Coteau de Médan vu depuis l’intérieur de l’île du Platais (R527, FWN206)

François Chédeville

Vue de l’île du Platais à Médan

(rappel : cliquer sur les images pour les agrandir)

Le tableauCampagne et coteau (près de Médan?), c.1885 (R527-FWN206)  – c’est son titre actuel dans le catalogue en ligne  – appartient à Kenneth Dale Owen de Houston.

On constate d’abord que le peintre se tient à une certaine altitude par rapport aux champs situés dans la moitié inférieure du tableau : cela exclut d’emblée que ce tableau ait été peint depuis la barque « Nana » qu’il empruntait à Zola pour aller peindre depuis la rivière.

Ce tableau a donc été peint depuis l’île du Platais située sur la Seine face à Médan à l’est, car c’est le seul endroit à partir duquel on peut apercevoir à une certaine distance le coteau caractéristique qui surplombe la bourgade à l’ouest (Fig. 1). Cette île est également est le seul endroit où le relief permet une certaine élévation par rapport aux champs située en contrebas, comme nous allons le voir.

Fig. 1 – Le site de Médan et l’île du Platais

Précisions topographiques : la Seine se situe à 17 mètres au-dessus du niveau de la mer, quand la berge occidentale de l’île monte très vite à 20-22 mètres, altitude à peu près constante de son plateau, qui se relève ensuite sur la berge orientale pour culminer à 26 mètres.

Quant à la berge de Médan, elle est d’abord assez plate et se situe de façon constante également à 20-22 mètres jusqu’à la ligne de chemin de fer. Elle monte ensuite pour atteindre les 55 mètres au pied du coteau (la maison de Zola se situe à 33 mètres d’altitude). Le coteau lui-même se situe environ entre 90 mètres d’altitude au sud, 70 mètres au milieu et 55-60 mètres au nord au-delà de la maison de Zola.

Depuis l’île du Platais, Cézanne a-t-il pu représenter au premier plan du tableau un bout de la campagne située sur la berge de Médan, face à l’ovale « utile » de la Fig. 1 ? Le tableau montre que ce terrain doit être assez plat : il ne peut donc qu’être situé entre la voie de chemin de fer et la Seine. Cette bande de terre est très étroite au sud, donc ne peut contenir les champs du premier plan du tableau ; à partir de la maison de Zola vers le nord, elle est couverte de forêts, ce qui devait déjà être le cas au XIXe et interdit de penser qu’elle a pu être cultivée du temps de Zola. Un seul endroit peut être candidat  (ovale bleu Fig. 2):

Fig. 2 – Hypothèse : représentation de la rive de Médan au premier plan du tableau

Cette ypothèse supposerait que Cézanne se soit campé très près du bord puisqu’il n’a pas représenté la Seine qui devrait alors couler à ses pieds ; Il aurait fait une sorte de zoom sur l’autre rive et dans ce cas, la ligne d’arbres horizontale située au milieu du tableau représenterait l’emplacement de la ligne de chemin de fer, avant la montée du terrain vers le coteau.

Si donc il se tient sur le bord de la rive ouest de l’île comme indiqué Fig. 2 ci-dessus, la perspective devient celle-ci :

Fig. 3 – Vue perspective

Les champs du premier plan du tableau ne donnent pas du tout l’impression d’être aussi éloignés du peintre, qui semble plutôt les surplomber directement.  Cette position n’est pas cohérente non plus avec le fait que la berge de l’île et celle de Médan sont situées à la même altitude, ce qui rend également impossible la vue en surplomb qui est celle du tableau.

L’hypothèse qu’il ait représenté une partie de la rive de Médan par un effet de zoom faisant l’impasse de la Seine au premier plan ne tient donc pas.

 

Reste alors une seule possibilité : c’est qu’il a représenté au premier plan une partie de l’île du Platais. Le premier plan correspond à un champ en partie cultivé ; la ligne d’arbres du milieu du tableau marque l’emplacement de la rive ouest de l’île surplombant la Seine ; au-delà dans la trouée de cette ligne d’arbres on aperçoit la berge de Médan, avec sa pente progressive vers le bas du coteau, coupée en son milieu par la ligne de chemin de fer. La crête du coteau fournit la ligne d’horizon du tableau :

Fig. 4 – Interprétation des éléments du tableau

Dans ce cas, où peuvent se situer les champs du premier plan sur l’île du Platais, compte tenu de la partie « utile » de l’île permettant de voir le coteau en ligne d’horizon (située dans l’ovale Fig. 1) ? Contrairement à la partie nord de l’île couverte de forêt, la partie sud, si on fait abstraction des constructions récentes qui l’ont envahie pour en faire un lieu de villégiature privilégié, comporte plusieurs endroits dans sa partie relativement plane située entre les deux berges qui ont parfaitement pu être cultivés au temps de Zola.

Fig. 5 – Emplacements possibles

Il peut être difficile aujourd’hui de vérifier sur place compte tenu de la profonde modification du paysage née de l’urbanisation. C’est pourquoi l’utilisation de Google Earth s’impose dans un cas comme celui-là pour conforter telle ou telle hypothèse.

En voici une cohérente en tout cas avec ce que l’on voit sur la toile et les cotes du terrain : Cézanne en surplomb de 3 mètres par rapport aux champs, terrain à droite élevé :

Fig. 6 – Une position possible

Quoi qu’il en soit,  il est clair que Cézanne a peint ici une partie de l’île du Platais avec  en second plan la rive de Médan et en arrière-plan le coteau qui surplombe le village.

D’où le nom qu’il convient de donner à ce tableau : Coteau de Médan vu depuis l’intérieur de l’île du Platais.