Durant l’année

Adresses de Pissarro relevées par Ludovic Rodo Pissarro :

« 15 janvier 21, rue Berthe
quittance de loyer, terme échu.
30-janvier rue de l’Hermitage
quittance de loyer.
1er février Pontoise.
07-févr Paris. [lettre JBH n° 44]
30-mars rue de l’Hermitage
quittance de loyer.
1er avril 21, rue Berthe
quittance de loyer, terme échu.
12-avr maison de l’Hermitage, propriétaire Berlioz
quittance de loyer, terme échu le 30 mars.
 30-juin quittance de loyer pour terme échu le 30 juin
propriétaire Berlioz.
1er juillet 21, rue Berthe
quittance de loyer, terme échu le 1er juillet.
 26-août 16, rue Mallebranche, Pontoise.
28-sept 18 bis, rue de l’Hermitage, Pontoise.
1er octobre 21, rue Berthe
quittance de loyer, terme échu.
07-oct 16, rue Malbranche, Pontoise.
 09-oct 18 bis, rue de l’Hermitage, Pontoise
(lettre adressée).
25-déc 18 bis, rue de l’Hermitage. »
Ludovic Rodo Pissarro, Curriculum vitæ ; inédit, Pontoise, musée Pissarro.

Il est étonnant que l’adresse du 16, rue Mallebranche, qui était celle des Pissarro en 1872-1873, propriété Gateau, réapparaisse en 1876, alors qu’ils continuent d’habiter au 18, rue de l’Hermitage. Il s’agit probablement d’une erreur, car le dénombrement de la population de Pontoise en 1876 recense une autre famille à cette adresse-là. La population de Pontoise s’élève à 6 412 personnes.

Le cahier de dénombrement recense la famille Pissarro en 1876, ainsi que leur domestique :

z 2016-07-18 à 09.21.30

Dénombrement de la population de Pontoise, 1876, arrêté par le maire Germain le 31 décembre 1877 ; Archives départementales du Val-d’Oise, cote 9M808/4.

Le dernier enfant nommé est Félix Camille. Aucune maison n’est mentionnée au n° 18 bis.

Pontoise compte cette année-là 6 412 habitants, dont 84 étrangers.

Au cours de l’année

Pissarro achète 441,15 francs de fournitures à Tanguy.

Facture de Tanguy à Pissarro, vers fin 1880 ; vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, addendum n° 7, feuillet n° 3.

Début de l’année

Piette écrit à Pissarro.

« cela m’amène à vous parler de l’Exposition, j’ai comme vous eu un moment d’espoir en supprimant les expositions officielles. ça forçait évidemment les artistes à trouver un moyen d’exposer, sans le secours et le patronage de l’Etat. Mais l’espoir a été court car le dénouement a été la contrepartie des espérances. Et bien, vous avez certes raison de vous occuper quand même d’organiser un noyau de résistance, et il y a là, cela me semble évident, un sérieux motif d’espérer. mais l’argent manquant, vous êtes contraint d’aller patiemment, avec abnégation, vertu rare, vous en convenez : et cela au profit de ceux qui viendront ; ou bien d’autres encore, si vous vivez vieux : mais dans ce cas vous aurez fait votre trou sans le secours de la mutualité ; en attendant, il faut essayer de tous les moyens — même de l’exposition officielle. On craint un refus, il n’en est que cela. Une mauvaise place, c’est encore embêtant, mais le hasard peut vous favoriser, et alors vous pouvez faire des affaires avec quelqu’amateur nouveau. Si vous avez fait votre grand tableau, à votre place je l’essaierais ; un jour, j’ai eu la chance d’être bien placé pour une aquarelle qui n’avait guère de mérite qu’une sorte d’étrangeté et de nouveauté des lignes : mon dessin du vieux Mans. Et bien, j’ai été presque sur le point d’être en relation avec Goupil, qui m’avait écrit pour me l’acheter, m’en faisant des louanges. Cela pouvait être une affaire d’argent si j’avais eu plus d’[illisible] et de savoir-faire. C’est ce qui m’engage à faire à nouveau l’expérience, et si je vous en donne le conseil en camarade, et surtout ce n’est que parce que je vous sais assez ferme pour ne pas subir à la légère une influence, et que si vous la subissez il faudrait que vous en ayez reconnu la raison, ce qui alors m’en ôterait toute la responsabilité. Vous n’en seriez que plus fort pour faire marcher votre société si vous aviez un succès, surtout dans le camp ennemi, et l’entreprise de Monet m’a démontré clairement qu’un tableau plein air étudié et rendu comme vous le pouvez aurait un succès réel dans le vrai public, malgré toutes les cabales de l’école, qu’après tout le public ne comprend nullement : la vérité étant la qualité à laquelle il est le plus accessible. Allons, fermons cette lettre. »

JBH, Mon cher Pissarro, p. 128-131.

4 février

Monet invite Chocquet ainsi que Cezanne à déjeuner chez lui à Argenteuil le lendemain. Il pourra ainsi faire la connaissance de Chocquet.

« Argenteuil, 4 février 1876
J’ai fait promettre à Cezanne qu’il viendrait demain samedi avec vous me demander à déjeuner.
Si cela ne vous effraie pas de faire un très modeste déjeuner ce sera pour moi le plus grand plaisir car je serai on ne peut plus heureux d’avoir fait votre connaissance.
Je vous attends donc tous les deux pour demain matin et croyez-moi
Votre tout dévoué.

Claude Monet »

Lettre de Claude Monet à Chocquet, « 2, boulevard Saint-Denis, en face la maison rose à volets verts », datée « Argenteuil, 4 février 1876 », à Chocquet ; Joëts Jules, « Lettres inédites : les impressionnistes et Chocquet », L’Amour de l’art, 16e année, n° 4, avril 1935, p. 122 ; Wildenstein Daniel, Claude Monet, catalogue raisonné, lettre n° 86, p. 430. Vente Lettres et manuscrits autographes, Paris, hôtel Drouot, 23 juin 1969, n° 193.

5 février

Cezanne emmène Chocquet à Argenteuil pour le présenter à Monet et déjeuner chez lui.

Lettre de Claude Monet, Argenteuil, à Chocquet, datée 4 février 1876 ; Wildenstein Daniel, Claude Monet, I, lettre n° 86, p. 430.

[Février]

Piette demande à Pissarro des nouvelles de Cezanne :

« L’ami Cezanne est-il revenu ? A-t-il rapporté les ciels bleus dont parlent les poètes et dont nos brumes colorées et obéissantes à la perspective ne nous laissent pas trop privés ? »

Lettre de Piette à Pissarro, non datée [février 1876] ; Bailly-Herzberg Janine (commentaires), Mon cher Pissarro, lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro, Paris, éditions du Valhermeil, 1985, 143 pages, p. 125-127.

5 février

Renoir et Rouart proposent à Caillebotte de s’associer à un projet d’exposition.

« Monsieur Caillebotte,
Nous avons pensé qu’il serait bon de renouveler l’essai tenté en commun d’une exposition particulière, à cet effet nous nous sommes entendus avec M. Durand-Ruel qui nous loue deux salles dont la plus grande.
Nous serions très heureux de vous voir vous associer à nous dans cette nouvelle tentative.
Vos bien dévoués.
Renoir                  H. Rouart
Frais : 120 frs par exposant, payables jusqu’au 25 février chez M. Durand-Ruel.
Ouverture le 20 mars prochain.
Durée : un mois.
Nombre d’œuvres admises : cinq.
Pour les renseignements complémentaires s’adresser chez Durand-Ruel.
Prière de répondre de suite à l’un de nous si vous êtes des nôtres. »

Lettre de Renoir et Rouart, Paris, à Caillebotte, datée 5 février 1876 ; Vente Manuscrits et lettres autographes, Drouot-Montaigne, 15 mai 2001, n° 180, lettre reproduite.

5 février

Renoir, Degas et Rouart proposent à Boudin de s’associer à eux pour un projet d’exposition.

« Monsieur Boudin
Nous avons pensé qu’il serait bon de renouveler l’essai que nous avons tenté en commun d’une exposition particulière.
à cet effet nous nous sommes entendus avec Durand-Ruel qui nous loue 2 de ses salles dont la plus grande.
Nous serions très heureux de vous voir vous associer à nous pour cette nouvelle tentative.
Vos bien dévoués
Degas Renoir H. Rouart
—————————————
Cotisation, 120 fr, payables jusqu’au 25 février chez Durand Ruel où vous aurez les renseignements supplémentaires.
Ouverture de l’exposition 20 mars durée 1 mois
nombre d’envois 5 œuvres
prix d’entrée 1 fr —
(Prière de faire savoir de suite à l’un de nous si vous êtes des notres.
————
5 Février 1876 »

Lettre de Renoir, signée aussi par Degas et Rouart, à Boudin, datée ; Vente Manuscrits et lettres autographes, Drouot-Montaigne, 15 mai 2001, n° 180, reproduite.

18 mars

Auguste de Molins écrit à Pissarro.

« Avez vous su que l’ouverture de l’exposition chez Durand [mot illisible] au 30 mars ? Je ne sais pas encore si je pourrais exposer ; la question de la finance à payer, celle du [mot illisible] à faire α même celle du tableau à envoyer sont toutes trois d’accès [mot illisible] plein de mystère, mais embêtant tout de même. »

Lettre d’Aug. de Molins, 17, rue du Mont-Valérien, Saint-Cloud, à Pissarro, datée « Samedi 18 mars 76, 17, Rue du Mont Valérien, St Cloud S α O » ; Paris, Bibliothèque d’Art et d’Archéologie Jacques Doucet, lettre n° 5 de de Molins à Pissarro. Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 137-3.

22 mars

Guillaumin annonce à Pissarro qu’il n’a « pas de tableau à exposer » à l’exposition impressionniste, et que Cezanne compte s’abstenir de participer.

« 22 mars
Mon cher Pissarro,
Je n’exposerai pas avec vous, et la raison est que ne n’ai pas de tableau à exposer je n’avais que la marine qui était chez Tanguy, et elle n’est plus à moi : c’était ce qui me reste il n’y a rien C’est la misère : je n’ai en aucune façon l’intention de renoncer en quoi que ce soit, mais encore pour lutter faut il avoir des armes et je n’en ai pas pour le moment.
J’ai fait part à Cezanne de votre première lettre : je crois qu’il s’abstiendra pour cette année. Je vous prie de m’excuser à Caillebotte [mots non lus]
Bonjour à Mme Pissarro.
Bien à vous
Guillaumin »

Lettre de Guillaumin à Pissarro, datée « 22 mars », inédite » ; Paris, Bibliothèque d’Art et d’Archéologie Jacques Doucet.

 

Rivière Georges, Mr. Degas (bourgeois de Paris), Paris, Librairie Floury, collection « Anciens et modernes », 1935, 188 pages, p. 52-53 :

« Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Berthe Morisot furent parmi les exposants, mais Cezanne ne voulut pas se joindre à ses amis. On a souvent dit que Durand-Ruel avait demandé instamment que ce peintre, le plus honni de tous, ne fût pas invité. Nous pensons que ce n’est pas exact. Les amis de Cezanne n’auraient jamais consenti à une pareille prétention et Cezanne fut sollicité par Monet, notamment, d’exposer avec eux. Il s’y refusa en prétextant qu’il ne voulait pas exposer chez un marchand. Il est plus vraisemblable qu’il ne voulut pas accepter l’hospitalité d’un hôte qu’il savait hostile à sa peinture. »

[Entre le 24 et le 26 mars]

Degas informe Mme Eugène Manet (Berthe Morisot qui a épousé Eugène Manet le 22 décembre 1874) de la tenue prochaine de leur exposition. « On ouvre jeudi matin, 30 de ce mois ».

« Chère madame, je ne sais si vous avez été prévenue que voici le moment d’envoyer vos tableaux. On ouvre jeudi matin, 30 de ce mois ; il est donc urgent que vous envoyiez lundi ou mardi [27 ou 28 mars] et que vous veniez si c’est possible, veiller à votre placement. On a le projet de disposer chacun en un tas, se mélangeant le moins possible.
Je vous en prie, venez veiller à cela. Et puis, j’ai à vous demander votre permission pour deux choses. Je compte exposer une ébauche ancienne d’un portrait de votre sœur, Mme Gobillard, et un portrait de votre mari assis au bord d’une grande route. Certainement, je ne le ferai pas sans votre consentement. »

Lettre de Degas à Mme Berthe Manet, non datée [entre le 24 et le 26 mars 1876] ; Correspondance de Berthe Morisot, édité par Denis Rouart, Quatre Chemins-Editart, Paris, 1950, p. 93-94.
20 mars (?)

Dernier jour de dépôt des ouvrages de peinture par les artistes au Salon.

Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, direction des Beaux-arts, Salon de 1876, 93e exposition depuis l’année 1673. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie, des artistes vivants, exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1876, Paris, Imprimerie nationale, 1876, 538 pages, article 1er du « Règlement de l’exposition des artistes vivants pour l’année 1876 », p. xcv.

Selon Gaston Bernheim-Jeune (mais il n’avait que six ans en 1876), Cezanne aurait présenté une toile au Salon :

« Chaque année, Cezanne présentait quelques toiles au Salon et chaque année, il était refusé. En 1876, après le refus d’une toile, les rapins emportèrent cette toile sur un manche de bois en conspuant le peintre et en chantant un refrain à la mode. On la promena de salle en salle. Cezanne était là, inconnu dans la foule, au milieu des artistes. Loin d’être abattu par ce spectacle hideux, il s’en alla disant : « j’ai été refusé au Salon de M. Bouguereau ». Plus tard, quand il connut le succès, il dira : « j’em….. Bouguereau ». Théodore Duret, un franc-comtois, ami de Courbet, qui avait quelques moyens acheta un jour quelques toiles à Cezanne, de même que les collectionneurs Arthur [Victor] Chocquet et Deudon. »

Bernheim de Villers Gaston [Gaston Bernheim-Jeune], Un ami de Cezanne, éditions Bernheim-Jeune, Paris, 1954, 38 pages, p. 23-24.

[27 mars]

Duret recommande à Pissarro de présenter des tableaux plus nombreux et plus importants à la Deuxième Exposition de peinture.

« Lundi
Mon cher Pissarro
Monet, rue Le Peletier, a une exposition écrasante comme nombre et importance en toiles. Il écrase tout, sauf Renoir, qui tient à côté de lui tout un panneau.
Vous n’êtes là qu’avec six toiles dont quelques-unes ne sont pas faites pour frapper et impressionner avantageusement le public et les bourgeois.
Il me semble que cette exposition va attirer l’attention et sera décisive pour l’ennemi. Vous devriez venir ici, faire un choix de vos meilleures toiles chez vos amateurs ou ailleurs, arriver comme Renoir et Monet à faire un bloc qui peut frapper. Tout est affaire de comparaison et en dehors de toute question de valeur intrinsèque, vous occupez une trop petite superficie.
Si quelqu’un de mes tableaux vous est nécessaire, je le mets d’ailleurs à votre disposition, mais ne perdez pas de temps.
A vous
Th. Duret.
Allez demander à Faure votre grand paysage ! Il vous faut une Œuvre. »

Lettre de Th. Duret à Pissarro, datée « Lundi » [27 mars 1876] ; Paris, Paris, Fondation Custodia, inv. 1978.A.17 ; vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 22.

C’est Julie Pissarro qui fait suivre la lettre de Duret à son mari, de Pontoise à Paris, en ajoutant ce mot :
« Duré te donne un bon conseille. L’avenir en dépend. Fait tout ton possible. Je t’envoie ses lettres, il n’y a pas de temps à perdre. »
Comme le catalogue de l’exposition mentionne douze peintures de Pissarro, et non six, on peut supposer que le peintre a suivi le conseil de Duret.

30 mars

Tanguy vend un tableau de Cezanne, pour 50 francs.

« Avoir à M. Cezanne », sur papier à en-tête de Tanguy, 14, rue Clauzel, non daté [31 août 1885] ; Andersen Wayne V., « Cezanne, Tanguy, Choquet », The Art Bulletin, juin 1967, p. 137.

30 mars – 30 avril

Deuxième exposition de peinture des impressionnistes dans la galerie Durand-Ruel, 11, rue Le Peletier à Paris. 280 œuvres inscrites au catalogue, sous 252 numéros ; 19 exposants.

Catalogue de la 2e Exposition de peinture par MM. Béliard – Legros – Pissaro [sic] – Bureau Lepic – Renoir – Caillebotte – Levert – Rouart – Cals – Millet (Jean-Baptiste) – Sisley – Degas – Monet (Claude) – Tillot – Desboutin – Morisot (Berthe) – François (Jacques) – Ottin fils, de 10 heures à 5 heures 11, rue Le Peletier, 11, Paris, Imprimerie Alcan-Lévy, avril 1876, 24 pages.

Georges Rivière confondra l’exposition de 1874 avec celle de 1876 quand il dira, en 1921, à propos de la première :

« Quelques amis, parmi lesquels on remarquait M. Choquet, tenaient tête à tous les détracteurs, se dépensaient dans les groupes, essayaient de réagir contre l’hostilité des critiques d’art. »

Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury éditeur, 1921, 273 pages, p. 50.
Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury éditeur, 1921, 273 pages, p. 100 :

« Les peintres qui avaient exposé à la galerie Nadar ne s’y retrouvèrent pas tous [à la galerie Durand-Ruel]. Ceux d’entre eux qui n’appartenaient pas à la petite phalange conspuée deux ans auparavant, s’abstinrent de reparaître en une si compromettante compagnie. Il n’y eut que Degas pour regretter cette défection. Un nouveau venu qui fut le Mécène du groupe, Gustave Caillebotte, s’était joint à eux. C’était, à un certain point de vue, une recrue d’importance. »

Les autres nouveaux exposants se nomment Desboutin, François, Legros, Jean-Baptiste Millet, frère du célèbre Jean-François Millet, et Tillot.

Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury éditeur, 1921, 273 pages, p. 100.

12 avril

Edmond Duranty (1833-1880) publie une brochure La Nouvelle Peinture, à propos du groupe d’artistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel (dépôt légal le 12 avril). Il fait l’éloge de la peinture « réaliste » et évalue l’apport de la nouvelle peinture, en exprimant des réserves :

« Les voilà donc, ces artistes qui exposent dans les galeries Durand-Ruel, rattachés à ceux qui les ont précédés ou qui les accompagnent. Ils ne sont plus isolés. Il ne faut pas les considérer comme livrés à leurs propres forces.
J’ai donc moins en vue l’exposition que la cause et l’idée.
[…] Qu’ont-ils donc apporté ?
Une coloration, un dessin et une série de vues originales.
[…] On a essayé de rendre la marche, le mouvement, la trépidation et l’entrecroisement des passants, comme on a essayé de rendre le tremblement des feuilles, le frissonnement de l’eau et la vibration de l’air inondé de lumière, comme à côté des irisations des rayons solaires, on a su saisir les douces enveloppes du jour gris.
Mais que de choses le paysage n’a pas encore songé à exprimer ! Le sens de la construction du sol manque à presque tous les paysagistes. Si les collines ont telle forme, les arbres se grouperont de telle façon, les maisons se blottiront de telle manière parmi les terrains, la rivière aura des bords particuliers ; le type d’un pays se développera. On n’a pas encore su bien rendre la nature française. Et puisqu’on en a fini avec les colorations rustiques, qu’on en a fait une petite partie fine qui s’est terminée un peu en griserie, il serait temps d’appeler les formes au banquet.
Au moins, a-t-il semblé préférable de peindre entièrement le paysage sur le terrain même, non d’après une étude qu’on rapporte à l’atelier et dont on perd peu à peu le sentiment premier. Reconnaissez-le, à peu de chose près, tout est neuf ou veut être libre dans ce mouvement. […]
Et, maintenant, je souhaite bon vent à la flotte, pour qu’il la porte aux Iles-Fortunées ; j’invite les pilotes à être attentifs, résolus et patients. La navigation est périlleuse, et l’on aurait dû s’embarquer sur de plus grands, de plus solides navires ; quelques barques sont bien petites, bien étroites, et bonnes seulement pour de la peinture de cabotage. Songeons qu’il s’agit, au contraire, de peinture au long cours ! »

Duranty, La Nouvelle Peinture, à propos du groupe d’artistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel, Paris, E. Dentu, Alcan-Lévy imprimeur, 38 pages, p. 18, 19, 29-30, 38.

Georges Rivière prétend que cette brochure « fut, pour ainsi dire, dictée par Degas à Edmond Duranty. » L’amitié de Duranty avec Degas a certainement eu une influence, mais sans plus.

« Cette brochure avait pour titre : « La Nouvelle Peinture, à propos du groupe d’artistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel » ; elle fut, pour ainsi dire, dictée par Degas à Edmond Duranty. Son but ostensible était la défense des exposants et cependant elle produisit une vive irritation chez les impressionnistes qui y virent un acte malveillant, presque une trahison de Degas. En réalité, il avait exprimé, sans ménagements, dans la brochure signée par Duranty, son sentiment sur la technique générale de la peinture et l’on crut y voir une critique de celle de Renoir et de Cezanne. Il faut bien dire que si Degas trouvait la peinture de Cezanne extravagante, celui-ci déclarait que l’art de Degas était étriqué. »

Rivière Georges, Mr. Degas (bourgeois de Paris), Paris, Librairie Floury, collection « Anciens et modernes », 1935, 188 pages, p. 60.

 

Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury, éditeur, 1921, 273 pages, p. 101-102.

« La tentative de Duranty, pour sympathique qu’elle fût, ne rencontra pas la commune approbation du groupe. On croyait, non sans une apparence de raison, que la brochure avait été inspirée par Degas. Elle reflétait assurément ses opinions sur la peinture de ses co-exposants. C’était cette supposition vraisemblable que Degas avait dirigé la plume de Duranty qui blessait le plus Renoir, sans que, du reste, il marquât son mécontentement ouvertement. Elle n’inspira aussi à Monet qu’un dédain muet. »

15 avril – 1er mai

Manet, devant le refus de ses deux toiles au Salon, organise une exposition de ses œuvres dans son atelier, 4, rue Saint-Pétersbourg.

Bazire Edmond, Manet,
Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1884, p. 90-98.
Lettre de Cezanne à Pissarro, avril 1876 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 151.

 

Carton d’invitation imprimé, Moreau-Nélaton Étienne, Manet raconté par lui-même, Paris, Henri Laurens, 1926, tome II, p. 37-38 ; carton d’invitation de Manet à Stéphane Mallarmé, reproduit par Wilson-Bareau Juliet, Manet par lui-même, Paris, éditions Atlas, 1991, p. 177 :

« FAIRE VRAI, LAISSER DIRE
Mr Manet prie M………..
de lui faire l’honneur de venir voir
ses tableaux refusés par le Jury de 1876,
qui seront exposés dans son atelier
du 15 Avril au 1er Mai.
de 10 h à 5 h           4, rue St Pétersbourg,
au rez de chaussée. »

 

Bazire Edmond, Manet, Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1884, p. 87-89 :

« Parallèlement, Manet éprouvait d’autres déceptions. Les « impressionnistes » avaient organisé une exhibition spéciale, et, comme on le supposait leur chef, on s’étonna de son abstention. La vérité, c’est que Manet aimait la lutte avec les adversaires avérés, et non l’encens dans les petits cénacles intimes. Il eût rêvé de combattre, avec l’armée qui marchait derrière lui, en face des bataillons encroûtés du passé. Il proposa l’assaut. Nul n’acquiesça. On s’en alla, boulevard des Capucines ou rue Laffitte, se cantonner pour un personnel élu de visiteurs. Courir au-devant des faveurs du Salon, à quoi bon ? objectaient les jeunes. Et, délaissé, Manet les affrontait. Lâcheur, prétendait-on. Lâcheur, non ; lâché, oui. »

 

Proust Antonin, Édouard Manet, souvenirs, Paris, H. Laurens, 1913, 182 pages, réédition 1988, p. 41 :

« Manet décida de faire une exposition de ses œuvres dans son atelier de la rue de Saint-Pétersbourg en plaçant à l’entrée de cette exposition un registre où chacun pourrait consigner ses observations. »

 

Wolff Albert, « Le calendrier parisien », Le Figaro, 23e année, 3e série, nos 108-109, lundi mardi 17-18 avril 1876, p. 1 :

« Samedi 15. Le peintre Manet convoque la presse à l’exposition privée dans son atelier de la rue Saint-Pétersbourg. Le jury a refusé M. Manet ; deux mains se sont timidement levées en sa faveur. Le peintre avait envoyé deux toiles : le portrait [de M. Desboutins] et un tableau intitulé : le Linge ; c’est-à-dire le jour du blanchissage dans un jardin de Paris. Nous sommes allé voir les deux toiles, et puisque M. Manet veut notre opinion, la voici :
Il y a dans son œuvre refusée, cette année, les mêmes qualités que dans les tableaux autrefois admis mais les. défauts sont plus considérables. M. Manet est une organisation bizarre. Il a du peintre, l’œil, mais l’âme point. La bonne fée qui a présidé à sa naissance, lui a donné les qualités premières qu’il faut à un artiste : le don de saisir en passant dans la nature, l’aspect superficiel des choses. Mais aussitôt, comme dans les féeries, la mauvaise fée est entrée en scène et a dit :
— Enfant tu n’iras jamais plus loin. Par ma puissance, je t’enlève les qualités qui classent définitivement un artiste. Tu n’auras pas d’imagination ! Tu es condamné à toujours peindre brutalement ce que tu vois, mais il t’est défendu d’interpréter ce que tu ne sens point. L’œil et la main guideront tes pinceaux ; la pensée restera insensible à tes travaux. Donc ; résigne-toi à toujours tourner dans le même cercle vicieux. Tu seras un maître parmi ceux qui, dans les beaux-arts, ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, comme on dit. Tu rendras souvent à merveille la première impression des choses, mais tu ne seras pas de ceux qui sentent palpiter leur cœur devant la nature et qui apportent dans l’exécution d’une œuvre, leur propre pensée ou leur sentiment élevé. Tu seras comme ces virtuoses du piano dont toute la valeur consiste dans le mécanisme ; nous regardons avec étonnement leurs doigts agiles courir sur le clavier, mais ils ne nous émeuvent pas autant qu’un berger qui, avec son âme, joue un air naïf sur son chalumeau.
Et voici pourquoi nous avons dans Paris un joli blond à l’œil bleu, un garçon charmant et plein d’esprit qui roulera éternellement dans la plaine avec son rocher qu’il essaie en vain de porter au sommet. Une telle énergie, un tel labeur si peu couronné de succès se recommandait à la bienveillance du jury si doux ordinairement à toutes les fadaises qu’on lui envoie pour nous qui aimons beaucoup M. Manet, la vue de son linge a été un moment de tristesse. M. Manet a pris pour devise : « Faire vrai, laisser dire. » Nous la lui retournons avec cette variante : « Laisser faire, dire vrai ! »

 

Bernadille, Le Français, 21 avril 1876 ; cité par Tabarant, Manet et ses œuvres, Paris, Gallimard, « nrf », 1947, 623 pages, p. 286, et par Rewald John, Histoire de l’Impressionnisme, éditions Albin Michel, Paris, 1986, 480 pages, p. 230-231 :

« Le jury vient de lui rendre le service de refuser ses deux envois et de retremper ainsi sa popularité dans le monde artistique des brasseries. Mais pourquoi n’avoir pas favorisé de ses deux tableaux l’exposition de ses frères et amis, les impressionnistes ? Pourquoi faire bande à part ? C’est de l’ingratitude. Quel éclat la présence de M. Manet n’eut-elle pas donné au cénacle de ces renards de la peinture, qui se disent fièrement impressionnistes et tiendront leur drapeau debout d’une main ferme, jusqu’au jour où ils auront enfin appris à dessiner et à manier la brosse, si jamais ce jour-là arrive ! »

[Peu après le 15 avril]

Cezanne, revenu à Aix au moins depuis une quinzaine de jours, commente pour Pissarro des articles de journaux que Chocquet lui a envoyés.
Son nom figure dans un carnet de Degas sur une liste d’artistes ayant décidé de ne pas exposer. Son envoi au Salon a été refusé.

« Avril 1876.
Mon cher Pissarro,
J’ai reçu il y a deux jours une grande quantité de catalogues et de journaux relatifs à votre exposition de chez Durand-Ruel. — Vous devez les avoir lus. — J’ai vu entr’autres un long éreintement du Sieur Volf [Wolff, Le Figaro, 3 avril]. C’est monsieur Choquet [sic] qui m’a procuré ce plaisir. — d’avoir des nouvelles. — J’ai su aussi par lui que la Japonaise de Monet s’était vendue 2 mille francs. Il paraît d’après les journaux que le Refus au Salon de Manet a fait beaucoup de bruit, et qu’il s’expose chez lui [du 15 avril au 1er mai].
Avant de partir de Paris, j’ai rencontré un nommé Authier dont je vous avais entretenu quelquefois. C’est le garçon qui signe les articles sur la peinture du nom de Jean-Lubin. Je lui fis part de ce que vous m’aviez montré à propos de vous, de Monet, etc ; — Mais (ainsi que sans doute vous devez l’avoir [su] depuis) c’est ce n’était pas le mot Imitateur qu’il avait voulu mettre, c’était Initiateur, ce qui change absolument le sens de l’article. Quant au reste, il m’a dit se croire obligé, ou du moins convenable de ne pas trop dire de mal des autres peintres de chez Durand vous [raturé, mot non lu] comprenez pourquoi.
L’article de Blémont dans le Rappel [9 avril], me semble bien mieux vu, malgré de trop nombreuses réticences, et un long préambule où il se perd un peu trop. Il me semble que vous y êtes accusé de Bleu à cause de votre effet de brouillard.
Il vient de faire ici une quinzaine de jours très aquatiques. Je crains fort que ce temps n’ait été général. Chez nous autres il a temps tant gelé que toutes les récoltes de fruit, de vigne, sont perdus. Mais voyez l’avantage de l’art, La peinture reste.
J’allais oublier de vous faire part qu’on m’a envoyé une certaine lettre de refus. Ce n’est ni nouveau, ni étonnant. — Je vous souhaite du beau temps, et si faire se peut une bonne vente.
Je vous prie de présenter mes respects à Madame Pissarro ainsi que le bonjour à Lucien et à votre famille.
Je vous serre cordialement la main Paul Cezanne
N’oubliez pas Guillaumin, quand vous le verrez, ni monsieur et madame Estruc PC »

Lettre de Cezanne à Pissarro, datée « Avril 1876 » ; collection privée, Paris, musée des Lettres et Manuscrits.
Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 14.
Lebensztejn Jean-Claude, Paul Cezanne. Cinquante-trois lettres, Paris, L’Échoppe, 2011, 96 pages, p. 19-21.
Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 150-151.
Degas, carnet n° 26, Bibliothèque nationale de France, Paris, DC 327d.
Reff Theodore, The Notebooks of Edgar Degas, 2 tomes, Oxford, Clarendon Press, 1976, tome II, 1976, p. 124.

Monsieur et madame Estruc (transcrit Estriel par Lebensztejn et par Rewald) sont Louis et Félicie Estruc, beau-frère et sœur de Julie Pissarro, épouse de Pissarro.

Wolff Albert, « Le calendrier parisien », Le Figaro, 23e année, 3e série, n° 94, lundi 3 avril 1876, p. 1 :

« Dimanche 2. ― La rue Le Peletier a du malheur. Après l’incendie de l’Opéra, voici un nouveau désastre qui s’abat sur le quartier. On vient d’ouvrir chez Durand Ruel une exposition, qu’on dit être de peinture. Le passant inoffensif, attiré par les drapeaux qui décorent la façade, entre, et à ses yeux épouvantés s’offre un spectacle cruel. Cinq ou six aliénés dont une femme, un groupe de malheureux atteints de la folie de l’ambition, s’y sont donné rendez-vous pour exposer leur œuvre.
Il y a des gens qui pouffent de rire devant ces choses. Moi, j’en ai le cœur serré. Ces soi-disant artistes s’intitulent les intransigeants, les impressionnistes ; ils prennent des toiles, de la couleur et des brosses, jettent au hasard quelques tons et signent le tout. C’est ainsi qu’à la Ville-Evrard des esprits égarés ramassent les cailloux sur leur chemin et se figurent qu’ils ont trouvé des diamants. Effroyable spectacle de la vanité humaine s’égarant jusqu’à la démence. Faites donc comprendre à M. Pisarro que les arbres ne sont pas violets, que le ciel n’est pas d’un ton beurre frais, que dans aucun pays on ne voit les choses qu’il peint et qu’aucune intelligence ne peut adopter de pareils égarements. Autant perdre son temps à vouloir faire comprendre à un pensionnaire du docteur Blanche, se croyant le Pape, qu’il habite les Batignolles et non le Vatican. »

 

Zola Émile, « Deux expositions d’art en mois de mai », Le Messager de l’Europe, Saint-Pétersbourg.

« Pissarro est un révolutionnaire plus farouche encore que Monet. Son pinceau est encore plus simple et plus naïf. Un coup d’œil sur ses paysages tendres et bigarrés risque de dérouter les non-initiés, ceux qui ne se rendent pas exactement compte des ambitions de l’artiste et des conventions de l’art contre lesquelles il s’efforce de réagir.
[…] Sisley de même est un paysagiste de beaucoup de talent et qui possède des moyens plus équilibrés que Pissarro. »

[Début avril]

Pissarro apporte ces recommandations à Murer, dans le cas où il rédigerait un article de journal :

« je vous serais fort obligé de ne point faire de personnalité ; n’ayez que ceci en vue : un groupe d’artistes se sont réunis pour faire voir leurs œuvres parce que les jurys les empêchaient systématiquement de montrer des tableaux aux amateurs et au public. En fait de principe, nous ne voulions pas d’école, nous aimons Delacroix, Courbet, Daumier et tous ceux qui ont quelque chose dans le ventre, et la nature, le plein air, les différentes impressions que nous éprouvons, toute notre préoccupation. Toutes théories factices, nous les répudions. »

Lettre JBH 615, de Pissarro à Murer, datée jeudi.

16 avril

Eugène Murer, sous le pseudonyme de Gène Mur, publie un article sur l’exposition dans La Correspondance française.

« Eh bien ! quelques-unes des toiles exposées chez M. Durand-Ruel rue Le Peletier offrent ce précieux attrait, notamment celles de M. Pissaro [sic], le chef de la nouvelle école. Sa manière est harmonieuse, douce et naïve ; elle donne bien l’idée du plein air et de la puissance de la nature. Soyez certain qu’avec une simple impression on n’obtient pas une si grande intensité d’impressions. Il faut un art consommé, une science profonde pour arriver à un semblable résultat.
Les tableaux de M. Pissaro sont d’une vérité saisissante. Cet artiste excelle à peindre les différentes de l’année, et les ordinaires changements de l’atmosphère. Toujours il trouve la note dominante qui leur est propre, contrairement à beaucoup de peintres estimés qui peignent des effets différents avec les mêmes tons. Le Coteau du chou est un petit chef-d’œuvre de grâce et de sentiment champêtre. Voici bien des maisonnettes villageoises telles que nous les connaissons tous ; ces arbres frissonnent sous la brise, et les molles ombres qui coupent la route tournante, sont en opposition parfaite avec le fluide lumineux où se baigne le paysage. C’est là l’œuvre d’un esprit vraiment rural, profondément observateur et fort soucieux de reproduire exactement les impressions que lui communique l’examen de la nature. »

Gène Mur [Eugène Murer], « Revue artistique : les impressionnistes », La Correspondance française, moniteur littéraire et artistique, commercial, maritime, agricole et financier, 16 avril 1876.

Murer poursuit au sujet de Monet, qui ne lui « offre pas le même régal », de Lepic, Sisley, et s’extasie sur les « fort jolies choses de Renoir », les Danseuses de Degas, etc.

Un vendredi, à une date non déterminée, Georges de Bellio écrira à Pissarro :

« Mon cher Pissarro,
Je vous conseille de prendre pour mettre un terme à votre toux, tarterus, [mot illisible], de la façon suivante : Eau 140 grammes, Tartarus émet 6e 6 gouttes dont vous prendrez trois fois par jour une cuillerée à potage.
Quant à votre larmoiement au grand air, vous pouvez essayer du silicea et de caleurex à une dilution élevée 2 hou 30e matin et soir seulement une dose.
J’ai vu Sisley et j’ai bien regretté hier de ne vous y avoir pas vu tous les deux à notre dîner mensuel. Nous n’étions que quatre Caillebotte, Renoir, Monet et moi. Le dîner était médiocre, pour ne pas dire mauvais et, sous ce rapport, je me félicite presque pour vous de votre abstention. J’ai été très heureux de revoir les trois autres nommés, que je n’avais encore vus et l’on a beaucoup causé art, comme d’habitude sans oublier la guerre qui semble être dans l’air, mais à laquelle je ne crois pas.
Bonne poignée de main, mon cher Pissarro, et rappelez-moi, je vous prie, au bon souvenir de madame Pissarro. Bonjour à votre fils aîné et mes tendres carresses à toute votre petite Smala.
Georges de Bellio »

Lettre de Georges de Bellio à Pissarro, datée « Ce Vendredi » ; Vente collection Henriette et André Gomès : l’amour de l’art, villa Modigliani, Paris, 18 novembre 2008, n° 13.

Il évoque ici sans doute les « dîners du mercredi » durant lesquels Pissarro, Sisley, Renoir, Cezanne, Monet, etc., se retrouvaient à l’arrière-boutique de la pâtisserie Murer boulevard Voltaire.

20 avril

Desboutin écrit à Mme de Nittis, au sujet de l’exposition impressionniste.

« notre exposition par un groupe d’artistes […] a produit un assez joli dividende pour que, tous frais payés, chacun de nous rentre encore dans sa mise, même avec un petit bénéfice. La presse m’a été, pour mon compte, fort bienveillante dans cette occasion, et pour mes pointes-sèches : ce mode de publicité m’a plus servi pour mon humble nom que 10 années d’exposition dans les chambranles des couloirs du Salon. […]
A propos des intransigeants et de ce que vous me dites de Lep. [Lepic], dans votre chère lettre, je dois ajouter que ma conviction intime (à moi, témoin de cette petite scène) que le dit Ctte [Caillebotte] n’avait nullement l’intention d’être autre chose que le plus régence qu’il lui soit possible de l’être… et serait sans doute aussi surpris que navré s’il savait que vous ayez pu interpréter autrement cette sortie ou boutade que sent peut-être son 3e empire — dans la forme. et la hauteur du verbe… voilà tout. »

Lettre de M. Desboutin, Paris, à Mme de Nittis, 20 avril 1876 ; Pittaluga Mary et Piceni Enrico, De Nittis, Bramante Editrice, Milan, 1963, 577 pages, p. 358 ; d’après The New Painting : Impressionism 1874-1886, note n° 8 p. 158.

Juin

Zola publie dans Le Messager de l’Europe une critique, en russe, du Salon et de l’exposition impressionniste.

Zola Émile, « Lettres de Paris. Deux expositions d’art au mois de mai », Le Messager de l’Europe, juin 1876.

Juin – fin août

Cezanne est à l’Estaque, où il travaille à des marines pour Chocquet ( cf. lettre du 2 juillet ci-dessous). Il aimerait rester assez longtemps sur place pour réaliser des toiles de grand format. Il habite la maison Giraud, place de l’Église, et pense rentrer à Paris la

2 juillet

Cezanne, à l’Estaque, après avoir quitté Aix un mois auparavant, donne de ses nouvelles à Pissarro et lui fait part de réflexions sur la société coopérative l’Union.

« l’Estaque 2 juillet 1876
Mon cher Pissarro,
C’est avec une pointe de fer, (c’est à dire une plume métalliq que je suis obligé de répondre à la sympathie de votre magique crayon. — Si j’osais, je dirai que votre lettre est empreinte de tristesse. Les affaires picturales ne marchant pas, je crains bien que vous ne soyez moralement influencé un peu en gris, mais je suis convaincu que ce n’est que chose passagère.
Je voudrais bien ne pas parler de choses impossibles et cependant, je fais toujours les projets les plus improbables à réaliser. Je me figure que le pays où je suis, vous siérait à merveille. — Il y a de fameux ennuis, mais je les crois purement accidentels. Cette année-ci, il y pleut toutes les semaines deux jours sur sept. C’est ahurissant dans le midi. — ça ne s’était jamais vu.
Il faut que je vous dise que votre lettre m’est venue surprendre à l’Estaque, au bord de la mer. Je ne suis plus à Aix depuis un mois : j’ai commencé deux petits motifs où il y a la mer [dont La Mer à l’Estaque (FWN97-R279), qui a appartenu à Victor Chocquet] pour Monsieur Chocquet, qui m’en avait parlé. — C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue. Si le temps devient propice, peut-être pourrais-je les pousser jusqu’au bout. En l’état je n’ai encore rien fait. — Mais il y a des motifs qui demanderaient trois et quatre mois de travail, qu’on pourrait trouver, car la végétation n’y change pas. Ce sont des oliviers et des pins pins qui gardent toujours leurs feuilles. Le soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent plutôt en silhouette que par coloration non pas seulement en blanc ou noir mais en bleu, en rouge, en brun, en violet. Je puis me tromper mais il me semble que c’est l’antipode du modelé. Que nos doux paysagistes d’Auvers seraient heureux ici, et ce grand ― (un mot de trois lettres ici) ― de Guillemet. Dès que je le pourrais, je passerai au moins six mois en ces lieux. car il faut faire des toiles de deux mètres au moins, comme celle par vous vendues à Fore [Jean-Baptiste Faure, Les Coteaux de l’Hermitage, Pontoise (PDRS 121)].
Je souhaite que l’Exposition de notre coopérative soit un four, si nous devons exposer avec Monet. — Vous me trouverez canaille, c’est possible, mais d’abord son affaire propre avant tout. — Meyer, qui n’a pas en main les éléments du succés avec les coopératifs, me semble devenir un bâton merdeux, et cherchant, en devançant l’exposition impressionnistes, à lui nuire. — Il peut fatiguer l’opinion publique, et amener une confusion. — D’abord trop d’expositions successives me semblent mauvais, d’un autre côté, les gens qui peuvent croire aller voir des Impressionnistes ne voyant que des coopératifs : Refroidissement. — Mais Meyer doit tenir énormément à nuire à Monet. — Meyer a-t-il fait quelques sous ? Autre question — Monet faisant de l’argent, pourquoi, puisque cette exposition réussit, irait-il dans le traquenard de l’autre. Du moment qu’il réussit, il a raison. ― J’ai dit — Monet — pour dire — Impressionnistes.
J’aime bien entretemps la genthillo gentilhommerie de Monsieur Guérin, dandin, s’allant encanailler parmi les coopératifs refusés. — Je vous présente ces quelques idées peut-être un peu crûment, mais je n’ai pas force souplesse à ma disposition. Ne m’en veuillez pas et puis à mon retour à Paris nous en causerons, nous pouvons ménager et la chèvre et le choux. — Ainsi le relief des Impressionnistes pouvant m’aider, j’exposerai avec eux ce que j’aurai de mieux, et quelque chose de neutre chez les autres. —
Mon cher ami, je concluerai en disant comme vous, que puisqu’il se trouve une tendance commune entre quelques uns d’entre nous, espérons que la nécessité nous forcera à agir de concert, et que l’intérêt et la réussite fortifieront le lien que bien souvent la bonne volonté n’aurait pas suffi à conçolider. — Enfin je suis très-content que monsieur Piette soit de notre côté. — Souhaitez-lui le bonjour de ma part, mes respects à madame Piette, à madame Pissarro, mes amitiés à toute la famille, une bonne poignée de mains à vous, et du beau temps. — Figurez-vous, je lis la lanterne de Marseille, et je dois m’abonner à la Religion laïque. As-tu fini ! ―
J’attends que Dufaure soit à terre, mais d’ici au renouvellement partiel du Sénat, que de temps et que d’embuches. Tout à vous.
Paul Cezanne
Si les yeux des gens d’ici lançaient des œillades meurtrières, il y a longtemps que je serai foutu. Ma tête ne leur revient pas.
P. C.
Je pense retourner à Paris à la fin du mois, si vous devez me répondre avant : Ecrivez : Paul Cezanne :
maison Giraud (dit Belle)
place de l’Eglise à l’Estaque
Banlieue de Marseille. »

Lettre de Cezanne à Pissarro, datée « l’Estaque, 2 juillet 1876 » ; collection privée, Paris, Musée des Lettres et Manuscrits ; Lebensztejn Jean-Claude, Paul Cezanne. Cinquante-trois lettres, Paris, L’Échoppe, 2011, p. 22-24 ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 152-154.

Jules Dufaure (1798-1881), de l’Académie française, a été ministre de la Justice sous la Commune.

« Dufaure, ce vieil avocat orléaniste, avait toujours été le garde des sceaux de l’état de siège, aussi bien maintenant en 1871 sous Thiers, qu’en 1839 sous Louis-Philippe, et en 1849 sous la présidence de Louis Bonaparte. Alors qu’il était sans portefeuille, il avait amassé une fortune en plaidant pour les capitalistes de Paris et s’était fait un capital politique en plaidant contre les lois dont il était lui-même l’auteur. A présent, non content de faire voter en hâte par l’Assemblée nationale une série de lois répressives qui devaient, après la chute de Paris, extirper les derniers vestiges de liberté républicaine, il laissait prévoir le sort de Paris en abrégeant la procédure, trop lente à son gré, des cours martiales, et en déposant une nouvelle loi draconienne de déportation. »

Marx Karl, La Guerre civile en France, IV (1871), Edition de Pékin, 1972, p. 88.

23 juillet

Guillaumin se montre lui aussi réticent par rapport à une exposition de l’Union. Il tente de redonner confiance à Pissarro, qui séjourne seul chez Piette à Montfoucault.
Cette lettre date de 1876 plutôt que de 1874 ou 1875, dans la mesure où il paraît inconcevable que Pissarro ait quitté Julie peu avant ou après son accouchement le 24 juillet 1874 ; dans la mesure aussi où les paysages de Pissarro peints à Montfoucault en 1875 sont de l’automne et de l’hiver.

« Paris 23 juillet
Mon cher ami,
J’ai reçu la clef et fait vos commissions vous avez dû recevoir les couleurs de Tanguy, qui m’avait promis de vous les envoyer le jour même ; je suis un peu en retard pour vous répondre mais j’espérais vous apprendre quelque chose d’intéressant au sujet des expositions
et je n’ai rencontré personne mais je pense aller mardi [28 juillet] à la réunion de la société Mayer [sic], et je vous tiendrai au courant des décisions ; à ce sujet je pense que l’exposition de notre société ne donnera pas de grands résultats pour les autres membres et pour nous nous fera peut-être tort, car vraiment il y aura peu d’éléments intéressants, mais enfin à cet égard je vous suivrai et j’exposerai si vous le faites, mais nous ferions peut-être bien de demander avant de s’engager à louer la salle – à ce que l’on réunisse tous les tableaux ou à peu près, afin que l’on puisse juger si on peut oui ou non faire l’exposition avec chance de succès, car le four serait terrible, surtout pour nous autres, et pourrait bien démoder l’autre exposition surtout en ce qui nous concernerait comme pour résumé nous n’avons pas beaucoup de sympathies là bas (comme peinture) il serait peut-être prudent de ne pas se faire du tout pour des peintres qui ne nous sont rien, enfin parlez en vous deux M. Piette et décidez vous
Paul est attendu avec impatience, M. de Bellio a demandé à Tanguy une toile de lui à bon prix aussi pourvu qu’il lui apporte.
Mon bon ami, vos lettres sont vraiment navrantes et bien plus que votre peinture que vous dites si triste, qu’avez vous donc à toujours douter de vous c’est une maladie dont vous devriez bien vous guérir. Je sais bien que le moment est dur, et qu’il est difficile de voir les choses gaiement, mais ce n’est pas à la veille où toute [mot non lu] va arriver qu’il faut vous désespérer.
Soyez tranquille avant peu vous aurez la place que vous devez occuper.
J’ai vu M. Gaveau [?] qui est [2 mots non lus] que la question d’Orient ! la clef est bien la clef et j’ai pris les tableaux que vous m’avez dit plus deux paysages, je ne comprends pas du tout la manière dédaigneuse dont vous parlez de vos toiles, je vous assure qu’elles sont très bien, et vous avez bien tort d’en dire tout le mal que vous en dites, c’est une mauvaise tournure d’esprit qui ne peut conduire qu’au découragement et, mon vieux, il ne faut pas, l’anarchie la plus complète est dans le camp opposé et les temps sont proches où nos ennemis seront culbutés, mais je vous raconte des bêtises.
J’irai chez Fil[l]onneau, et chez Desforges [Deforge], et je retournerai chez ce bon Tanguy, car j’ai aussi besoin de ses produits. Pourquoi ne restez vous pas plus longtemps puisque le voyage est fait. Me Pissarro peut bien rester seule quelque temps et vous pourrez faire des tableaux pour l’exposition – puisque vous avez la faculté de faire de la figure, enfin faites pour le mieux.
J’irai voir les Estruc pour leur parler de vous et leur dire bonjour. Pour moi je travaille à fond – car je veux vaincre la mauvaise chance.
Mes respects à Me Piette et à Mr une poignée de mains et à vous aussi
Votre ami
Guillaumin
(Vous ne savez peut-être pas que je suis dans le voisinage d’un bureau de tabac où il y a une fort jolie dame qui vend des timbres j’aime beaucoup aller chez elle ne me privez pas d’un plaisir.) »

Lettre de Guillaumin à Pissarro, Paris, datée 23 juillet [1876] ; Paris, Bibliothèque d’Art et d’Archéologie Jacques Doucet.

Guillaumin parle d’une exposition qu’essaie d’organiser Meyer. Il donne l’impression qu’il croit que Pissarro se trouve chez Piette, à « faire de la figure », or il est certain qu’il se trouvera à Pontoise le 26 juillet : c’est lui qui signe le 26 juillet à 9 h du matin l’acte de naissance de Félix à Pontoise le 24 juillet à dix heures du matin. Quand Guillaumin dit que Julie peut bien rester seule quelque temps, il n’a pas l’air de se douter qu’elle est sur le point d’accoucher.

12 août

Guillaumin écrit au docteur Gachet.

« Je suis vraiment fâché d’être resté si longtemps à vous répondre, d’autant plus que ma lettre est intéressée aujourd’hui, mais comme Murer devait vous remercier et vous expliquer pourquoi nous ne pouvions accepter pour le dimanche, j’ai remis à vous écrire et depuis, j’ai eu, une impossibilité matérielle.
Je suis dans un mauvais pas avec un ancien créancier qui est intraitable, il a mis opposition à mon traitement, vous pensez quel ennui ; il me manque 50 Fr. pour faire la somme nécessaire à assouvir ce créancier, pourriez-vous me l’avancer ?
Je n’ose l’espérer, car à votre dernière visite, je me rappelle que vous-même étiez ennuyé assez fort.
Je vous promets que je vous rendrai cette somme d’ici la fin de l’année, en deux ou trois fois.
Vous m’excuserez si je viens à vous, mais jusqu’à présent, je vous ai trouvé si complaisant pour moi, que je n’hésite pas à avoir recours à vous, dans ce cas critique.
En tout cas, je vous prie de laisser l’affaire entre nous et croyez-moi toujours, quelle que soit votre réponse, votre dévoué ami. […]
Répondez-moi, quai d’Anjou, je vous prie. »

Lettre de Guillaumin, Paris, au docteur Gachet, 12 août 1876 ; Gachet Paul, Lettres impressionnistes au Dr Gachet et à Murer, p. 68-69.

2 septembre

Guillaumin informe le docteur Gachet que Cezanne est de retour à Paris depuis trois ou quatre jours.

« Samedi 2 7bre
Mon cher Docteur,
L’orage qui me menaçait a été conjuré grâce à votre obligeance accoutumée, je puis donc maintenant répondre à votre amicale lettre et vous remercier. Vous me demandez si je pense aller vous voir à Auvers, certes oui, mais quand irais-je, je comptais le faire ces jours-ci, mais je ne pourrai quelque désir que j’en ai – vous comprenez mon cher docteur que je suis dérangé pour un peu de temps. à l’égard de Murer je ne sais rien sur ses intentions je ne les ai pas vu depuis le jour de la fête de Mlle Marie, je ne crois donc pas y aller même avec lui. Puisque nous en sommes là je vais vous faire une confidence en partie double avec demande du plus Gd secret, lorsque cette tuile à payer m’est arrivé, j’ai pensé de suite à mon ami — qui m’avait offert à differentes fois de m’aider, jusqu’à présent j’avais toujours refusé ses offres mais la circonstance me poussant je crus que je pouvais avoir recours à lui, il m’a donné une fin de non recevoir assez maladroite ; en tous cas comme je connais ses affaires s’il ne le pouvait ce jour là, trois jours après la chose lui était des plus faciles, en tous cas ne pouvant me preter la somme entière que je lui demandais il aurait pu m’avancer une partie quelconque. enfin je ne suis pas faché de connaître mes vrais amis. Je n’irai donc pas le voir de quelque temps, vous me direz que je suis irritable ; oui mais j’aime moins que jamais les Janus. L’autre moitié de la confidence à trait seulement à ma tranquilité morale
Je me suis aperçu que je voyais Mlle avec trop de plaisir que que je n’étais pas loin d’être mordu au cœur, ne riez pas trop de moi, vous comprenez que étant résolu à observer le célibat le plus complet et à me donner tout entier au travail et ne voulant pas engager autre chose il vaut mieux que je me retire petit à petit. Je pense que vous m’approuverez je vous demande le secret le plus absolu.
Donc je travaille le plus que je puis, tout en etant un peu démonté car pour le moment plus je travaille moins je gagne. cet état de choses est très nuisible souvent au moment de commencer une toile Je pense aux frais et je reste inactif.
Assez de moi, Cezanne est de retour depuis 3 ou 4 jours, je lui ai fait part de vos désirs à son égard, il ira vous voir, peut-être irons nous ensemble ; et vous travaillez vous maintenant que vous êtes fixé et ne viendrez vous pas user les couleurs qui se languissent en vous attendant. J’ai toujours des objets à Mlle W. [?]. Je lui avais promis de lui faire un tableau d’après elle avec paysage hélas – je serai obligé de lui faire son portrait cet hiver comme compensation, car c’est une charmante personne.
Je crois que c’est tout ce que j’avais à vous dire venez donc un soir diner avec nous, vous nous ferez plaisir à tous, à partir de Lundi prochain vous me trouverez pendant 4 semaines les Lundis Mercredis et Vendredis. Si vous étiez ici Lundi après demain, le père Cezanne m’a dit qu’il viendrait à 6 heures voir ma mère et il dinera avec nous.
au plus tôt possible et encore merci
à vous
Guillaumin »

Lettre de Guillaumin au Dr Gachet, datée « Samedi 2 7bre » [2 septembre 1876], Wildenstein Institute ; Gachet Paul, Lettres impressionnistes au docteur Gachet et à Murer, Paris, Grasset, 1957, 188 pages, lettre datée par erreur samedi 2 juillet 1876, qui était un dimanche, p. 69-71.

9 ou 10 septembre

Cezanne fait un compte rendu très positif de l’exposition impressionniste à ses parents et leur annonce que Monet a pris sa défense contre Lepic, qui s’opposait à sa participation à l’exposition de l’année suivante. Il voit souvent Guillaumin avec lequel il travaille à Issy-les-Moulineaux, et continue à fréquenter le docteur Gachet.

« samedi 10 septembre 1876 [samedi 9 septembre ou dimanche 10 septembre].
Mes chers Parents,
Je vous écris pour vous donner de mes nouvelles et pour en recevoir des vôtres en retour. Je me porte bien et désire que vous me témoigniez la même chose de votre part. —
Je suis allé à Issy [-les-Moulineaux] voir mon ami Guillaumin. Je l’y ai trouvé et ai dîné avec lui mercredi passé [6 septembre]. — J’ai appris par lui que l’exposition organisée par les peintres de notre bord a très bien marché en avril dernier. — La location du local où l’exposition s’est faite, rue Le Peletier et rue Laffitte (on entre par une porte rue Le Peletier et on sort par une autre, rue Laffitte), s’élevait à trois mille francs. Quinze cents francs ont été versés seulement et le loueur [Paul Durand-Ruel] devait prélever les autres quinze cents francs sur les entrées. Non seulement les trois mille francs ont été complétés, mais encore les quinze cents francs avancés par les artistes en part égale leur ont été remboursés, plus trois francs de dividende, ce qui ne signifie pas grand-chose, il est vrai. C’est donc un joli commencement. Et déjà les artistes de l’exposition officielle, sachant ce petit succès, sont venus pour retenir la salle, mais elle avait été retenue pour l’an prochain par les exposants de cette année-ci.
D’après ce que m’a dit Guillaumin, je suis un des trois nouveaux sociétaires qui doivent en faire partie, et j’ai été très chaudement défendu par Monet lorsqu’à un dîner-réunion, qui a eu lieu après l’exposition, un certain Lepic s’était élevé contre ma réception.
Je n’ai pu encore aller voir Pissarro ni les autres personnes de ma connaissance, vu que je me suis mis à peindre de suite en arrivant le lendemain… »

Lettres de Cezanne à ses parents, samedi 9 ou dimanche 10 septembre 1876, et à Gachet, 5 octobre [1876], Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p. 154-156.

D’après cette lettre, il semble que Cezanne n’a pas participé à l’exposition impressionniste de 1876 parce qu’il n’était pas invité : quant à celle de 1877, il est prévu qu’il soit retenu comme un des « trois nouveaux sociétaires ». En revanche, il s’est présenté au Salon, essuyant un nouveau refus (d’après sa lettre d’avril 1876). John Rewald suppose que le père de Cezanne, qui avait dû rembourser la part de déficit résultant de l’exposition de 1874, s’est probablement opposé à une nouvelle participation de son fils.
En réalité, le local de Durand-Ruel n’a pas été réservé pour l’exposition de l’année suivante. Caillebotte écrira à Pissarro, dans sa lettre du 27 janvier 1877 : « Nous sommes très ennuyés pour notre exposition. Le local Durand-Ruel est loué tout entier pour un an à un tapissier exproprié pour l’avenue de l’Opéra. »

Lettre de Caillebotte à Pissarro, 24 janvier [18]77 : Marie Berhaut, Gustave Caillebotte, catalogue raisonné des peintures et des pastels, (nouvelle édition revue et augmentée, avec le concours de Sophie Pietri), Paris, Wildenstein Institute, La Bibliothèque des Arts, 1994, 315 pages, 565 numéros, lettre n° 3 p. 273.

 

Rivière Georges, Renoir et ses amis, Paris, H. Floury éditeur, 1921, 273 pages, p. 101 :

« Les visiteurs vinrent moins nombreux à cette seconde exposition qu’à la première. Question de lieu, d’abord, moindre curiosité du public, ensuite. »

 

Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, Paris, H. Floury éditeur, 1923, 242 pages, p. 82 :

« Cezanne ne parut pas, en 1876, à l’exposition des peintres indépendants ouverte, au printemps, dans les galeries Durand-Ruel. Je ne connais pas la cause de cette abstention. Peut-être Cezanne n’était-il pas à Paris au moment où l’exposition fut organisée. Car je ne crois pas que les plus qualifiés parmi les exposants se soient abstenus d’inviter Cezanne à y participer. Pissarro, Renoir, Monet, n’auraient pas manqué de protester contre cette exclusion. Il est plus raisonnable d’admettre que si Cezanne n’exposa pas cette année-là avec ses amis, ce fut par sa seule volonté et par suite de circonstances que nous ne connaissons pas. M. Durand-Ruel avait depuis assez longtemps montré sa sympathie à l’égard des peintres les plus combattus pour qu’on ne puisse pas le soupçonner d’avoir refusé l’hospitalité de ses salles à l’un d’eux. »

 

Rivière Georges, Cezannele peintre solitaire, Paris, Librairie Floury, collection « Anciens et modernes », 1933, 176 pages, p. 127 :

« En 1876, il [Cezanne] n’avait pas accepté l’hospitalité offerte par un marchand de tableaux, même lorsque celui-ci s’était montré d’une sympathie agissante à l’égard des peintres décriés et avait eu foi dans leur talent. Pour Cezanne, il fallait exposer au Salon officiel ou chez soi. »

Septembre ?

Il est possible que Cezanne et Pissarro, lorsque Cezanne est venu à Pontoise lui rendre visite, aient peint à côté l’un de l’autre chacun un tableau : respectivement, Paysage, environs de Pontoise (FWN108– R308) et Rue du Fond-de-l’Hermitage, Pontoise (PDRS 452), qui tous deux représentent la rue du Fond-de-l’Hermitage (actuelle rue Maria-Deraismes), vue en direction de la rue de l’Hermitage, où se trouvent les maisons du fond, aux nos 23 et 25 (numéros actuels). Le tableau de Pissarro est signé et daté « C. Pissarro 1876 ». Il est plus approprié d’appeler le tableau de Cezanne : Rue du Fond-de-l’Hermitage, Pontoise. Dans celui-ci apparaît, derrière des arbres, à droite, une maison au toit rouge qui domine un mur de clôture. Il s’agit de la maison qu’habite la famille Pissarro, au n° 18, rue de l’Hermitage (actuel n° 36).

20 septembre

Tanguy vend un tableau de Cezanne, pour 50 francs.

« Avoir à M. Cezanne », sur papier à en-tête de Tanguy, 14, rue Clauzel, non daté [31 août 1885] ; Andersen Wayne V., « Cezanne, Tanguy, Choquet », The Art Bulletin, juin 1967, p. 137.

22 septembre

Lettre d’Eugène Manet à sa femme Berthe Morisot :

« Tout le clan peintre est dans la détresse. Les marchands sont encombrés. Edouard [Manet] parle de se restreindre et de supprimer son atelier. Espérons que les acheteurs reviendront ; le moment, il est vrai, n’est pas favorable. »

Lettre d’Eugène Manet à sa femme Berthe Morisot ; musée Marmottan, Paris ; Marianne Delafond, Caroline Genet-Bondeville, Berthe Morisot ou l’audace raisonnée, Fondation Denis et Annie Rouart, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, 1997, p. 32. Correspondance de Berthe Morisot, édité par Denis Rouart, Quatre Chemins-Editart, Paris, 1950, p. 94.

4 octobre

Cezanne passe la journée avec Guillaumin à Issy.

Lettre de Cezanne au docteur Gachet, datée « jeudi matin 5 octobre » [1876] ; Lettres impressionnistes, 1957, p. 62.

5 octobre

Lettre de Cezanne au docteur Gachet :

« Jeudi matin 5 octobre [1876].
Mon cher Docteur,
Je souffre en ce moment d’un mal de tête assez violent, qui ne me permet pas de pouvoir répondre à votre invitation.
Je vous prie de m’excuser ; Guillaumin que vous verrez ce soir, et avec qui je me trouvais hier mercredi à Issy, pourra vous parler de mon atteinte.
Je ne ferai qu’une piètre figure à cette bonne réunion à laquelle, sans ce fichu contretemps, j’eusse été si heureux de prendre part.
Recevez l’assurance de mes regrets les plus vifs. Tout à vous.
Paul Cezanne »

Lettre de Cezanne au docteur Gachet, jeudi matin 5 octobre [1876] ; Rewald John, Paul Cezanne, correspondance, Paris, Grasset, 1978, 346 pages, p.156.

3 novembre

Gustave Caillebotte dépose son premier testament. Il n’a alors que vingt-huit ans.

« Je désire qu’il soit pris sur ma succession la somme nécessaire pour faire en 1878, dans les meilleures conditions possibles, l’exposition des peintres dits intransigeants ou impressionnistes. Il m’est assez difficile d’évaluer aujourd’hui cette somme, elle peut s’élever à trente, quarante mille francs ou même plus. Les peintres qui figureront dans cette exposition sont : Degas, Monet, Pissarro, Renoir, Cezanne, Sisley, Mlle Morizot. Je nomme ceux-là sans exclure les autres.
Je donne à l’Etat les tableaux que je possède, seulement comme je veux que ce don soit accepté et le soit de telle façon que ces tableaux n’aillent ni dans un grenier ni dans un musée de province mais bien au Luxembourg et plus tard au Louvre, il est nécessaire qu’il s’écoule un certain temps avant l’exécution de cette clause, jusqu’à ce que le public, je ne dis pas comprenne, mais admette cette peinture. Ce temps peut être de vingt ans ou plus ; en attendant, mon frère Martial, et à son défaut un autre de mes héritiers, les conservera.
Je prie Renoir d’être mon exécuteur testamentaire et de bien vouloir accepter un tableau qu’il choisira ; mes héritiers insisteront pour qu’il en prenne un important. »
Testament de Gustave Caillebotte, Paris, 3 novembre 1876 ; Marie Berhaut, Gustave Caillebotte, catalogue raisonné des peintures et des pastels, (nouvelle édition revue et augmentée, avec le concours de Sophie Pietri), Paris, Wildenstein Institute, La Bibliothèque des Arts, 1994, 315 pages, 565 numéros, testament p. 281.
Un exemplaire de ce testament, portant le cachet de A. Courtier, notaire à Meaux, diffère légèrement dans sa dernière phrase : « Je prie Renoir d’être mon exécuteur testamentaire et de vouloir bien accepter un premier rôle. »

Gustave Caillebotte, 1848-1894, catalogue d’exposition, Pontoise, musée Pissarro, 12 mai – 21 octobre 1984.

26 novembre

Caillebotte demande à Pissarro quel jour il pourrait prochainement lui rendre visite à Pontoise. Tous deux comptent envoyer une œuvre à une exposition parisienne (non identifiée).

« Mon cher Pissarro,
Il est bien entendu que tout ce que j’ai de vous est toujours entièrement à votre disposition.
Vous n’avez même pas besoin de vous déranger pour les tableaux ; comme j’ai également reçu une lettre pour Paris et veux envoyer, l’expédition de votre tableau se fera avec le mien. Vous pouvez compter sur moi.
Je profite de cette occasion pour vous demander une chose, il y a d’ailleurs très longtemps que je voulais vous écrire à ce sujet mais je suis paresseux pour prendre la plume ; je voudrais savoir si je ne vous dérangerais pas en allant vous voir un jour à Pontoise — jeudi ou vendredi par exemple. Je prendrai le train de 11 h 25. Dites-moi le jour qui vous conviendrait le mieux.
[…] Si un autre jour, plus tard, la semaine prochaine ou l’autre, vous allait mieux, ça m’est égal pourvu que je sois sûr de vous trouver en allant à Pontoise. »

Lettre de Caillebotte à Pissarro, non datée, annotée au crayon « 26 nov. 1876 » ; Berhaut Marie, Caillebotte, sa vie et son œuvre, Paris, 1978, lettre n° 2, p. 243. Vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 8.

[Décembre 1876 ou janvier 1877]

 

Piette écrit à Pissarro, mentionnant pour la première fois des carreaux de faïence que Pissarro entreprendra peu après.

« Il est impossible que vous soyez saisi : remuez-vous, ne perdez pas courage ; sacrifiez une portion de la cargaison pour sauver le navire. Quelque ami que vous me teniez être, je ne puis vous donner de conseils plus précis. Mais ne craignez pas de me donner des détails sur vos affaires : ne vous laissez ni saisir ni vendre sans m’avertir vite. Dans quelques jours j’aurai peut-être à vous écrire et je fouillerai ma cervelle pour y découvrir un moteur d’action.
Remerciez Guillaumin, mais du voyage il ne peut plus être question, surtout avec ce qu’il vous arrive […]. je crois qu’avec votre habileté vous devez réussir aimablement à faire des faïences décorées : rapidement, spirituellement, comme vos dessins rehaussés ou aquarelles, cela ferait je crois merveilleusement. Ne perdez donc pas espoir. Peut-être n’est-ce qu’une gêne, qu’un pont étroit qui donnera accès à de larges horizons. »

Lettre de Piette à Pissarro, non datée ; vente Archives de Camille Pissarro, Paris, hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 139 ; JBH, Mon cher Pissarro, 1985, p. 132-134.

Fin de l’année

Cezanne et Guillaumin peignent à côté l’un de l’autre chacun un paysage, respectivement Paysage — Orée d’un bois (FWN103-R276) et Paysage en Île-de-France (SF 50). Celui de Guillaumin est signé et daté « Guillaumin 76 ».