R935 – Nature morte, rideau à fleurs et fruits, 1804-1906 (FWN885)
Pavel Machotka
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Aucun tableau tardif de Cézanne n’offre une disposition aussi puissante, aussi peu inhibée et une intersection de diagonales aussi agressive que la nature morte, Nature morte : rideau à fleurs et fruits. Ici nous ne voyons que peu d’espace solide et d’objets palpables, et nous expérimentons l’absence du soutien que procurent de bonnes tables et des murs. Le rideau et le tapis s’écoulent en une seule forme : sur la gauche leurs bords sont presque devenus un seul, et elles sont vues de face, avec presque aucune indication sur l’endroit où les surfaces verticales se changent en horizontales. Elles ont été rendues plates ; on voit leur dessein comme une géométrie plutôt que comme des fibres tissées palpables, et le tableau comme un motif abstrait et non une vue d’objets existants. Bien que le bord droit de la table nous mène à nouveau dans un espace, l’assiette fortement inclinée – qui a l’air encore plus inclinée quand on la compare au bord de la table – fait rebasculer la surface apparente du tapis vers la verticale. L’assiette de fruits est certainement censée nous procurer un répit au sein de la turbulence : des lignes à partir de l’assiette mènent verticalement à travers le verre de vin au pli du rideau, et longent horizontalement le bord de la table, où l’assiette est soutenue visuellement par le motif du tapis du dessous. Ensemble ces objets nous donnent une série de coordonnées normales, mais quoique ces objets soient d’une grande aide et que sans eux le tableau irait de guingois, pour autant ils ne contrôlent qu’une partie de la tourmente. Le tableau reste un assemblage tendu de triangles et de parallélépipèdes, ou pour le dire mieux, une arène de conflits non résolus entre un espace vertigineux et quelques fruits bien installés. Et c’est une toile aux contours incisifs, aux touches sans compromissions, aux couleurs saturées et aux contrastes francs.
Source: Machotka, Cézanne: La Sensation à l’oeuvre.