R423 – Assiette de pêches, 1879-1880 (FWN777)

Pavel Machotka

(Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Assiette de pêches, 1879-1880
59.7 x 73.3 cm
R423 – FWN777

Ressentir ce qui peut manquer à un tableau, et imaginer comment Cézanne aurait pu le changer, l’eût-il continué, est la contrepartie honnête de l’admiration que l’on éprouve par ailleurs, et c’est une façon de vérifier l’intégrité de notre perception. Assiette de pêches, une nature morte retravaillée mais inachevée, donne un peu cette impression. Il faut avouer que la lumière, qui est apportée à la nappe et à l’arrangement de fruits assez sombre (placé devant un fond encore plus foncé) est une réussite, et les que les fruits s’accordent bien à la nappe : les verts, bleus, et bruns rouge de l’assiette de pêches se retrouvent, beaucoup plus clairs, dans le modelé de la nappe. Mais l’arrière-plan, qui reste proche du monochrome, n’est pas lié étroitement à la table et la volute unique du papier peint (à gauche) est trop flou pour faire le lien requis avec les deux pêches en dessous. Peut-être que c’est une conception inhabituelle de la nature morte – les objets rendus lumineux par leur placement devant un fond sombre et monotone – qui a gêné Cézanne ; il semble en terrain plus familier quand il conçoit une composition entièrement en termes de rapports de couleurs. (Mais il faut noter son souci subtil d’introduire dans le fond les couleurs des fruits dans une forme très désaturée.)

Le même papier peint fournit l’arrière-plan de treize natures mortes; nombre d’entre elles accomplissent ce que Fry admire tant, la synthèse entre l’aspect des objets et la matérialité du tableau. Six sont peintes en touches parallèles en pleine pâte avec des bords très travaillés, et l’on peut comprendre pourquoi elles sont considérées parfois emblématiques du génie de Cézanne. Quatre d’entre elles furent en fait achetées tôt par des peintres ou des critiques d’art[1]. Dans chacune nous suivons non seulement les plis raides des nappes, l’ovale ouvert, presque angulaire, des coupes de fruits, et les plans nets des fruits, mais aussi une touche distincte ; la substance du tableau est si fascinante que notre regard s’empêtre dans la surface plutôt qu’il ne se pose confortablement dans un point imaginaire de l’espace au-delà.

Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.

[1] Pommes et serviette (R417-FWN778) fut possédé par le critique Théodore Duret, Nature morte au compotier par Paul Gauguin, Compotier, pommes et miche de pain (R420-FWN782) par Mary Cassatt, Verre et pommes par Edgar Degas.