y avait là des vieillards, sur la pierre nue et froide, à eux pas même la paille des cachots. Un conseiller d’État est enfermé dans les latrines. Respini, qui, depuis quarante ans, est resté le chef fidèle et dévoué, Respini, ce noble caractère qu’un capitan radical proposait naguère comme modèle à ses jeunes partisans, nous le voyons enfermé à l’hôpital, dans le cabanon matelassé des fous furieux.
Le cadavre blême et rigide de Rossi est exposé sans une fleur, sans un clergé, dénudé et abandonné dans une buanderie, et, dans l’infect taudis, la pauvre mère aux larmes éternelles tord seule ses bras suppliants…
La Liberté donne dans un autre article les détails suivants sur le meurtre de M. Rossi.
Il est avéré aujourd’hui que Rossi a été tué sur le portail même du palais, au momept où il donnait aux gendarmes l’ordre de la résistance ; un des émeutiers, dont on prononce ouvertement le nom, s’est précipité contre lui par une petite porte entr’ouverte et lui a déchargé un coup de revolver ; la balle l’a traversé de part en part ; Rossi a pu faire encore quelques pas et il est venu tomber à genoux sur l’escalier entre les bras de son collègue, M. Casella, qui a été menacé du même sort. Je vais recueillir, du reste, tous les détails de ce drame de la bouche même des magistrats qui en ont été les témoins et les victimes. »
« Les élections en Suisse », Le Temps, 30e année, n° 10756, mardi 28 octobre 1890, p. 2 :
« Quelques troubles ont eu lieu à Fribourg pendant les élections, la police ayant voulu incarcérer quelques citoyens qui n’avaient pas le droit de voter et la foule ayant voulu les délivrer ; il y a eu quelques blessés. »
« Suisse », Le Temps, 30e année, n° 1075844,0 jeudi 30 octobre 1890, p. 2 :
« Suisse
La tranquillité a été complète, hier, à Lugano ; le Conseil fédéral a cependant décidé que deux nouveaux bataillons seraient envoyés dans le Tessin.
À Fribourg-ville, à la suite de la victoire des catholiques, l’agitation règne dans le parti radical. Des bagarres ont eu lieu entre la foule et les troupes armées des paysans que le gouvernement conservateur avait fait venir pour sa défense.
Les gendarmes ont dû mettre sabre au clair et plusieurs coups de revolver ont été tirés ; cinq ou six personnes ont été grièvement blessées.
La vue des paysans en armes n’a pas été sans exaspérer les radicaux de la ville que l’échec de leur candidat avait déjà surexcités.
Le gouvernement cantonal de Fribourg répondant de l’ordre, le Conseil fédéral a jugé inutile de prendre des mesures spéciales, mais on croit qu’il donnera l’ordre de licencier les paysans armés qui avaient été appelés irrégulièrement pour défendre le gouvernement. »
Saint-Cère Jacques, « À l’étranger. Pratique et théorie », Le Figaro, 36e année, 3e série, n° 308, lundi 4 novembre 1890, p. 2.
« À L’ÉTRANGER
PRATIQUE ET THÉORIE
Un des spectacles les plus amusants auxquels il ait été donné d’assister à ceux qui s’occupent de politique, c’est incontestablement la mésaventure qui arrive aux théoriciens de la politique et surtout aux doctrinaires du radicalisme. Chaque fois que, depuis vingt ans, l’on refusait ou l’on discutait même une réforme dans un parlement quelconque de l’Europe, ces doctrinaires s’écriaient : « Mais voyez donc la Suisse. Toute la liberté, aucune restriction et jamais de désordres. Les minorités, ayant tous les droits et toutes les libertés, se soumettent sans observation et sans murmurer aux décisions des majorités » Il ne va plus y avoir moyen de se servir de ce raisonnement, car depuis deux mois la Suisse est le théâtre de désordres plus ou moins sérieux, plus ou moins graves, mais qui sont survenus précisément parce que les minorités ont refusé de se soumettre aux décisions de la majorité.
Dans le Tessin, on a été très près d’une révolution sérieuse et, dimanche dernier, les cléricaux ayant-voulu empêcher les radicaux de célébrer une victoire partielle remportée dans les élections législatives, la troupe a dû faire usage de ses armes et on a quelque peu canardé le pauvre monde dans les rues de Lugano.
Il paraît même que l’armée suisse, composée comme l’on sait de soldats-citoyens, a fait preuve d’une rudesse digne des anciens Suisses. Il est bien entendu que ces petites scènes n’ont pas contribué au rétablissement de la paix dans la région tessinoise, et que cléricaux et radicaux, c’est-à-dire minorité et majorité continueront à se prendre aux cheveux, tant que l’on n’aura pas partagé le canton den deux.
Dans le canton de Fribourg le spectacle a été plus curieux. Ce canton est un des derniers refuges du catholicisme militant en Suisse : le gouvernement est ultra-catholique et il y aurait une étude curieuse à faire sur cet État minuscule dans lequel la religion joue un rôle prépondérant. Les libéraux de Fribourg ayant organisé dimanche dernier une manifestation, libérale bien entendu, les paysans des environs de la ville s’armèrent de bâtons, de faux, de fusils et se dirigèrent vers la ville en criant « A mort les Francs-Maçons ! » Les libéraux auraient passé un fort mauvais quart d’heure si les troupes régulières n’étaient intervenues et n’avaient pas renvoyé les paysans dans leurs fromageries.
À Berne même, la capitale politique de la Confédération, la ville dans laquelle tous les pouvoirs publics sont rassemblés, la ville où l’on fait ou veut faire de la grande politique, on a parlé d’un coup de main. On disait et on dit encore que les conservateurs du canton de Berne, mécontents de la façon dont marchent les affaires au Tessin, veulent « tout faire sauter ». Ils n’iront pas plus loin ! Mais cette agitation à Berne est plus symptomatique encore que ce qui se passe à Fribourg et à Lugano. Tout cela n’empêche du reste pas les Suisses d’être très contents et d’être les plus braves gens de la terre. Ce sont, au surplus, de très bons voisins. — et s’il leur plaît de se disputer en hiver, quand ils n’ont pas d’étrangers à se mettre sous la dent — il y aurait, en vérité, cruauté et injustice à vouloir les en empêcher.
Jacques St-Cère. »
Combien de temps a duré le voyage dans le Jura et en Suisse ?
Paul Alexis dira que Cezanne est très mécontent de son séjour de « 5 mois » :
« Il est furieux contre la Boule, qui, à la suite d’un séjour d’un an à Paris, lui a infligé, l’été dernier, cinq mois de Suisse et de tables d’hôte… où il n’a rencontré un peu de sympathie que chez un Prussien. »
Lettre d’Alexis à Zola, datée « 13 Février 1891 » ; Bakker B. H., Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 1971, n° 207, p. 399-400.
Alain Mothe : S’agit-il de cinq mois passés en Suisse (à compter du 7 ou 8 août 1890, ce qui signifierait un retour en décembre) ou bien de cinq mois de tables d’hôte, à Émagny puis en Suisse (soit à compter de peu avant le 28 mai, ce qui signifierait un retour vers octobre) ? La première hypothèse paraît la plus vraisemblable.
Mais si on en croit Gerstle Mack, le séjour en Suisse proprement dit n’a duré que 3 mois :
« En 1891 [1890], Cezanne s’aventura un peu plus loin. Il alla en Suisse avec sa femme et son fils et voyagea pendant trois mois dans les cantons de l’ouest, visitant Berne, Fribourg, Vevey, Lausanne et Genève. La plus grande partie du temps, toutefois, s’écoula à Neuchâtel. »
Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 274-275.
D’autre part, il semble que la fin du voyage ait été relativement écourtée compte tenu des événements de Fribourg, si bien qu’il est plus vraisemblable de considérer que le retour en France (de Cezanne à Aix et d’Hortense à Paris) ait eu lieu dans les premiers jours de novembre.
3 décembre
Pissarro écrit à son fils Lucien que Guillaumin a raconté à Murer que Cezanne était enfermé dans une maison de fous. En réalité, l’artiste commence à souffrir du diabète, ce qui le rend très irritable.
« J’ai reçu une lettre de Murer me disant qu’il avait rencontré Guillaumin qui lui dit que Cezanne était dans une maison de fous !… tous donc !… c’est navrant !… »
Lettre de Pissarro à son fils Lucien, datée Eragny par Gisors, Eure, 3 décembre 1890 ; Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 2, « 1886-1890 », Paris, éditions du Valhermeil, 1986, n° 605, p. 371.
[19 décembre]
Pissarro écrit à son fils Lucien :
« Ce jeune Danois [Mogens Balin], dont je t’ai parlé dans une de mes lettres et qui devait venir me voir, présenté par Mme Gauguin, est venu il y a une quinzaine. Je crois que j’ai oublié de t’en parler. C’est un charmant jeune homme, parfaitement au courant de la peinture impressionniste et autres. Il aime beaucoup les Cezanne, Degas, Gauguin, Monet, etc. Il ira à Londres l’automne prochain. Tu le trouveras, je crois, à ton goût. Il a l’âge de Georges, te ressemble et a l’aspect d’un homme de vingt sept à trente ans. Il est israëlite et fort intelligent. »
Lettre de Pissarro, Eragny par Gisors, Eure, à son fils Lucien, vendredi [19 décembre 1890] ; Bailly-Herzberg Janine (éd.), Correspondance de Camille Pissarro, tome 2, « 1886-1890 », Paris, éditions du Valhermeil, 1986, n° 609, p. 376.
Fin 1890 (?)
Gauguin peint un portrait de jeune femme, Portrait de femme à la nature morte de Cezanne, où il représente sur le fond son tableau de Cezanne Nature morte au compotier (FW780-R418).
Vollard Ambroise, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Paris, éditions Albin Michel, 1937, 447 pages, p. 196 :
« À voir l’aspect délabré de la maison où l’artiste [Gauguin] avait son atelier [rue Vercingétorix], on aurait pensé à une grange. Mais, dès qu’on pénétrait à l’intérieur, on se serait cru dans un palais : les toiles dont il avait couvert les murs opéraient ce miracle. Il avait accordé la place d’honneur aux deux peintres qu’il préférait : Cezanne et Van Gogh. Je me souviens particulièrement des trois Van Gogh qui étaient au-dessus de son lit : au milieu, un paysage dans une note mauve ; à droite et à gauche, des Tournesols, — les mêmes, je crois, que l’on admira tant à la vente Degas et, en face, une nature morte de Cezanne, celle-là même qui inspira si fâcheusement Huysmans quand il parla de « fruits de guingois dans des poteries saoules » [FW780-R418]. [Huysmans J.-K., « Trois peintres », La Cravache parisienne, 4 août 1888] »
de Rotonchamp Jean, Paul Gauguin, 1848-1903, Weimar, à Paris chez Édouard Druet, 1906, p. 20 ; repris dans de Rotonchamp Jean, Paul Gauguin, 1848-1903, Paris, Les éditions G. Crès et Cie, 1925, 264 pages, p. 22 :
« Non content de peindre, Gauguin acheta pour une quinzaine de mille francs d’œuvres de maîtres modernes et en composa une remarquable collection, dans laquelle prirent place une toile de Manet, plusieurs Renoir, des toiles de Claude Monet, de Cezanne, de Pissarro, de Guillaumin et de Sisley, un Jongkind, un Lewis Brown et deux dessins de Daumier. L’artiste dut plus tard, dans des circonstances cruelles, s’en dessaisir, mais il en conserva, jusque dans les derniers temps de son séjour en Europe, quelques précieuses épaves, qui furent déposées, d’abord chez Émile Schuffenecker, et ensuite chez le peintre Daniel de Mondreid. On remarquait, parmi celles-ci, une belle nature morte de Cezanne — un compotier rempli de fruits, posé sur un coin de serviette en compagnie d’un citron [FW780-R418], — un paysage du même, représentant des arbres d’un joli ton avec, au premier plan, un petit lavoir [FWN149-R437 ?] ; et un Intérieur, par C. Pissarro, une paysanne, coiffée d’un madras à carreaux rouges, se baissant vers un chat placé à ses pieds.
A situer dans l’année :
Gustave Geffroy, lettre à Claude Monet vers 1890 – Artcurial vente 1207 13 12 2006 lot 112
«Pouvez-vous prendre le temps de m’écrire un peu longuement tout ce que vous savez et pensez de CEZANNE. C’est un vrai travail que je vous demande, mais je suis bien embarrassé pour une notice urgente. Et si vous pouviez me dire où voir des Cezanne ?… * – See more at: http://www.artcurial.com/fr/asp/fullCatalogue.asp?salelot=1207+++++112+&refno=10164110#sthash.cD79PGgB.dpuf
NB. Alain Mothe situe le même texte vers 1894.