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Chapitre VIII
Les références classiques et culturelles
Après les portraits, qui nous révèlent la variété des personnes de son entourage ayant pu intéresser le peintre au point qu’il leur consacre telle ou telle peinture, aquarelle ou dessin, ce chapitre met en évidence l’influence de ses années d’apprentissage sur Cezanne. Les 419 œuvres concernées puisent leur inspiration dans l’univers classique et culturel dans lequel le peintre a baigné durant ses études à Aix, qu’il s’agisse de sa scolarité au collège Bourbon ou des cours dispensés par l’école de dessin de Granet. Nous avons déjà rencontré cet univers en examinant les portraits copiés, dont on a pu constater la grande diversité, témoignant de l’étendue de la culture proprement artistique de Cezanne, déjà très approndie à son arrivée à Paris.
Mais la notion de copie renvoyait davantage au souci de la forme qui a pu déterminer Cezanne à copier telle ou telle œuvre, plutôt qu’au choix du sujet copié. C’est pourquoi nous avons examiné ces copies au chapitre précédent sous l’angle de la façon dont Cezanne traite le visage. Le fait qu’il ait copié plusieurs fois le buste de Caracalla ne signifie pas a priori qu’il s’intéressait particulièrement à cet empereur, mais plutôt que telle caractéristique du buste sculpté a pu susciter son intérêt.
Ici en revanche, le choix des sujets nous révèle une part essentielle des humains ou des entités qui peuplent son univers mental, même si les œuvres renvoyant à son univers culturel ne représentent que 10 % de sa production globale[1]Cf. fig. 1 chapitre IV..
Rappelons les différents domaines culturels définis au chapitre III concernant ce thème :
- de sa culture classique marquée par la fréquentation assidue du latin, Cezanne retient :
- quelques figures historiques (empereurs, Cléopâtre…) ou quelques situations typiques de l’Antiquité (orgie, orateur romain…) ;
- de nombreuses figures appartenant à la mythologie grecque et romaine ;
- la personnification d’entités abstraites sous la forme d’allégories (Eternel féminin, Santé…). Celles-ci s’appliquent à un contenu antique (Dieu-fleuve, Génie de la Tombe…) mais parfois aussi contemporain (allégorie du mariage, apothéose de Delacroix) ;
- Cezanne, comme toute sa génération, baigne encore dans la culture religieuse catholique dont il retient certains personnages issus de la Bible ;
- son intérêt pour la littérature se traduit également par l’illustration de quelques œuvres qui ont pu le marquer (Baudelaire en particulier) ;
- enfin, sensible aux évolutions culturelles de son temps, il en illustre – mais de façon très marginale – un des courants puissants en littérature (avec Flaubert) et en peinture (avec Delacroix) : l’orientalisme.
I. IMPORTANCE RELATIVE DES DIFFÉRENTS DOMAINES
Pour autant, ces différentes références culturelles n’occupent pas une place identique dans la production de Cezanne comme on le constate en comparant le nombre de sujets traités et le nombre d’œuvres produites pour chaque domaine (un sujet donné peut être illustré par plusieurs œuvres, comme la Vénus de Milo par exemple).
1. Variété des sujets traités
Dans chacun des domaines, Cezanne prend pour sujets soit des personnages isolés (comme Hercule), soit des situations (comme la Visitation). Le nombre des sujets varie beaucoup d’un domaine à l’autre.
Fig. 1. Importance relative des différents domaines culturels en nombre de sujets traités différents
Un domaine se détache nettement des autres : celui de la mythologie, qui représente à lui seul le tiers des œuvres du thème. C’est dire à quel point Cezanne en demeure imprégné ; durant toute sa scolarité, il a été nourri de ces aventures des héros, des dieux et déesses qui, au collège, représentent l’équivalent des contes pour enfants – dont on ne trouvera pas trace chez Cezanne dans ses références à la littérature, sinon avec l’allusion à l’Homme aux rats dans un dessin isolé.
Au total, le domaine de la culture grecque et latine dans son ensemble est largement dominant puisqu’il couvre plus de 60 % des sujets traités.
La religion n’est pas pour autant absente, puisque le quart des sujets traités renvoient à cet univers. En revanche, les sujets liés à la littérature sont peu fréquents.
2. Nombre d’œuvres produites dans chaque domaine
Ces observations se trouvent renforcées lorsqu’on examine le nombre d’œuvres consacrées à chaque domaine :
Fig. 2. Importance relative des différents domaines culturels en nombre d’œuvres
La mythologie représente à elle seule la moitié des œuvres liées à la culture, ce qui s’explique notamment par la fréquence de traitement de quelques sujets particuliers, comme Vénus ou Hercule, et ce sont les trois quarts des œuvres du thème qui renvoient à la culture gréco-latine.
II. Le dessin, média privilégié des œuvres liées au monde de la culture.
Dans ses références au monde de la culture, Cezanne recourt avant tout au dessin (87 % des œuvres), qui est même le seul média utilisé dans les œuvres relatives à l’Antiquité :
Fig. 3. Utilisation des médias dans les différents domaines culturels.
Cette disproportion est encore accentuée si l’on se rappelle que la part des dessins consacrés au monde de la culture est de 14 % du total des dessins, alors que celle des peintures et aquarelles n’est que de 3 % du total des peintures et aquarelles[2]Cf Fig. 3 chapitre IV. : cette part tout à fait minoritaire par rapport à la pratique de Cezanne dans les autres thèmes tient d’abord au fait que les 2/3 des œuvres de ce thème sont des copies de sculptures ou de peintures, comme on va le voir. Or on sait que Cezanne ne pratique la copie en peinture et aquarelle que très exceptionnellement alors qu’elle est très courante en dessin.
En outre, cette quasi-absence en peinture et aquarelle d’œuvres de ce thème illustre bien la rupture de la modernité avec la tradition, réalisée notamment par les Impressionnistes : pour la modernité – donc pour Cezanne – , ces deux médias sont fondamentalement dédiés à l’observation de l’ici et maintenant alors que traditionnellement, s’appuyant sur l’imagination, la peinture et l’aquarelle privilégient la reconstitution de scènes du passé ou d’un ailleurs intellectuel ou culturel avec une multitude d’œuvres qui peuplent les Salons officiels[3]Une exception cependant pour Cezanne : les toiles et aquarelles de scènes de genre et de baigneurs et baigneuses – exception fort limitée au demeurant en ce qui concerne ces derniers, puisque ce thème imaginaire s’ancre d’abord dans la réalité vécue par Cezanne et ses amis dans sa jeunesse au bord de l’Arc, et que le travail d’imagination ne porte pas sur la variété des situations mais seulement sur la disposition des personnages dans une situation unique et d’ailleurs banale. En outre, ici aussi, le nombre de dessins l’emporte assez largement sur les toiles et aquarelles traitant ce thème (191 dessins pour 47 aquarelles et 94 toiles). Il en est de même pour les scènes de genre, qui comportent 385 dessins pour 99 toiles et 49 aquarelles. Cf. fig. 2 chapitre IV..
Dans le dessin en revanche, Cezanne peut faire jouer son imagination – du moins dans le tiers des œuvres qui ne sont pas des copies, et qui contribuent ainsi à l’importance de ce média dans le thème des personnages du monde de la culture. Pour la même raison, le dessin dominera dans les scènes de genre, comme on le verra.
III. L’évolution du thème.
La Fig. 4 illustre cette évolution :
Fig. 4. Évolution des différents domaines culturels.
En dehors du domaine mythologie, on constate que les œuvres liées à la culture sont surtout fréquentes durant la première partie de la vie artistique de Cezanne, notamment entre 1861 et 1872, puis qu’elles disparaissent brutalement durant la période 1882-1888. Cet effondrement de la production durant cette période a déjà été repéré plusieurs fois dans les chapitres précédents, Cezanne s’y consacrant essentiellement aux paysages au détriment du reste.
On retrouve ensuite quelques œuvres liées à l’Antiquité ou aux allégories entre 1888 et 1899, avant de disparaître définitivement ensuite.
Concernant la mythologie dont le cycle d’évolution diffère des autres domaines, la période 1872-1882 est privilégiée ; un examen des sujets traités montre que cela tient à la présence de séries systématiques, telles celles de la Vénus de Milo, d’Hercule au repos, ou de Milon de Crotone, etc., et qu’on a affaire à 57 copies du Louvre sur les 68 œuvres de cette période, où Cezanne a particulièrement fréquenté ce musée.
Quelques rares copies du Louvre sont encore présentes entre 1884 et 1888, puis elles se multiplient à nouveau entre 1888 et 1899 (séries Bellona, Vénus accroupie, à nouveau Milon de Crotone, etc.), les 71 œuvres concernées étant d’ailleurs toutes des copies.
On peut donc dire que les œuvres liées à la culture nourrissent l’imagination de Cezanne seulement dans la première partie de sa vie artistique, mais que dans la seconde partie elles relèvent de l’observation pure car elles sont pratiquement toutes des copies de statues ou de peintures. Plus que des références culturelles, elles deviennent alors un support d’observation comparable aux natures mortes. Il n’en demeure pas moins que le choix des sujets copiés se relie de façon évidente à l’univers mental de Cezanne imprégné de culture classique.
IV. Les sujets traités
La variété des sujets traités apparaît nettement lorsque l’on examine le détail de chaque domaine culturel. Cette diversité s’enrichit encore si l’on y adjoint divers sujets connexes mais classés dans d’autres thèmes ou domaines : ainsi les Tentation de Saint Antoine ou les Bethsabée par exemple peuvent être rapprochées des œuvres du monde de la culture liées à la littérature et/ou à la religion ; mais nous préférons les classer dans les scènes de genre érotiques – analysées au chapitre suivant – domaine plus adéquat à la véritable intention de ces œuvres. Mais comme pour les copies, le choix des sujets, même s’il n’a pas pour visée première d’illustrer un thème lié au monde de la culture, n’en constitue pas moins un témoignage sur l’univers mental du peintre : représenter une scène de voyeurisme par le biais d’une Tentation de Saint Antoine n’équivaut pas à représenter un homme contemplant à la dérobée une femme nue, sujet que l’on trouve si souvent traité dans la peinture du XIXe siècle.
1. L’Antiquité grecque et romaine
Deux personnages sont ici bien identifiés, curieusement au moment de leur mort : Cléopâtre et Sardanapale.
Dans le même registre de violence, on trouve 27 œuvres mettant en scène des guerriers (avec 56 personnages représentés), soit le tiers du domaine :
Sujets | Nombre d’œuvres | nombre de personnages |
guerrier | 7 | 29 |
Assyrie | 8 | 8 |
soldat au bain | 6 | 7 |
Jeunes filles de Sparte | 6 | 12 |
Viennent ensuite divers personnages de la société, dont 8 esclaves :
Sujets | Nombre d’œuvres | Nombre de personnages |
augure | 1 | 1 |
orateur romain | 3 | 3 |
discobole | 1 | 1 |
Bergers d’Arcadie | 2 | 2 |
esclave | 8 | 8 |
Divers Romains et Romaines | 9 | 9 |
Et deux sujets particuliers : l’Hermaphrodite endormi et 10 dessins reliées à l’Orgie (mais sans caractère érotique, comme La Préparation du Banquet qui relève plutôt de la nature morte, à la différence de celles que nous évoquons ci-dessous).
Au total, les 64 œuvres de ce domaine se ventilent en une quinzaine de sujets différents, et 47 d’entre elles sont des copies : c’est dire que la part de l’observation excède de beaucoup celle des œuvres d’imagination.
Pour compléter le tableau, il faut noter que diverses œuvres classées dans d’autres domaines de la culture analysés dans ce chapitre ont un lien direct avec le domaine de l’Antiquité, comme par exemple Cicéron foudroyant Catilina (classé prioritairement dans les œuvres inspirées de la littérature) ou 4 dessins de caryatides (classées dans les personnages mythologiques).
Pour élargir encore notre vision, on peut rapprocher de ce domaine de l’Antiquité diverses œuvres classées dans d’autres thèmes principaux, comme les 14 œuvres liées au thème de l’orgie, classées dans les scènes de genre à caractère érotique, les 2 copies de fragments de statues antiques classées dans les études de nus, ou encore les différents portraits copiés suivants (analysés aux chapitres précédents) de personnages antiques :
Sujets | Nombre d’œuvres | thème principal |
Caracalla | 4 | portrait copié |
Lucius Verus | 2 | portrait copié |
Septimius | 1 | portrait copié |
empereur | 1 | portrait copié |
Titus | 1 | portrait copié |
Sardanapale | 2 | portrait copié |
Les références à l’Antiquité sont donc présentes à titre secondaire dans 35 œuvres. Au total, on compte finalement une centaine d’œuvres renvoyant à cet univers, réparties en 25 sujets différents environ, ce qui n’est pas anodin.
2. La mythologie
On y trouve représentés une quarantaine de personnages différents, dont plusieurs dans des séries assez fournies, totalisant 196 œuvres (et 282 personnages représentés). Il s’agit à la fois des principales figures du panthéon, mais aussi d’entités secondaires comme les faunes ou les naïades, voire d’humains ayant eu un rapport particulier avec les dieux, comme Marsyas ou Léda.
La culture classique de Cezanne se révèle ici dans toute son étendue, et il prend manifestement plaisir à mettre en scène les héros de la mythologie, comme le montre le tableau suivant qui permet de mesurer la variété des sujets choisis et son insistance sur un certain nombre de séries qu’il affectionne particulièrement :
Sujets | Nombre de
représentations |
Séries | Autres
représentations |
en relation avec |
Amour (Eros) | 49 | |||
dont | Amour en plâtre 21 | |||
putti 17 | ||||
Amour 11 | divers sujets | |||
Vénus (Aphrodite) | 35 | dont | ||
dont | Vénus de Milo 9 | |||
Vénus et Amour 9 | ||||
Vénus 17 | divers sujets | |||
Hercule | 19 | Hercule au repos 19 | ||
Milon de Crotone | 12 | Milon de Crotone 12 | ||
Bellona | 10 | Bellona 10 | ||
Mars Borghèse | 9 | Mars Borghèse 9 | ||
Mercure (Hermès) | 8 | Mercure Pigalle 5 | 3 | |
Junon | 8 | Jugement de Pâris 7 | 1 | Jupiter |
Hélène | 7 | Jugement de Pâris 7 | ||
Minerve | 7 | Jugement de Pâris 6 | 1 | |
Pâris | 7 | Jugement de Pâris 7 | ||
faune | 7 | Faune Coysevox 3 | 4 | |
naïade | 6 | Naïade Rubens 4 | 2 | triton |
Léda | 5 | Léda et le cygne 2 | 3 | |
Apollon | 5 | Apollon Delacroix 3 | 2 | |
caryatide | 4 | 4 | ||
Diane | 4 | Diane chasseresse 3 | 1 | |
satyre | 4 | Jeune satyre 3 | 1 | Amour |
Trois Grâces | 4 | Trois Grâces Pilon 4 | ||
Adonis | 3 | Adonis Coustou 3 | ||
Andromède | 3 | Andromède 3 | Persée | |
Persée | 2 | Andromède 3 | Andromède | |
centaure | 2 | 2 | Chiron, Amour | |
Didon | 2 | Rencontre Enée-Didon 2 | Énée | |
Enée | 2 | Rencontre Enée-Didon 2 | Didon | |
Psyché | 2 | 2 | Amour | |
Vulcain | 2 | 2 | Vénus | |
Achille | 1 | 1 | Chiron | |
Chiron | 1 | 1 | Achille | |
Amalthée | 1 | 1 | ||
Bacchus | 1 | 1 | ||
Cérès | 1 | 1 | ||
Jupiter | 1 | 1 | Thétys | |
Thétys | 1 | 1 | Jupiter | |
Marsyas | 1 | 1 | ||
Médée | 1 | 1 | ||
Neptune | 1 | 1 | ||
Parques | 1 | 1 | ||
triton | 1 | Naïade Rubens 4 | 1 | |
Sur les 196 œuvres concernées, 160 sont des copies (123 copies de sculptures et 37 copies de peintures) : c’est dire qu’ici aussi les œuvres d’imagination pure sont très minoritaires par rapport aux œuvres d’observation.
On peut adjoindre à ce domaine une douzaine d’œuvres classées dans les scènes de genre à visée érotique ou violente : satyres attaquant parfois des femmes ou des nymphes, néréides et tritons, sans compter la vingtaine de putti présents dans certaines Tentation de saint Antoine.
3. Les allégories
Sur les 49 œuvres concernées portant sur 15 sujets différents, la référence n’est plus la latinité, mais plutôt l’univers classique des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont abusé de ce type de représentations. 24 d’entre elles sont des copies : l’imagination, bien qu’ayant ici une plus grande part que dans les deux domaines précédents, ne concerne que 5 sujets sur les 15 et notamment les deux séries de tête : l’Apothéose de Delacroix et l’Éternel Féminin :
Sujets | Nombre d’œuvres |
Apothéose Delacroix | 9 |
Eternel Féminin | 8 |
Amour et Amitié | 5 |
Dieu-fleuve | 5 |
Génie de la Santé | 4 |
Quatre Saisons | 4 |
Allégorie de la République | 3 |
Muse | 3 |
Allégorie de la France | 2 |
Allégorie de la Peinture | 1 |
Apothéose Henri IV | 1 |
Génie de la Tombe | 1 |
Loire et Loiret | 1 |
Allégorie du Mariage | 1 |
Dieu-Soleil | 1 |
Sont ainsi représentés 166 personnages, que l’on peut compléter par l’allégorie du Temps que représente la série des 13 dessins de Figure ornant une horloge, classés dans les natures mortes.
4. La Religion
56 œuvres relèvent de ce domaine, dont 41 copies, essentiellement de peintures : donc peu de place pour les compositions imaginaires. En revanche, comme il n’y a aucune série, la dispersion des sujets traités est assez importante.
Le Nouveau testament se taille la part du lion avec 40 œuvres pour une dizaine de sujets différents :
Nouveau Testament | Nombre d’œuvres | dont |
Joseph | 1 | cf. Sainte Famille |
Vierge | 7 | |
Visitation 1 | ||
Mère et enfant 1 | ||
Sainte Famille 1 | ||
Mise au tombeau 4 | ||
Christ | 20 | |
Christ aux limbes 2 | ||
Christ en croix 2 | ||
Mise au tombeau 5 | ||
Résurrection 6 | ||
Noces de Cana | 3 | |
Appel de St Matthieu | 3 | |
Fils prodigue | 1 | |
Femme adultère | 1 | cf. Christ |
Madeleine | 2 | cf. Mise au tombeau |
Joachim | 1 | cf. Visitation |
Élisabeth | 1 | cf. Visitation |
L’Ancien Testament suit avec 17 œuvres pour une douzaine de sujets différents, que l’on peut compléter par la série des 15 Bethsabée et par le tableau Loth et ses filles classés de façon plus adaptée à leur contenu dans les scènes de genre érotiques :
Ancien Testament | Nombre d’œuvres |
David | 3 |
Joseph AT | 2 |
Enlèvement de Rébecca | 2 |
Esther | 2 |
Agar | 1 |
Daniel | 1 |
Samson | 1 |
fille de Loth | 1 |
Eve | 1 |
Job | 1 |
Moïse | 1 |
Salomon | 1 |
Enfin, 9 autres œuvres sont en lien avec la religion :
Autres œuvres | Nombre d’œuvres |
St Antoine | 1 |
St Dominique | 1 |
Diable | 1 |
Ange | 5 |
évêque | 1 |
On peut ici évoquer aussi diverses autres œuvres classées dans d’autres thèmes mais en lien formel avec la religion :
- dans les scènes de genre érotiques, on trouve les 36 œuvres relatives à la Tentation de Saint Antoine (dont 25 Saint Antoine, 12 tentatrices et 15 Diables) et les 2 évêques de l’Éternel féminin;
- dans d’autres scènes de genre que l’on examinera au chapitre suivant figurent 1 cardinal, 2 cimetières et 3 monuments funéraires ;
- dans les portraits examinés au chapitre précédent, on trouve ceux de saint Jean-Baptiste, de saint Georges, d’une Vierge folle, du diable et d’un ange.
L’approche de Cezanne demeure donc essentiellement classique en matière de religion, avec la représentation de scènes fréquemment illustrées en peinture et parfaitement connues dès le catéchisme par les enfants du XIXe siècle, scènes qu’il se contente le plus souvent de recopier. Les défis formels dépassent de beaucoup l’intérêt pour le sujet lui-même, mais ici aussi, la fréquence des œuvres concernées montre bien l’imprégnation personnelle de Cezanne par la mentalité commune de son époque.
5. La Littérature
Ce domaine reste mineur, avec une trentaine d’œuvres, la moitié étant couverte par deux séries : 10 dessins sur la Charogne de Baudelaire et 5 œuvres relatives à Don Quichotte. 5 seulement sont des copies : c’est dire qu’ici l’imagination domine (d’autant que sont représentés 109 personnages en tout) :
Sujets | Nombre d’œuvres |
Baudelaire (Charogne) | 10 |
Don Quichotte | 5 |
Hamlet | 3 |
Molière (Tartuffe) | 3 |
La Fontaine (Voleurs et âne) | 2 |
Jeune homme aux rats | 2 |
Dante | 2 |
Cicéron (cf. Antiquité) | 1 |
Récit romantique | 1 |
Chevaliers | 1 |
On peut évidemment élargir le domaine en y incluant les 36 Tentation de Saint Antoine (classées dans les scènes de genre érotiques) si on les considère nées de la lecture de Flaubert, ce qui n’a rien d’évident, compte tenu de la fréquence considérable de ce thème dans l’histoire de la peinture, dont Cezanne a également pu s’inspirer directement.
6. L’Orientalisme
On citera ici pour mémoire la dizaine de dessins incluant des Orientaux, signe très affaibli de la vogue de l’Orientalisme qui sévit au XIXe depuis Delacroix.
CONCLUSION
Ce parcours à travers les références culturelles de Cezanne frappe d’abord par leur étendue et leur variété, mais à l’intérieur de domaines finalement très courants à son époque : la culture classique et la culture religieuse, que Cezanne a donc parfaitement intégrées. C’est pourquoi il en use comme de réservoirs de sujets familiers servant souvent de purs prétextes pour exercer son sens de l’observation. Pratiquement rien dans son œuvre qui relève des grands mouvements d’idées ayant agité le XIXe siècle ou des théories esthétiques à la mode. Cezanne ne s’y intéresse manifestement pas, au grand dam de son ami Zola.
Ceci est d’autant plus vrai quand on considère :
- que les œuvres liées au domaine de la culture sont pour la plupart des copies (et parfois opiniâtrement répétées au travers de séries) et non des œuvres d’imagination, lesquelles témoigneraient d’une approche plus personnelle, d’une élaboration mentale à partir des données héritées de la tradition. Ceci reste relativement rare ;
- que la multiplication des copies manifeste le souci de maîtriser toujours plus sa technique plutôt que l’intérêt intrinsèque pour la signification culturelle du sujet observé ;
- que les œuvres d‘imagination disparaissent pratiquement après 1882, le thème des personnages liés au monde de la culture ne subsistant qu’à travers quelques copies de statues après 1888 lorsque Cezanne séjourne à Paris où il retrouve le Louvre et le musée du Trocadéro.
De plus en plus maître au fil du temps de sa technique et des sujets qui l’intéressent réellement (paysages, portraits, natures mortes, baigneurs), Cezanne abandonne peu à peu les thèmes tirés de la culture classique et consacrés par la tradition. Son originalité se concentre ainsi sur les techniques et les expérimentations qui lui sont propres, et c’est son expérience personnelle de peintre et de dessinateur qui lui servira toujours plus de référence et de pierre de touche, loin de toute école ou de théorie « moderne » exprimant la culture de son temps.
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Références
↑1 | Cf. fig. 1 chapitre IV. |
---|---|
↑2 | Cf Fig. 3 chapitre IV. |
↑3 | Une exception cependant pour Cezanne : les toiles et aquarelles de scènes de genre et de baigneurs et baigneuses – exception fort limitée au demeurant en ce qui concerne ces derniers, puisque ce thème imaginaire s’ancre d’abord dans la réalité vécue par Cezanne et ses amis dans sa jeunesse au bord de l’Arc, et que le travail d’imagination ne porte pas sur la variété des situations mais seulement sur la disposition des personnages dans une situation unique et d’ailleurs banale. En outre, ici aussi, le nombre de dessins l’emporte assez largement sur les toiles et aquarelles traitant ce thème (191 dessins pour 47 aquarelles et 94 toiles). Il en est de même pour les scènes de genre, qui comportent 385 dessins pour 99 toiles et 49 aquarelles. Cf. fig. 2 chapitre IV. |