Exposition
Cézanne : The Rock and Quarrry Paintings
Princeton University : 7 mars-14 juin 2020
Royal Academy of London : 12 juillet-18 octobre 2020.
Présentation par Denis Coutagne
Président de la Société Paul Cezanne
Je n’ai pas vu l’exposition. J’aurais dû la voir. Je la verrai peut-être si…
Je parle de l’exposition Cezanne the Rock and Quarry paintings qui s’est ouverte à Princeton près de New York, (Princeton University Art museum) le 7 mars 2020 pour être fermée presqu’aussitôt.
Une exposition dont John Elderfield a assuré le commissariat général.
L’exposition aurait dû s’achever le 14 juin aux Etats-Unis, pour être reprise à Londres à Royal Academy du 12 juillet au 18 octobre 2020.
Vu les conditions sanitaires internationales particulièrement difficiles au Royaume Uni, l’exposition de Londres a été annulée. Du coup, Princeton, qui espère rouvrir le musée (aucune date n’est actuellement donnée), propose de garder les œuvres jusqu’en octobre (15 octobre).
Je veux d’abord exprimer ma profonde sympathie pour tous ceux qui ont travaillé des mois voire des années pour monter une telle exposition (conservateurs, universitaires , directeurs, mécènes et personnels administratifs…).
L’exposition, sans doute limitée en nombre, n’en demeure pas moins remarquable.
D’abord par le choix du sujet : voilà une approche de l’œuvre de Cezanne, en référence aux rochers et carrières, totalement inédite. Le thème de l’Eau, des Baigneurs et Baigneuses, des Portraits, des Pommes ( et Natures mortes) ou certains thème emblématique comme celui appelé Sainte-Victoire ont été plusieurs fois étudiés et abordés. A vrai dire, qui se souciait de regarder comment ce sujet des rochers et falaises intervenait dans le parcours du peintre…
Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une exposition s’intéressant chez un artiste à ces seuls motifs.
Certes le « rocher », la « pierre » ne sont pas ignorés des peintres.
Les icones byzantines et russes ne craignent pas de faire apparaître des rochers stylisés pour signifier un tombeau (d’où Lazare ressort), une montagne ( sur laquelle pousse le chêne de Membré…etc) sans oublier celles consacrés à la figure du Christ au moment de sa naissance ou de son baptême dans un site rocailleux, de son agonie au jardin des Oliviers (jardin rocailleux chez Mantegna par exemple..), de sa crucifixion dans des paysages escarpés. Le thème prend de l’ampleur à la Renaissance et dans les temps classiques et baroques. Dans le tableau de Giorgione Les Trois philosophes, l’un des « mages » tient un cahier sur lequel écrire ou dessiner alors qu’il observe des rochers formant une grotte…Qu’on songe à la Vierge aux rochers de Léonard de Vinci. Qu’on songe à Moïse frappant le rocher dans le désert de Poussin. Les naufrages dûs à des écueils ou rochers dans des paysages de bord de mer avec falaises sont nombreux… Le romantisme sait donner une puissance apocalyptique aux rochers, comme on le voit chez John Martin ( Le Jour de la Colère). Friedrich situe le poète au sommet d’un rocher dominant le monde. Turner associe neige et moraines dans ses avalanches… Plus près du temps de Cezanne, on trouve des rochers chez Corot, Constantin, Granet, sans oublier les peintres de l’Ecole de Fontainebleau ou de Barbizon. Courbet s’inscrit bien évidemment comme un privilégié dans cette liste tant il s’attache aux falaises de la vallée de la Loue. Et Cezanne dans ses œuvres de jeunesse inscrit au Jas de Bouffan son Baigneur devant un rocher …
Loin de l’Occident le Japon a depuis longtemps médité sur les rochers et les pierres. Je ne noterai que le temple de Royan-Ki qui, dans une tradition zen, touche à la perfection dans sa sobriété.
Où situer alors Cezanne dans son traitement des rochers et falaises ? S’agit-il d’un motif spécifique à intégrer dans le genre « paysage » à côté du genre « Nature morte », « Baigneurs », « Portraits… » selon une classification ordonnée ? S’inscrit-il dans une tradition classique, romantique, réaliste ?
Avec 25 œuvres l’exposition se consacre alors à ces questions. Nul doute que des chefs d’œuvre s’imposent de façon majeure quand on voit le peintre faire de ce thème « rocher » le sujet essentiel pour ne pas dire unique d’un tableau ou d’une aquarelle. Je pense au tableau des rochers à L’Estaque, de Sainte-Victoire vu des carrières de Bibémus voire du tableau de Bibémus du musée d’Essen… . Et l’on comprend tout de suite que ces œuvres ne sont pas des études pour intégrer des rochers dans un paysage. Le « rocher » est une entité absolue tout autant que la « pomme » dans d’autres séries…
Reste à comprendre l’enjeu des choix de Cezanne lorsqu’il prend en compte des rochers à l’Estaque, Fontainebleau, Bibémus, Château-Noir.. alors que ses amis impressionnistes ignorent ce motif. Comment regarder et comprendre une aquarelle où toute l’attention du peintre porte sur un bloc de rochers au-dessus des grottes de Château-Noir ? Encore une fois Cezanne est à part.
. Encore faut-il le remarquer et le montrer avant de comprendre ce qui se passe sous son pinceau d’autant plus que la distance est grande d’une peinture à l’huile à une aquarelle ou un dessin.
A remarquer le catalogue édité par John Elderfield
Avec des contributions de Faya Causey, Sara Green,Annemarie Iker, Ariel Kline, and Anna Swinbourne
Princeton University Art Museum
Distributed by Yale University Press,New Haven and London, 2020.