Colloque international : « Peut-on parler d’une amitié créative entre Cezanne et Zola? »
La correspondance entre Cezanne et Zola : l’artiste et l’écrivain
Ai TAKAHASHI (Université Hosei, Tokyo)
Docteur ès lettres, Maître de conférences à l’université Hosei de Tokyo, est spécialisée en littérature française du XIXesiècle. Elle travaille particulièrement sur l’œuvre d’Émile Zola et est coauteur du Dictionnaire de la littérature française et des Correspondances publiés en 2020 aux Éditions Asahi (Tokyo). Elle vient de traduire intégralement en japonais avec Noriko Yoshida, les Lettres croisées 1858-1887 de Paul Cézanne et d’Émile Zola (édition établie, présentée et annotée par Henri Mitterand, Gallimard, 2016) (Presses Universitaires de Hosei, Tokyo, 2019).
Certaines lettres célèbres ont fréquemment été citées pour illustrer l’amitié entre Cezanne et Zola. Dans l’une de ces lettres, datée du 25 mars 1860, Zola raconte l’un de ses rêves à Cezanne : « J’avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettres d’or brillaient, unis sur le premier feuillet, et, dans cette fraternité du génie, passaient inséparables à la postérité[1]Paul Cezanne, Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, 2016, p. 133.. » Ce rêve ne s’est jamais réalisé, mais le nom du peintre et celui de l’écrivain figurent désormais côte à côte sur la couverture des Lettres croisées 1858-1887, correspondance éditée par Henri Mitterand et publiée en 2016 chez Gallimard. Ce recueil de 115 lettres[2]Pour les détails sur le corpus de cette correspondance : Alain Pagès, « Les sanglots de Cezanne » in Impressionnisme et littérature, dir. Gérard Gingembre, Rouen/Le Havre, Presses universitaires de Rouen et Le Havre, 2012, pp. 69-70. ―Repris dans Actualités cézanniennes, Société Paul Cezanne, 11 avril 2014., qui inclut la lettre de Cezanne en date du 28 novembre 1887, présente le caractère marqué d’un dialogue entre les deux hommes. Il permet au lecteur de comprendre le rôle qu’ont joué ces deux amis l’un pour l’autre pendant trente ans, ainsi que l’importance des mots choisis pour le maintien de leurs relations et le sens conféré à ces derniers. Dans cet article, nous étudierons à partir de ces différents aspects les relations existant entre Cezanne et Zola du point de vue de la création, notamment à travers leur correspondance.
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Les lettres de jeunesse : de la correspondance à l’ œuvre
Dans leur jeunesse, Cezanne et Zola s’écrivent de longues lettres, témoignage de leur amitié profonde, où ils échangent des nouvelles de leurs amis communs comme Louis Marguery et Jean-Baptiste Chaillan, tout en mentionnant ce qui les différencie de ces derniers. Certains poèmes de Cezanne à Zola reflètent les sentiments complexes qui l’habitent. Dans le poème joint à la lettre du 9 avril 1858, lorsque « je » adresse des propos galants à une charmante jeune fille rencontrée dans les bois et se livre à des actes licencieux à son égard, il se voit finalement déclarer par la même jeune fille qu’il pensait docile « Pourquoi vous arrêtez-vous ! », ce qui le fait reculer. Si John Rewald nous facilite la compréhension en remplaçant la fin de la phrase par un point d’interrogation[3]Paul Cezanne, Correspondance, éd. John Rewald, nouvelle édition révisée et augmentée, Paris, Bernard Grasset, 1978, p. 25., c’est un point d’exclamation que Cezanne avait utilisé dans sa lettre[4]Lettre de Cezanne à Zola, 9 avril 1858. Manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote N.a.f. 24516, fo 493., point d’exclamation qui nous laisse imaginer le Cezanne de 19 ans venant d’écrire son texte d’une traite, et suggère le ton impérieux très différent d’une question ainsi que la volte-face de la fragile jeune fille qui y est dépeinte. Dans « Une terrible histoire », poème du 29 décembre 1859 qui trahit l’influence des « Djinns » de Victor Hugo[5]Voir sur ce point la note 1 d’Henri Mitterand dans Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 116., la dualité de la femme apparaît clairement lorsque la beauté aux cheveux d’or se transforme, dans les bras du narrateur, en pâle cadavre décharné, et que le plaisir fait place à l’horreur[6]Cezanne écrit : « La femme dans mes bras, la femme au teint de rose disparaît tout à coup et se métamorphose en un pâle cadavre aux contours anguleux ; ses os s’entrechoquaient, ses yeux éteints sont creux…Il m’étreignait, horreur ! » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 115).. Dans « Le songe d’Annibal » qui accompagne la lettre du 17 novembre 1858[7]Dans les recueils de correspondance, cette lettre était datée du 23 novembre 1858, mais le manuscrit autographe de Cezanne indique la date du 17 novembre 1858., Annibal, noyé dans l’ivresse, se fait tirer les oreilles par son père Amilcar[8]« il [Amilcar] arrive et saisit Annibal par l’oreille […] » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 90)., ce qui fait penser aux relations de Cezanne et de son père. Dans la correspondance des années 1850, Cezanne, qui a gagné un interlocuteur en la personne de Zola, exprime ses angoisses et ses désirs à travers l’écriture[9]Voir Jean Arrouye, La Provence de Cezanne, Aix-en-Provence, Édisud, 1982, pp. 103-106 ; Denis Coutagne et al., Cezanne. Paris-Provence, cat. exp., Tokyo, The National Art Center, 2012, pp. 207-209, 213-214.. Il choisit des sujets narratifs pour faire part de son monde à son confident privilégié, ce qui stimule son activité créatrice. On retrouve, dans les œuvres des années 1860 de Cezanne et de Zola, des éléments communs tels que le sexe, la violence et la mort[10]Haruo Asano, Cezanne et son temps (en japonais), Tokyo, Toshindo, 2000, pp. 98-108.. La correspondance des années 1850 constitue une étape préparatoire aux œuvres de jeunesse des deux hommes, qui y partagent leur univers et y développent leur créativité. Le dialogue qu’ils entretiennent dans les lettres stimule leur inspiration et affine leurs projets respectifs
Jean-Claude Lebensztejn, qui analyse le rêve chez Cezanne, établit le rapport entre la correspondance et les tableaux du peintre. En se penchant sur « Une terrible histoire » par exemple, il explique : « En tout cela se révèle un esprit de blague mais sérieuse, sardonique, un esprit qui colore également une bonne partie de ses toiles de jeunesse, où l’on retrouve les obsessions de ses lettres : soit sous forme de rêves sexuels, soit sous forme de rêves macabres, parfois associant les deux dans des représentations violentes[11]Jean-Claude Lebensztejn, « Cezanne – comme dans un rêve » in Recherche et méthode : Analyses de l’histoire de l’art français moderne, contemporain – de la Philologie, l’administration muséale au-delà de la Psychanalyse, la “théorie du genre”(en japonais), dir. Takanori Nagaï, Kyoto, éd. Koyoshobo, 2014, p. 4.. » Il est intéressant de noter que ce rapport ne repose pas uniquement sur la jeunesse du peintre. Dans le poème cézanien, écrit à Zola en juillet 1859, le corps désiré s’assimile au paysage brumeux. Cette association aura chez le peintre à venir « une portée inattendue ». Comme le montreront « les centaines de baigneurs et de baigneuses venus du souvenir et de la fantaisie de Cezanne », ce qui s’évanouira chez le vieux peintre, ce sera « l’opposition tranchée du rêve et de la réalité »[12]Ibid., pp.1-3, 10-11..
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Les discussions sur « l’idée et la forme » et la présence du public
La lettre de Zola à Cezanne du 26 avril 1860 est essentielle car elle traduit l’importance d’un débat sur l’art et témoigne notamment de leurs fréquentes discussions sur les questions d’idée, de sujet et de forme. Dans ces pages, « les plus sérieuses que j’aie écrites de ma vie[13]Zola écrit à Cezanne en ces termes : « Voilà cinq pages, les plus sérieuses que j’aie écrites de ma vie » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 145). », Zola déclare : « Songe à l’art, à l’art sublime ; ne considère pas que la forme, parce que la forme seule, c’est la peinture de commerce ; considère l’idée, fais de beaux rêves ; la forme viendra avec le travail et tout ce que tu feras sera beau, sera grand[14]Ibid., pp. 144-145.. »Après avoir insisté sur le postulat selon lequel « il faut mettre l’idée avant la forme[15]Zola écrivant à Cezanne insiste sur ce point : « Tu dois mettre l’idée avant elle [la forme] » (ibid., p. 143). », l’écrivain s’explique, révélant l’attention qu’il porte également au destinataire de l’œuvre : « Loin de moi la pensée de mépriser la forme. Ce serait sottise ; car sans la forme on peut être grand peintre pour soi, mais non pour les autres[16]Idem.. » Comme en témoigne sa lettre du 4 avril 1867 à Antony Valabrègue[17]Zola s’explique à Antony Valabrègue : « Il ne m’est pas permis comme à vous de m’endormir, de m’enfermer dans une tour d’ivoire, sous prétexte que la foule est sotte. J’ai besoin de la foule » (Émile Zola, Correspondance, éd. B. H. Bakker et Henri Mitterand, Presses de l’Université de Montréal et Éditions du Centre Nationale de la Recherche Scientifique, 1978-2010, I, p. 485). , sa pensée évolue par la suite vers l’idée que l’écrivain, pour acquérir un statut et une autonomie, doit se faire de nombreux lecteurs. La position de Zola sur les relations entre l’œuvre et son destinataire apparaît au grand jour dans Mon Salon (1866), ainsi que dans le troisième chapitre intitulé « Le public » d’Édouard Manet, étude biographique et critique[18]« Une nouvelle manière en peinture : Édouard Manet », paru dans La Revue du XIXe siècle du 1er janvier 1867. En mai de la même année, ce texte est publié sous forme de livret, Édouard Manet, étude biographique et critique, et vendu lors de l’exposition personnelle de Manet., texte publié en 1867[19]Noriko Yoshida souligne que Zola et Manet considéraient la pratique artistique comme un « combat » et partageaient l’idée de demander le soutien du « public ». Noriko Yoshida, « Édouard Manet et le Naturalisme – La peinture moderne française vue à travers les écrits sur l’art et les romans de Zola » (en japonais) in Recherche et méthode : Analyses de l’histoire de l’art français moderne, contemporain – de la Philologie, l’administration muséale au-delà de la Psychanalyse, la“théorie du genre”, op. cit., p. 92..
Zola, qui s’attire un public mais aussi des critiques venues de fronts divers, acquiert un nom en tant qu’écrivain en 1877 avec L’Assommoir. En avril 1878, alors que les ventes de l’ouvrage atteignent 50 000 exemplaires, Cezanne informe Zola que Joseph Gibert, professeur d’art à Aix-en-Provence, a lu ce roman, et écrit : « À propos de L’Assommoir dont d’ailleurs il [Joseph Gibert] a été le premier à me parler, il a dit des choses très sensées et laudatives, mais toujours au point de vue du faire[20]Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 347. ! » (14 avril 1878). Selon Henri Mitterand, le Gibert dont il est question ici ne serait autre que celui que Zola désigne dans sa lettre à Cezanne du 16 avril 1860 comme un bon maître pour apprendre aux élèves uniquement le métier[21]Zola parle à Cezanne du professeur d’art à Aix-en-Provence en ces termes : « X*** est un bon maître pour t’apprendre le métier ; mais je doute que tu puisses apprendre autre chose dans ses tableaux » (ibid., p. 141). Henri Mitterand voit en X*** la personne de Joseph Gibert (1808-1884). À ce propos, nous signalons que la parole de Cezanne prononcée plus tard suggère les idées développées dans la lettre zolienne du 16 avril 1860 : « On doit apprendre son métier. Seulement, on doit l’apprendre ici, par soi-même, dans la fréquentation des maîtres. […] Quel que soit celui que vous préférez, ce ne doit être pour vous qu’une orientation. Sans cela, vous ne seriez qu’un pasticheur » (Conversations avec Cezanne, édition de P. -M. Doran, Paris, Éditions Macula, 1978, pp. 134-135)., personnage qui alimenta le débat des deux hommes sur « l’idée et la forme ». Cezanne, en citant ce maître dans son propos sur L’Assommoir, se souvient sans doute de la discussion qu’il a échangée avec Zola sur la création artistique dix-huit ans auparavant. Le lecteur Gibert, en parlant de L’Assommoir, incarne le type de personne qui est incapable de s’exprimer sur la moindre « idée » contenue dans l’œuvre, et montre ainsi la difficulté pour l’artiste de conduire le public, à travers son « art », jusqu’à l’« idée ». Vers la même période, Cezanne écrit à Zola : « Ce n’est pas à moi à faire l’éloge de ton livre, car tu peux répondre comme Courbet que l’artiste conscient s’adresse des éloges autrement justes que ceux qui lui viennent du dehors[22]Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 348. Gustave Courbet, qui a refusé la Légion d’honneur, écrit dans la lettre qu’il adresse le 23 juin 1870 à Maurice Richard, ministre des Lettres, Sciences et Beaux-Arts : « L’honneur n’est ni dans un titre, ni dans un ruban : il est dans les actes, et dans le mobile des actes. » », dévoilant ainsi sa préoccupation pour la reconnaissance publique. La correspondance permet aux deux hommes d’affiner leurs réflexions sur l’art et sa réception.
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En face de Zola romancier : Cezanne lecteur des Rougon-Macquart
Les missives échangées apportent aux deux épistoliers un soutien mutuel. Cezanne, glanant alors de nombreuses informations dans les journaux et les magazines qu’il parcourt, devient en quelque sorte le compagnon de route de son ami romancier. Le 1er juin 1878, il écrit par exemple à Zola que « L’Égalité de Marseille le donne [L’Assommoir] en feuilleton[23]Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 352. », et le 4 novembre de la même année : « Je viens de voir dans Le Petit Journal qu’on va jouer L’Assommoir[24]Ibid., p. 362.. » En octobre 1879, il va voir la pièce adaptée du roman de Zola, et exprime par une formule originale[25]Cezanne écrit à Zola en ces termes : « La forme littéraire ne doit pas être nécessaire avec eux [les acteurs] » (ibid., p. 373). le fait que les acteurs ont réussi à sublimer l’idée de l’œuvre dans une interprétation remarquable.
Mais la correspondance des deux hommes ne se résume pas uniquement à du soutien. Une lettre de Cezanne écrite pendant l’hiver 1878 renvoie à l’œuvre de Zola. Il s’agit de la partie où il évoque la misère d’Achille Emperaire et demande à Zola son aide.
Mon cher Émile, Hortense étant allée à Aix a vu Achille Emperaire. Sa famille se trouve dans une position des plus pénibles, trois enfants, l’hiver, pas d’argent, etc., tu vois ça d’ici. […] Si tu peux donc quelque chose pour lui, veuille le faire, tu sais combien il le mérite, étant très brave homme, et subissant l’écrasement des êtres[26]Souligné par nous. et l’abandon de tous les habiles[27]Lettre de Cezanne à Zola, fin 1878 (ou début 1879). N.a.f. 24516, fo 530. .
Cette teneur, qui témoigne des liens entre Cezanne et Emperaire, fait penser à la scène hivernale du quartier de la Goutte d’Or au chapitre 10 de L’Assommoir.
Ce gredin de décembre entrait chez eux par-dessous la porte, et il apportait tous les maux […]. Et ce qui leur cassait les jambes [aux Coupeau], ce qui les exterminait, c’était par-dessus tout de payer leur terme. […] Un vrai jour du jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l’écrasement du pauvre monde[28]Souligné par nous.. […] Par moments, des danses s’élevaient, des larmes de femmes, des plaintes de mioches affamés, des familles qui se mangeaient pour tromper leur estomac. […] Elle [Gervaise] en gardait un poids sur le cœur, de le savoir [le père Bru] continuellement là, de l’autre côté du corridor, abandonné de Dieu et des hommes […] [29]Émile Zola, L’Assommoir, in Les Rougon-Macquart, édition publiée sous la direction d’Armand Lanoux et établie par Henri Mitterand, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960-1967, II, pp. 683-686..
La situation d’Emperaire et de sa famille, dont Cezanne parle dans sa lettre, se superpose ainsi à celle de plusieurs personnages de L’Assommoir. Le manuscrit autographe de cette lettre fait d’ailleurs apparaître que Cezanne avait d’abord écrit « subissant les coups » avant de barrer « les coups » et de remplacer ce terme par « l’écrasement »[30]Lettre de Cezanne à Zola, fin 1878 (ou début 1879). N.a.f. 24516, fo 530.. Cette modification semble démontrer que le peintre s’est inspiré du texte de L’Assommoir, « l’écrasement du pauvre monde ». Il est rare que Cezanne fasse allusion à un aspect social dans sa correspondance. En évoquant l’univers romanesque de Zola et en mettant en relief son universalité, Cezanne exprime sa solidarité avec l’artiste d’Aix-en-Provence et donne davantage de force à la requête qu’il adresse à « l’écrivain social ». Cet exemple témoigne de l’intelligence de Cezanne qui, en montrant clairement à Zola qu’il a bien saisi l’essence du roman, peut lui faire part de sa demande de manière plus convaincante. Une connivence et une compréhension mutuelle s’installent entre les deux hommes.
Comme beaucoup d’écrivains de l’époque, Zola se chargeait lui-même de la distribution de ses romans, et il continuait de les publier dans les journaux, un média essentiel pour entrer en contact avec les lecteurs. Il sentait toutefois un décalage entre la forme du roman long et le rythme imposé par la publication en feuilleton dans les quotidiens. Dans une lettre du 24 mai 1876 adressée à Ludovic Halévy, il explique la raison pour laquelle il apporte autant de corrections et d’ajouts à la version feuilleton, qu’il considère comme une ébauche, avant de publier ses romans en volume : « Je n’ai qu’un regret, c’est d’apprendre que vous lisez L’Assommoir en feuilleton. Vous ne sauriez croire combien je trouve mon roman laid sous cette forme. On me coupe tous mes effets, on m’éreinte ma prose en enlevant des phrases et en pratiquant des alinéas. Enfin, j’ai le cœur si navré par ce genre de publication, que je ne revois pas même les épreuves. Si j’osais, avant de publier un feuilleton, je mettrais une annonce ainsi conçue : “ Mes amis littéraires sont priés d’attendre le volume pour lire cette œuvre ”[31]Émile Zola, Correspondance, II, 1980, p. 456. ». Il exprime ainsi clairement sa position selon laquelle la publication en volume est extrêmement importante pour connaître la vraie valeur littéraire d’une œuvre[32]Voir sur cette question Akiko Miyagawa, « Succès de librairie et succès littéraire : À propos des publications de L’Assommoir (1876-1877) de Zola » (en japonais), Bulletin of the Research Center for the Technique of Representation (Université de Hiroshima), n°12, 2017, pp. 1-16..
Observée sous cet aspect, la correspondance entre Cezanne et Zola montre que le peintre était parfaitement conscient de la situation de l’écrivain et tentait d’apprécier ses efforts à leur juste valeur. Dans sa lettre du 28 mars 1878 par exemple, il interroge Zola : « Est-ce que Une page d’amour est en volume[33]Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 345. Publié sous forme de feuilleton dans Le Bien Public du 11 décembre 1877 au 4 avril 1878, Une page d’amour sort en volume le 20 avril 1878 chez Charpentier. ? » Si l’on en juge par la date, cette question indique que Cezanne savait que Zola procédait de front à la publication en feuilleton et à la révision du texte pour l’édition en volume, et que la publication d’Une page d’amour dans Le Bien Public, prendrait fin le 4 avril. Cezanne, qui a reçu de Zola un exemplaire du roman après sa sortie en volume le 20 avril, écrit cette lettre à l’écrivain le 8 mai après en avoir terminé la lecture :
Je viens de terminer Une page d’amour. Tu avais bien raison de me dire qu’on ne pouvait pas le lire en feuilletons. ― Je n’avais nullement aperçu la liaison, ça paraissait haché, tandis qu’au contraire la conduite du roman est d’une habileté très grande. Il y a dedans un grand sentiment dramatique. ― Je n’avais pas vu non plus que l’action se passait dans un cadre restreint, condensé[34]L’histoire d’Une page d’amour se déroule principalement dans des habitations voisines entourant un jardin de la rue Vineuse, sur les hauteurs du Trocadéro dans le quartier de Passy. À l’époque, Passy, qui n’avait pas encore été rattaché à Paris, était situé dans une commune de banlieue.. ― Il est vraiment regrettable que les choses d’art ne soient pas plus goûtées et qu’il est [sic] nécessaire pour attirer le public d’un rehaut[35]Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 351..
Le début de cette citation montre que Zola avait répété à Cezanne les explications qu’il avait fournies à Halévy. Cezanne, qui a effectué une comparaison attentive du feuilleton et du volume, écrit une lettre sincère à Zola où il précise sa pensée sur la question de l’écrivain et du marché littéraire par rapport au livre devenu objet de consommation quotidienne, ainsi que sur la création et la réception du public[36]Cezanne ne cesse d’évoquer ce problème jusqu’à la fin de sa vie. Dans la lettre à Émile Bernard, datée du 21 septembre 1906, il écrit : « Vous m’excuserez de revenir sans cesse au même point, mais je crois au développement logique de ce que nous voyons et ressentons par l’étude sur nature, quitte à me préoccuper de procédés ensuite, les procédés n’étant pour nous que de simples moyens pour arriver à faire sentir au public ce que nous ressentons nous-même et à nous faire agréer » (Conversations avec Cezanne, op. cit., pp. 47-48).. Dans une autre lettre de la même période, Cezanne retrouve dans Une page d’amour « le tempérament ou [la] force créatrice » si importants aux deux hommes[37]« Il me semble que c’est un tableau d’une peinture plus douce que le précédent [L’Assommoir], mais le tempérament ou force créatrice est toujours la même » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., pp. 348-349). De même que Zola bien connu pour avoir défini l’« œuvre d’art » comme « un coin de la création vu à travers un tempérament », (« Proudon et Courbet » dans Le Salut Public, 26 juillet 1865), Cezanne accorde toujours de l’importance au tempérament., et écrit : « La marche de la passion chez les héros est d’une gradation très suivie. Cette observation que j’ai faite me semble juste aussi, que les lieux par leur peinture sont imprégnés de la passion qui agite les personnages, et, par là, font plus corps ensemble avec les acteurs, et sont moins désintéressés dans le tout. Ils semblent s’animer pour ainsi dire et participer aux souffrances des êtres vivants[38]Ibid., p. 349.. » Il souligne ainsi les liens entre l’héroïne qui regarde Paris par la fenêtre du même appartement et l’espace où se déroule leur vie. Il y a également une lettre où Cezanne presse Zola de lui parler de la situation artistique et littéraire à la capitale : « Je comprends que dans ce moment-ci tu dois être tout pris par ton nouveau volume, mais plus tard, quand tu le pourras, si tu veux me parler de la situation artistique et littéraire, tu me feras bien plaisir. Je serai par là plus éloigné encore de la province, et plus près de Paris » (mai 1878) [39]Ibid., p. 350. Au début de l’année 1878, Zola avait commencé son enquête sur le milieu des actrices et des prostituées de luxe. Il se consacre à la rédaction de l’Ebauche de Nana jusqu’en juillet 1878.. À partir de ces éléments, on peut penser que Cezanne était un remarquable lecteur et connaisseur des Rougon-Macquart, et qu’il comprenait exactement la position de Zola, qui avait fait de l’activité d’écrivain une profession et avait réussi à vivre de la littérature.
La question de l’autonomie du peintre se pose alors. Cezanne, qui dépend des envois d’argent de son père, consulte Zola à maintes reprises dans ses lettres à propos des conflits que cette situation engendre. En 1878, les tensions s’aggravent autour du problème d’Hortense et de son fils Paul, et dans une lettre datée du 28 mars de la même année, le peintre se justifie ainsi : « Je pense comme toi que je ne dois pas renoncer trop vivement à l’allocation paternelle[40]Ibid., p. 344.. » L’observation du manuscrit autographe de cette lettre montre que Cezanne avait d’abord écrit « je ne dois pas renoncer facilement à l’allocation paternelle. » avant de barrer « facilement » pour le remplacer par « trop vivement », ce qui traduit les hésitations du peintre qui semble se demander s’il ne devrait pas négocier la baisse du montant des envois avec son père[41]Lettre de Cezanne à Zola, 28 mars 1878. N.a.f. 24516, fo 514. . Cette même année, dans les lettres qu’il écrit à Zola, Cezanne modifie la manière dont il désigne son père à de nombreuses reprises, l’appelant tour à tour « père », mais également « bonhomme » (4 avril 1878), « papa » (14 septembre 1878) ou « l’autorité paternelle » (19 décembre 1878), ce qui révèle l’ambivalence de ses sentiments. À partir de mars 1878, Zola, conscient des difficultés du peintre, envoie soixante francs par mois à Hortense, décision qui montre que l’écrivain connaissait parfaitement les problèmes d’Hortense et de son fils Paul ainsi que le caractère de Cezanne, incapable de parler face à face avec son père[42]Le 19 juin 1880, Cezanne écrit à Zola « Je remercie Dieu d’avoir un père éternel », témoignant avec humour de sa gratitude pour ce père de 82 ans qui continue de lui envoyer de l’argent. Le père de Cezanne décèdera le 23 octobre 1886 à l’âge de 88 ans. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 381.) .
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Le « génie » chez Zola
Dans sa critique de 1880 intitulée « L’argent dans la littérature », Zola reconnu comme écrivain à succès des médias imprimés, salue, à travers la formule « L’œuvre naît de la foule et pour la foule », l’émergence au XIXe siècle de l’opinion publique et du principe de marché, grâce aux droits d’auteur[43]« L’argent dans la littérature » a paru dans Le Messager de l’Europe en mars 1880, puis dans Le Voltaire des 23, 24, 25, 26, 28, 29 et 30 juillet 1880. Émile Zola, Œuvres complètes, sous la direction d’Henri Mitterand, Paris, Tchou, « Cercle du Livre précieux », 1966-1970, X, p. 1277.. Dans cette critique littéraire, il célèbre le fait que « Des moyens nouveaux d’existence sont donnés à l’écrivain ; […] l’intelligence devient une noblesse, le travail se fait une dignité[44]Idem. . » S’il aborde également certains problèmes tels que l’apparition d’une classe de lecteurs ne lisant que les romans en feuilleton ou la nécessité pour l’écrivain de produire sans cesse de nouvelles œuvres, nous porterons ici notre attention sur ses propos concernant « le génie ».
On n’aide pas le génie à accoucher ; il accouche tout seul. […] Au début, tous partent du même pied, avec une égale foi et une égale ambition. Puis, tout de suite, des distances s’établissent […]. Mais il ne faut pas se prononcer encore. Enfin, le résultat s’affirme. […] Tant mieux d’ailleurs pour ceux qu’on fait attendre, car ils mûrissent. […] Travaillez, tout est là. Ne comptez que sur vous[45]Émile Zola, « L’argent dans la littérature », ibid., pp. 1281-1283..
Si Zola parle ici de jeunes écrivains, l’idée qu’il exprime sur le « génie » rejoint ce qu’il a écrit dans ses lettres à Cezanne des années 1860[46]Voir par exemple la lettre zolienne en date du 16 avril 1860. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 140.) . Cette idée coïncide également, du point de vue du sens, avec la formule de Taine « En fait de préceptes, on n’en a encore trouvé que deux ; le premier qui conseille de naître avec du génie, le second qui conseille de travailler beaucoup, afin de bien posséder votre art », formule que Zola a reprise dans son article de 1866 sur « M. Hippolyte Taine, artiste »[47]Dans cet article, Zola cite la formule de Taine en ces termes : « En fait de préceptes, on n’en a encore trouvé que deux ; le premier qui conseille de naître avec du génie : c’est l’affaire de vos parents, ce n’est pas la mienne ; le second qui conseille de travailler beaucoup, afin de bien posséder votre art : c’est votre affaire, ce n’est pas non plus la mienne » (Émile Zola, « M. H. Taine, artiste », publié le 15 février 1866 dans La Revue contemporaine et intitulé L’Esthétique professée à l’École des beaux-arts, Œuvres complètes, X, p. 145).. Cette position qu’il partage avec Taine restera inchangée pendant près de vingt ans. La même année que « L’argent dans la littérature », Zola publie « Le naturalisme au Salon ». Acceptant la demande de Cezanne[48]Voir la lettre du 10 mai 1880 de Cezanne à Zola. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., pp. 379-380.) , il prend la plume pour répondre au souhait de Renoir et de Monet[49]Par l’intermédiaire de Cezanne, Renoir et Monet demandaient à Zola de faire passer leur lettre au ministre des Beaux-Arts dans le Voltaire, en la faisant précéder ou suivre de quelques mots sur les manifestations antérieures du groupe impressionniste.. Dans le deuxième chapitre de cet article, Zola écrit à propos de l’impressionnisme, au sujet de la situation des peintres concernés : « Ce sont tous des précurseurs, l’homme de génie n’est pas né. […] On cherche en vain le chef-d’œuvre qui doit imposer la formule et faire courber toutes les têtes. Voilà pourquoi la lutte des impressionnistes n’a pas encore abouti. […] Ils sont dans la seule évolution possible, ils marchent à l’avenir[50]« Le naturalisme au Salon » a paru dans Le Voltaire en juin 1880. (Émile Zola, Écrits sur l’art, éd. Jean-Pierre Leduc-Adine, Paris, Gallimard, 1991, pp. 422-423.) Il est à noter que cet article rend surtout manifeste la position de Zola, qui attend des procédés nouveaux et des techniques propres à la peinture naturaliste, à l’étude d’après nature révélatrice de la vérité. Voir sur ce point Torahiko Terada, « L’Esthétique de la vérité selon Émile Zola » (en japonais), Interdisciplinary cultural studies (Université de Tokyo), no. 21, 2016, pp. 33-51.. » En voulant attendre la maturité de ces peintres, Zola fait preuve d’une position cohérente. Dans une lettre d’avril de la même année, Cezanne se désigne comme quelqu’un « en qui la maturité n’a pas précédé l’âge[51]Dans une lettre d’avril 1880 adressée à Zola, Cezanne se désigne comme « le Provençal en qui la maturité n’a pas précédé l’âge ». Cette expression est interprétée par Henri Mitterand de la façon suivante : « le Provençal qui n’a pas encore atteint la maturité qu’on attendrait de son âge » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 379). », formule qui mérite d’être notée pour illustrer le contexte dans lequel elle figure. Du surcroît, selon le témoignage de Joachim Gasquet, Cezanne parle du cheminement de l’artiste en ces termes, termes qui présentent une analogie avec ceux du romancier : « Avec un sentiment de la nature, quel qu’il soit, et quelques dons heureux, vous devez arriver à vous dégager ; les conseils, la méthode d’un autre ne doivent pas vous faire changer votre manière de sentir[52]Conversations avec Cezanne, op. cit., p. 135.. »
Les « artistes nés avec du génie » doivent travailler avec acharnement et persévérance afin de perfectionner leur art. –– À chaque période de sa vie, Zola a partagé cette conviction avec Cezanne et, tous deux ont adopté cette attitude. Le 20 mai 1883, il écrit au peintre : « Travailles-tu ? Es-tu content ? Moi, je me suis mis à un nouveau roman[53]Il s’agit de La Joie de vivre, roman publié en 1884.. C’est ma vie[54]Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 401.. » Cezanne, qui a été sélectionné au Salon de l’année précédente et vient tout juste d’assister aux obsèques de Manet, met un terme à son combat antérieur et entre dans une nouvelle phase de sa carrière de peintre. La « vie » dont parle Zola s’accompagne d’une souffrance sans fin liée à la création. Ce thème parcourt son roman de 1886, L’Œuvre, comme l’ont révélé de nombreuses études s’appuyant sur les ébauches de l’écrivain[55]Voir à ce propos Patrick Brady, « L’Œuvre » d’Émile Zola, roman sur les arts, Genève, Droz, 1968 ; Colette Becker, « Cezanne et Zola. Réalité et fiction romanesque », Quarante-huit/Quatorze (revue du Musée d’Orsay), no 2, 1990 ; Alain Pagès, « Les sanglots de Cezanne », op. cit., pp. 63-72. Nous renvoyons à l’ouvrage en japonais de Kosei Ogura, Zola et la France moderne (en particulier le chapitre 5, « L’Œuvre ou le martyre de l’artiste »), Tokyo, éd. Hakusuisha, 2017 et à l’article de Miyuki Terashima, « Claude et Sandoz, les deux Zola –– Les confessions de l’artiste dans L’Œuvre » (en japonais) in Revue de langue et littérature françaises, Société de Langue et Littérature Françaises de l’Université de Tokyo, n° 36, 2008, pp. 95-118. Lors du colloque « Zola et moi… » organisé en 2016 à Aix-en-Provence et auquel l’auteur de cet article a assisté, Henri Mitterand dans « Une fraternité d’artistes : les lettres croisées de Cezanne et de Zola » et Alain Pagès dans « Zola, Cezanne et Paul Alexis » ont proposé des pistes extrêmement intéressantes sur les questions soulevées par L’Œuvre.. La lettre de Cezanne à Zola en date du 28 novembre 1887 confirme que Zola, qui considérait l’écriture et la publication de romans comme la preuve de son travail, a continué en 1887 à envoyer ses œuvres au peintre.
Ces faits ne cessent de nous renvoyer à la devise employée par Cezanne et Zola dans les années 1860 : unguibus et rostro[56]Voir les deux lettres de Zola à Cezanne (25 mars et 25 juin 1860).. Le jeune romancier d’alors n’a pas omis non plus d’écrire à son ami : « dans l’artiste il y a deux hommes, le poète et l’ouvrier. On naît poète, on devient ouvrier. Et toi qui as l’étincelle, qui possèdes ce qui ne s’acquiert pas, tu te plains ; lorsque tu n’as pour réussir qu’à exercer tes doigts, qu’à devenir ouvrier[57]La lettre du 16 avril 1860 de Zola à Cezanne. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 140.) Rappelons qu’une parole d’Antoine dans Paris, roman publié en 1898, suggère bien ces mots du jeune Zola. Le personnage artiste dit à Pierre Froment : « La vie, elle naît aussi bien des doigts que du cerveau, lorsqu’on est un créateur d’êtres. » Émile Zola, Paris, in Les Trois Villes, Œuvres complètes, VII, p. 1307.. » En jetant un regard sur le début de la correspondance entre des deux amis, nous finissons par mettre en lumière les prolongements de ces idées défendues par un Cezanne plus âgé et plus mûr, qui parle de l’art vers la fin de sa vie : « Il faut être ouvrier dans son art. Savoir de bonne heure sa méthode de réalisation. Être peintre par les qualités mêmes de la peinture[58]Conversations avec Cezanne, op. cit., p. 37.. » La correspondance, en révélant les convictions intimes ainsi que la conception intellectuelle et la pensée critique de ses auteurs, nous rappelle en permanence l’intérêt d’analyser sous des angles variés les relations de ces hommes liés par ce que Zola appelle la « fraternité du génie », et les multiples réflexions qu’elle soulève.
Références
↑1 | Paul Cezanne, Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, 2016, p. 133. |
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↑2 | Pour les détails sur le corpus de cette correspondance : Alain Pagès, « Les sanglots de Cezanne » in Impressionnisme et littérature, dir. Gérard Gingembre, Rouen/Le Havre, Presses universitaires de Rouen et Le Havre, 2012, pp. 69-70. ―Repris dans Actualités cézanniennes, Société Paul Cezanne, 11 avril 2014. |
↑3 | Paul Cezanne, Correspondance, éd. John Rewald, nouvelle édition révisée et augmentée, Paris, Bernard Grasset, 1978, p. 25. |
↑4 | Lettre de Cezanne à Zola, 9 avril 1858. Manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote N.a.f. 24516, fo 493. |
↑5 | Voir sur ce point la note 1 d’Henri Mitterand dans Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 116. |
↑6 | Cezanne écrit : « La femme dans mes bras, la femme au teint de rose disparaît tout à coup et se métamorphose en un pâle cadavre aux contours anguleux ; ses os s’entrechoquaient, ses yeux éteints sont creux…Il m’étreignait, horreur ! » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 115). |
↑7 | Dans les recueils de correspondance, cette lettre était datée du 23 novembre 1858, mais le manuscrit autographe de Cezanne indique la date du 17 novembre 1858. |
↑8 | « il [Amilcar] arrive et saisit Annibal par l’oreille […] » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 90). |
↑9 | Voir Jean Arrouye, La Provence de Cezanne, Aix-en-Provence, Édisud, 1982, pp. 103-106 ; Denis Coutagne et al., Cezanne. Paris-Provence, cat. exp., Tokyo, The National Art Center, 2012, pp. 207-209, 213-214. |
↑10 | Haruo Asano, Cezanne et son temps (en japonais), Tokyo, Toshindo, 2000, pp. 98-108. |
↑11 | Jean-Claude Lebensztejn, « Cezanne – comme dans un rêve » in Recherche et méthode : Analyses de l’histoire de l’art français moderne, contemporain – de la Philologie, l’administration muséale au-delà de la Psychanalyse, la “théorie du genre”(en japonais), dir. Takanori Nagaï, Kyoto, éd. Koyoshobo, 2014, p. 4. |
↑12 | Ibid., pp.1-3, 10-11. |
↑13 | Zola écrit à Cezanne en ces termes : « Voilà cinq pages, les plus sérieuses que j’aie écrites de ma vie » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 145). |
↑14 | Ibid., pp. 144-145. |
↑15 | Zola écrivant à Cezanne insiste sur ce point : « Tu dois mettre l’idée avant elle [la forme] » (ibid., p. 143). |
↑16 | Idem. |
↑17 | Zola s’explique à Antony Valabrègue : « Il ne m’est pas permis comme à vous de m’endormir, de m’enfermer dans une tour d’ivoire, sous prétexte que la foule est sotte. J’ai besoin de la foule » (Émile Zola, Correspondance, éd. B. H. Bakker et Henri Mitterand, Presses de l’Université de Montréal et Éditions du Centre Nationale de la Recherche Scientifique, 1978-2010, I, p. 485). |
↑18 | « Une nouvelle manière en peinture : Édouard Manet », paru dans La Revue du XIXe siècle du 1er janvier 1867. En mai de la même année, ce texte est publié sous forme de livret, Édouard Manet, étude biographique et critique, et vendu lors de l’exposition personnelle de Manet. |
↑19 | Noriko Yoshida souligne que Zola et Manet considéraient la pratique artistique comme un « combat » et partageaient l’idée de demander le soutien du « public ». Noriko Yoshida, « Édouard Manet et le Naturalisme – La peinture moderne française vue à travers les écrits sur l’art et les romans de Zola » (en japonais) in Recherche et méthode : Analyses de l’histoire de l’art français moderne, contemporain – de la Philologie, l’administration muséale au-delà de la Psychanalyse, la“théorie du genre”, op. cit., p. 92. |
↑20 | Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 347. |
↑21 | Zola parle à Cezanne du professeur d’art à Aix-en-Provence en ces termes : « X*** est un bon maître pour t’apprendre le métier ; mais je doute que tu puisses apprendre autre chose dans ses tableaux » (ibid., p. 141). Henri Mitterand voit en X*** la personne de Joseph Gibert (1808-1884). À ce propos, nous signalons que la parole de Cezanne prononcée plus tard suggère les idées développées dans la lettre zolienne du 16 avril 1860 : « On doit apprendre son métier. Seulement, on doit l’apprendre ici, par soi-même, dans la fréquentation des maîtres. […] Quel que soit celui que vous préférez, ce ne doit être pour vous qu’une orientation. Sans cela, vous ne seriez qu’un pasticheur » (Conversations avec Cezanne, édition de P. -M. Doran, Paris, Éditions Macula, 1978, pp. 134-135). |
↑22 | Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 348. Gustave Courbet, qui a refusé la Légion d’honneur, écrit dans la lettre qu’il adresse le 23 juin 1870 à Maurice Richard, ministre des Lettres, Sciences et Beaux-Arts : « L’honneur n’est ni dans un titre, ni dans un ruban : il est dans les actes, et dans le mobile des actes. » |
↑23 | Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 352. |
↑24 | Ibid., p. 362. |
↑25 | Cezanne écrit à Zola en ces termes : « La forme littéraire ne doit pas être nécessaire avec eux [les acteurs] » (ibid., p. 373). |
↑26, ↑28 | Souligné par nous. |
↑27 | Lettre de Cezanne à Zola, fin 1878 (ou début 1879). N.a.f. 24516, fo 530. |
↑29 | Émile Zola, L’Assommoir, in Les Rougon-Macquart, édition publiée sous la direction d’Armand Lanoux et établie par Henri Mitterand, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960-1967, II, pp. 683-686. |
↑30 | Lettre de Cezanne à Zola, fin 1878 (ou début 1879). N.a.f. 24516, fo 530. |
↑31 | Émile Zola, Correspondance, II, 1980, p. 456. |
↑32 | Voir sur cette question Akiko Miyagawa, « Succès de librairie et succès littéraire : À propos des publications de L’Assommoir (1876-1877) de Zola » (en japonais), Bulletin of the Research Center for the Technique of Representation (Université de Hiroshima), n°12, 2017, pp. 1-16. |
↑33 | Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 345. Publié sous forme de feuilleton dans Le Bien Public du 11 décembre 1877 au 4 avril 1878, Une page d’amour sort en volume le 20 avril 1878 chez Charpentier. |
↑34 | L’histoire d’Une page d’amour se déroule principalement dans des habitations voisines entourant un jardin de la rue Vineuse, sur les hauteurs du Trocadéro dans le quartier de Passy. À l’époque, Passy, qui n’avait pas encore été rattaché à Paris, était situé dans une commune de banlieue. |
↑35 | Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 351. |
↑36 | Cezanne ne cesse d’évoquer ce problème jusqu’à la fin de sa vie. Dans la lettre à Émile Bernard, datée du 21 septembre 1906, il écrit : « Vous m’excuserez de revenir sans cesse au même point, mais je crois au développement logique de ce que nous voyons et ressentons par l’étude sur nature, quitte à me préoccuper de procédés ensuite, les procédés n’étant pour nous que de simples moyens pour arriver à faire sentir au public ce que nous ressentons nous-même et à nous faire agréer » (Conversations avec Cezanne, op. cit., pp. 47-48). |
↑37 | « Il me semble que c’est un tableau d’une peinture plus douce que le précédent [L’Assommoir], mais le tempérament ou force créatrice est toujours la même » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., pp. 348-349). De même que Zola bien connu pour avoir défini l’« œuvre d’art » comme « un coin de la création vu à travers un tempérament », (« Proudon et Courbet » dans Le Salut Public, 26 juillet 1865), Cezanne accorde toujours de l’importance au tempérament. |
↑38 | Ibid., p. 349. |
↑39 | Ibid., p. 350. Au début de l’année 1878, Zola avait commencé son enquête sur le milieu des actrices et des prostituées de luxe. Il se consacre à la rédaction de l’Ebauche de Nana jusqu’en juillet 1878. |
↑40 | Ibid., p. 344. |
↑41 | Lettre de Cezanne à Zola, 28 mars 1878. N.a.f. 24516, fo 514. |
↑42 | Le 19 juin 1880, Cezanne écrit à Zola « Je remercie Dieu d’avoir un père éternel », témoignant avec humour de sa gratitude pour ce père de 82 ans qui continue de lui envoyer de l’argent. Le père de Cezanne décèdera le 23 octobre 1886 à l’âge de 88 ans. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 381.) |
↑43 | « L’argent dans la littérature » a paru dans Le Messager de l’Europe en mars 1880, puis dans Le Voltaire des 23, 24, 25, 26, 28, 29 et 30 juillet 1880. Émile Zola, Œuvres complètes, sous la direction d’Henri Mitterand, Paris, Tchou, « Cercle du Livre précieux », 1966-1970, X, p. 1277. |
↑44 | Idem. |
↑45 | Émile Zola, « L’argent dans la littérature », ibid., pp. 1281-1283. |
↑46 | Voir par exemple la lettre zolienne en date du 16 avril 1860. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 140.) |
↑47 | Dans cet article, Zola cite la formule de Taine en ces termes : « En fait de préceptes, on n’en a encore trouvé que deux ; le premier qui conseille de naître avec du génie : c’est l’affaire de vos parents, ce n’est pas la mienne ; le second qui conseille de travailler beaucoup, afin de bien posséder votre art : c’est votre affaire, ce n’est pas non plus la mienne » (Émile Zola, « M. H. Taine, artiste », publié le 15 février 1866 dans La Revue contemporaine et intitulé L’Esthétique professée à l’École des beaux-arts, Œuvres complètes, X, p. 145). |
↑48 | Voir la lettre du 10 mai 1880 de Cezanne à Zola. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., pp. 379-380.) |
↑49 | Par l’intermédiaire de Cezanne, Renoir et Monet demandaient à Zola de faire passer leur lettre au ministre des Beaux-Arts dans le Voltaire, en la faisant précéder ou suivre de quelques mots sur les manifestations antérieures du groupe impressionniste. |
↑50 | « Le naturalisme au Salon » a paru dans Le Voltaire en juin 1880. (Émile Zola, Écrits sur l’art, éd. Jean-Pierre Leduc-Adine, Paris, Gallimard, 1991, pp. 422-423.) Il est à noter que cet article rend surtout manifeste la position de Zola, qui attend des procédés nouveaux et des techniques propres à la peinture naturaliste, à l’étude d’après nature révélatrice de la vérité. Voir sur ce point Torahiko Terada, « L’Esthétique de la vérité selon Émile Zola » (en japonais), Interdisciplinary cultural studies (Université de Tokyo), no. 21, 2016, pp. 33-51. |
↑51 | Dans une lettre d’avril 1880 adressée à Zola, Cezanne se désigne comme « le Provençal en qui la maturité n’a pas précédé l’âge ». Cette expression est interprétée par Henri Mitterand de la façon suivante : « le Provençal qui n’a pas encore atteint la maturité qu’on attendrait de son âge » (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 379). |
↑52 | Conversations avec Cezanne, op. cit., p. 135. |
↑53 | Il s’agit de La Joie de vivre, roman publié en 1884. |
↑54 | Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 401. |
↑55 | Voir à ce propos Patrick Brady, « L’Œuvre » d’Émile Zola, roman sur les arts, Genève, Droz, 1968 ; Colette Becker, « Cezanne et Zola. Réalité et fiction romanesque », Quarante-huit/Quatorze (revue du Musée d’Orsay), no 2, 1990 ; Alain Pagès, « Les sanglots de Cezanne », op. cit., pp. 63-72. Nous renvoyons à l’ouvrage en japonais de Kosei Ogura, Zola et la France moderne (en particulier le chapitre 5, « L’Œuvre ou le martyre de l’artiste »), Tokyo, éd. Hakusuisha, 2017 et à l’article de Miyuki Terashima, « Claude et Sandoz, les deux Zola –– Les confessions de l’artiste dans L’Œuvre » (en japonais) in Revue de langue et littérature françaises, Société de Langue et Littérature Françaises de l’Université de Tokyo, n° 36, 2008, pp. 95-118. Lors du colloque « Zola et moi… » organisé en 2016 à Aix-en-Provence et auquel l’auteur de cet article a assisté, Henri Mitterand dans « Une fraternité d’artistes : les lettres croisées de Cezanne et de Zola » et Alain Pagès dans « Zola, Cezanne et Paul Alexis » ont proposé des pistes extrêmement intéressantes sur les questions soulevées par L’Œuvre. |
↑56 | Voir les deux lettres de Zola à Cezanne (25 mars et 25 juin 1860). |
↑57 | La lettre du 16 avril 1860 de Zola à Cezanne. (Lettres croisées 1858-1887, op. cit., p. 140.) Rappelons qu’une parole d’Antoine dans Paris, roman publié en 1898, suggère bien ces mots du jeune Zola. Le personnage artiste dit à Pierre Froment : « La vie, elle naît aussi bien des doigts que du cerveau, lorsqu’on est un créateur d’êtres. » Émile Zola, Paris, in Les Trois Villes, Œuvres complètes, VII, p. 1307. |
↑58 | Conversations avec Cezanne, op. cit., p. 37. |