Conclusion

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Un bien curieux parcours pictural que celui de Cezanne sur les bords de la Marne. A l’incitation de Guillaumin, il pensait certainement y trouver des coins de nature non pollués par la présence humaine. En fait, dans pratiquement tous ses parcours, il a dû composer avec un paysage en voie d’urbanisation ou déjà fortement urbanisé, comme à Charenton ou Maisons-Alfort. Cela ne pouvait lui plaire, lui qui écrira à sa nièce Paule Conil en 1902 :

Aix, 1er septembre 1902.

« (…) Je me souviens parfaitement de l’Establon et des bords autrefois si pittoresques du rivage de l’Estaque. Malheureusement ce qu’on appelle le progrès n’est que l’invasion des bipèdes, qui n’ont de cesse qu’ils n’aient tout transformé en odieux quais avec des becs de gaz et — ce qui est pis encore — avec éclairage électrique. En quel temps vivons-nous ! »

Entre 1888 et 1894, il a cependant la chance que le massacre odieux des paysages qui va suivre après les années 1895 n’est pas encore entamé ; de nombreux endroits restent à peu près préservés, voire encore vierges. Encore faut-il les chercher, comme le débouché dans la Marne du bras de l’île aux Corbeaux ou le rû du Morbras. Mais la plupart du temps, il faut recourir au cadrage du motif pour en faire disparaître les constructions qui l’entourent, comme à la pointe de l’île Brise-Pain à la sortie du Bras du Chapitre, ou au carrefour de ses différents bras face au Cochon de lait. Et quand il se résout à peindre ou dessiner telle maison, tel pont ou telle tour, c’est pour les noyer dans un océan de verdure, comme dans le Moulin Brûlé dont il ne retient qu’une partie sans intérêt architectural, ou les toiles de l’île Machefer.

Cette volonté de s’en tenir prioritairement au spectacle de la nature l’amène à développer un choix de motifs très personnels, loin des images védustistes classiques du tour de Marne. Par exemple, du parcours le plus célèbre qui est la remontée du Bras du Chapitre, il ne retient pratiquement rien de ce qui fait le bonheur habituel des peintres et des photographes. Ce n’est pas sans humour d’ailleurs que se plaçant sur le vieux pont de l’île Machefer d’où il jouit d’un point de vue privilégié sur le plan d’eau du bras, si pittoresque, qui s’étale à ses pieds, et qui attire tous les regards, il lui tourne délibérément le dos pour ne retenir que trois arbres rabougris du rivage sans le moindre attrait pour en faire une toile magnifique dédiée à la transparence… Comme aurait dit Baudelaire : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ».

On ne connaîtrait que les toiles de Cezanne, on ne pourrait absolument pas se douter de la physionomie réelle des lieux telle qu’elle apparaît dans les cartes postales anciennes. D’où notre souci de restituer « ce que voyait Cezanne » (cf. Alain Mothe, Ce que voyait Cezanne – Les paysages impressionnistes à la lumière des cartes postales, RMN, 2011) pour tenter de mieux comprendre ses intentions artistiques dans ce qu’il faisait de ce qu’il voyait.

Notre but dans cette étude s’est limité à fournir les moyens d’une mise en contexte de chaque œuvre, les meilleurs points de comparaison possibles, de la façon la plus rigoureuse et incontestable possible, laissant à chacun la liberté d’interpréter toiles et aquarelles selon sa sensibilité. Compte tenu du fait que toutes ces œuvres ont déjà provoqué des déluges de commentaires écrits par d’autres, il nous a paru inutile d’en rajouter. Nous avons cependant signalé quelques commentaires de Pavel Machotka présents sur le site de la société Cezanne qui nous ont paru appropriés, venant d’un fin connaisseur des procédés picturaux du peintre plus que d’un métaphysicien projetant ses interprétations sur la toile comme il s’en rencontre à foison.

Disons aussi pour finir le plaisir éprouvé à nous promener en compagnie de Cezanne et de découvrir par ce voyage dans le passé d’une région disparue ce qu’il a pu voir, qu’il l’ait ou pas choisi comme motif à peindre.

 

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