R618 – Mardi gras, 1888 (FWN668)
Pavel Machotka
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Un tableau dans lequel Cézanne réunit deux personnages costumés, associés dans une relation physique qui trouve sa nécessité dans les costumes, s’avère une affirmation bien plus formelle qu’un simple portrait ne le serait. Le Mardi Gras monumental de 1888 réunit Cézanne fils et Louis Guillaume, en Arlequin et Pierrot, pas seulement comme des acteurs sur une scène mais en tant qu’eux-mêmes. Le tableau fut soigneusement préparé par des esquisses exécutées minutieusement ; et si à première vue le résultat final semble plutôt raide, à y regarder de plus près, il est riche en résonances et sa surface est animée. Je dois avouer qu’avant d’être devant le tableau, j’étais incapable de voir ces détails ; parce qu’il est grand, les détails de sa surface se perdent dans les reproductions, ce qui interdit le « regard au plus près » ; mais les résonances apparaissent immédiatement quand on voit l’original. Dans la reproduction, la tunique blanche du costume de Pierrot semble terne, par exemple, au mieux bien exécutée, alors que dans l’original elle est composée de touches subtiles d’imperceptibles rouges, bleu gris, jaune brun et de verts – chacune de ces couleurs étant la version pâle de quelque autre ton du tableau et servant à faire du tissu blanc une partie inséparable du tout. La draperie de l’arrière-plan, que nous retrouvons aussi dans quelques natures mortes, est d’un olive sourd, une teinte réconfortante et stabilisante face au heurt des rouges et des noir bleu. Les risques afférents à ce choc de couleurs sont encore plus visibles dans le tableau lui-même ; le rouge pur est une couleur très difficile à intégrer à une composition, et encore plus difficile à opposer au bleu.
Le motif de losange dans le costume d’Arlequin est aussi en lui-même risqué, mais d’une façon différente ; il est répétitif et décoratif, pas aisément intégrable à une plus grande structure. Cézanne est allé aussi loin que possible : il a créé un cadre large enfermant les losanges avec le bâton blanc d’Arlequin et la forme blanche de Pierrot, et de cette façon, il contrôle leur impact ; et parce qu’ils s’inclinent vers l’arrière avec le buste d’Arlequin, ils prennent part au mouvement de poussée et de résistance des deux figures. La poussée de Pierrot et la réticence d’Arlequin s’équilibrent, bien sûr, mais il y a deux autres forces que l’on peut sentir en jeu : une ligne qui s’étend du pli dans la draperie au-dessus de la tête de Pierrot et traverse la tunique jusqu’au bas de la jambe de pantalon parallèle à l’inclinaison d’Arlequin, ainsi qu’une série de lignes qui exercent une poussée vers le coin inférieur droit – le bas de la manche de Pierrot, sa poche, le bas de sa tunique, et trois des quatre pieds – ; elles nous donnent le sentiment du mouvement en avant des figures. Si l’équilibre de toutes ces forces semble trop soigneusement pesé, on peut trouver en certain allègement dans les plis impulsifs de la draperie et les complexités de son motif irrégulier.
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A painting in which Cézanne brings together two costumed figures, in some physical relation that needs to be tied to the costumes, easily becomes a much more formal statement than a mere portrait would be. The monumental Mardi Gras of 1888 brings together Cézanne fils and Louis Guillaume, as Harlequin and Pierrot, not only as actors in a scene but as themselves. The painting was carefully prepared from sketches and executed painstakingly; and if at first sight the final result seems stiff, on closer look it is rich in resonances and alive in its surface. I must confess that until I had seen it in the flesh, I was unable to see this; because it is large, the details of its surface become lost in reproductions, and the “closer look” is impossible; but the resonances become immediately apparent when one faces the original. In the reproduction the white tunic of Pierrot’s costume seems dull, for example, at best workmanlike, while in the original it is composed of subtle touches of faint reds, grey-blues, brown-yellows, and greens—each of these colors being a pale version of some other color in the painting and serving to make the white fabric an inseparable part of the whole. The background drapery, which we shall soon see in some of the still lifes, is a dull olive, a comforting and solid hue in the clash of reds and blue-blacks. And even the risks in that clash of colors are more clearly visible in the painting itself; pure red is a most difficult color to integrate into a composition, and an even more difficult one to oppose to blue.
The diamond pattern in Harlequin’s costume is itself risky as well, but in a different way; it is repetitive and decorative, not easily subject to integrating into a larger structure. Cézanne has gone as far as one can: he has made a broad enclosing frame for the diamonds with Harlequin’s white stick and Pierrot’s white shape, and in this way contained their impact; and because they lean backward with Harlequin’s torso, they become part of the movement of push and resistance between the two figures. Pierrot’s push and Harlequin’s reluctance are in balance, of course, but there are two other forces that we can feel here: a line that extends from the fold in the drapery above Pierrot’s head down through the tunic and the bottom of the pant leg, which parallels Harlequin’s slant, and a series of lines that push toward the lower right corner—the bottom of Pierrot’s sleeve, his pocket, the bottom of the tunic, and three of the four feet—that give us a sense of the figures’ movement forward. If the balance of all these forces seems too carefully weighed, we can find relief in the impulsive swish of the drapery and the intricacies of its irregular pattern.
Source: Machotka, Cézanne: the Eye and the Mind.
Dessins préparatoires :
Le thème du carnaval donne lieu à deux autres séries d’oeuvres :
Pour mémoire : le rideau utilisé dans Mardi Gras et dans Madame Cezanne au fauteuil jaune :