R675 – Le Vase bleu, 1889-1890 (FWN823)
Pavel Machotka
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Vers la fin de la décennie des années 1880 la conception des natures mortes de Cézanne évolue vers des compositions plus directes et conséquentes, comme si le peintre revenait aux compositions de 1879-1880 mais sans l’aide de son austère touche, et ce sont ces natures mortes qui annoncent l’esprit et l’autorité grave de la dernière décennie. Comme les premières natures mortes, celles-ci seront souvent dominées par une grande forme qui centrera l’arrangement et forcera les autres objets à se relier à elle ; mais les nouvelles natures mortes, elles, ne reposent plus sur la touche pour l’organisation de leur surface ; elles se tiendront ou s’effondreront, pour ainsi dire, par la seule force de la composition.
Le Vase bleu est l’une des premières d’entre elles, et bien qu’elle ait été peinte dans la même pièce que la nature morte Pot de primevères et fruits sur une table (R680-FWN824), on pense qu’elle est plus tardive; avec sa sereine austérité, pour le moins, elle semble plus proche des tableaux qui suivent que de ceux qui précèdent. Le vase étroit domine le tableau par sa position centrale et sa couleur bleue presque mystique ; c’est comme si celui qui a nommé le tableau, quel qu’il soit, ne pouvait penser à rien d’autre de mieux pour en évoquer le sujet, bien que le centre exact du tableau soit occupé par une tache de vermillon, bien plus éclatante, mais moins facile à remarquer. Le vase est juste à gauche du centre si bien qu’il sera équilibré avec les feuilles qui vont loin à droite, et il clive en deux moitiés égales l’assiette bleu pâle derrière lui, on dirait presque se fondant en elle et lui prenant un peu de sa largeur et de sa substance. Les pommes – arrangées soigneusement, comme toujours, mais ici sans même le dissimuler – sont placées dans le même plan que le pied du vase, pour le situer fermement sur la table et compléter la composition à droite.
La nature morte est vue frontalement, mais Cézanne ouvre l’espace derrière elle en l’orientant en oblique par rapport au mur ; pas beaucoup toutefois, parce qu’il remet le cadre jaune de droite en avant, au même niveau que les feuilles, jusqu’à toucher l’une des petites branches. Le peintre coupe aussi la bouteille à la gauche de l’exact centre de son étui de paille, si bien qu’elle s’attache au cadre au lieu de bouger librement dans l’espace. Grâce à ces moyens techniques, l’espace du tableau reste peu profond, seule l’ombre oblique de la bouteille ajoute un peu de profondeur. L’ensemble forme une interaction curieuse, et selon moi extrêmement réfléchie, de profond et de plat, d’oblique, qui semble réel, et de frontal, si astucieusement et si délibérément arrangé.
Je ne sais pas trop pourquoi le bleu cobalt fonctionne si bien ici avec le rouge – si c’est plutôt parce que les deux couleurs sont séparées par les taches de blanc, ou plutôt parce que le cobalt du vase se fond aux bleus plus sourds du fond, ou pour les deux raisons à la fois – mais rien dans notre perception intuitive ne remet en question l’harmonie ; et finalement, après tout ce qui a été dit sur la composition, c’est le risque réussi que Cézanne a pris ici avec les couleurs qui est à l’origine de notre sentiment le plus profond.
Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.