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Chapitre VI
Les portraits : caractéristiques générales et types différents
Second sujet le plus traité par Cezanne après les paysages[1]avec 14% de la production totale, cf Fig. 1 du chapitre II., les 617 portraits – qu’il s’agisse de personnes vivantes ou de copies d’œuvres d’art – représentent le quart des œuvres où figurent des humains[2]avec 24 % de ces œuvres, cf Fig. 1 du chapitre IV., ce qui établit l’importance de ce thème dans l’esprit de Cezanne : le visage humain est pour lui un sujet de prédilection. Ce sont 170 personnes différentes que Cezanne a ainsi représentées.
Une grande variété de portraits
Ceci est d’autant plus vrai si l’on tient compte des 250 têtes et bustes d’individus sans identité définie figurant pour l’essentiel dans les carnets de jeunesse, sous forme d’ébauches mal dégrossies pour la plupart, mais qui n’en sont pas moins des représentations du visage humain – appelons-les des « pseudo-portraits » -, même s’ils ne peuvent pas être rattachés au thème des portraits vu leur manque de finition[3]Sur ces 250 images, une vingtaine se haussent à l’état d’esquisses et 2 seulement à l’état de croquis de niveau 1 (CS1875-2 et C0640) et peuvent mériter d’être considérés comme de vrais portraits. Ils n’ont pas été retenus comme tels car ne représentant a priori ni des personnes vivantes ni des copies d’œuvres d’art. Voir les illustrations ci-dessous en VI..
Fig. 1. Le visage humain, sujet principal de l’œuvre.
La Fig. 1 ci-dessus met en évidence la part prédominante dans les portraits des membres de la famille Cezanne (près des 2/3) par rapport aux autres personnes qu’il a pu observer ou qui ont posé pour lui (près d’1/3), ou par rapport aux portraits réalisés à partir de copies d’œuvres d’art (près d’1/6e).
Si l’on tient compte des 250 « pseudo-portraits », ce sont donc près de 870 représentations du visage humain en tant que sujet principal de l’œuvre dont nous disposons dans le corpus cezannien. La façon dont l’artiste traite ce thème mérite donc un examen approfondi.
Quelques exemples des différents sujets de portraits :
Fig. 2. Différents types de portraits
I. LES PORTRAITS : MÉDIAS ET ÉVOLUTIONS
Une première approche globale permet de mieux cerner comment Cezanne met en œuvre ses portraits en fonction des médias et des différentes périodes de sa carrière.
1. Les médias privilégiés selon les types de portraits.
La figure suivante illustre l’utilisation des différents médias selon les différents types de portraits :
Fig. 3. Thèmes et médias (en nombre d’œuvres et en %)
Plusieurs remarques s’imposent :
- pour 1 portrait peint, on compte 2,5 portraits dessinés, et Cezanne n’utilise que très anecdotiquement l’aquarelle pour les portraits ;
- les portraits de famille représentent les 2/3 des portraits dessinés et la moitié des portraits peints ;
- les portraits de relations (identifiées ou non) représentent le 6e des portraits dessinés et l’autre moitié des portraits peints ;
- les portraits copiés sont exclusivement dessinés[4]en dehors de R032 et R568, et de RW146 et RW297 qui sont d’ailleurs avant tout des dessins. et représentent le 5e des portraits dessinés. Il y a donc là une catégorie de portraits fermée sur elle-même.
2. Évolution du choix des médias selon les périodes
Le chapitre précédent[5]Cf. Fig. 3 du chapitre V. nous a montré que le nombre total de portraits évoluait avec le temps selon une alternance classique de croissance suivie de décroissance, avec un maximum durant la période impressionniste (2 portraits par mois en moyenne durant 10 ans). Cette évolution globale diffère cependant en fonction des médias :
Fig.4. Évolution du portait selon les médias dans le temps
(en nombre moyen d’œuvres par an)
- l’évolution globale est largement dépendante de celle des dessins, qui « explosent » entre 1872 et 1882 (on verra dans les chapitres suivants que ceci s’explique par l’abondance des portraits de famille durant cette période), puis décroissent ensuite pour disparaître après 1899 ;
- les peintures trouvent leur rythme de croisière à partir de 1861 et restent relativement stables jusqu’à la fin, avec cependant un maximum entre 1888 et 1899. En matière de portraits, les sujets varient, comme nous le verrons, mais Cezanne reste fidèle jusqu’au bout à ce type d’œuvre qui marque bien son intérêt continu pour la représentation de la figure humaine ;
- les aquarelles ne commencent à exister vraiment dans les portraits que durant les deux dernières périodes et restent de toutes façons marginales ;
- pour mémoire, la ligne violette de la Fig. 3 rappelle l’évolution propre aux pseudo-portraits, extrêmement abondants durant la première période, stables de 1861 à 1882 puis diminuant jusqu’à disparaître après 1888.
On trouvera en fin de chapitre à la Fig. 7 un graphique détaillé de l’évolution des portraits réalisés sur dessins, peintures et aquarelles, qui permet de mieux appréhender les variations plus fines que recouvrent les moyennes par périodes indiquées par la Fig. 2bis. Année par année, les évolutions ne sont évidemment pas aussi linéaires.
3. Évolution des types de portraits selon les périodes
De même, par rapport à l’évolution globale de l’ensemble des portraits, chaque type de portraits trouve son rythme de développement particulier :
Fig. 5. Évolution des types de portraits (en nombre moyen de portraits par an et par période)[6]La courbe du total reprend l’évolution déjà signalée au chapitre précédent (cf. Chap. V, fig. 3 et son commentaire).
- les portraits de famille suivent le rythme habituel : croissance durant les trois premières périodes, décroissance ensuite. En réalité, Cezanne pratique le portrait de famille sur deux grandes périodes seulement (de 1872 à 1882 et de 1882 à 1888), à raison de plus d’un par mois en moyenne durant 16 ans : c’est dire l’importance de son engagement familial pour Cezanne durant ces années, nettement moins évident avant et après cette période ;
- les portraits de relations (identifiées ou non) suivent un rythme propre : croissance jusqu’à la période impressionniste, chute importante durant la période 1882-1888, remontée forte à partir de 1888 (alors que les portraits de famille s’effondrent à partir de cette date) et stabilité ensuite à un niveau assez élevé ;
- les portraits copiés se développement selon un rythme original : ils sont absents de la 1ere période, puis croissent jusqu’à leur maximum en 1882-1888, se maintiennent également à un haut niveau entre 1888 et 1899 et maintiennent une présence significative bien que plus faible en dernière période. Ce type de portraits est donc présent pratiquement durant toute la carrière de Cezanne ;
- l’évolution du total des portraits (ligne violette Fig. 3) est évidemment largement conditionné par l’évolution des portraits de famille vu leur importance numérique.
Dans le détail, naturellement, cette évolution n’est pas aussi lisse, comme l’évoque la fig. 6 ci-dessous à titre purement illustratif :
Fig.6. Évolution du nombre de portraits selon les années
Il convient dès lors d’analyser plus en détail chacune de ces catégories de portraits pour mieux comprendre ces évolutions.
II. LES PORTRAITS DE FAMILLE
Dans les portraits de famille, Cezanne privilégie en réalité quasi-exclusivement trois sujets : son fils, Hortense et lui-même :
Fig. 7. Les portraits de famille[7]Le nombre de 348 s’obtient en éliminant les doublons, comme R216 où figurent à la fois Hortense et son fils ou R149 où sont présentes ensemble Rose et Marie. On peut aussi considérer qu’il y a peut-être plus de portraits d’Hortense si on y rajoute, comme y incite l’exposition « Madame Cezanne » du MET, R898 ou RW543, plus un ou deux dessins possibles. Nous avons tranché ici dans un sens minimaliste, et de toutes façons cela n’a pas d’influence sur le résultat de nos analyses vu le nombre extrêmement limité d’œuvres en débat.
Que Paul soit largement en tête de ce classement ne nous surprend pas[8]d’autant qu’outre les 149 portraits proprement dits, Paul est également le sujet de 17 autres œuvres qui ne constituent pas à proprement parler des portraits. A quoi se rajoutent les 6 Arlequin classés dans les scènes de genre., vu la tendresse du père pour son fils. De même, Hortense occupe une place absolument privilégiée puisque 1 portrait de famille sur 3 lui est consacré, ce qui est un indice plus que probant de son importance dans la carrière artistique de Cezanne. Vient ensuite la série des autoportraits, assez fournie elle aussi.
La représentation des autres membres de la famille est largement plus anecdotique : le père apparaît 23 fois, dont 16 portraits, l’oncle Dominique 10 fois, alors que de façon surprenante ni la mère, ni les sœurs n’apparaissent comme un sujet vraiment intéressant pour Cezanne. On voit donc que la notion de portrait de famille doit être réduite à sa plus simple expression, puisqu’elle ne recouvre en réalité pratiquement que lui-même, sa femme et son fils.
Quels sont les médias privilégiés pour chacun des personnages de la famille ?
Fig. 8. Les portraits de famille selon les médias (en nombre de portraits par médias)
Chacun a son média privilégié. On peut imaginer que le nombre de toiles est proportionnel à la capacité du modèle à prendre la pose :
- Paul est presque exclusivement dessiné en croquis plus ou moins finis : son père a eu vraisemblablement beaucoup de mal à le faire tenir tranquille pour parvenir à en faire le sujet de 15 toiles (dont celle où il est bébé avec sa mère et en rajoutant les 4 Arlequin) ;
- Hortense est trois fois plus dessinée que peinte, mais elle a eu la patience de poser une trentaine de fois pour son époux, ce qui est fort estimable ;
- Cezanne lui-même se dessine autant qu’il se peint : on peut supposer qu’il a eu envers lui-même suffisamment de patience pour s’observer sans trop bouger…
- Le cas de l’oncle Dominique est évidemment à part : le jeune Cezanne a obtenu de lui qu’il accepte de poser pour 10 tableaux, ce qui est considérable et laisse supposer chez cet oncle une tendresse particulière pour son neveu !
- Les autres membres de la famille sont peu représentés en peinture et relèvent davantage du dessin, notamment le père.
Concernant uniquement les peintures, les toiles représentant Hortense couvrent une surface totale de 11,5 m2, soit plus du double de celle des autoportraits avec 5,3 m2 peints, et 8 fois plus que celle couverte par les toiles représentant Paul (1,4 m2). En peinture, c’est bien Hortense qui intéresse tout particulièrement Cezanne.
L’évolution dans le temps de chacun de ces personnages est également intéressante :
Fig. 9. Les portraits des membres de la famille selon les périodes
(en nombre moyen de portraits par an et par période)
- Paul est le grand sujet de son père de 1872 à 1888, depuis sa naissance jusqu’à ses seize ans, et disparaît pratiquement ensuite. Cela peut correspondre au rythme de la vie de famille fréquemment entrecoupé d’absences de Cezanne lors de la période ultérieure, qui ne donne plus au peintre autant d’occasions d’observer son fils ; mais aussi à la difficulté d’obtenir de l’adulte qu’il est devenu la disponibilité suffisante pour permettre à son père de fixer ses traits ;
- c’est également pendant ces 16 années que Cezanne se représente lui-même ; ensuite l’autoportrait ne l’intéresse plus. La simultanéité de l’intérêt de Cezanne pour les autoportraits et les portraits de son fils est remarquable. Tout se passe comme s’il ne s’intéressait à son propre visage que pendant qu’il s’intéresse à celui de son fils. Mystères de la paternité dont la psychanalyse pourra faire ses choux gras, d’autant, comme nous le verrons au chapitre suivant, que la relation du peintre au modèle (lui-même ou son fils) est particulièrement forte dans un contact en face-à-face qui, en revanche, est totalement absent lorsque Cezanne représente son propre père (qu’il dessine cependant épisodiquement jusqu’en 1885, un an avant sa mort) ;
- en revanche, Hortense restera présente durant 28 ans, ne disparaissant pratiquement qu’en toute dernière période, celle où Cezanne abandonne les portraits de famille et ne maintient plus que quelques portraits de relations.
III. LES PORTRAITS DE RELATIONS
Ce type de portraits concerne 94 personnes différentes observées sur le vif par Cezanne, qu’il s’agisse d’amis (Zola, Valabrègue, Chocquet…), de domestiques (Vallier, Paulin Paulet…), voire d’étrangers de rencontre (le père Rouvel).
Certains des sujets ont été bien identifiés (94 portraits[9]en éliminant le doublon que constituent les portraits d’Alexis et Zola ensemble. pour 30 personnages différents) :
Alexandre | 4 |
Alexis (et Zola) | 1 |
(portrait commun) | -1 |
Baille | 2 |
Bazllle | 1 |
Boyer | 4 |
Chocquet | 10 |
Delphin Calvaire-Levasseur | 0 |
di Rosa Michelangelo | 6 |
Emperaire | 8 |
Gachet | 3 |
Gasquet Henri | 1 |
Gasquet Joachim | 1 |
Geffroy | 1 |
Guillaume Antoine | 1 |
Guillaume Louis | 4 |
Guillaumin | 2 |
Hauge | 1 |
Marion | 2 |
Paulet Paulin | 6 |
Pellerin | 1 |
Peyron | 2 |
Pissarro | 3 |
Pissarro (Mme) | 1 |
Renolr ? | 1 |
Rouvel | 1 |
Valabrègue | 5 |
Valller | 9 |
Vollard | 4 |
Zola | 9 |
Zola Mme | 1 |
94 |
La seconde colonne totalise le nombre de portraits répertoriés. Peu de personnages sont fréquemment représentés, comme Chocquet, Zola ou Vallier. Pour Chocquet par exemple, il est intéressant de noter que 9 de ses portraits sont faits entre 1875 et 1882 environ, c’est-à-dire à une période où la production de portraits de famille est maximale.
D’autres personnages ne sont pas précisément identifiés, comme divers portraits de paysans, de jeunes gens ou de femmes (84 portraits pour 64 personnages différents).
Voici les « séries » repérables dans les relations non identifiées :
joueur de cartes | 5 | C1061,C1092, RW379, (R707, R708)[10]Entre parenthèses : les références à des tableaux classés dans les scènes de genre, mais comportant les personnages en question. | |
joueur de cartes | 3 | R707, R708, (R706) | |
homme à la pipe | 7 | R705, R706, R707, R756, R757, R790, R826 | |
enfant au chapeau de paille | 7 | C1085, R813, R895, RW480, RW481, RW482, RW483 | |
homme bras croisés | 2 | R850-R851 | |
paysan assis | 2 | R852 RW491 | |
fillette | 2 | R806, R807 | |
paysan | 2 | R787, RW391 | |
femme à la cafetière | 2 | R780,R781 |
Vu l’identité de nature des portraits de personnes connues ou non identifiées, il apparaît peu utile de les distinguer en pratique.
Il convient de souligner d’abord la grande variété des personnages représentés, puisqu’il s’agit de 94 personnes différentes pour les 178 portraits répertoriés. Il est difficile de soutenir après cela que Cezanne souffre de misanthropie aiguë et ne s’intéresse pas à ses contemporains !
Cette variété est d’autant plus évidente qu’on ne trouve pas ici de grandes séries d’un même personnage, à la différence des portraits de famille. La plus grande série, celle des représentations de Chocquet, ne dépasse pas 10 images, et il n’y a que 10 « séries » comprenant au moins cinq portraits chacune.
La Fig. 3 a permis de constater que Cezanne a plus peint que dessiné ces portraits, à la différence des portraits de famille, ce qui témoigne d’un investissement de sa part dans un travail difficile qui dépasse largement le croquis pris à la volée de Paul ou d’Hortense et compense leur nombre plus restreint. En outre, en peinture, nous avons 86 portraits de relations contre seulement 81 portraits de famille.
Leur importance relative en peinture par rapport aux portraits de famille est encore soulignée par le fait que la surface totale couverte par ces portraits est de 38,3 m2, soit plus du double de la surface couverte par les toiles des portraits de famille (18,2 m2).
Autre originalité, ce sont pratiquement les seuls qui ont été traités par l’aquarelle en quelques occasions (surtout durant la dernière période).
De même, la Fig. 5 a permis de saisir certains traits de leur évolution, avec :
- la chute de ces portraits entre 1882 et 1888, contrairement aux portraits de famille, comme si durant cette période de difficultés personnelles Cezanne n’avait plus l’énergie nécessaire pour se consacrer à l’étude du visage d’étrangers à sa famille ;
- inversement, lorsque les portraits de famille disparaissent pratiquement à partir de 1888 (à l’exception notable d’Hortense), ces portraits prennent en quelque sorte le relais et se maintiendront, bien qu’à un niveau plus faible, jusqu’à la fin.
Tout ceci prouve que ce thème du portrait de relations était bien un thème essentiel pour Cezanne, qui mérite de plus amples explorations.
IV. LES PORTRAITS COPIÉS SUR ŒUVRES D’ART
On sait que Cezanne a beaucoup pratiqué la copie d’œuvres d’art, dans les portraits comme dans la catégorie que nous examinerons ultérieurement des œuvres reproduisant ou interprétant des situations ou des personnages issus du monde de la culture.
Concernant les portraits copiés sur des œuvres d’art[11]Rappelons que ces 93 portraits sont pratiquement tous des dessins en dehors de R032 et R568 et de RW146 et RW297, qui sont d’ailleurs avant tout des dessins., il faut souligner d’emblée la grande variété des références de Cezanne, puisque ce sont 5 sculpteurs antiques, 36 artistes identifiés et 12 artistes anonymes qui sont ainsi copiés. Ces artistes appartiennent à toutes les époques du XIVe au XIXe siècle, témoignant ainsi de l’éclectisme de Cezanne :
- Antiquité : 9 œuvres copiées de 5 sculpteurs différents. Les personnages représentés sont Caracalla (4 fois), Lucius Verus (2 fois) et les empereurs Septimius, Titus et un empereur non identifié, soit 5 personnages différents.
- Renaissance : 24 œuvres copiées de 11 artistes différents :
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Les personnages représentés sont Filippo Strozzi (4 fois), Rinaldo della Luna (3 fois), le buste d’un enfant (2 fois) et 15 autres personnages, soit en tout 18 personnages différents.
- XVIe siècle : 11 œuvres copiées de 9 artistes différents ;
Titien | 1488-1576 | 1 |
van Leyden | 1494-1533 | 2 |
Bacchiaca | 1494-1557 | 2 |
Goujon | 1510-1566 | 1 |
Tintoret | 1518-1594 | 1 |
Anonyme (C0351a) | 1520 ? | 1 |
Moroni-Passarotti | 1529-78/92 | 1 |
Le Greco | 1541-1614 | 1 |
Anonyme (CS1867-71-2) | 1550 ? | 1 |
Les personnages représentés sont un jeune homme (2 fois) et 9 autres personnages, soit en tout 10 personnages différents.
- XVIIe siècle : 19 œuvres copiées de 10 artistes différents ;
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Les personnages représentés sont le Gand Condé (4 fois), Pierre Mignard (3 fois), Boileau-Despréaux (2 fois) et 10 autres personnages, soit en tout 13 personnages différents.
- XVIIIe siècle : 16 œuvres copiées de 8 artistes différents ;
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Les personnages représentés sont le Père de la Tour (7 fois) et 9 autres personnages, soit en tout 10 personnages différents.
- XIXe siècle : 14 œuvres copiées de 9 artistes différents.
Delacroix | 1798-1863 | 4 |
Durrieu | 1800-1874 | 2 |
Préault | 1809-1879 | 2 |
Courbet ? (C0509) | 1819-1877 | 1 |
Anonyme (C0032a) | 1857-1859 | 1 |
Anonyme (C0065a) | 1860-1863 | 1 |
Anonyme (R032) | 1862-1864 | 1 |
Anonyme (C0216a) | 1866-1869 | 1 |
Anonyme (C0185a) | 1866-1870 | 1 |
Les personnages représentés sont Delacroix (3 fois), Clémence Isaure (2 fois) et 10 autres personnages, soit en tout 12 personnages différents.
Ce sont donc 68 personnages différents dont Cezanne a copié le portrait, en 89 dessins, 2 toiles, 2 aquarelles et 1 lavis.
61 de ces portraits ont été copiés sur des sculptures, 22 sur des gravures reproduisant l’original et 11 directement sur des peintures. Il est très intéressant de noter ce goût particulier de Cezanne pour la sculpture[12]que l’on trouvera de même très présent lorsque nous analyserons les œuvres relatives au domaine de la culture., qui lui offre l’observation directe du relief avec ses ombres et ses lumières et en ce sens peut remplacer la pose du modèle vivant qu’il est si difficile de faire se tenir « immobile comme une pomme ».
Inversement, on peut être surpris par le peu de références à la peinture dans ces copies d’œuvres d’art.
La localisation des œuvres copiées n’est en revanche pas très variée : 49 ont été copiées au Louvre (essentiellement celles des XVIIIe et XIXe siècles), 14 au Musée de sculpture comparée du Trocadéro (essentiellement celles de la Renaissance), 5 dans Le Magasin pittoresque, 3 dans Charles Blanc, 1 au Jardin du Luxembourg, l’original des 21 autres n’étant pas identifié. C’est dire que les 2/3 ont été copiées lors de ses séjours en région parisienne.
La fig. 5 ci-dessus nous a montré que Cezanne a surtout réalisé des portraits à partir de copies durant deux périodes : la phase « impressionniste » (1873-1882) et la période 1888-1899, après le séjour en Provence de 1882-1888. Ces dates correspondent évidemment surtout à des séjours parisiens ; mais pour la seconde période, ces portraits (comme ceux de relations) compensent la forte chute des portraits de famille (Hortense excepté), ce qui maintient le nombre total de portraits réalisés à un niveau non négligeable, comme on l’a vu. Il faut attendre la dernière période pour que Cezanne se désintéresse beaucoup de ce thème.
Il n’est pas non plus étonnant que sur les 89 portraits dessinés, 73 proviennent de feuilles de carnets, facilement transportables dans les musées. Sur ces 73 feuilles, 17 se situent en période impressionniste et 44 dans la période 1888-1899, ce qui monte bien le rôle très particulier joué par le portrait copié durant ces 11 années.
12 carnets sur 18 comportent des portraits copiés, la plupart n’en contenant que très peu[13]Cj2, CPIII et CPIV n’en contiennent qu’un, CII et CPII n’en contiennent que 2, CPI en contient 3, CIV en contient 5, Cj4 en contient 6, CI en contient 7. Ces portraits ne représentent qu’un pourcentage infime des dessins présents dans ces carnets, aux alentours de 2 à 5 % selon les carnets.. En réalité, seuls trois carnets leurs sont significativement dédiés :
- BSII (1865-1900) contient 41 pages, dont 13 (soit 32 %) réservés aux portraits copiés ;
- BSI (1879-1900) contient 38 pages, dont 18 (soit 47 %) réservées aux portraits copiés ;
- CIII (1887-1898) contient 28 pages, dont 11 (soit 39 %) affectées aux portraits copiés.
Ce qui est remarquable, c’est que pratiquement tous les portraits copiés occupent chacun toute la page[14]Exceptions : la page de CJ2 contient 3 dessins et les 8 pages de Cj4 totalisent 27 dessins, comme c’est presque toujours le cas dans les carnets de jeunesse durant la période 1856-1861., ce qui montre le soin particulier que leur accorde Cezanne, qui nous a souvent habitués à multiplier les dessins sur la même page, du moins dans sa jeunesse.
Il est clair que pour Cezanne, ces portraits ont revêtu une grande importance, ce que confirme encore la qualité du rendu. La moitié figurent parmi ses meilleurs dessins, surtout ceux (la majorité) situés dans la période de 1888-1899, celle de sa plus grande maturité en tant que dessinateur.
C’est ainsi que dans notre classement personnel nous distinguons dans ces portraits 3 ébauches seulement (dont 2 de niveau 3), 72 esquisses (dont 29 de niveau 3) et 14 croquis, parmi lesquels on peut admirer à titre d’exemple :
Fig. 10. Trois beaux portraits dessinés
Pour finir, on peut noter que sur ces 94 portraits, 75 représentent des hommes contre seulement 15 pour des femmes et 4 pour des garçons. Si on se rappelle que 61 de ces portraits sont des copies de sculptures, on est moins surpris puisque les bustes de marbre représentent généralement des hommes. On ne peut donc conclure formellement à un tropisme particulier de Cezanne envers le sexe masculin.
V. LES « PSEUDO-PORTRAITS »
Parmi les 365 études de personnages comportant des figures que rien ne permet de classer ni dans les portraits (de personnages vivants ou d’objets d’art – statues ou peintures – directement observés) ni dans les autres thèmes de la catégorie « humains »[15]études de nus, baigneurs, scènes de genre, personnages fictifs, historiques ou religieux du monde de la culture. , on trouve représentés 81 bustes et 177 têtes. Ce sont donc 258 « pseudo-portraits »[16]soit 249 dessins et 3 toiles : R002-3 et R348. qui viennent se rajouter aux portraits déjà analysés pour renforcer encore notre conviction que l’étude du visage humain a été un des sujets d’attention privilégiés de Cezanne.
Afin d’avoir une idée plus précise de ce que recouvre cette catégorie des « pseudo-portraits », en voici quelques illustrations :
Fig. 11. Têtes et bustes à l’état d’ébauches de niveau 1 (87 images)
Fig. 12. Têtes et bustes à l’état d’ébauche de niveau 2 (66 images)
Fig. 13. Têtes et bustes à l’état d’ébauche de niveau 3 (74 images)
Fig. 14. Têtes et bustes à l’état d’esquisse de niveau 1 (14 images)
Fig. 15. Têtes et bustes à l’état d’esquisse de niveau 2 (4 images)
Fig. 16. Têtes et bustes à l’état d’esquisse de niveau 3 (2 images)
Fig. 17. Têtes et bustes à l’état de croquis de niveau 1 (2 images)
Sur les 258 dessins, 160 sont assez dispersés dans 16 des 18 carnets de dessins, à raison de 1 à 10 dessins par carnets, sauf pour le carnet Cj2 dont elles constituent le tiers avec 98 dessins. Il y a là une exception tout à fait notable, d’autant que c’est le seul carnet où l’on trouve de tels dessins couvrant la période de 1856 à 1861[17]on trouve également 4 dessins dans Cj1 pour la même période., celle où justement Cezanne n’a pratiquement pas encore produit de portraits. Ce carnet constitue donc en quelque sorte les « gammes » par lesquelles il s’exerce à représenter le visage humain, et c’est en cela que réside son intérêt. Si l’on y rajoute les 21 dessins sur feuille libre de la même période, c’est donc bien la moitié des « pseudo-portraits » qui ont été réalisés durant cette première période de sa vie artistique.
Cette fonction de « brouillon » des « pseudo-portraits » se poursuit tout de même, quoique de façon beaucoup plus modeste, durant la seconde et la troisième période avec à chaque fois une quarantaine de dessins par période, puis disparaît ensuite lors de la seconde partie de la carrière de Cezanne, comme on pouvait s’y attendre : le thème a rempli son office et Cezanne maîtrise maintenant suffisamment sa technique pour n’avoir plus besoin de tels croquis sommaires. On ne trouvera donc plus qu’une vingtaine d’esquisses que nous devons maintenir dans cette catégorie puisque rien ne permet de les rattacher à une autre, comme nous l’avons dit.
CONCLUSION
On peut donc distinguer trois types de portraits aux caractéristiques bien définies :
- les portraits de famille – c’est-à-dire pour l’essentiel ceux de Paul, d’Hortense et les autoportraits – occupent la majorité des dessins et la moitié des peintures dédiés aux portraits. Ils se développent surtout entre 1872 et 1888, depuis la naissance de Paul jusqu’à ses 16 ans, l’intérêt pour Hortense se maintenant malgré tout dans la période suivante et encore au-delà ;
- les portraits de relations se caractérisent par une grande variété de personnes représentées, un fort investissement en peinture plus que dans le dessin, et leur maintien assez constant dans la durée sauf dans la difficile période 1882-1888 où le repli de Cezanne sur la Provence et sa famille limite ses productions aux portraits de famille ; inversement, après 1888, les portraits de relations prennent une nouvelle importance, compensant l’abandon des portraits de famille (Hortense excepté) ;
- Les portraits copiés constituent un monde spécifique de dessins aux sujets très éclectiques, qui eux aussi compensent durant la période 1888-1899 la forte chute des portraits de famille. Ils témoignent mieux que tout autre du niveau d’excellence atteint par Cezanne dans la maîtrise du dessin.
Quant aux « pseudo-portraits » de jeunesse, leur intérêt est évident en tant que matrice des portraits à venir, et c’est pourquoi nous les prenons en considération en complément des portraits proprement dits dans les observations du chapitre suivant relatives aux méthodes utilisées par Cezanne pour mettre en scène ses portraits[18]On se rappelle cependant qu’en nombre d’œuvres, les dessins de la première période sont surreprésentés par rapport à ceux des périodes suivantes. Cela vaut pour les pseudo-portraits, dont la proportion par rapport aux portraits est vraisemblablement supérieure à ce qu’elle a dû être dans la réalité. En revanche, lorsqu’on analyse les méthodes cezanniennes de traitement des portraits au chapitre suivant, cela devient un avantage parce que l’on dispose de plus de points de comparaisons des œuvres entre elles..
En prélude à des analyses plus poussées, on trouvera à la Fig. 18 ci-dessous un graphique détaillant l’évolution des portraits selon les médias année après année. La fig. 19 quant à elle représente l’évolution année après année des portraits à la fois selon les sujets et les médias : il met bien en évidence l’importance majeure des portraits de famille de 1872 à 1889 (trame rose), les portraits de relations (trame verte) et les portraits copiés (colonnes bleu turquoise) prenant partiellement le relais quand les portraits de famille diminuent. C’est ainsi que les peintures de relations se multiplient entre 1888 et 1899, à mesure que les toiles d’Hortense se raréfient.
Graphiques annexes
Fig. 18. Détail de l’évolution des portraits selon les médias
Fig. 19. Les trois types de portraits selon les médias et les années.
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Références
↑1 | avec 14% de la production totale, cf Fig. 1 du chapitre II. |
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↑2 | avec 24 % de ces œuvres, cf Fig. 1 du chapitre IV. |
↑3 | Sur ces 250 images, une vingtaine se haussent à l’état d’esquisses et 2 seulement à l’état de croquis de niveau 1 (CS1875-2 et C0640) et peuvent mériter d’être considérés comme de vrais portraits. Ils n’ont pas été retenus comme tels car ne représentant a priori ni des personnes vivantes ni des copies d’œuvres d’art. Voir les illustrations ci-dessous en VI. |
↑4 | en dehors de R032 et R568, et de RW146 et RW297 qui sont d’ailleurs avant tout des dessins. |
↑5 | Cf. Fig. 3 du chapitre V. |
↑6 | La courbe du total reprend l’évolution déjà signalée au chapitre précédent (cf. Chap. V, fig. 3 et son commentaire). |
↑7 | Le nombre de 348 s’obtient en éliminant les doublons, comme R216 où figurent à la fois Hortense et son fils ou R149 où sont présentes ensemble Rose et Marie. On peut aussi considérer qu’il y a peut-être plus de portraits d’Hortense si on y rajoute, comme y incite l’exposition « Madame Cezanne » du MET, R898 ou RW543, plus un ou deux dessins possibles. Nous avons tranché ici dans un sens minimaliste, et de toutes façons cela n’a pas d’influence sur le résultat de nos analyses vu le nombre extrêmement limité d’œuvres en débat. |
↑8 | d’autant qu’outre les 149 portraits proprement dits, Paul est également le sujet de 17 autres œuvres qui ne constituent pas à proprement parler des portraits. A quoi se rajoutent les 6 Arlequin classés dans les scènes de genre. |
↑9 | en éliminant le doublon que constituent les portraits d’Alexis et Zola ensemble. |
↑10 | Entre parenthèses : les références à des tableaux classés dans les scènes de genre, mais comportant les personnages en question. |
↑11 | Rappelons que ces 93 portraits sont pratiquement tous des dessins en dehors de R032 et R568 et de RW146 et RW297, qui sont d’ailleurs avant tout des dessins. |
↑12 | que l’on trouvera de même très présent lorsque nous analyserons les œuvres relatives au domaine de la culture. |
↑13 | Cj2, CPIII et CPIV n’en contiennent qu’un, CII et CPII n’en contiennent que 2, CPI en contient 3, CIV en contient 5, Cj4 en contient 6, CI en contient 7. Ces portraits ne représentent qu’un pourcentage infime des dessins présents dans ces carnets, aux alentours de 2 à 5 % selon les carnets. |
↑14 | Exceptions : la page de CJ2 contient 3 dessins et les 8 pages de Cj4 totalisent 27 dessins, comme c’est presque toujours le cas dans les carnets de jeunesse durant la période 1856-1861. |
↑15 | études de nus, baigneurs, scènes de genre, personnages fictifs, historiques ou religieux du monde de la culture. |
↑16 | soit 249 dessins et 3 toiles : R002-3 et R348. |
↑17 | on trouve également 4 dessins dans Cj1 pour la même période. |
↑18 | On se rappelle cependant qu’en nombre d’œuvres, les dessins de la première période sont surreprésentés par rapport à ceux des périodes suivantes. Cela vaut pour les pseudo-portraits, dont la proportion par rapport aux portraits est vraisemblablement supérieure à ce qu’elle a dû être dans la réalité. En revanche, lorsqu’on analyse les méthodes cezanniennes de traitement des portraits au chapitre suivant, cela devient un avantage parce que l’on dispose de plus de points de comparaisons des œuvres entre elles. |