Leo Marchutz joua un rôle discret d’une rare fécondité dans la perception et la reconnaissance de l’oeuvre de Cezanne. Originaire de Nuremberg, il vient au pays d’Aix pour « voir » les sites cézanniens particulièrement ceux de Château-Noir. Venu une première fois en 1928 à Château-Noir, il y revient très vite pour s’y installer définitivement en 1931. Il accueillera John Rewald qui lui devra sa « ferveur pour Cezanne ». IL accueillera bien d’autres personnalités cézanniennes comme Novotny, Venturi pour ne citer que les plus célèbres du monde cézannien de cette époque. Il nous importe, dans le cadre de ce site consacré à Cezanne, de dire qui fut Leo Marchutz et de rendre compte, du fait sa sensibilité, de son intelligence artistique, de son humanité si riche en amitiés, laplace qui lui revient dan sla perception de l’oeuvre de Cezanne.
Tout de même, de 1931 à 1976, il porta le flambeau « Cezanne » au pays d’Aix contre vents et marées dans un temps où la reconnaissance du peintre en son pays faisait cruellement défaut. L’exposition du centenaire de la naissance de Cezanne en 1939 n’eut pas lieu à Aix mais à Lyon ! Leo Marchutz releva ce défi en organisant avec la complicité de Venturi, Rewald et Novotny l’exposition du cinquantenaire de sa mort en 1936 au Pavillon Vendôme à Aix.
Denis Coutagne, président de la Société Paul Cezanne
Biographie résumée de Léo Marchutz
établie par Antony Marschutz
1903 : naissance le 29 août à Nuremberg, Allemagne. Son père, Carl Marchutz, était fondateur puis directeur de l’usine de vélos « Hercules » à Nuremberg.
1916 : à partir de l’âge de treize ans, sous l’influence de la sculpture et de la peinture des artistes de Franconie de la fin de l’époque gothique et du début de la Renaissance, il commence à dessiner et à créer de grandes peintures à sujet religieux.
Certaines de ses oeuvres sont achetées notamment par l’écrivain Felix Hollander ou le metteur en scène Max Reinhardt.
1918 : à Munich, il découvre dans les musées de cette ville des oeuvres de Cezanne et Van Gogh.
1920 : il se lie d’amitié avec Karl-Ernst Osthaus, dont la collection de peinture comprend des Gauguins, Hodlers, Signac, Cezanne, etc… Osthaus avait rendu visite à Cezanne à Aix en 1906.
1921 : première exposition personnelle chez Karl-Ernst Osthaus, fondateur du Musée Folkwang à Essen. Léo fait connaissance de façon plus approfondie avec l’oeuvre de Cezanne, grâce à la grande exposition du maître d’Aix, qui se tient la même année chez Paul Cassirer à Berlin,
1924 : il crée un album de lithographies d’après « le Banquet » de Platon. Voyages en Italie.
1928 : premier voyage d’étude en Provence sur les traces de Cezanne.
1931 : au printemps, il s’installe définitivement à Châteaunoir, près d’Aix en Provence.
1933 : début du travail sur la recherche cézannienne avec John Rewald et Fritz Novotny.
1934 : il rencontre pour la première fois l’historien d’art italien exilé en France, Lionello Venturi, qui, en cézannien averti, vient visiter le Châteaunoir.
1935 : rencontre Julius Meier-Graefe en visite au Châteaunoir
1939 : interné début septembre au camp des Milles près d’Aix en Provence. Il continue à y dessiner.
1940 : le 19 février Léo est provisoirement libéré du camp des Milles. Ayant accepté en décembre 1939 de devenir « prestataire », c’est à dire travailleur étranger portant l’uniforme de l’armée française, il est alors appelé à rejoindre une compagnie du côté du Mans. Vu la débâcle et la désorganisation de l’armée française, il sera démobilisé et pourra ainsi retourner à Aix.
Echappe de justesse aux déportations de l’été 1942, date à partir de laquelle il doit désormais se cacher à Châteaunoir pour prévenir toute arrestation.
1944 : après la libération de la Provence en août, il reprend le dessin et s’inspire en particulier des thèmes bibliques.
1947 : il commence à travailler à la création de « l’Evangile selon Saint Luc », à partir des dessins religieux réalisés depuis 1944. Aidé de son épouse Barbara, qui en assurera la typographie, ce travail se prolongera jusqu’en décembre 1949.
1949 : le 19 septembre l’architecte Fernand Pouillon rend visite pour la première fois à Léo Marchutz et achète immédiatement quelques unes de ses oeuvres.
Le 11 décembre, Léo écrit dans son journal : « St. Luc finished !… ». Il commence alors à mettre au point son système propre de technique lithographique en couleur, qu’il va développer au cours des années ultérieures.
1950 : premières lithos d’Aix réalisées à partir de 1950.
1952 : il produit l’ouvrage poétique « Langue » de Pierre Jean Jouve, dont il assure avec son épouse Barbara le travail typographique et qui sera terminé début mai. Il travaille à la réalisation de l’album « Voyage à Venise » de Masson, terminé en décembre, et publie l’album « Lithographies d’Aix en Provence », synthèse de son propre travail sur les rues d’Aix entrepris depuis 1950.
1953 : l’ouvrage « Ordonnances » de Fernand Pouillon sort de presses. Cet ouvrage est constitué de relevés d’architecte des hôtels anciens de la ville d’Aix et comprend trois lithographies originales de Léo Marchutz suivie de trois lithographies originales d’ André Masson.
1956 : il est nommé commissaire de l’exposition Cezanne organisée pour le cinquantenaire de sa mort par la Ville d’Aix au Pavillon de Vendôme. Cette exposition est réalisée en collaboration avec les Villes de La Haye, Zurich et Munich.
1958 : au printemps, il emménage dans l’atelier nouvellement construit par Fernand Pouillon.
1959 : A partir d’octobre enseigne la peinture dans le cadre de « l’Institute for American Universities » à Aix.
Nommé commissaire de l’exposition Van Gogh, qui se tient à Aix du 3 octobre au 5 décembre, il organise des tables rondes sous le direction de Georges Duby en relation avec l’Université d’Aix, auxquelles participent notamment Jean Leymarie et l’ingénieur Van Gogh, neveu du peintre.
1960 : commissaire de l’exposition Matisse, qui se tient au Pavillon de Vendôme à Aix à partir du 8 juillet. L’écrivain Elias Canetti, futur prix Nobel de littérature (1981), rend visite à Léo Marchutz dans son atelier: il adresse à Léo son roman « Die Blendung » (« L’aveuglement ») avec la dédicace : « A Léo Marschutz, ce livre du désespoir en témoignage admiratif de la magnificence et de la noblesse de son art. »
1961 : du 1 juillet à fin août se tient au Pavillon de Vendôme à Aix une grande exposition Cezanne, pour laquelle Léo est commissaire. A l’occasion de cette exposition, il fait plus ample connaissance et se lie d’amitié avec Adrien Chappuis, historien d’art et auteur du catalogue raisonné des dessins de Cezanne.
1962 : du 5 au 24 juillet, exposition personnelle à la Galerie Spinazzola à Aix en Provence. Max Ernst, dont Léo avait fait la connaissance lors de son internement au camp des Milles en 1939, fait partie des visiteurs de l’exposition. Georges Duby écrit l’introduction au catalogue.
1963 : par l’intermédiaire de Marcel Ruff, doyen de l’Université de Nice, la proposition est faite à Léo de réaliser une décoration pour la Faculté de Nice, dont le thème serait Dante et la Divine Comédie.
Eté 63, il travaille, avec John Rewald et Fritz Novotny, à la réalisation du nouveau catalogue raisonné des oeuvres de Paul Cezanne.
Sur instigation de Fernand Pouillon, projetant de construire une église dont il souhaite que Léo assure la décoration, il commence, en avril, la réalisation sur un mur de l’Institut Américain d’Aix d’une fresque de la montagne Sainte Victoire utilisant une nouvelle technique de projection.
1968: publication de « la Note sur la Peinture », que l’Ecole Léo Marchutz considère comme le manifeste et le texte fondamental à la base de son enseignement.
1969 : en mai, exposition simultanée en trois lieux différents à Memphis, Tennessee (USA).
Trois tableaux, « la Vierge Marie », « l’Ange Gabriel » et « Crucifixion, Marie au pied de la croix » sont exposés en permanence dans l’église de Saint Marc Jaumegarde près d’Aix.
1972 : de fin juin à fin septembre, exposition des grands formats à l’Abbaye de Silvacane.
Fondation, aux côtés de Billy Weyman et Sam Bjorklund, de l’Ecole Léo Marchutz à Aix. Cette école sera par la suite intégrée à l’Institut Américain d’Aix en Provence à partir de 1984.
1976 : décès de Léo Marchutz le 4 janvier à l’hôpital d’Aix en Provence. Il est enterré le 6 janvier au cimetière du Tholonet.
La correspondance en trio (1933/1939) : Léo Marchutz, John Rewald et Fritz Novotny (1903-1988)
Antony Marschutz : Intervention donnée le 10 juin 2011 à Marseille (immeuble de Le Corbusier)
Afin de faire la transition entre l’intervention de Denis Coutagne (Léo Marchutz et Cezanne) et l’influence de l’Allemagne sur LM, je souhaite parler en premier lieu de la correspondance en trio qui s’est déroulée entre 1933 et 1939 entre les trois passionnés par l’œuvre de Paul Cezanne, deux historiens d’art, John Rewald et Fritz Novotny et un peintre Léo Marchutz. Cette correspondance, en langue allemande, concerne pour l’essentiel la recherche cézannienne, même si la correspondance entre Léo Marchutz et John Rewald dépasse ce cadre de la seule recherche cézannienne pour inclure de nombreux échanges ne concernant que leur vie familiale et privée.
Pour l’essentiel cette correspondance alimente la discussion et les échanges autour de la recherche des motifs cézanniens et d’un essai de datation des œuvres. Le motif, une fois retrouvé, était photographié et la discussion tournait autour de la comparaison entre la représentation photographique (réalité objective) et la représentation de Cezanne (vision subjective). Ces échanges auront pour premier aboutissement la réalisation des deux thèses universitaires :
– « Cezanne et Zola » de John Rewald, soutenue et publiée en 1936 à la Sorbonne à Paris.
– « Cezanne et la fin de la perspective scientifique » de Fritz Novotny, publiée en 1938 chez Scholl, après avoir été soutenue dans le cadre de l’Université de Vienne en Autriche, travail qui avait été précédé par plusieurs articles traitant du même sujet.
Le trio était en relation constante avec Lionello Venturi qui a publié le premier catalogue raisonné des oeuvres de Cezanne en 1936. Une grande partie des œuvres du maître d’Aix se trouvaient encore dans des collections privées, et il convenait de faire de nombreuses recherches dans les revues, articles et publications diverses sur le peintre.
Sur la méthode utilisée, la thèse de Rewald se fonde pour l’essentiel sur une reconstitution historique des événements, réalisée à partir de la collecte auprès des héritiers de documents inédits, témoignages d’amis, de proches, etc … alors que celle de Fritz Novotny est plutôt basée sur la « structuration de l’espace » chez Cezanne et la « déshumanisation » (Außermenschlichkeit ; définie comme « l’ énigmatique manque de vie de toute chose représentée » ou comme une « nature morte ») se situant dans la droite ligne et la prolongation des thèses défendues par les différents courants d’historiens d’art de la fin du XIXème siècle et du début du XXème de Jakob BURCKHARDT à MEIER-GRAEFE et Kurt BADT, en passant par Alois RIEGL, PANOVKSY (« la perspective comme forme symbolique »et WÖLFFLIN.
Deux mots sur la personnalité de Fritz Novotny : historien d’art, directeur du musée du Belvédère à Vienne et spécialiste de la peinture du XIXème siècle.
Dernièrement, ayant pris contact avec le centre de recherche attaché au Musée du Belvédère à Vienne, j’ai été mis en contact en 2009 avec une historienne d’art de l’Université de Vienne, Agnès Blaha, qui a soutenu sa thèse sur le sujet suivant « L’historien d’art Fritz Novotny et la réception scientifique de Paul Cezanne » : forte des très bonnes connaissances qu’elle possédait des travaux de Novotny, elle a été la première à réagir aux extraits de la correspondance en trio que je lui avais fait parvenir, avec pour conséquence qu’elle a fait une communication lors d’un colloque d’historiens d’art à l’automne 2010 à Munich sur le rôle du peintre Léo Marchutz dans la conduite de cette recherche autour de Cezanne. Sa communication, traduite en langue anglaise, a par la suite été publiée dans une revue électronique « Rupkatha, journal d’études interdisciplinaires en sciences humaines ». (se trouve sur le site Léo Marchutz : leo.marchutz.fr (Rubrique « Recherche cézannienne » et « Conférence Agnès Blaha »)
Léo Marchutz et l’Allemagne
A) Biographie
1903: Naissance le 29 août à Nuremberg, Allemagne. Son père, Carl Marschutz, était fondateur puis directeur de l’usine de vélos « Herkules » à Nuremberg.
1916 : à partir de l’âge de treize ans il commence à dessiner et à créer de grandes peintures à sujet religieux, « Le Christ au Jardin des Oliviers », « Résurrection », « Annonciation », « Ascension » (1918). Il copie d’innombrables dessins de Leonardo ainsi qu’un portrait de Delacroix (vers 1920). Au dire de son jeune frère, Alfred, les murs étaient couverts de peintures religieuses : « je me rappelle qu’il avait recouvert les murs du vestibule de papiers sur lesquels il peignait avec fureur. ».
A l’époque, selon un témoignage d’une amie de la famille, Léo était exclusivement influencé par Mathias Grünewald.
Effectivement, voir la parenté entre le tableau « L’ascension » (dont nous ne possédons qu’une photo) et un des panneaux du « Retable d’Issenheim », oeuvre maîtresse de Mathias Grünewald représentant « La Résurrection »).
Témoignage de l’amie de la famille Gretel Meyer (31 décembre 1964, lettre à John et Miriam Fraenkel)) :
« Léo était dans sa jeunesse – lorsque j’exposais ses peintures à Berlin – exclusivement influencé par Mathias Grünewald. Il ne réalisait à l’époque – à l’âge de 13 ans – que des tableaux de saints dans des motifs presque exclusifs du Nouveau Testament. Plus tard l’influence la plus forte était celle de Cezanne. »
1917 : A quatorze ans il écrit des poèmes, dont un intitulé « Aménophis ». Il s’intéresse également à la sculpture et conçoit et réalise une pierre tombale lors du décès d’une de ses tantes.
Châtelet écrit : « Les débuts de Léo ont été ceux d’un enfant prodige : c’est à treize ans qu’il aurait réalisé ses premières peintures, sur des grandes feuilles de papier (ou de toiles) punaisées au mur du salon paternel. Elles étaient pour la plupart consacrées à des sujets religieux, reflets probables d’un climat familial. Mais il se souvient aussi avoir illustré une poésie chinoise traduite par l’écrivain Klabund, sur le thème du chevalier. De ces premiers essai, rien ne semble avoir subsisté, probablement dispersé ou détruit lorsque sa famille dut quitter l’Allemagne après la prise de pouvoir de Hitler ».
Sur cette époque Léo écrit dans son journal en date du 12 février 1962 : « ..Dans cet ordre d’idées, je veux m’efforcer de retrouver quelques uns des tableaux faits en 1918 et 1920 (non – au début 1920 travaillais sur des portraits) alors il y avait d’abord des dessins au fusain. « Les Evangelistes » et une « Annonciation », puis « Christ au Mont des Oliviers », « Résurrection » (parmi les premiers faits à Neumarkt). Puis « Jean à Patmos » – « Emmaüs » – « Tobie devenant aveugle » (que ma mère aimait beaucoup) – « l’Ascension », achetée en 1919 par Max Reinhardt – une »Crucifiction » (Heilbronn) – à Muenster en été 1920, j’ai fait encore un « Mont aux Oliviers », mais aussi des portraits de Magda H. et du fils, qui avait 5 ans. Il y avait une exposition à Muenster avec beaucoup de ces choses, un St. Paul, puis en janvier 1921 cette exposition au musée « Folkwang » . Plus de lithographie et peu de souvenir. Mais il y avait beaucoup plus. »
1919 : Dès ses débuts berlinois, Léo a été mêlé au milieu intellectuel berlinois.
Par l’intermédiaire d’une amie de la famille très familière du milieu intellectuel de Berlin, certaines de ces oeuvres sont achetées notamment par l’écrivain Felix Hollaender ou le metteur en scène Max Reinhardt, qui en 1919 achète « l’Ascension ».
A ce propos, Léo écrit dans son journal en date du 22 mars 1964 : « La première approbation de mon activité date du 27 juin 1919, donc du jour avant la signature du Traité de Versailles : la lettre de Max Reinhardt – cela fait presque 45 ans … »
A partir de 1920 et pendant toute la décennie qui suit il est en relation à Berlin avec les marchands d’art, mécènes et collectionneurs les plus importants:
Paul CASSIRER (1871, Görlitz – 1926, Berlin)
Etudie l’histoire de l‘art à Munich, travaille pour le magazine « Simpliccissimus ».
Marchand d’art et rédacteur critique d’art. Installé à Berlin, il ouvre une galerie avec son cousin Bruno Cassirer avec pour objectif la promotion des artistes contemporains, Berliner Secession et impressionnistes, en particulier il s’intéresse à Van Gogh et à Cezanne.
Lance la revue « Pan ».
Paul Cassirer se suicide en 1926 à la suite d’une crise matrimoniale.
Il était parent du philosophe Ernst Cassirer et du neurologue Richard Cassirer.
S’intéresse en particulier à Van Gogh et Cezanne et organise la première grande exposition Cezanne en Allemagne en 1921.
Karl-Ernst OSTHAUS (1874, Hagen – 1921, Merano)
Un des plus importants collectionneurs d’art et mécènes d’Allemagne au début du XXème siècle.
Collection : Gauguin, Rodin, Degas, Cezanne, Renoi, Corot, Van Gogh, etc …
Rend visite à Cezanne en 1906.
Sa collection a été à l’origine du Musée « Folkwang » à Essen, ainsi que du Musée Karl-Ernst Osthaus à Hagen (sa ville natale).
1920 : il se lie d’amitié avec Karl-Ernst OSTHAUS, dont la collection de peinture comprend des Gauguins, Hodlers, Signac, Cezanne etc… ; Osthaus avait rendu visite à Cezanne à Aix en 1906.
1921 : Première exposition personnelle chez Karl-Ernst Osthaus.
Journal, 16 février 1964 : « … Karl Ernst Osthaus : passé en 1920 une nuit dans sa maison – Gauguin « Jeune fille au canard » – mais aussi Hodler : « L’élu » ? Des Signac ? Dans la chambre à coucher ? Visité le Folkwang – m’a parlé de Cezanne devant le tableau de Bibémus – puis exposition en janvier 1921 – (Osthaus mort peu après). »
Alfred FLECHTHEIM (1878, Münster – 1937, London)
Collectionneur et marchand d’art, publiciste et éditeur.
Organise des expositions artistiques dès le cébut du XXème siècle
Collectionne des œuvres de Van Gogh, Cezanne Picasso, Braque, et Derain.
Promotionne les artistes du « Blaue Reiter » et « die Brücke ».
Galerie propre à Düsseldorf (inaugurée en 1913). Vit à Berlin à partir de 1921 et y ouvre une galerie. Initiateur de la publication des revues d’art : « Der Querschnitt » (1921) et « Omnibus » (1931).
« Pendant que j’étais à Berlin, il y eut dans une galerie tenue par un ami, un dénommé Flechtheim qui fut chassé par les nazis, une exposition de Renoir.
Je me souviens que dans cette exposition se trouvaient quelques fameux « croquetons » que Renoir faisait le matin avant de commencer sa journée, histoire de se chauffer, peintures faites avec deux ou trois couleurs, aux moyens limités. Les marchands de tableaux ont découpé ces tombées de toiles et en ont fait de petits tableaux. Pour revenir à cette exposition, en plus de ces croquetons, il y avait des portraits de lui-même qui ressemblaient à des Titien. Toutes ces peintures étaient là, sans cadre, ça n’avait l’air de rien du tout, certaines ne tenaient pas. J’ai revu le lendemain le tout encadré avec des cadres dorés, c’était merveilleux, ça tournait. Il y avait aussi dans cette exposition des sculptures, une tête du fils, une femme qui allaite son enfant.
Cela se passait en 26 ou 27. Je revis cet ami en 1937 à Paris où il devait mourir peu de temps après. Il avait également contribué à faire connaître Van Gogh à une époque où les Allemands ne savaient rien de cet artiste. » (Entretiens)
Curt VALENTIN (1902 – 1954 en Italie)
Marchand d’art allemand travaillant à Berlin, Hambourg (Karl Buchholz Galerie).
Emigre en 1937 aux Etats-Unis et ouvre une galerie d’art à New York, qui deviendra en 1951 la Galerie Curt Valentin.
Est à l’initiative de la publication de nombreux livres illustrés par des peintres non moins illustres.
En juin 1948 dans son journal LM raconte comment il a revu, en compagnie de Masson et de Tal Coat, Curt Valentin qu’il n’avait pas revu depuis 1929/30 lorsqu’il travaillait à Berlin à la Galerie Flechtheim. Aujourd’hui il est un important marchand d’art à NY, il venait pour voir le Saint Luc et semblait « sincèrement impressionné », promettait de promotionner l’œuvre aux Etats-Unis après en avoir acheté 2 exemplaires pour lui-même.
Journal 21 juin 1948 : Most interesting events. Saturday, when going down the drive to meet the children coming back from school, I saw Tal-Coat and Masson coming up (their women folks too !) and with them was Curt Valentin. I had not seen since 1929 or 30 (he was in Flechtheims Gallery in Berlin). Now he is a prominent New York art-dealer. He came, after a visit at Tal-Coat’s to see our book and seemed sincerely impressed, he promised to help for selling it and said he would subscribe 2 copies for himself. Marvellous !
La découverte de Van Gogh et de Cezanne
1918 : A Munich, lors d’une visite avec son père à la recherche d’un professeur de peinture, il découvre dans les musées de cette ville des œuvres de Cezanne et Van Gogh.
1921 Il fait connaissance de façon plus approfondie avec l’œuvre de Cezanne, grâce à la grande exposition du maître d’Aix, qui se tient la même année chez Paul Cassirer à Berlin,
1924-25 : par intermittence il vit et travaille en Italie, notamment à Venise. Il visite les musées de Florence et Rome. Utilise la technique du pastel, notamment pour une série de têtes réalisées en 1925 en Italie.
1928 : premier voyage d’étude en Provence sur les traces de Cezanne. Il y revient chaque année en s’installant en été au Châteaunoir.
1931 : au printemps, il s’installe définitivement à Châteaunoir, près d’Aix en Provence.
Une personne avec qui Léo aura des relations particulières dans cette période : son cousin Justus Bier, importante relation car Justus Bier, également né à Nuremberg, a écrit sa dissertation de fin d’études de l’histoire de l’art sur Tilman Riemenschneider et qu’il y a fort à parier que tout l’environnement des artistes allemands de la fin du moyen-âge et du début de la Renaissance, les Dürer (né à Nuremberg), Schongauer, Baldung Grien, ainsi d’ailleurs que l’architecture de cette même période dans les villes de Nuremberg, Bamberg et Würzburg ont exercé une influence capitale sur la formation et la réalisation de l’œuvre de jeunesse.
Relation avec son cousin Justus Bier (1899, Nuremberg – 1990,Raleigh)
Etudie avec Heinrich Wölfflin: dissertation sur Tilman Riemenschneider.
Directeur de la « Kestnergesellschaft » association et galerie d’art fondée en 1916 à Hanovre. L’association est souvent entremêlée avec le Musée August Kestner qui se trouve également à Hanovre.
Fermé en 1936 et Justus Bier est condamné à l’exil. Il deviendra professeur d’histoire de l’art à l’Université de Louisville au Kentucky (USA). Enseignant et directeur du Musée d’art de Caroline du Nord (Raleigh).
Réouverture en 1946 de la « Kestnergesellschaft ».
NB
Martin Schongauer (1450-1491) alsacien
Tilman Riemenschneider (1460-1531) Würzburg, etc…
Albrecht Dürer (1471- 1528), Nuremberg
Hans Baldung Grien, (1484-1545)
B) Les influences
Avant de parler des influences allemandes qui sont étroitement liées à sa jeunesse, aux années d’apprentissage entre Nuremberg et Berlin et à la réalisation de son œuvre de créateur, il convient de bien comprendre le mode de fonctionnement particulier qui était le sien, ce qu’il appelle son « système » :
Je prends comme points de repère « la Note sur la peinture » (1968)
Les axes de son travail :
– la peinture est basée sur l’œil et la vision : la relation objet/sujet reste pleinement opérante
– la distance « élément essentiel en toute peinture ».
– le volume : « le volume d’un ensemble quoi qu’il en soit des omissions de détail, volume qui provient de la lumière… »
– la lumière, « créée par la couleur ou ses abréviations le NetB ».
– la révolution copernicienne du traitement des ombres : il est mis fin au principe séculaire de la peinture occidentale d’unification par les ombres. Les ombres sont signifiées par la couleur, les lumières sont sans couleur et l’unité de la surface est créée par le blanc du papier.
– le « sacrifice », jusqu’où peut on aller dans la suppression des détails sans que la vision de l’objet soit détruite ?
Il est certain que la littérature et la pensée philosophique allemande constituaient les racines et la toile de fond de la réflexion de LM en parallèle de la réalisation de son œuvre graphique.
Les documents à partir desquels sont établies les influences est constitué de l’ensemble des écrits de LM : les diverses correspondances, les entretiens avec François de Asis et les Journaux (1947 – 1975).
On commence par certainement le plus important par son universalité:
Les écrivains et poètes
Goethe : Le traité des couleurs
Considéré comme faux scientifiquement, mais exact artistiquement, c’est-à-dire pour le travail d’un peintre.
Dans son journal, le 19 août 1962: « Repris die Farbenlehre de Goethe. Cela m’est familier. Des phrases entières. C’est merveilleux. »
Coloration harmonique : : « …. ainsi, l’effet d’harmonie proprement dit ne se produit que lorsque toutes les couleurs sont utilisées de façon à s’équilibrer les unes les autres. (885) »…
Journal 13 février 1960: (…) « (…) Goethe observait que les ombres étaient presque jamais noires ou grises mais en général coloriées. (…)
Correspondance Goethe/Schiller (1794 – 1805), dix années
Correspondance avec Jameson Jones
« (…) Les manques des artistes modernes à l’époque ont selon lui pour cause leur incapacité à se confronter à la nature, à transformer la nature en art. La raison en était qu’ils négligeaient les exemples du passé, qui, après étude approfondie, peuvent révéler comment tel ou tel artiste a appris à affronter la nature.
(…) Dans ces lettres il insiste sur le fait que le sujet doit toujours être défini par les moyens spécifiques à chaque discipline artistique : « L’artiste moderne met un contenu poétique dans son œuvre, qui sans cela serait vide et pauvre, car il lui manque le contenu qui doit être puisé dans les profondeurs de l’objet ». C’est ce que Cezanne et Van Gogh ont su réaliser.
Citations de Schiller :
« Deux choses font le poète et l’artiste : qu’il s’élève au-dessus du réel et qu’il garde pied dans le domaine sensible. Lorsque ces deux données sont associées, l’art est esthétique. »
« L’opération délicate consiste dans la réduction de formes empiriques en formes esthétique et, par là, ce qui risque ordinairement de manquer, c’est soit le corps soit l’esprit, soit la vérité, soit la liberté. »
Introduction au « Propylée » (périodique, publié par Goethe en 1778)
«…. Tout ce que nous percevons autour de nous n’est que matière brute ……. ainsi, en particulier dans la période actuelle, il est encore plus rare, qu’un artiste soit en mesure de pénétrer à la fois dans la profondeur des objets et de sa propre âme[1], afin de produire dans ses œuvres non seulement quelque chose aux effets légers et superficiels, mais encore, en rivalité avec la nature, quelque chose d’organique dans l’esprit et de donner à son œuvre un contenu et une forme telle, qu’elle paraisse à la fois naturelle et surnaturelle….. »
(Extrait du Journal de LM en date du 8 septembre 1962).
Goethe dessine beaucoup à cette époque et indique que, partant toujours du tout, il ne vient pas à bout du détail et que partir du détail pour mettre ensemble constitue un sabotage ! N’y a-t-il pas là condamnation de l’académisme ! » ….
(Extrait en date du 9 juin 1964).
Confirmation très indirecte de la notion de « sacrifice » et de son corollaire « l’abstraction », entendu au sens philosophique et pas du tout au sens commun « d’art abstrait » : càd. « l’action intellectuelle qui isole dans une réalité complexe un caractère que cette réalité ne donne jamais seul ».
En peinture cela peut donner l’impression d’inachevé.
Hölderlin
Voici ce qu’a dit H. il y a bien plus de 150 ans, une phrase qui me paraît si importante, que je la sais par cœur depuis 40 ans :
« Pour l’homme, il importe en premier lieu que chaque chose existe, soit reconnaissable de par son apparence et que la manière qui la caractérise puisse être déterminée et transmise ».
(Journal LM 11 avril 1960)
“Es kommt – unter Menschen – bei jedem Ding vor allem darauf an – dass es etwas ist – dass es in dem Mittel seiner Erscheinung erkennbar ist – dass es bestimmt und gelehrt werden kann.”
Lettre à Casimir Ulrich Boehlendorf : « L’impression formée par la contemplation de l’art antique m’a non seulement permis de mieux comprendre les Grecs mais plus généralement l’art dans son expression la plus élevée, qui, même dans le mouvement extrême et la mise en forme sensible de concepts et de toute opinion sérieuse, maintien toute chose pour soi et en situation de permanence, de telle sorte que la certitude ainsi comprise constitue la forme suprême du signe ».
Texte repris dans son Journal en 1964, LM ajoute de commentaire suivant : « …maintient toute chose pour soi et en situation de permanence … » m’a guidé dès ma prime jeunesse. Déjà visible dans les dessins de jeunesse de 1923 (retrouvés l’autre jour).
Stefan George (1868, Bingen- 1933, Locarno)
Toujours chez les poètes, il y avait un jeune écrivain allemand mort en 1933, son nom est Stefan George, il a fait de formidables traductions de Baudelaire et de Dante. C’est par lui que j’ai découvert ces deux grands poètes. L’œuvre poétique de cet artiste n’a jamais été appréciée par un nombre important de personnes. Il est pratiquement resté dans l’anonymat. Mais personnellement, je connaissais la plupart de ses poésies par cœur et j’étais emballé par son œuvre.
(Entretiens)
Hugo von Hofmannsthal (1874- 1929)
Question de la lumière
La découverte en Grèce de la lumière : il oppose l’homme du Nord qui préssent le mystère de l’espace, célébré chez nous par la manière de Rembrandt, opposant la lumière à l’obscurité. Mais ici en Grèce nous constatons qu’il existe un mystère de la lumière. Cette lumière enveloppe les figures à la fois de secret et d’intimité. Rien n’est plus difficile dans ces paysages de deviner si une figure est proche ou éloignée.
Dans ce contexte il parle également de Venise, fusion de l’antiquité et de l’Orient
Nichts ist schwerer, als in dieser Landschaft zu erraten, ob eine Gestalt nahe oder ferne sei. Das Licht macht sie deutlich und vergeistigt sie zugleich, macht sie zu einem Hauch. „
. Wir sind aus dem Norden, und das Halbdunkel des Nordens hat unsere Einbildungkraft geformt. Wir ahnten das Mysterium des Raumes, aber wir hielten keine andere Art, diese zu verherrlichen fuer moeglich, als die Rembrandts: aus Licht und Finsternis. Aber hier erkennen wir: es gibt ein Mysterium im vollen Licht. Dieses Licht umfaengt Gestalten mit Geheimnis und Vertraulichkeit zugleich…..
Les philosophes
Kant
La confrontation avec la philosophie kantienne a certes été réalisée dans ses relations avec Fritz Novotny pour la rédaction des différents articles de l’historien d’art sur Cezanne dans les années 1930 ; ce dernier se fonde sur la théorie de la connaissance de Kant qui indique que l’espace et le temps sont les conditions a priori de la connaissance.
Texte d’une « conférence » ayant pour titre: « Le schématisme kantien des concepts pur de l’entendement, le renversement de ceux-ci, ses relations avec les arts plastiques » („Kants Schematismus der reinen Verstandesbegriffe, die Umkehrung desselben, seine Beziehung zur bildenden Kunst.)
Quelques lettres échangées avec son Cousin Justus Bier sur Kant et Hoelderlin
Extrait de lettre à Adrien Chappuis en date du 16 mai 1968
« (….) On sait que Joaquim Gasquet – dans son livre – parle de Kant – de façon voilée – on peut supposer que lui en avait parlé à Cezanne. Est-ce que « les sensations confuses que nous apportons en naissant » seraient une allusion aux catégories a priori ? Je le pense, en me souvenant, quelles émotions – par rapport à la peinture – m’a donné la lecture de Kant, il y a 40 ans. (…) »
Hegel : Les nombreux et différents textes de H. sur l’esthétique.
Pour rester dans l’esprit de ce qui précède, Hegel écrit (chapitre « aboutissement de la peinture, le portrait ») « … un portrait peut être très ressemblant, d’une grande exactitude, et néanmoins, insignifiant et vide, alors qu’une esquisse jetée en peu de trait par une main de maître, sera infiniment plus vivante et d’une vérité frappante. Une telle esquisse doit, par les traits vraiment significatifs, représenter l’image simple, mais totale du caractère que cette exécution sans talent, sans fidélité matérielle, a laissé échapper on n’a pas su faire ressortir (…) ».
Esthétique de la peinture figurative (cité par Châtelet) « Les dessins présentent le plus grand intérêt, puisqu’ils nous mettent en présence d’un miracle, qui consiste en ce que tout l’esprit vient pour ainsi dire se déplacer dans la main et la rend capable der reproduire avec la plus grande facilité, sans essais préalables, d’une façon pour ainsi dire instantanée, tout ce qui hante l’esprit de l’artiste ».
Schopenhauer
Dans la correspondance avec Jameson Jones, LM écrit : » Dans ma jeunesse, Schopenhauer m’a nourri spirituellement et en particulier son opuscule « De la quadruple racine du principe de raison suffisante ». Il m’a essentiellement montré le principe d’équivalence en logique « Rien n’existe sans raison d’être» (« Nichts ist ohne Grund warum es sei ») et ses variations : l’espace et le temps ou la surface et la profondeur. C’est la prise de conscience de relations, dans mon domaine, les relations entre lignes ou couleurs, les unes envers les autres. Posons certaines lignes, d’autre viennent les compéter dans un certain agencement.
J’ai retrouvé cette vérité écrasante dans les œuvres de Van Gogh et Cezanne, les deux seuls chez qui ce sentiment apparait dans la plénitude de sa force et de sa logique ».
But I have to mention some other things – Schopenhauer was one of my early spiritual nourishers, and especially his first and little-read work: Ueber die vierfache Wurzel des Satzes vom Grunde, with the wonderful opening phrase : Plato der Goettliche und der estaunliche Kant – (de la musique cela !). Well, to come straight to the essential in it for me. He showed to me the equivalency of logic : Nichts ist ohne Grund warum es sei – in its variation : Space and Time, or Surface and Depth. (I do not express myself well). It is the awareness of relations – in my field the relationship between lines or colors, one to another. Given a certain line, others are asked for in a determinative way. I found that overwhelming truth in the work of Cezanne and Van Gogh – the only two where this feeling appears in its full strength and logic.
« De la vue et des couleurs », une étude d’Arthur Schopenhauer.
Sorte de réplique écrite par Sch. à la suite de la lecture du « traité des couleurs » de Goethe. Schopenhauer a envoyé son texte pour appréciation à Goethe, qui n’a jamais répondu, au grand dam de Schopenhauer.
Plan de l’ouvrage
Introduction
Sur la vue
Sur les couleurs
« (…) Je suis – une fois de plus – sur la théorie des couleurs de Schopenhauer – et puisque j’ai vérifié dans une Encyclopédie qu’aucune des théories de couleurs actuelles n’est entièrement satisfaisante ! – je ne vois pas de raison de ne pas croire à certaines vérités sans doute contenues dans celle de Schopenhauer et qui coïncidait étroitement avec ma propre expérience de peintre. (…) » (Extrait d’une lettre à Albert Châtelet en date du 15 janvier 1959).
« (…) Relis Schopenhauer, après 40 ans environ. (…) » (Journal, 12 octobre 1965)
Nietzsche (1844- 1900)
LM : la critique de l’histoire et tout ce qui gravite autour de la théorie de l’éternel retour.
Ecrits de jeunesses (des choses formidables), la correspondance avec Overbeck et plus particulièrement un ensemble de notes des années 1883/88 regroupés sous le libellé « Arts et Artistes », dans lequel il parle de l’interférence entre disciplines artistiques « peindre avec la poésie », « éveiller par la musique ou par la peinture des sentiments poétiques, voire des pressentiments philosophiques.
Il y a, dans une lettre de Nietzsche, un passage enthousiaste sur les couleurs ; dès son arrivée à Nice (qui à l’époque était moins « côte d’azur ») il insiste sur la particularité qu’il n’y avait « rien de la brutalité des couleurs primaires » (nichts von der Brutalitaet der Grundtoene) il dit Grundtoene, assimilant ainsi la couleur à la musique, et, en effet, on peut assimiler les couleurs primaires (« les couleurs pures ») aux Grundtoene de la musique ».( Extrait d‘une lettre à Albert Châtelet en date du 7 février 1962).
Extrait du Journal en date du 1er juin
1er juin : Nietzsche (à Overbeck) : « Zuletzt geht mein Misstrauen jetzt bis zur Frage, ob Geschichte ueberhaupt moeglich ist ? Was will man denn feststellen ? Etwa das im Augenblick des Geschehens selbst nicht „feststand“ !“.
Choses étonnantes chez Nietzsche ; « Arts et Artistes », des notes de 1883/88, pour l’essentiel sur des écrivains, français, mais aussi de signification plus générale – par exemple (116) : « Ce siècle, où les arts comprennent qu’une disciplines artistique peut interférer sur une autre signifie peut-être la ruine des arts ! (c’est Nietzsche qui souligne), par exemple peindre avec de la poésie (Victor Hugo, Balzac, Walter Scott, etc…), éveiller, par l’intermédiaire de la musique, des sentiments poétiques (Wagner), éveiller par la peinture des sentiments poétiques, voire des pressentiments philosophiques (Cornelius), pratiquer à l’aide de romans l’anatomie et la thérapeutique des aliénés, etc… » (Extrait des journaux (18 mai 1960)
Enfin leur amour commun pour la ville de Venise : « le seul endroit sur terre que j’aime ».
Les historiens d’art
Jakob Burckhardt
Extrait d’une lettre à Adrien Chappuis en date du 13 juillet 1968 : « (…) mais je veux tout de suite dire – pour éviter tout malentendu – que j’aime profondément Burckhardt – que je suis nourri et pénétré de son « Cicerone » (un exemplaire que j’ai depuis 45 ans – que je relis souvent dans ses oeuvres – J’ai la « Civilisation de la Renaissance en Italie » (1860), L’époque de Constantin le Grand, 1853) (bouquin formidable !), un volume d‘articles divers notamment ce qu’il écrit sur Rubens, et last not least, son « Histoire de la civilisation grecque » 1898/1902), qui a été si importante pour la formation de Nietzsche.
Fiedler ( 1841-1895)
Savant allemand qui fut aussi un théoricien de l’art (1841- 1895).
Konrad F. était très lié à Hanns von Marées, une des peintres du groupe dit des « Deutsch-Römer » (romains allemands, parce qu’ils vécurent toute une partie de leur vie en Italie) avec Arnold Böcklin (1829-1880), Anselm Feuerbach (1829-1880) et le sculpteur Adolf von Hildebrand (1847-1921).
Il s’agit essentiellement pour Fiedler, après avoir enregistré les acquis scientifiques d’une psychophysiologie de la perception, d’élaborer une sorte d’anthropologie de la vision. Autrement dit : l’art comme vision.
1947 dans son journal LM cite de nombreuses citations de F. : « Pour l’artiste plasticien, il n’existe pas d’autre règle que celle qui apporte la démonstration que l’œil est à l’origine de toute son activité. »
« ….Ce n’est pas parce que l’art plastique s’adresse à l’œil qu’il construit des formes visibles, mais parce qu’il prend sa source dans l’œil, et ne connaît d’autre moyen d’expression que ceux qui se développent à partir de l’œil…. »
(Journal extrait en date du 12 avril 1947).
Il rejette la domination du Zeitgeist : « les artiste ne doivent pas exprimer la contenu de l’époque, leur tâche et bien plutôt de donner d’abord un contenu à l’époque ».
« L’art ne tire pas son origine de la pensée pour ensuite descendre vers la forme et la structure, mais, partant de l’absence de forme et de structure, la pensée s’élève vers la forme et la structure, et c’est dans ce parcours que réside toute sa signification spirituelle. »
(Extrait du Journal en date du 10 mai 1960).
Meier Graefe
Julius Meier-Graefe, un des premiers biographes de Cezanne, visite Châteaunoir au début des années trente. Léo indique dans son journal (28 décembre 1960) « Pense à Meier-Graefe et l’importance de ses livres pour mon orientation. M.G. venu une fois à Château Noir – avec Herzog – au début des années trente : je me rappelle son enthousiasme pour la grande allée. Philosophenweg qu’il la nomma ! ».
Kurt Badt (1890 – 1973)
Léo a correspondu avec Badt sur les questions de traitement de l’espace.
Il constate qu’il trouve la confirmation de la pratique des ombres colorées dans les articles et livres de Badt sur l’impressionnisme et sur Van Gogh (Traité des couleurs chez Van Gogh)
“…Je voudrais attirer votre attention sur l’article sur l’Impressionnisme de Kurt Badt. Dans son ouvrage “Le traité des couleurs chez Van Gogh” il explique, bien plus clairement que je ne puis le faire, le mérite de ces peintres d’avoir su remplacer les tons uniformes et sombres facteurs d’unité, par l’utilisation de la couleur dans les parties sombres. La chose curieuse est que cette conception a toujours été la mienne. Vous pouvez imaginer quel a été mon bonheur et le choc que j’ai ressenti lorsque j’ai lu pour la première fois ces pages de Badt 25 ans plus tard.
C) les œuvres
La plus grande partie des œuvres que nous possédons de cette première époque sont celles que la famille avait apporté dans l’émigration lorsqu’ils sont partis aux Etats-Unis pour s’établir à Los Angeles (de 1936 à 1941)
Plus quelques œuvres (surtout des dessins) que Léo avait conservé ainsi que quelques huiles réalisées dans des années trente.
Liste :
(« L’ascension » (1918))
Le « Platon »
A 21 ans, 1924 il réalise l’album de lithographies d’après « le Banquet » de Platon, qui montre son intérêt pour les questions philosophiques disputées dans les milieux intellectuels berlinois.
Dessins de la campagne aixoise
Conclusion
En 2005, lors du travail de préparation de la monographie, Alain PAIRE, un des auteurs des articles sur Léo Marschutz (« LM 1947-1969, journaux intimes, ferveur et mains courantes »), m’a posé la question : « Quelle influence a pu avoir l’Allemagne et sa culture sur l’œuvre de LM ?» et je n’ai su que répondre.
Aujourd’hui, après avoir fait le travail de compilation et de lecture d’un grand nombre de documents, je suis en mesure d’affirmer que la formation et la connaissance de la philosophie allemande et des textes des historiens d’art qui à la suite de Jacob Burckhardt ont puisé dans cette philosophie sont fondamentales et indispensables pour la compréhension de l’œuvre de Léo Marschutz. Cet univers intellectuel est à la base de son projet créatif auquel il est resté fidèle toute sa vie.
Un témoignage de Leo Marschutz
Extrait d’une lettre de Leo Martschutz à Adrien Chappuis datée du 19 mars 1972 et concernant sa jeunesse.
« … En poursuite de quelques remarques dans ma lettre de l’autre jour, je me demande si je vous ai jamais raconté les circonstances assez particulières (et pour moi toujours miraculeuses ) de ma venue à Aix ? Je pense plutôt que non, mais dans le cas contraire veuillez excuser la répétition.
Mon amour pour Cezanne – qui n’était pas exclusif – datait de 1916, mais je n’ai vu de ses tableaux pour la première fois qu’en décembre 1919 à Munich, où j’étais venu avec mon père (résigné enfin à me laisser choisir la carrière de peintre) pour trouver un professeur – ce qui n’a pas réussi – quoique les hommes consultés étaient tous prêts à m’accepter. C’étaient Rudolf Lévy, un élève de Matisse, qui a été un de ses aides avant la première guerre, lorsque Matisse avait son école, le peintre Kaspar, très en vogue à l’époque, et un surréaliste (ou à peu près) : Ehmsen – – Mais je ne veux pas parler de cela, ce serait trop long.
La prochaine – et très complète – révélation de Cezanne était lors de la grande exposition – en 1921 – chez Paul Cassirer à Berlin ; il y avait là réuni à peu près tout ce qui se trouvait en Allemagne – et vous savez que c’était beaucoup : toiles et aquarelles – pas de dessins à ce que je me rappelle.
Dans la suite des années, j’ai vu – surtout grâce à des amis qui commençaient à collectionner – beaucoup de Cezanne dans les Galeries (parmi des œuvres jamais revues depuis). Les amis achetaient : une petite tête ravissante de Mme. Cezanne (reproduite dans le livre de Wedderkop), une aquarelle de Ste. Victoire – et finalement en 1927 un grand « morceau » – une toile à cette époque – difficilement vendable – de 1904 – la Ste. Victoire avec le grand pin, une version de la fameuse toile de Moscou, peinte de l’entrée de Châteaunoir.
Cette toile, je l’ai vue, pendant toute une année ou à peu près, au moins une fois par semaine – et elle représentait pour moi le nec plus ultra. Je vous épargne toutes les réflexions quant à l’art contemporain qu’elle provoqua – vous comprendrez sans cela. Venons aux faits.
En mai 1928, mon premier voyage en France : l’Estaque, qui ne m’enchantait pas d’abord, puis Cassis, encore le petit port, où on commençait cette année à mettre des égouts, à peine des maisons sur les collines, et en juin (par train – très compliqué) voyage à Aix, dont je ne savais rien, sinon en mémoire, une photo du cocher de Cezanne, publiée dans le « Frankfurter Zeitung ». Après le déjeuner, je l’ai aperçu sur le cours, il n’y avait que des fiacres (et le tram, bien sûr, qui montait au haut du cours). Le nombre des habitants était toujours aux environ de 28 mille, comme au temps de Cezanne.
J’ai demandé au cocher de nous amener dans la campagne, à un endroit où Cezanne avait peint – et il a pris la route du Tholonet – cela me semblait long et très sauvage. D’un coup, il bifurque à gauche et je lui criais de s’arrêter : j’avais devant les yeux le tableau de Berlin. Mon tableau – me voilà en pays connu !
Nous visitions donc Châteaunoir, très bien reçu par la propriétaire, ravie de voir que quelqu’un connaissait des toiles peintes chez elle – et à la fin elle nous montra un petit appartement qu’elle venait d’aménager, en disant que c’était à louer à partir du 1er août. Il n’y avait ni eau ni électricité. Nous n’avions même pas de bicyclettes. J’ai demandé une semaine de réflexion et après quelques jours, j’ai signalé que j’étais locataire – (et je le suis resté pendant 40 ans exactement).
Voilà cette curieuse histoire – Faut dire qu’on ne s’est fixé définitivement qu’à partir de 1931, les premières années on passait les hivers à Berlin, où j’avais gardé mon atelier.
L’atelier Cezanne aussi se louait à cette époque – en 1928/29 il y avait Erle Loran Johnson.
Venturi est venu à Châteaunoir en 1934, je pense, avec un tas de photos de tableaux, dont John et moi avons pu lui indiquer et souvent montrer l’endroit.
Mais il est temps de finir, excusez ce long bavardage…
Votre Léo. »