R672 – Nature morte : fleurs dans un vase, 1885-1888 (FWN822)
Pavel Machotka
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Nature morte : fleurs dans un vase, une nature morte décevante de simplicité de la seconde moitié des années 1880 nous surprend par une ambiguïté mal résolue. Les fleurs sont disposées de chaque côté du vase, si bien que l’arrangement est vu de profil, frontalement, et le vase a une base plate qui lui donne l’air d’être en papier découpé ; de même, il est posé sur une table plate qui pourrait être prise pour un mur. Mais le bouquet est décalé du centre, posé au bord de la table, ainsi voit-on qu’il occupe l’espace, et il projette une ombre qui nous indique que la table est en trois dimensions. Cézanne nous aide à sortir de cette ambiguïté inconfortable en renforçant la lecture tridimensionnelle : il place la nature morte devant deux murs et s’arrange pour que la distance qui les sépare soit la même que la largeur de la table. Il n’y a aucun lien logique entre eux, sinon qu’ils suggèrent la profondeur. Mais ce n’est pas un tableau où Cézanne va résoudre toutes les ambiguïtés ; au contraire, son effet repose sur celles-ci. Les fleurs jaunes grimpent sur une diagonale qui semble prolonger la table ; cela pouvait les faire apparaître comme faisant partie de l’espace en perspective quand en réalité elles sont plates, et nous sommes censés ne pas vraiment savoir, je pense, si l’on regarde une ligne dans l’espace ou sur une surface. Je crois que nous étions aussi censés ressentir la tension de la diagonale de travers, mais à la dernière minute Cézanne l’a modérée avec le tracé à peine esquissé d’une fleur tombée.
Expliquer pourquoi Cézanne choisirait la tension non résolue d’une asymétrie désinvolte comme base d’une de ses compositions, dépasse ma compétence. Sensible aux autres arts, et bon technicien dans le sien, il savait – et ressentait personnellement – la valeur de la tension en art ; mais normalement il cherchait un équilibre plus serré entre tension et harmonisation. Il savait ce qu’il en était de l’équilibre en musique, qui l’avait intéressé, et il se tenait au courant des tendances de son époque, dès les années 1860[1]. Mais ici il favorise la tension en soi, et peut-être suffit-il de voir le tableau comme un mouvement impulsif de son évolution ; on a rencontré une telle tension dans Maison au toit rouge et dans L’Allée à Chantilly III, de la même époque environ.
Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.
[1] Mary Tomkins Lewis a trouvé des preuves de l’intérêt de Cézanne pour Wagner dans les années 1860 ; il a même été membre de la société wagnérienne avec Zola à Marseille en 1865. Apparemment il voulait que le tableau narratif Pastorale de 1870 (R166-FWN609) soit l’illustration directe d’une scène du Tannhäuser de Wagner, et il ajouta le titre ouverture du Tannhäuser (R149 –FWN600) au tableau d’une jeune femme au piano (pp. 1-48f). Ces remarques seulement pour montrer, bien sûr, qu’en 1870 il était intéressé par les excès romantiques de Wagner, non pas à la structure de la musique en tant que telle ; mais jeune homme, il avait joué de la clarinette, et je tends à croire qu’il devait avoir compris les rudiments de la composition musicale. Voir Lewis, Cézanne’s early imagery, pp. 139, 186-187, 190-191.