R183 – Paysage avec moulin à eau, vers 1871 (FWN59)

Pavel Machotka

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Une date antérieure à la rencontre de Pissarro (je pencherais pour l’été 1871, que Cézanne passa à Aix) rapprocherait dans le temps Les Marronniers et le bassin du Jas de Bouffan (R158 FWN 55) de Paysage avec moulin à eau, ce qui peut paraître étrange : dans le tableau au moulin, aucune ligne horizontale ne vient stabiliser la toile.

Paysage avec moulin à eau, vers 1871 41.3 x 54.3 cm R183 FWN59

Paysage avec moulin à eau, vers 1871
41.3 x 54.3 cm
R183 FWN59

Mais les deux tableaux partagent bien un souci évident de l’espace, nonobstant leur différence de forme, et il est possible de les rapprocher dans le temps malgré les différences évidentes. Le traitement de la peinture surtout est différent : dans le paysage au moulin, elle est ferme, tantôt appliquée par petites touches, tantôt en frottant le pinceau sur la toile avec un geste arrondi ou oscillatoire dont le caractère fait écho à l’espace instable. Ce qui place le tableau au moulin à l’un des extrêmes du travail de Cézanne à ses débuts, celui des marronniers, avec son cadre rectangulaire marqué, se situant de l’autre côté; mais ils sont également réunis par leur engagement à créer une structure claire.

Un regard aiguisé vers le haut du tableau autour du moulin révèlera qu’il se situe sur une diagonale, et l’on remarque aussi d’autres diagonales dans les sentiers qui y mènent ainsi que dans la pente des collines. Les lignes qui semblaient disparates prennent alors tout leur sens : elles forment deux diagonales qui se croisent et, à leur point d’intersection, se trouvent le toit rouge du moulin et l’espace noir juste en dessous. Ce contraste ramène l’attention vers le centre dès que l’on s’égare vers les côtés du tableau. Il dirige les diagonales vers le centre plutôt qu’il ne les fait fuir vers les bords. Apparemment proche du tumulte qui agite le groupe des paysages de 1870 (dont Le Village des pêcheurs à l’Estaque, R134 FWN 49 fait partie), il est en fait plus étudié, son équilibre établi plus soigneusement et la peinture est apposée par petites touches plutôt qu’étalée. Et notre regard, guidé par les touches plus lentes, se déplace plus lentement sur la surface.

Adapté de Pavel Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.