Colloque “Cezanne, Jas de Bouffan — art et histoire”, 21-22 septembre 2019

Le  CCRD,  programme, projet et réalisations (le fonds Mothe)

Denis Coutagne (avec le concours de François Chédeville)

Conférence filmée

(Le texte de la conférence est à venir)

Hommage à Alain Mothe

Denis Coutagne

 

Hommage à Pavel Machotka

François Chédeville

(enregistrement à la fin de cette vidéo)

Pavel Machotka, que beaucoup parmi vous ont connu et apprécié, nous a quitté en mars dernier, et je voulais vous en dire quelques mots en signe de reconnaissance pour tout ce qu’il a apporté à tous ceux qui l’ont connu, et en particulier à la communauté des cézanniens.

 

Pour ceux qui ne l’ont pas connu, quelques mots de présentation.

 

Pavel est né  à Prague en Tchécoslovaquie en 1936, puis a émigré avec sa famille en 1948 aux États-Unis après le coup d’état communiste.

 

Diplômé en psychologie de l’université de Harvard, il a été professeur de psychologie de l’esthétique pendant 25 ans à l’université de Californie à Santa Cruz, et professeur émérite de l’université Charles à Prague. A ce titre, il a publié de nombreux ouvrages relatifs à la psychologie de l’art.

 

Il a pris sa retraite en Italie, dans un joli coin de l’Ombrie où avec sa compagne Nina ils transformèrent à la sueur de leur front une véritable ruine en une grande maison particulièrement accueillante, où les voyageurs de passage étaient toujours les bienvenus. Le paysage local, fait de collines et de champs à la terre ocre, comme celle de Provence, convenait particulièrement bien à son tempérament de peintre, une vocation magnifiée par sa rencontre avec Paul Cezanne, dont il me disait à quel point il avait bouleversé sa vision de l’art à l’âge de 16 ans.

 

Son approche de la peinture cézannienne, à la suite d’Erle Loran et de John Rewald, s’est essentiellement attachée à approfondir les relations qu’entretenait le peintre avec la réalité qu’il peignait en élaborant tout au long de sa vie les techniques picturales les plus appropriées pour rendre ce dialogue intime entre ses sensations et la réalité observée.

Dans ce domaine, il est surtout connu pour avoir, dans un ouvrage devenu un classique, « Landscape Into Art », par la confrontation du motif photographié et de la toile correspondante, mis en évidence la complexité et la richesse des procédés du peintre dans sa recherche de transcription de la réalité restituée à travers le filtre de ses sensations.

Dans la même ligne de recherche, son dernier ouvrage publié, « La sensation à l’œuvre », s’attache  à décrire les évolutions majeures de la technique cézannienne appliquée à tous les genres pratiqués, portraits, paysage, natures mortes, scènes de genre, baigneurs et baigneuses , en analysant tableau par tableau et époque après époque les défis auxquels Cezanne était confronté et ses solutions pour y répondre en vue d’obtenir un équilibre de la composition et une harmonie des couleurs qui faisait de chacun une œuvre parfaitement cohérente et accomplie. On sent dans ces analyses l’expérience du peintre qui s’est lui-même confronté aux difficultés du métier et qui en parle à partir d’une méditation réelle et longuement mûrie sur l’acte de peindre.

Pour moi personnellement, Pavel a été un ami très proche avec lequel je me suis initié à ce qu’il appelait le « looking hard », ce regard intense, approfondi, cet effort d’observation et de présence – je dirais presque acharnée –  à l’œuvre, qui est la condition première pour parvenir à mieux la comprendre et à l’aimer. Quand nous nous sommes connus en 2006 à l’occasion de l’exposition d’Aix, nous avions chacun de notre côté constitué une base de données numérique des peintures, incomplète de part et d’autre, et nous avons mis en commun nos ressource pour constituer la première collection complète numérisée des toiles de Cezanne. Depuis lors, et en parallèle à nos recherches d’identification des sites cézanniens, nous n’avons cessé d’améliorer la qualité de nos images, et cela jusqu’en février dernier.

Il ne cessait de rappeler que l’essentiel était de toujours revenir à l’œuvre au lieu de se complaire dans les interprétations plus ou moins arbitraires des psychologues et des philosophes, ou dans les tentatives d’interpréter les œuvres à la lumière des connaissances accumulées par les historiens de l’art. Tout cela était utile, certes, mais risquait selon lui de détourner l’attention de l’essentiel, la contemplation de l’œuvre en elle-même et la recherche de compréhension des moyens techniques mis en œuvre par le peintre.

Beaucoup de discussions passionnées, de recherches communes nous ont liés également avec Alain Mothe et Raymond Hurtu, dans un compagnonnage intensément vécu par chacun comme à la fois chaleureux et fécond.

Chaleureux, c’est bien ainsi qu’était Pavel, avec son sourire empreint de bonté, avec une touche d’ironie gentille qui mettait du sel dans nos conversations. Sa délicatesse de cœur était immense, et l’on pouvait compter sur son accueil et son soutien en cas de besoin.

Plus encore que comme une figure majeure de la galaxie Cezanne, c’est à cet homme de cœur que vont mes pensées quand son souvenir me ramène à évoquer son image, au détour de telle ou telle question rencontrée dans mes recherches, et à laquelle il ne peut plus répondre, ou en contemplant ce tableau qu’il m’avait offert et  qui me fait face dans mon bureau :Un tableau qui pour moi reflète bien ce qu’il était par son harmonie colorée où les couleurs chaudes se lovent dans un univers de couleurs froides à qui elles donnent vie  : sans naïveté et lucide sur la difficulté de vivre dans un monde souvent livré à la violence, il était tout autant un amoureux de la vie, des gens, de la nature,  à la recherche d’une harmonie toujours à faire renaître chaque jour.

Pour finir sur une note d’humour comme il les aimait, je dirais, paraphrasant Brigitte Fontaine parlant de Marx : « Merci, mon Dieu, d’avoir inventé Pavel – vous n’étiez pas forcé… »