Février 2021

Fage-éditions publie  Paul Cezanne dépeint par ses contemporains, de  Philippe Cezanne  ( 232  pages, 153 illustrations)


Une affaire de famille ?

Peut-être, un peu !  Philippe Cezanne n’a pas connu son arrière-grand-père, seulement son grand père Paul Cezanne fils.  Mais la figure du peintre n’a cessé d’être présente dans la vie familiale des « Cezanne » . Aussi, depuis longtemps, Philippe entendait lui rendre un hommage filial. Depuis plus longtemps encore, il entendait le révéler dans son art comme dans son humanité, au-delà des clichés qui se sont répétés et colportés. Besoin de vérité !

Voici enfin le livre promis et attendu !

Le titre choisi par l’éditeur, en accord avec l’auteur, définit clairement le propos : Cezanne dépeint par ses contemporains.

Dépeint : décrit mais encore  dé-peint, décrypté.

Qui se cache derrière la peinture sous ce nom Cezanne ? Qui est ce peintre dont ceux qui ont croisé  son chemin, ont découvert le génie, écarté la présence, craint le jugement ? Qui est cet homme tour à tour affable, timide, bougon, insupportable, délicieux, amoureux, complexe, opiniâtre mais toujours vrai ?

Le peintre et l’homme sont une seule et même personne, même si l’homme se devait de cohabiter avec un peintre difficile à vivre parce que porté par le génie… Même le plus fidèle ami ne sut pas toujours comprendre le « peintre à venir »  sous l’ami d’enfance avec lequel il fit les quatre cents coups !

Philippe Cezanne a su percevoir ces enjeux mieux que tout autre !

Aussi l’auteur n’invente pas un personnage  dont il voudrait faire l’éloge ! Non,  il reprendCezanne dont tant d’artistes, critiques écrivains se sont si souvent dépris.

Philippe Cezanne compose alors un portrait de Paul Cezanne, dans le temps, dans son temps,  par un jeu de multiples touches empruntées auprès de  tous ceux qui ont approché d’une manière ou d’une autre le peintre de son vivant. Le portrait final échappe alors à l’anecdote, quand bien même mille petites histoires nous sont racontées. Mais ces histoires s’imbriquent les unes dans les autres comme des pièces de puzzle, devenant chacune indispensable et nécessaire au tableau minutieusement élaboré, plus jamais anecdotique !  Le livre se veut alors le témoignage d’amis, de parents,  de critiques, de peintres, de relations de l’artiste, lesquels ont écrit sur lui, écrit à lui, écrit contre lui parfois. Il n’est jamais de portraits sans quelques zones d’ombre pour mieux révéler le rayonnement du visage. Le personnage devient vivant comme une mosaïque finit par s’animer de ce que chaque tesselle réfléchit différemment la lumière.

Bien sûr le connaisseur de l’œuvre de Cezanne retrouvera, dans ce livre, des textes dont les meilleurs biographes nous ont déjà donné connaissance : Jean de Beucken, John Rewald, Michel Hoog, Philip Conisbee, Jo Rischel…

Mais le même connaisseur s’apercevra que bien des témoignages ont été oubliés, ignorés, volontairement ou non et que trop nombreux sont ceux qui (on ne les nommera pas ici) ont  trop vite caricaturé Paul Cezanne soit comme peintre couillard, soit comme précurseur du cubisme.

Ce livre permet de voir Cezanne de manière toujours inattendue, de révéler un trait de caractère oublié, de le faire apparaître ailleurs, là où l’on ne s’attend pas à le trouver.

Philippe Cezanne nous propose un livre-portrait construit  sur la base d’écrits et de témoignages que les membres de la famille, les amis d’enfance, les peintres impressionnistes, les amis parisiens, les critiques, les  marchands, les collectionneurs,  les écrivains  ont réservés pour nous ! Ainsi, loin d’être un simple recueil de textes (dont certains inédits), l’ordonnancement et la présentation de ces textes vaut construction : nous assistons à la naissance d’un peintre. Son visage lentement se compose sous nos yeux, sachant que l’œuvre est connue par ailleurs.

Conteur passionné, Philippe Cezanne introduit chaque intervenant d’une plume libre et vivante  à l’instar de sa parole, loin d’une rhétorique classiquement universitaire.  Si le ton  se fait parfois personnel, l’information reste toujours  précise, la dimension scientifique toujours présente. L’auteur ne manque alors de prendre parfois parti, pour mieux mettre en valeur les propos de tous ceux qu’il invite dans cet « atelier » d’écriture qu’est ce livre. Un face à face alors s’impose au lecteur,  entre l’arrière-grand-père et l’arrière-petit-fils, comme si ces deux-là n’avaient jamais cessé de s’attendre et de se reconnaître.

Travail d’écriture, ce livre n’en est pas moins largement  « illustré ».
Le travail éditorial est à remarquer par le choix de la typographie, de la qualité des reproductions dans le cadre  d’une maquette aérée et dynamique.

 

Denis Coutagne, Président de la Société Paul Cezanne