R738 – Nature morte à la cruche, vers 1893 (FWN846)

Pavel Machotka

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Nature morte à la cruche, vers 1893
53 x 71 cm
R738 – FWN846

Nature morte à la cruche est allée jusqu’à un point idéal pour avoir un aperçu de la pensée de Cézanne. Son geste est rapide et souple, les contours esquissés sans hésiter à la peinture liquide, sont redoublés de temps à autre pour maintenir leur placement imprécis pendant qu’il travaille, et corrigés par l’ajout de nouveaux traits au lieu d’effacer les premiers[1]. Tous les tons locaux sont indiqués – il y en a trois : un vert sourd, une rangée de bruns rougeâtres, et un blanc bleuté – ainsi qu’une partie du modelé. Les fruits qui en chevauchent d’autres sont finis au sommet, ce qui les situe en relation les uns aux autres précisément (et, qu’on se le dise, c’est un exemple de la pensée qui le conduira aux taches de ses derniers paysages). Le pichet – un pachyderme dans un salon – est déjà le point central ; il incorpore déjà les vert gris, les bleus, et les bruns rougeâtres du reste de la nature morte, et déjà il se trouve fermement niché dans le fond.

Mais la grande valeur de l’esquisse tient à ce qu’elle donne à voir des plans de Cézanne pour la composition. Il est clair que le pichet allait être restreint en étant placé devant un tissu foncé, et l’assiette au centre allait avoir son bord le plus proche aplati ; des mouvements en diagonale douce allaient être instaurés par l’orientation de la nappe dans une direction et le couteau dans l’autre, ainsi qu’une ligne ajoutée à la toile de fond, près du sommet du pichet, parallèlement au couteau. Certaines formes ne sont pas nettes, comme la forme ovale en bas à gauche et celle triangulaire sous le petit pain ; l’une semble trembler trop pour devenir une assiette et l’autre, trop vague pour quoi que ce soit de particulier. Il est clair également que toutes les lignes n’auraient pas gardé leur importance présente. Par exemple, la ligne diagonale, qui ressemble à un pli de la toile de fond, à droite du pichet, aurait dû être soutenue ailleurs sur la toile ou supprimée, son intention étant vague dans l’état actuel du tableau.

Tout cela dit, le tableau est composé sans hésitation et les touches qui en dessinent les formes sont fermes ; les couleurs, surtout, s’équilibrent déjà et le ton gris du pichet est soigneusement élaboré. Le point de départ de Cézanne ici diffère entièrement de celui de Nature morte où les formes étaient concentrées au centre et achevées ; ici, ce sont les relations dans la distance, traversant toute la toile, que Cézanne a décidé d’élaborer dès le début. On pense généralement que c’était son procédé le plus typique, et il semble certainement approprié pour une grande composition formelle – pour ne pas dire provocant.

 

Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.

[1] Le Bail a observé Cézanne commencer un tableau précisément de cette manière. « Il dessinait au pinceau avec l’outremer dilué dans de l’essence de térébentine, mettant en place avec fougue, sans hésitation. » Voir Rewald, Cézanne et Zola, p. 170.