Colloque international : « Peut-on parler d’une amitié créative entre Cezanne et Zola? »

Ecrire Cezanne : l’impossible roman

Denis Coutagne

 

De Frenhofer à Claude Lantier

Cezanne se veut le nouveau Frenhofer, le peintre de la nouvelle de Balzac, Le Chef d’œuvre inconnu. Le témoignage est celui d’Émile Bernard venu rendre visite à Cezanne en 1904 :

« Un soir que je lui parlais du Chef-d’œuvre inconnu et de Frenhofer, le héros du drame de Balzac, il se leva de table, se dressa devant moi, et, frappant sa poitrine avec son index, il s’accusa, sans un mot, mais par ce geste multiplié, [d’être] le personnage même du roman. Il était si ému que des larmes emplissaient ses yeux. Quelqu’un par qui il était devancé dans la vie, mais dont l’âme était prophétique, l’avait deviné[1]Doran, Conversation avec Cezanne, p 65»

Gasquet reprendra ce geste de Cezanne :

« Frenhofer, avoua-t-il un jour d’un geste muet en se désignant, un doigt sur la poitrine, tandis que l’on parlait du Chef-d’œuvre inconnu devant lui, Frenhofer, c’est moi»

Rilke ne manqua pas de reprendre cette identification Cezanne/Frenhofer :

« Un jour pourtant en plein repas, il se leva de table en entendant celui-ci Frenhofer, le peintre que Balzac, avec une prescience inouïe de l’évolution à venir, a imaginé dans Le Chef d’œuvre  inconnu […] et qui, pour avoir découvert qu’il n’y a pas de contours, rien que des passages vibrants, succombe devant l’impossible tâche… En entendant cela, le vieillard se lève de table, en dépit de Mme Brémond qui ne devait guère apprécier de tels écarts, et, muet d’émotion, se désigne lui-même du doigt, à plusieurs reprises, quelque douleur qu’il ait pu en éprouver.Zola n’avait pas compris ce qui était en jeu ; Balzac, lui ( Le chef d’œuvre inconnu), avait pressenti que la peinture pouvait déboucher soudain sur quelque chose d’immense dont personne ne peut venir à bout[2]Rilke, Lettres  sur Cezanne, 9 octobre 1907. Rilke reprend sans doute le témoignage d’Émile Bernard  puisque plus haut dans sa lettre, il fait référence à un visiteur  parisien venu rendre visite au peintre aixois.  Cf. le livre d’Émile, Bernard Souvenirs sur Paul Cezanne, paru en octobre 1907 précisément.. »

Serait-ce que Cezanne ait choisi l’image du peintre selon Balzac dans une volonté de se démarquer de celle selon Zola, lequel pourtant s’était inspiré de Balzac ? Rilke semble lui-même prendre ce parti, ayant écrit dans la lettre citée plus haut :

« Il (Cezanne) avait trop présente à l’esprit l’image si fausse de sa recherche et de son destin que Zola ( un ami d’enfance, un compatriote) avait donnée dans L’Œuvre[3]Ce faisant, Rilke se conforme au jugement donné par Emile Bernard, sans chercher à savoir si le témoignage de ce dernier  est fondé.. Henri Mitterand dans Paul Cezanne/Emile Zola, lettres croisées, démontre (cf. pp 428-429) combien le témoignage  du critique  est à prendre avec prudence voire plus..  . »

Rappelons que Frenhofer est ce peintre imaginé par Balzac[4]Balzac, le Chef d’œuvre inconnu, nouvelle de 1831., dont le jeune Poussin veut être le disciple. Il prend pour modèle la maîtresse de ce dernier (la belle Gillette) pour, la transposant en peinture, faire d’elle une image picturale parfaite. Non content de ce « programme », il entend donner à la femme peinte d’être plus vivante que celle qui en inspire la figuration. Il s’enferme dans l’atelier, ne montre le tableau en cours à personne. On le prend pour un dieu, un démiurge, en tout cas un personnage un peu diabolique. Lorsqu’enfin Frenhofer montre le tableau (La Belle Noiseuse) à Poussin et Pourbus, ces derniers ne voient qu’un barbouillage informe : seul un joli pied très harmonieux, très vivant, rappelle la beauté de la femme inaccessible et broyée par la peinture elle-même. Désespéré de ne pourvoir atteindre le beau idéal, au-delà de Raphaël et Titien, le vieil artiste met le feu à son atelier et meurt dans l’incendie.

La conception littéraire d’un artiste désireux de peindre le chef d’œuvre absolu à l’instar même de Dieu (cf. le thème de Pygmalion, le thème de Faust), d’échouer inévitablement dans cette entreprise, au point de ne vouloir plus que la mort, est reprise par Zola dans son roman L’Œuvre. Claude Lantier assume nécessairement cette figure littéraire du peintre, obligatoirement raté dans toute composition romanesque du XIXème siècle[5]Il faudra attendre Proust, mettant en scène un peintre Elstir, comme un artiste qui réussit tant sur l e plan artistique que social. . Déjà les frères Goncourt, dans le roman Manette Salomon paru en 1867, avaient fait de Coriolis un peintre raté, plus médiocre que raté peut-être, que les soins de sa maîtresse et modèle sauvent d’une déchéance physique qui eût dû le conduire à la mort. Il y a évidence que Coriolis ne joue pas tout à fait dans la même cour. Par contre, le peintre version Balzac, et le peintre version Zola traduisent une vraie correspondance, ce que nombre de critiques relèvent dès la parution du roman[6]Cf. l’étude remarquable de ce roman dans le livre IV des œuvres de Zola dans la Pléiade sous la plume d’Henri Mitterand, particulièrement ici les pp. 1395 et 1396..

Claude Lantier et Frenhofer portent le même absolu de perfection dans la recherche d’une beauté féminine plus vraie que nature. La figuration picturale doit dépasser le modèle. Pour l’un comme pour l’autre, l’enjeu est de peindre une nouvelle Ève. Rivaliser avec Dieu créateur !

Soit deux textes que je mets en vis-à-vis.

D’abord ce texte de Balzac :

« Montrer ma créature, mon épouse ? déchirer le voile dont j’ai chastement couvert mon bonheur ? Mais ce serait une horrible prostitution ! Voilà dix ans que je vis avec cette femme. Elle est à moi, à moi seul. Elle m’aime. Ne m’a-t-elle pas souri à chaque coup de pinceau que je lui ai donné ? Elle a une âme, l’âme dont je l’ai douée. […] [Veux-tu que] tout à coup je cesse d’être père, amant et Dieu ? »

Ensuite ce texte de Zola :

 « Ah cet effort de création dans  l’œuvre d’art, cet effort de sang et de larmes dont il agonisait, pour créer de la chair, souffler de la vie ! Toujours en bataille avec le réel, et toujours vaincu, la lutte contre l’Ange. Il se brisait  à cette besogne impossible de faire tenir toute la nature  sur une toile […] La créer vivante enfin[7]L’édition des œuvres de Zola (qui me sert de référence pour la pagination) est celle établie sous la direction de Henri Mitterand, Œuvres complètes, Cercle du livre précieux en 1969. L’Œuvre correspond au tome 5 de cette publication. p. 636-637.. »

La mise en parallèle peut aller plus loin encore : Frenhofer comme Lantier exprime une même rage de peindre dans cette volonté d’atteindre le chef d’œuvre absolu. Le travail est incessant. Les reprises sont constantes quitte à abîmer voire détruire ce qu’une première ébauche exprimait de manière déjà géniale. A défaut d’avoir été Dieu capable de donner forme à une nouvelle Ève, Frenhofer laisse « un amas de couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres, qui forment une muraille de peinture ». Seule reste figurative, la représentation d’un pied qu’on veut bien croire plus vraie que nature.

Claude Lantier laisse une toile sans doute splendide : « Il peignait le ventre et les cuisses en visionnaire affolé, que le tourment du vrai jetait à l’exaltation de l’irréel : et ces cuisses se doraient en colonnes de tabernacle, ce ventre devenait un astre, éclatant de jaune et de rouge purs, splendide et hors de la vie » et Zola de parler encore « d’ostensoir où des pierreries semblaient luire ». Le tableau devient l’objet d’une adoration religieuse et tient lieu d’idole. Christine, jalouse de cette rivale, tentera de retenir Claude de toute sa force érotique de femme aimante, de chair et de sang. En vain ! L’appel de « l’autre » est irrésistible, un appel renouvelé trois fois, comme il en fut de Samuel appelé par Dieu dans le Livre des Rois. Le suicide de Claude n’est plus tant un échec qu’un accomplissement (en fait, le tableau décrit par Zola paraît être une splendeur, sans doute plus proche d’un « Gustave Moreau » que d’un « Cezanne ») : le peintre appartient à son œuvre jusqu’à devoir mourir pour elle. Faut-il ici évoquer Van Gogh ou Nicolas de Staël dont la fille dit que le suicide de son père correspond à un point posé au bas de la page pour l’authentifier… Et Cezanne n’a-t-il pas conçu sa vocation de peintre comme un sacerdoce : « L’art serait-il, en effet, un sacerdoce qui demande des purs qui lui appartiennent tout entiers ? »[8]Lettre à Vollard, 9 janvier 1903. Ces mots sont même précédés de phrases que Zola aurait pu mettre dans la bouche de Claude Lantier : « J’ai réalisé quelques progrès. Pourquoi si tard et si péniblement ». Sauf que Cezanne poursuit inlassablement son effort et que Claude Lantier renonce.

D’où notre question :

 

Cezanne, modèle pour Claude Lantier ?

Deux réponses apparemment possibles :

* Claude Lantier n’est en rien Cezanne : en ce cas, quand on s’appelle Cezanne, quelle importance accorder à cette figure littéraire du peintre inventé par Zola ? Tout au plus, peut-il trouver dommage de voir son meilleur ami s’occuper de peinture sans remarquer l’œuvre picturale que soi-même on accomplit sous ses yeux jusqu’en 1882, voire 1885… Nous reste à comprendre pourquoi Zola, qui dispose en son meilleur ami d’une figure de peintre (et quel peintre !), ne s’inspire pas plus d’un tel artiste, d’autant plus que Zola a pu suivre avec intérêt les aspirations de son ami. Les lettres de Cezanne à Zola entre 1878 et 1884 traduisent une grande amitié : Paul ne craint pas de faire part à Émile de son travail pictural (la nature, le soleil de Provence…). En aucun cas, Cezanne n’apparaît comme un peintre « raté ». Bien au contraire. Sa recherche n’obéit pas à une impuissance, mais à une compréhension approfondie de la nature, laquelle révèle sa complexité. Par exemple voici ce que Cezanne écrit à Zola dans un temps où il peint le chef d’œuvre qu’est « Le Pont de Maincy » à Melun : « Je m’ingénie toujours à trouver ma voie picturale. La nature m’offre les plus grandes difficultés[9]Lettre à Émile Zola, Melun, 24 septembre 1879 .» Si, au printemps 1885, Zola découvre un ami désemparé qu’une passion amoureuse déstabilise, on est à mille lieux d’une figure d’artiste en désarroi parce qu’il aime sans retour la femme peinte sur une grande toile !

* Claude Lantier s’avère une transposition de Cezanne : en ce cas, il n’est pas sympathique de « suicider » son meilleur ami, fût-ce littérairement, et l’on comprend que Cezanne se mette à distance de Zola, ce que bien des critiques interprètent comme une rupture. En ce cas, nous reste à comprendre pourquoi Zola garde, de Cezanne, une image catastrophique, alors qu’en 1886, Cezanne a déjà peint quelques-unes des plus belles « Sainte-Victoire », les superbes tableaux de la « Mer à l’Estaque »… Certes Zola n’avait pas vu ces derniers tableaux, mais du moins il avait vu le « Château de Médan » peint pratiquement chez lui en 1882. N’oublions pas que Cezanne lui a fait part de ses travaux picturaux sur nature lorsqu’il est à l’Estaque en 1878, ou à Aix en 1884 (« J’avais la tête pleine de l’idée de ce pays, qui me semble bien extraordinaire[10]Lettre à Émile Zola, 23 février 1884 ! »

 

Une troisième voie : Claude Lantier/Paul Cezanne, une vraie proximité

Il nous faut reconnaître alors une troisième voie pour faire une « lecture » de cette relation Cezanne/Lantier, à l’aune de l’amitié du romancier et du peintre[11]Ne jamais oublier ces lignes  qu’un tout jeune home d’environ 20 ans  écrit à son ami du même âge le 25 mars 1860 : « J’ai fait un rêve, l’autre jour…  J’avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettres d’or brillaient, unis sur le premier feuillet, et , dans cette fraternité de génie passaient inséparables à la postérité… ».

C’est bien évidemment ce point de vue que j’adopte. Encore faut-il le justifier !

 L’évidence d’une reprise « biographique » de Cezanne  dans Lantier 

Que Claude Lantier reprenne bien des traits de physionomie, de caractère, voire de vie appartenant à Paul Cezanne, est une évidence. Après tout, Zola disposait d’un modèle, d’autant plus que ce « modèle » lui devait pour une part sa vocation picturale : d’abord Pierre Sandoz et Claude Lantier sont les meilleurs amis du monde depuis l’enfance, comme Zola et Cezanne qui se découvrent en cinquième au collège Bourbon d’Aix-en-Provence. Les souvenirs communs de Provence font partie du roman L’Œuvre, quand bien même Zola n’accorde qu’un seul chapitre de son livre à ces souvenirs aixois (plusieurs étaient prévus dans les premières ébauches de plan). Zola de garder mémoire, à l’intérieur du roman, du Vallon des Infernets, du Jas de Bouffan même. On s’étonne simplement  que l’Estaque ne soit pas nommé.

Claude Lantier comme Paul Cezanne monte à Paris pour devenir artiste. De même Bennecourt appartient autant au roman qu’à la vie de Cezanne (et de Zola), quand bien même le séjour en ce village au bord de la Seine dure plusieurs années dans la vie de Lantier, quelques mois seulement dans celle de Cezanne.

Autre rapprochement possible : Claude Lantier se voit continuellement refuser au Salon, ne pouvant y accéder qu’une seule fois par « charité ». Cezanne n’aura pas eu plus de succès… et Lantier, à l’instar de Cezanne, fait de la présentation de ses toiles au Salon un geste de provocation, étant certain de ne pas être retenu par le Jury[12]Cf. lettre à Nieuwerkerke, 19 avril 1866. !

Le caractère de Claude Lantier ressemble encore, parfois de façon étonnante, à celui de Cezanne : tous deux sont sujets à de « brusques poussées de colère » traduisant la « brutalité des timides », réalisant une peinture « d’une violence de tons… comme un juron de charretier ». Qui peut oublier le mot « couillard » que Cezanne lui-même se serait attribué pour parler de ses premiers tableaux, représentant meurtres, orgies, voire scènes de pornographie[13]Des divergences majeures apparaissent tout autant. Un exemple : on voudrait rapprocher le personnage de Christine de la figure réelle d’Hortense Fiquet. En vain ! On ne peut pa même rapprocher  la jeune Christine débarque à Paris d’une province lointaine, d’une Hortense Fiquet originaire de Franche-Comté. Cette dernière était arrivée à Paris lorsqu’elle avait 6-7ans  et était devenue vraiment parisienne. De plus  Hortense ne se prête aucunement à devenir le modèle du peintre à l’instar de Christine, en dehors de portraits très habillés. Jamais Hortense n’éprouve la passion dévorante de Christine vis-à-vis de son compagnon, devenu subrepticement son mari lors d’une cérémonie un peu bâclée. Poser des heures dans le froid… On est très loin d’Hortense ! Aucune superposition n’est jamais possible du couple Hortense/Paul sur le couple Christine/Claude. Certes, dans l’un et l’autre cas un enfant naît. Mais Paul Cezanne-fils et Jacques Lantier ne se ressemblent en rien : Jacques n’est pas aimé de ses parents, Paul l’est passionnément. Le destin tragique du petit Jacques appartient au seul roman. … ?

L’évidence d’une reprise « artistique » de Cezanne dans Lantier

Plus que ces données de la vie ou du caractère de Cezanne reprises dans le roman parfois sans transposition, il faut reconnaître une proximité plus fondamentale : le mouvement de création picturale de Lantier reprend celui de Cezanne. Zola avait répété que l’art était « un coin de nature vu à travers un tempérament », c’est-à-dire une réalité objective au crible d’un sujet sensible, si possible fort d’un caractère personnel irrécusable. Cezanne rentre dans cette case, lui qui parle à la fin de sa vie de « l’obstination que je mets à poursuivre la réalisation de cette partie de la nature, qui tombant sous nos yeux, nous donne le tableau »[14]L’ouvrage de Henri Mitterand, Paul Cezanne/Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887 (Gallimard 2016) montre magistralement combien Cezanne et Zola traduisent une complicité artistique profonde dans leur ordre propre, littéraire pour l’un, pictural pour l’autre. Je prends de cet ouvrage cet autre exemple. Cezanne affirme : « Pour l’artiste voir c’est concevoir et concevoir c’est composer », comme une réponse à ce mot de Zola : « Avez-vous remarqué comment je compose mes livres ? » (op. cit. p. 18). Les exemples se multiplient. . C’est là peut-être l’essentiel du roman. Zola se souvient certainement de ses conversations avec Paul Cezanne, ce dont la préface de Mon Salon : « A mon ami Paul Cezanne » (20 mai 1866) porte témoignage et nul doute que l’éducation artistique première de Zola ne doive pas beaucoup au Cezanne romantique des années 1860. D’ailleurs en 1877, comme en 1878, Zola fait de Cezanne des critiques d’une grande justesse.

Au-delà des références biographiques et des citations faites (on pourrait les multiplier), peut-on résumer alors cette proximité de l’écrivain et du peintre sur le plan plus artistique où je me situe ? Je retiens les points suivants :

*D’abord, les deux peintres (que sont Lantier et Cezanne) font de la peinture un absolu. Cezanne avouera que la peinture est ce qui lui va le mieux : « Mon âge et ma santé ne me permettront jamais de réaliser le rêve d’art que j’ai poursuivi toute ma vie. »[15]Lettre à A Roger Marx, 23 janvier 1905. Il dit vouloir « mourir le pinceau à la main ».

* Les deux peintres portent en eux une rage profonde. Et si le vieux Cezanne a moins d’accès de colère, il n’oublie pas la rage de sa jeunesse quand il insultait les Aixois d’une expression peu affable : « je vous emmerde[16]Lettre de Guillemet à Émile Zola, 2 novembre 1866. .» Certains des gestes de Claude Lantier s’inspirent encore directement de Paul Cezanne peintre.

* Je veux retenir encore ce geste meurtrier d’un Claude Landier en colère contre son tableau et contre lui-même, crevant la toile d’un coup de poing. Une première fois il s’agit du tableau Plein-air : « A pleine main, il avait pris un couteau à palette très large ; et d’un seul coup, lentement, profondément, il gratta la tête et la gorge de cette femme. Ce fut un meurtre véritable, un écrasement[17]Zola op. cit. Volume 5  p. 476.. » Une deuxième fois, le « meurtre » sera celui de la femme de l’immense tableau en cours devant lequel le peintre se pendra à la fin du roman : « II avait jeté sa poignée de brosses du haut de l’échelle. Puis aveuglé de rage, d’un coup de poing terrible, il creva la toile(Zola, op. cit. Volume 5  p. 637.))» Le jeune Cezanne ne détruit-il pas le tableau qu’il ne peut achever lorsqu’il entreprend en 1861 le portrait de Zola lui-même ? « Ton portrait, je viens de le crever ». Ce geste destructeur se répétera dans la vie de Cezanne. En août 1899 encore (mais Zola n’en saura rien), Cezanne balafre de son couteau à peinture le portrait qu’il estime raté de Alfred Hauge dans son atelier de Marlotte : « Il a peint un petit portrait de moi, tout à fait extraordinaire, mais un jour, d’un soudain accès de colère ou de folie, il prit un couteau et le lacéra en plusieurs morceaux… »[18]Lettre de Hauge à un ami norvégien en date du 26 août 1899. C’est dire si le tempérament violent de Lantier appartient aussi à Cezanne jusque dans sa vieillesse.

On ne saurait oublier que Cezanne, encore à Aix, jetait au plafond ses pinceaux dans des accès de colère (« Tu me parais découragé dans ta dernière lettre ; tu ne parles rien moins que de jeter tes pinceaux au plafond[19]Lettre de Zola à Cezanne 25 juin 1860.»

* Les deux peintres ont un sens du « travail ». Soit quelques citations de Cezanne prises dans sa Correspondance  (un choix très restreint) :

Je travaille opiniâtrement  (lettre du 25 septembre 1903)

Je dois travailler (lettre du 22 février 1903)

Je veux réussir par le travail (lettre du 8 juillet 1902)

J’ai beaucoup à travailler (lettre de mars 1902)

J’enregistre que Claude Lantier est un bourreau de travail : « Il avait travaillé là huit heures sans manger une croûte, sans se reposer une minute… »

Le dernier mot du roman s’impose. Sandoz, qui vient d’enterrer Lantier, conclut : « Allons travailler ». Ne pas oublier le titre même du roman « L’ Œuvre » (pour renvoyer à l’idée d’un « opus » fruit du travail), choisi dans une liste où la thématique de la chair, de l’enfantement, de l’accouchement prédominait.

Les deux peintres (le peintre réel, le peintre de fiction) se correspondent en effet profondément quand bien même Zola écrit sur fond d’une divergence, reconnaissant par là, sans vraiment l’avouer, que, confronté à Cezanne, il échoue à parler de son œuvre… Il devient même pathétique de voir comment Zola met toute son énergie à se démarquer de Cezanne en Claude Lantier comme d’une présence trop forte. Il lui faut marquer son territoire et, pour ce faire, mettre en scène un peintre comme un anti-Cezanne (en l’occurrence Claude Lantier), un peintre capable  de réaliser des  fragments géniaux  sans jamais pouvoir donner le tableau achevé devant lequel toute critique n’aurait plus qu’à s’incliner. Cela est si vrai qu’en 1896, Zola lui-même à propos de Paul Cezanne dont on commence à reconnaître la force, parlera  « des parties géniales de grand peintre avorté ».Mais ici, qui est « ce peintre avorté » sinon Claude Lantier, qui transposition littéraire de Cezanne par Zola, n’a pas pu correspondre à son modèle, s’en échappe, et s’échappant  devient une sorte de monstre, volontairement décalé. Il devient facile alors de calquer sur ce peintre génial à sa manière (Lantier), loin de Cezanne, l’image récurrente de l’impuissance dans un processus de figuration qui veut donner à voir le réel (la femme en l’occurrence) plus vraie que nature ! Le suicide de Claude Lantier devient  l’aveu de la propre impuissance de Zola à donner de Cezanne une figure littéraire. Mieux, d’une volonté de donner à Cezanne le champ libre d’exister librement sans lui : il faut tuer Claude Lantier pour que Paul Cezanne vive. « Il était un peu en deçà, un peu au-delà peut-être. Un jour le mot de génie incomplet, entendu derrière son dos, l’avait flatté et épouvanté ». La peinture de Cezanne échappe à Zola. Il ne peut la comprendre. Plus que Lantier, c’est Zola qui prend peur. Si les mots de « grand peintre avorté » lui échappe à propos de Cezanne en 1896, il  faut alors rappeler  ce dernier jugement de Zola sur Cezanne rapporté par Gasquet  après une visite à Médan en 1900 : «  Je commence à mieux comprendre sa peinture, que j’ai toujours goûtée, mais qui m’a échappé longtemps, car le la croyais exaspérée, alors qu’elle est d’une sincérité, d’une vérité incroyable[20]Cf.  le livre d’Henri Mitterand op. Cit. pp 432-433.. »

 

 Lantier/ Cezanne : de l’échec à l’inachèvement

Proximité ? Divergence ? Il est un lieu où les deux destins sont à confronter, un  lieu où il nous faut revenir.  

Comment ne pas mettre en parallèle l’impossibilité de Paul Cezanne et de Claude Lantier de finir une toile ? Zola ne connaissait pas la phrase de Cezanne à Émile Bernard lorsqu’il lui confie : « Arriverai-je au but tant recherché et si longtemps poursuivi[21]Lettre à Émile Bernard, 21 septembre 1906. ? » Mais Zola pouvait avoir entendu de la bouche même de Cezanne cet aveu : « J’ai à travailler toujours, non pas pour arriver au fini, qui fait l’admiration des imbéciles. – Et cette chose que vulgairement on apprécie tant n’est que le fait d’un métier d’ouvrier, et rend toute œuvre qui en résulte inartistique et commune[22]Lettre à ses parents, 26 septembre 1874.. »  Bien évidemment, Claude Lantier échoue très souvent devant ses toiles qu’il n’arrive pas à terminer. Il faut toujours les reprendre, et les reprenant, gâcher le tableau en cours. Le mot « impuissance » devient un leitmotiv du roman. Certes, Zola attribue cette impuissance essentiellement à l’hérédité (Claude Lantier portant les tares que Gervaise Macquart et Auguste Lantier ont inscrites dans ses gènes pour employer un vocabulaire contemporain).  Une fatalité terrible interdit au peintre de son roman de mener à bien une œuvre. Il y a interdiction de réussir. « La question est de savoir ce qui le rend impuissant à se satisfaire : avant tout, sa physiologie, sa race, la lésion de son œil[23]Zola op. cit. Volume 5  p. 265.. »  Il n’empêche, Zola ne peut oublier ce qu’il écrit dès août 1861 devant un Cezanne qui vient de crever son portrait : « Paul peut avoir le génie d’un grand peintre, il n’aura jamais le génie de le devenir[24]Lettre de Zola à Baille, sans date, sans doute août 1861.. » Le même Zola en 1870 ne veut pas donner l’adresse de Cezanne à un correspondant qui veut rencontrer le peintre sous le motif que le peintre se cherche. La même phrase revient dans bouche même de Claude Lantier : « Je me cherche encore[25]Zola op. cit. Volume 5  p. 595.. »

Cezanne, n’en doutons pas, a porté une telle inquiétude. On le voit encore écrire en novembre 1889 à Octave Maus : « Je vous dirai à ce sujet que les nombreuses études auxquelles je me suis livré ne m’ayant donné que des résultats négatifs, et redoutant des critiques trop justifiées, j’avais résolu de travailler dans le silence, jusqu’au jour où je serais senti capable de défendre théoriquement le résultat de mes essais[26]Lettre à Octave Maus, 27 novembre 1899..  »

Veut-on encore un aveu de Cezanne, plus tardif encore ?  : « La peinture va cahin-caha. J’ai parfois de fameux emballements, et plus souvent encore des mécomptes douloureux[27]Lettre à Aurenche, 3 février 1902.» Quelques mois plutôt, nous voyons qu’il a abandonné la poursuite de son tableau consacré à Geoffroy, incapable de l’achever. Le portrait de Vollard aurait nécessité 115 séances aux termes desquelles le peintre n’aurait été content que du plastron. C’est une vraie inquiétude de Cezanne qui posera à l’extrême fin de sa vie cette question : « Arriverai-je au but tant recherché et si longtemps poursuivi[28]Lettre à Émile Bernard, 21 septembre 1906. ? » et ne parlant que d’études à poursuivre, de progrès à réaliser : « Nous pataugeons, nous n’arrivons pas à avoir notre maîtrise, à nous posséder[29]Lettre à Émile Bernard, 23 décembre 1904..  »

Certes, pour Claude Lantier l’inachèvement de ses toiles tourne à l’obsession. Et comme il faut une raison, Zola insiste sur l’impuissance du peintre pour cause d’hérédité, ce que nous avons déjà noté. Concernant Lantier, l’échec vient de l’extérieur. Concernant Cezanne, il est intérieur au processus créateur et devient un inachèvement intrinsèque à l’œuvre en cours, à tel point que la beauté naît de cet inachèvement qui n’est plus un échec ! Cela, Zola ne pouvait le comprendre, pas en 1886 en tout cas : il finit tous ses livres ! L’Œuvre est un roman parfaitement composé, maîtrisé. Encore que…

 

« Cezanne dramatisé »

Quoiqu’il en soit, il devient  impossible de ne pas voir Paul Cezanne sous les traits de Claude Lantier quand bien même le critique peut faire apparaître des reprises de Manet, Courbet, André Gil, Monet etc.., voire de Zola lui-même. Le romancier l’avait annoncé : Claude Lantier est « Cezanne dramatisé ». Mais n’est-ce pas alors là le drame de Zola lui-même : vouloir écrire « Cezanne », mettre en chantier un roman, et devoir, en cours de composition, comprendre qu’il ne peut qu’échouer dans cette entreprise parce que Cezanne lui-même échappe : nul ne peut se l’approprier, surtout pas littérairement[30]Gasquet comme Émile Bernard  en feront l’expérience, Cezanne  se mettant à distance de l’un comme de l’autre. Apollinaire qui voudra écrire un livre sur Cezanne au début du XXème  siècle renoncera…. Comment alors écrire ce roman impossible ? La tentation sera donc de dramatiser le personnage jusqu’à lui donner ce grain de folie qui le conduit au suicide devant le chef d’œuvre enfin réalisé : une toile, mais une toile qui reste une œuvre d’art et ne peut prendre place de la réalité. Les amis de Lantier l’avaient taquiné sur le fait qu’on ne fait pas l’amour avec une femme peinte, mais avec une femme de chair et de sang. Christine avait cru le prouver. Lantier aura quitté la couche nuptiale pour l’illusion d’une étreinte avec la figure peinte, une idole qui, comme toute idole, est insensible et aveugle.

« … comme s’il eût introduit dans la maison une maîtresse, cette femme qu’il peignait d’après elle. Le tableau immense se dressait entre eux, les séparait d’une muraille infranchissable ; et c’est au-delà qu’il vivait avec l’autre. elle en devenait folle, jalouse de ce dédoublement de sa personne, comprenant la misère d’une telle souffrance, n’osant s’avouer son mal dont il l’aurait plaisantée. Et pourtant elle ne se trompait pas, elle sentait bien qu’il préférait sa copie à elle-même, que cette copie était l’adorée, la préoccupation unique, la tendresse de toutes les heures. Il la tuait à la pose pour l’embellir l’autre, il ne tenait plus que de l’autre sa joie ou sa tristesse de toutes les heures … et quelle souffrance de prêter sa chair, pour que l’autre naquît, pour que le cauchemar de cette rivale les hantât, fut toujours entre eux plus puissant que le réel, dans l’atelier, à table, au lit partout. Une poussière, un rien, de la couleur sur la toile, une simple apparence qui rompait tout leur bonheur, lui silencieux, indifférent, brutal parfois, elle torturée de son abandon, désespérée de ne pouvoir chasser de son ménage cette concubine, si envahissante et si terrible dans on immobilité d’image[31]Zola op. cit. Volume 5  p. 636.. »

Zola laisse alors entendre que l’œuvre d’art ne peut jamais être achevée, tant l’enjeu (rendre la chair vivante), est au-delà des forces humaines. Sur ce point Cezanne diverge profondément de Lantier, car pour le peintre aixois, s’il y a inachèvement, la raison est intrinsèque à la peinture : cette dernière ne cherche jamais à supplanter la nature, elle doit lui être soumise  et lui être parallèle. Avec humilité. Son ordre n’est pas le même. Zola se heurte alors à  une difficulté majeure qu’il ne sait  résoudre : l’impuissance créatrice de Claude Lantier porte-t-elle sur sa seule psychologie, ou est-elle intrinsèque à toute création artistique, particulièrement picturale ? Sur ce point Zola ne sait trancher. Ainsi bien souvent à l’intérieur du roman, on ne comprend pas si l’incapacité de Claude Lantier de terminer une œuvre, pour en faire un chef d’œuvre, est due à un manque de technique, d’invention artistique ou à une tare psychologique, une sorte de nécessité de jamais mener à terme une œuvre.

Zola aurait dû peut-être prendre plus au sérieux ses propres aveux lorsqu’il écrivait à son ami en juillet 1860 : « Mais si la peinture est ta vocation – et c’est ainsi que je l’ai toujours envisagée,- si tu te sens capable de bien faire après avoir bien travaillé, alors tu deviens pour moi une énigme, un sphinx, un je ne sais quoi d’impossible et de ténébreux ». 

Et Zola paraît dès ce temps avoir compris le drame de Cezanne, drame qu’il décrira en 300 pages dans le roman L’ Œuvre 25 ans plus tard : «  Un autre passage de ta lettre m’a chagriné. Tu jettes, dis-tu, parfois tes pinceaux au plafond, lorsque la forme ne suit pas ton idée. Pourquoi ce découragement, ces impatiences ? Je les comprendrais après des années d’études, après des milliers d’efforts inutiles. Reconnaissant ta nullité, ton impossibilité de bien faire, tu agirais sagement en foulant palette, toile et pinceaux sous tes pieds[32]Lettre de Zola à Cezanne, juillet 1860. »

Certes, on peut estimer que Zola va apprendre de Cezanne les enjeux de la création picturale au début des années 1860. La préface aux articles parus dans l’Événement de 1866 confirmera cette intuition. Mais, une certaine cécité empêchera à jamais Zola de comprendre réellement le génie s’accomplissant de Cezanne. Certes, il pressentira qu’il se passe avec ce peintre un phénomène qui ne s’apparente pas à ce qu’il découvre en regardant Manet, Pissarro, Monet. N’écrit-il pas en 1877 :« Je citerai ensuite M. Paul Cezanne, qui est à coup sûr le plus grand coloriste du groupe. Les toiles si fortes et vécues de ce peintre, […] n’en indiquent pas moins les éléments d’un très grand peintre[33]Zola, Les peintres impressionnistes, 1877. . »

Mais Cezanne lui échappe, Et cette échappée  lui était rigoureusement nécessaire pour tenir enfin son roman, dramatiquement, libre de composer, au lieu et place de Cezanne, inclassable, un personnage qu’il croit maîtriser, Claude Lantier, lequel lui échappera d’une toute autre manière dans la folie et la mort. Cezanne une fois (enfin) écarté !

 

Catégories esthétiques de Zola

Il faut avancer alors une autre raison à ce rendez-vous manqué entre Paul Cezanne et Claude Lantier : en matière artistique, Zola est prisonnier des catégories de son temps, en particulier de catégories enregistrées auprès de Taine, Il s’est ainsi construit un paradigme pictural, certes attentif au monde moderne tel qu’il le perçoit, voire à certaines innovations scientifiques comme la théorie des couleurs explicitées par Chevreul, mais, somme toute, Zola reste refermé sur un schéma traditionnel.

Je m’explique : pour Zola, la peinture est une fenêtre ouverte sur un coin de nature vu à travers un tempérament. Dans le même temps, Zola garde en arrière fond cette intuition que l’œuvre d’art imite la nature, mais à la différence d’Aristote qui ajoutait « en ce qu’elle est inachevée », il entend en ce qu’elle est divine[34]Cette divinisation de l’œuvre est d’autant plus importante que l’idéal de l’art qui a prévalu, grosso modo, jusqu’au siècle des Lumières et la Révolution s’était obscurci. Même si David, dans un dernier sursaut, croit retrouver en Napoléon un dieu antique à figurer à l’instar des Anciens, même si Ingres croit encore représenter Jupiter et Thétis, Baudelaire saura magistralement reconnaître cette perte de l’Idéal dont il ne reste que le souvenir. Cezanne signant Ingres ses Quatre Saisons imagine-t-il alors reprendre cette lignée ? . Ainsi il demande secrètement à l’œuvre d’art (littéraire en qui le concerne) de rivaliser avec la création. Il faut, avons-nous rappelé,  qu’elle soit vivante, si possible de chair et de sang. D’une certaine façon l’enjeu est eucharistique : ce n’est pas sans raison si le ventre, le sexe, les cuisses dont Lantier est obsédé s’apparentent à un tabernacle ! Scandale certes, mais si riche d’un sens occulté ! Passer de l’idole à l’icône. Cette obsession zolienne appliquée à la peinture des impressionnistes aboutit inéluctablement à une impasse ; Certes, surtout dans les paysages, il s’agit de représentation d’un coin de nature, certes chaque peintre a sa sensibilité, sa propre émotion, son « tempérament », mais la vie, comme telle, ne peut que manquer.

Nous aurions alors un Zola prisonnier d’une grille de lecture préétablie, imposée dès l’origine, impliquant de ne voir en Cezanne que ce peintre jetant ses pinceaux. « Prouver quelque chose à Cezanne, ce serait vouloir persuader aux tours de Notre-Dame d’exécuter un quadrige » […] Il est fait d’une seule pièce, raide et dur sous la main ; rien ne le plie, rien ne peut en arracher une concession… Et Zola de constater que la discussion est impossible avec « un garçon de cette trempe » au « caractère fort singulier »[35]Lettre de Zola à Baille, 10 juin 1861..

D’une certaine façon, il faut attendre la publication du roman Rome en 1895 pour comprendre combien le goût esthétique de Zola et son intelligence de l’histoire de l’art ne lui donnaient aucun « concept » pour comprendre le phénomène Cezanne. Pierre, le héros de ce roman (Zola en quelque sorte), découvre la chapelle Sixtine : « Pierre dans un grand coup en plein cerveau et en plein cœur, venait d’être pris tout entier par le génie surhumain de Michel-Ange […] La vie, c’était la vie qui éclatait, qui triomphait, une vie énorme et pullulante, un miracle de vie réalisé par une main unique, qui apportait le don suprême, la simplicité dans la force[36]Zola op. cit. Volume 7 p. 664.. » Claude Lantier n’avait d’autre ambition. Et Zola qui, déjà en 1860 attendait de Cezanne qu’il devienne le « Raphaël futur » (il ne connaissait pas encore Michel-Ange !) ne peut comprendre un peintre qui, trente ans plus tard, s’inspirera de Michel-Ange au Louvre en dessinant humblement les Esclaves ou, dans son atelier des Lauves, une figure d’écorché en plâtre censément être une reproduction d’une œuvre originale du sculpteur. On comprend alors que Zola ne peut mesurer   le génie de Cezanne, combien même il le pressent. Mais alors il doit d’une certaine façon s’en défendre !

Je n’en veux pour preuve que ce constat que Sandoz fait, à l’intérieur du roman L’Œuvre, quelques heures après la mort de Lantier, « Non, il n’a pas été l’homme de la formule qu’il apportait. Je veux dire qu’il n’a pas eu le génie assez net pour la planter debout et l’imposer dans une œuvre définitive […] l’homme nécessaire n’est pas[37]Zola op. cit. Volume 5  p. 733.. »

A la question évangélique de Jean-Baptiste : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre une autre ? » Sandoz répond négativement. Zola reste plus prudent, laissant Sandoz se mouiller pour lui !

         Claude Lantier est alors une création littéraire dont Zola a besoin pour exorciser ce peintre qu’il ne peut comprendre. Quels mots eût-il dû trouver pour signifier les enjeux de la peinture de Cezanne ? Zola voit bien que son ami échappe. Humainement certes, mais plus encore artistiquement. Déjà en 1862, il lui écrit ces mots d’une certaine façon terrible : « J’approuve complètement ton idée de venir travailler à Paris et de te retirer ensuite en Provence ». Prudemment Zola continue « Je crois que c’est une façon de se soustraire aux influences des écoles et de développer quelque originalité si l’on en a ». Voilà d’ores et déjà énoncé une théorie qui va coller à Cezanne pendant tout le XXème siècle : Cezanne incapable faire aboutir son œuvre à Paris, se retire en Provence où enfin son génie éclate[38]On renvoie au livre de Klingsor Cezanne ( 1923) dans lequel l’écrivain justifie le génie de du peintre par la seule Provence qui devient sa « maîtresse », via la couleur, Cezanne n’ayant jamais vraiment eu de maîtres pour le former.

 

Pourquoi choisir Frenhofer plutôt que Claude Lantier ?

Nous l’avons vu. Cezanne se considère comme le nouveau Frenhofer. A vrai dire, il prend comme référence un peintre confronté à l’absolu de l’œuvre d’art. Pourquoi ne pas prendre en référence Claude Lantier ? Rilke (je reprends la citation donnée au commencement de ce texte) propose une réponse : « Zola n’avait pas compris ce qui était en jeu ; Balzac, lui (Le chef d’œuvre inconnu), avait pressenti que la peinture pouvait déboucher soudain sur quelque chose d’immense dont personne ne peut venir à bout[39]Rilke, Lettres à Clara sur Cezanne, 9 octobre 1907. » Il est vrai que le tableau de Frenhofer révèle une toile abstraite, que le peintre avant de se suicider a raturée jusqu’à la défiguration. Le tableau que laisse Claude Lantier est une toile achevée. Sandoz la détruira, id est Zola.

Cezanne, qui avait confié à Gasquet, combien Zola avait su l’empoigner dans le personnage de Lantier, ne pouvait que préférer un écrivain silencieux quant à l’œuvre d’art à réaliser. Zola décrivait une œuvre trop figurative et symbolique tout à la fois. Balzac ne donnait plus rien à voir sinon une œuvre qu’avec le recul du XXème siècle on pouvait rapprocher de Pollock !

Donc Cezanne plus proche de Frenhofer que de Claude Lantier.

 

Vers une conclusion

Je voudrais proposer une dernière explication, car nous n’avons absolument aucune référence de Cezanne concernant L’Œuvre. Disons tout de suite que la lettre du 4 avril 1886 n’est pas une lettre de rupture[40]Plus que jamais nous renvoyons le lecteur aux écrits de Henri Mitterrand dans Paul Cezanne, Émile Zola lettres croisées,Gallimard 2016. Mais encore à l’article d’Alain Pagès : « J’irai te voir pour te serrer la main… », article de 2014 faisant suite à la découverte d’une lettre de Cezanne à Zola datant de novembre 1887 (parution dans le site Société-Cezanne.fr, article reprenant un premier texte : « Les sanglots de Cezanne » dans Impressions et littératures,  PUF Rouen-Le Havre 2012. . Cezanne a-t-il déjà lu le roman lorsqu’il écrit cette courte lettre ? Je ne sais[41]En tout cas certainement pas sous la forme éditée, envoyée par la poste par Zola depuis Paris à L’Estaque. Vue la date d’édition à Paris, vue la date de la lettre de Cezanne (4 avril,) eu égard au temps d’envoi et de réception (sans oublier qu’il y a un samedi et dimanche au milieu), Cezanne n’a pas eu le temps de lire le roman. On peut penser qu’il a pu le lire lors de sa parution en feuilleton. , En tout cas, il connaît le contenu du livre puisqu’il remercie l’auteur des Rougon-Macquart de ce bon témoignage de souvenirs. Il insiste même en « songeant aux anciennes années ». Il parle encore de « l’impression des temps écoulés ». Aucun reproche n’est fait à Zola. Bien au contraire ces formules sont empreintes d’attentions. Tout au plus une distance est établie lorsque Cezanne parle de « l’auteur des Rougon-Macquart ». C’est relever que Zola inscrit le drame de Claude Lantier dans l’histoire romanesque voulue par l’écrivain : cette histoire n’est en rien la sienne quand bien même Claude Lantier reprend des données de sa vie. Il faut ici remarquer que les lecteurs de L’Œuvre, à de rares exceptions dont celle de Guillemet, ne perçoivent pas Cezanne dans le peintre de Zola. Monet craint que le roman porte préjudice à l’image des « impressionnistes » au moment où ce mouvement aboutit. Monet voit plutôt Manet. Frantz Jourdain voit le destin de son frère Gaston Jourdain.

Un point important est encore à préciser  Claude Lantier, quand bien même  il vit un sentiment permanent d’échec, n’est aucunement un peintre raté : il est dit souvent que certaines ébauches, certaines parties de ses tableaux sont exceptionnelles.  Ses amis  d’ailleurs croient en son génie et le tiennent pour un chef d’école à venir. En ce sens, il se démarque de Cezanne à tel point qu’aucune de ses toiles ne ressemblent aux toiles de ce dernier. Ainsi, le tableau Plein air est bien évidemment une reprise du tableau Le Déjeuner sur l’herbe de Manet.

Zola s’explique lui-même : « Je le prends (Claude) dans l’histoire de la peinture, après Ingres, Delacroix, Courbet, Delacroix romantique, grand décorateur, Courbet, ouvrier classique, tous deux noirs et cuisinés au fond. Lui voudrait plus de nature, plus de plein air, de lumière. Décomposition de la lumière. Peinture très claire. Mais cela dans des toiles immenses, dans du grand décor. Il y a un romantisme au fond, un constructeur. De la lutte : il veut embrasser d’une étreinte qui lui échappe. »

D’une certaine façon, Lantier lui-même échappe à Zola : Le peintre qu’il a créé est tout à la fois un homme de tempérament, une individualité forte, un artiste qui connaît le métier, capable avec la matière picturale de donner le rendu qu’il veut. C’est un homme enraciné dans le réalisme de Courbet, de Manet, c’est à dire dans ce processus de reproduction du réel sur la toile au même titre que Rousseau ou Diaz à Fontainebleau entendaient reproduire une écorce, un tronc au plus de la réalité vue.

La dernière toile de Claude Lantier est d’un réalisme saisissant : elle montre Paris, reconnaissable avec le port Saint-Nicolas à gauche et ses débardeurs, l’école de natation à droite et ses omnibus, la Seine et l’île de la Cité au centre[42]Le choix de Zola concernant le site parisien de la dernière toile qu’il assigne à son héros mérite attention. Je relève ce texte tiré du livre de François Cheng, Cinq méditations sur la mort (deuxième méditation) : « L’académicien (il s’agit de Mauriac) rendit un jour visite à son confrère Maurice Genevoix. Celui-ci, secrétaire perpétuel de l’Académie, résidait au palais Mazarin. L’appartement dévolu à cette fonction donnant sur la Seine, il jouit d’une des plus belles vues de Paris : au centre est amarré le pont des Arts, comme une péniche chargée de rêves anciens, avec plus loin à sa droite, le Vert-Galant guidant le glorieux cortège architectural de Notre-Dame et de la Conciergerie, tandis que sur l’autre rive se déploie le palais du Louvre dont la superbe rythmique défie les siècles. En ce soir de printemps, la clarté rose du couchant, mêlée à l’eau du fleuve, unissait ciel et terre en un ensemble aussi doux et léger que les mouettes voltigeant çà et là, ou que les nuages voguant au loin, insoucieux ». . Elle devient symboliste : apparaît une femme nue monumentale dressée sur une barque. : « A la place de la barque conduite par un marinier, une autre barque, très grande, tenant tout le milieu de la composition, et que trois femmes occupaient, en costume de bain, ramant, une autre assise au bord, les jambes dans l’eau, son corsage à demi arraché montrant l’épaule ; la troisième, toute droite, toute nue à la proue, d’une nudité si éclatante qu’elle rayonnait comme un soleil (p. 628).

Ainsi Sandoz, visitant l’atelier de Lantier a soudain des soupçons : il s’étonne de cette volonté de Lantier de mettre au centre de son tableau ce nu qui n’a, au sens propre du terme, rien à faire là. « Tiens quelle idée ! Murmura Sandoz. Que font-elles là ces femmes ? Ce n’est guère vraisemblable, cette femme nue, au milieu de Paris. » Et Zola de confirmer Sandoz : « Comment un peintre moderne qui se piquait de ne peindre que des réalités, pouvait-il abâtardir une œuvre, en y introduisant des imaginations pareilles ? » Mais Lantier n’en fait qu’à sa tête. Le personnage du roman échappe à son créateur en quelque sorte… de la même manière que la figure féminine échappe à Lantier. Il y a surréalité.

Voilà que le peintre Lantier, en même temps qu’il représente la ville, crée de la sorte une femme qu’il veut de chair et de sang, plus vraie que nature. Il épuise la vraie femme (Christine ) qui doit poser des heures pour lui permettre de transposer son corps sur sa toile, comme s’il y avait transfert sinon de chair, en tout cas d’âme. Terrible alchimie : Lantier en devient fou. Christine, au fur et à mesure des séances, se voit dépossédée d’elle-même au bénéfice de la figure peinte qui non seulement la reproduit, mais encore s’impose comme sa rivale. Peignant Hortense Fiquet, jamais Cezanne ne cherche à s’approprier la femme qui pose devant lui. De la manière la plus charnelle qui soit, Christine, qui a donné son corps en pâture d’abord visuellement pour que le peintre trouve en elle le modèle de la nudité qu’il veut instaurer au cœur du tableau, donne cette fois son corps en pâture sexuellement de la manière la plus érotique qui soit. Elle croit sauver Lantier. Le ramener dans le monde des vivants. « Rentre dans l’existence » hurle-t-elle (p. 722).  Elle va le perdre : Lantier n’a d’autre possibilité que de prolonger cette extase charnelle en extase artistique. Il se donne à la femme peinte dans un mouvement totalement idolâtrique. Le suicide devient un acte charnel. Monstrueux certes mais total. Cezanne sur ce plan là sera d’un prosaïsme presque vulgaire : « Le bordel en ville, ou autre, mais rien de plus. Je finance, le mot est sale, mais j’ai besoin de repos[43]Lettre à Zola 25 août 1885.. » Et Cezanne de peindre les magnifiques toiles de Gardanne. « Pour finir je vous dirai que je m’occupe toujours de peinture et qu’il y aurait des trésors à emporter de ce pays-ci (la Provence autour de Gardanne), qui n’a pas trouvé encore un interprète à la hauteur des richesses qu’il déploie[44]Lettre à Victor Choquet, Gardanne 11 mai 1886.. »

Cezanne ne pouvait que se mettre à distance, non de Zola dont il a dû admirer intérieurement la force créatrice même si cet effort lui paraissait vain, mais de ce peintre abandonné à sa folie dans le froid de l’hiver. Son aventure était autre. Il le savait. Zola le savait.

Zola avait conseillé en 1861 à son ami, une fois l’expérience parisienne faite, de revenir en son terroir. C’était chose faite. La lettre citée date du 11 mai 1886. Un mois à peine après la parution de L’Œuvre.

 

Références

Références
1 Doran, Conversation avec Cezanne, p 65
2 Rilke, Lettres  sur Cezanne, 9 octobre 1907. Rilke reprend sans doute le témoignage d’Émile Bernard  puisque plus haut dans sa lettre, il fait référence à un visiteur  parisien venu rendre visite au peintre aixois.  Cf. le livre d’Émile, Bernard Souvenirs sur Paul Cezanne, paru en octobre 1907 précisément.
3 Ce faisant, Rilke se conforme au jugement donné par Emile Bernard, sans chercher à savoir si le témoignage de ce dernier  est fondé.. Henri Mitterand dans Paul Cezanne/Emile Zola, lettres croisées, démontre (cf. pp 428-429) combien le témoignage  du critique  est à prendre avec prudence voire plus..  
4 Balzac, le Chef d’œuvre inconnu, nouvelle de 1831.
5 Il faudra attendre Proust, mettant en scène un peintre Elstir, comme un artiste qui réussit tant sur l e plan artistique que social.
6 Cf. l’étude remarquable de ce roman dans le livre IV des œuvres de Zola dans la Pléiade sous la plume d’Henri Mitterand, particulièrement ici les pp. 1395 et 1396.
7 L’édition des œuvres de Zola (qui me sert de référence pour la pagination) est celle établie sous la direction de Henri Mitterand, Œuvres complètes, Cercle du livre précieux en 1969. L’Œuvre correspond au tome 5 de cette publication. p. 636-637.
8 Lettre à Vollard, 9 janvier 1903
9 Lettre à Émile Zola, Melun, 24 septembre 1879
10 Lettre à Émile Zola, 23 février 1884
11 Ne jamais oublier ces lignes  qu’un tout jeune home d’environ 20 ans  écrit à son ami du même âge le 25 mars 1860 : « J’ai fait un rêve, l’autre jour…  J’avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettres d’or brillaient, unis sur le premier feuillet, et , dans cette fraternité de génie passaient inséparables à la postérité… »
12 Cf. lettre à Nieuwerkerke, 19 avril 1866.
13 Des divergences majeures apparaissent tout autant. Un exemple : on voudrait rapprocher le personnage de Christine de la figure réelle d’Hortense Fiquet. En vain ! On ne peut pa même rapprocher  la jeune Christine débarque à Paris d’une province lointaine, d’une Hortense Fiquet originaire de Franche-Comté. Cette dernière était arrivée à Paris lorsqu’elle avait 6-7ans  et était devenue vraiment parisienne. De plus  Hortense ne se prête aucunement à devenir le modèle du peintre à l’instar de Christine, en dehors de portraits très habillés. Jamais Hortense n’éprouve la passion dévorante de Christine vis-à-vis de son compagnon, devenu subrepticement son mari lors d’une cérémonie un peu bâclée. Poser des heures dans le froid… On est très loin d’Hortense ! Aucune superposition n’est jamais possible du couple Hortense/Paul sur le couple Christine/Claude. Certes, dans l’un et l’autre cas un enfant naît. Mais Paul Cezanne-fils et Jacques Lantier ne se ressemblent en rien : Jacques n’est pas aimé de ses parents, Paul l’est passionnément. Le destin tragique du petit Jacques appartient au seul roman.
14 L’ouvrage de Henri Mitterand, Paul Cezanne/Émile Zola, Lettres croisées 1858-1887 (Gallimard 2016) montre magistralement combien Cezanne et Zola traduisent une complicité artistique profonde dans leur ordre propre, littéraire pour l’un, pictural pour l’autre. Je prends de cet ouvrage cet autre exemple. Cezanne affirme : « Pour l’artiste voir c’est concevoir et concevoir c’est composer », comme une réponse à ce mot de Zola : « Avez-vous remarqué comment je compose mes livres ? » (op. cit. p. 18). Les exemples se multiplient.
15 Lettre à A Roger Marx, 23 janvier 1905.
16 Lettre de Guillemet à Émile Zola, 2 novembre 1866.
17 Zola op. cit. Volume 5  p. 476.
18 Lettre de Hauge à un ami norvégien en date du 26 août 1899.
19 Lettre de Zola à Cezanne 25 juin 1860.
20 Cf.  le livre d’Henri Mitterand op. Cit. pp 432-433.
21 Lettre à Émile Bernard, 21 septembre 1906.
22 Lettre à ses parents, 26 septembre 1874.
23 Zola op. cit. Volume 5  p. 265.
24 Lettre de Zola à Baille, sans date, sans doute août 1861.
25 Zola op. cit. Volume 5  p. 595.
26 Lettre à Octave Maus, 27 novembre 1899.
27 Lettre à Aurenche, 3 février 1902.
28 Lettre à Émile Bernard, 21 septembre 1906.
29 Lettre à Émile Bernard, 23 décembre 1904.
30 Gasquet comme Émile Bernard  en feront l’expérience, Cezanne  se mettant à distance de l’un comme de l’autre. Apollinaire qui voudra écrire un livre sur Cezanne au début du XXème  siècle renoncera…
31 Zola op. cit. Volume 5  p. 636.
32 Lettre de Zola à Cezanne, juillet 1860.
33 Zola, Les peintres impressionnistes, 1877.
34 Cette divinisation de l’œuvre est d’autant plus importante que l’idéal de l’art qui a prévalu, grosso modo, jusqu’au siècle des Lumières et la Révolution s’était obscurci. Même si David, dans un dernier sursaut, croit retrouver en Napoléon un dieu antique à figurer à l’instar des Anciens, même si Ingres croit encore représenter Jupiter et Thétis, Baudelaire saura magistralement reconnaître cette perte de l’Idéal dont il ne reste que le souvenir. Cezanne signant Ingres ses Quatre Saisons imagine-t-il alors reprendre cette lignée ?
35 Lettre de Zola à Baille, 10 juin 1861.
36 Zola op. cit. Volume 7 p. 664.
37 Zola op. cit. Volume 5  p. 733.
38 On renvoie au livre de Klingsor Cezanne ( 1923) dans lequel l’écrivain justifie le génie de du peintre par la seule Provence qui devient sa « maîtresse », via la couleur, Cezanne n’ayant jamais vraiment eu de maîtres pour le former.
39 Rilke, Lettres à Clara sur Cezanne, 9 octobre 1907.
40 Plus que jamais nous renvoyons le lecteur aux écrits de Henri Mitterrand dans Paul Cezanne, Émile Zola lettres croisées,Gallimard 2016. Mais encore à l’article d’Alain Pagès : « J’irai te voir pour te serrer la main… », article de 2014 faisant suite à la découverte d’une lettre de Cezanne à Zola datant de novembre 1887 (parution dans le site Société-Cezanne.fr, article reprenant un premier texte : « Les sanglots de Cezanne » dans Impressions et littératures,  PUF Rouen-Le Havre 2012.
41 En tout cas certainement pas sous la forme éditée, envoyée par la poste par Zola depuis Paris à L’Estaque. Vue la date d’édition à Paris, vue la date de la lettre de Cezanne (4 avril,) eu égard au temps d’envoi et de réception (sans oublier qu’il y a un samedi et dimanche au milieu), Cezanne n’a pas eu le temps de lire le roman. On peut penser qu’il a pu le lire lors de sa parution en feuilleton.
42 Le choix de Zola concernant le site parisien de la dernière toile qu’il assigne à son héros mérite attention. Je relève ce texte tiré du livre de François Cheng, Cinq méditations sur la mort (deuxième méditation) : « L’académicien (il s’agit de Mauriac) rendit un jour visite à son confrère Maurice Genevoix. Celui-ci, secrétaire perpétuel de l’Académie, résidait au palais Mazarin. L’appartement dévolu à cette fonction donnant sur la Seine, il jouit d’une des plus belles vues de Paris : au centre est amarré le pont des Arts, comme une péniche chargée de rêves anciens, avec plus loin à sa droite, le Vert-Galant guidant le glorieux cortège architectural de Notre-Dame et de la Conciergerie, tandis que sur l’autre rive se déploie le palais du Louvre dont la superbe rythmique défie les siècles. En ce soir de printemps, la clarté rose du couchant, mêlée à l’eau du fleuve, unissait ciel et terre en un ensemble aussi doux et léger que les mouettes voltigeant çà et là, ou que les nuages voguant au loin, insoucieux ».
43 Lettre à Zola 25 août 1885.
44 Lettre à Victor Choquet, Gardanne 11 mai 1886.