Écrivains et philosophes de la Route Cézanne

Pascale Cougard, 26 juin 2022

Ce texte est une réécriture des conférences données pour la Route Cézanne piétonne du 26 septembre 2021 et du 26 juin 2022.

Les leçons de Cézanne et les écrivains.

Espace couleur de pomme. Espace, brûlant compotier
René Char,Contre une maison sèche

 « Une route sait généralement ce qu’elle fait ; il n’y a qu’à la suivre » écrit Jean Giono dans son roman Les grands chemins. Comme Giono, Paul Cézanne aimait marcher et, dans sa peinture, il a souvent choisi le motif de la route et des chemins. Tout particulièrement cette route – qui fut un chemin – qui, partant d’Aix, trace un vaste ovale autour du massif de Sainte-Victoire ou bien ces petits chemins qui s’y faufilent, jusqu’à la roche s’élevant sous la poussée géologique des temps très anciens. À la suite du peintre aixois, beaucoup d’artistes sont venus, cheminant ou pas, sur ces routes aimantées par la montagne. Des peintres, des historiens et critiques d’art, mais aussi des écrivains et des philosophes. Au point qu’en 1959 un écrivain amateur d’art, André Malraux, ami du peintre André Masson, nommé ministre d’Etat de la Culture par le général De Gaulle, décide de classer au Patrimoine la petite route du Tholonet, qui prend alors le nom de Route Cézanne. Ce classement permet de protéger un site exceptionnel qui au fil des années se révèlera être un lieu inspiré, pour reprendre les mots de Maurice Barrès dans La Colline inspirée : « Il est des lieux où souffle l’esprit… Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère ».

C’est bien ce qui ressort de l’œuvre du peintre Cézanne : revenant définitivement dans son pays natal Aix-en-Provence, et se concentrant dans sa maturité sur le motif de Sainte Victoire, il s’est acharné à percer le mystère de la représentation picturale dans son dialogue incessant avec la montagne. Nous allons voir en quoi cette quête et ce combat ont inspiré des écrivains tout autant que des artistes peintres. Au cours des années, pour chacun d’entre eux, la démarche et l’œuvre de Cézanne ont été un exemple – selon l’expression de Ramuz.

Pour un créateur, le voyage sur les traces de Cézanne, qu’il soit fait dans la contemplation des œuvres ou bien in situ, dans le pays aixois, devient une initiation à sa propre vision intérieure. Toute histoire ayant des racines dans sa préhistoire, il est bon de revenir sur l’image qu’on pouvait avoir de Sainte-Victoire et ses paysages avant Cézanne, mais aussi du temps de Cézanne. Avant Cézanne le mont Sainte-Victoire (dont le nom originel, sans doute Ligure, est Ventur ou Venturius, conservé en provençal comme Santo Venturi, nommé Saint Venture au Moyen-Age) ne fait son apparition dans l’univers de la littérature et de la peinture qu’à la fin du XVIIIe siècle dans la concomitance des premiers explorateurs des montagnes – Alpes et Pyrénées – et de l’esthétique romantique se nourrissant des motifs et paysages sublimes que sont la mer, la forêt et la montagne. Les clercs régionaux, comme l’abbé Jean-Pierre Papon, historien de la Provence en 1780, ou l’abbé Constantin, ne manquent pas de donner une description de ce massif culminant à 1011 m, à l’est de la ville d’Aix-en-Provence. Ce dernier dans son livre Les paroisses du diocèse d’Aix, leurs souvenirs, leurs monuments, reproduit ce qu’en écrit Walter Scott dans l’un de ses derniers romans historiques, Anne de Geierstein ou la Fille des brumes, en 1829. L’action principale de cet ouvrage se situe pendant les guerres de Bourgogne, de 1474 à 1477, en Suisse, puis en Alsace, en Bade, en Bourgogne, en Lorraine et en Provence, sur la montagne Sainte Victoire. Le romancier écossais, visionnaire, évoque, dans un style romantique très à la mode de son temps, un monastère qui n’existe pas à l’époque du récit, car il n’est construit qu’en 1654, sur l’emplacement d’un ermitage datant du Ve siècle à l’initiative de Saint Cassien, fondateur de St Victor à Marseille où il meurt en 435. En voici la description :

« À cinq ou six milles de la ville d’Aix s’élève une montagne de trois mille pieds (915 m, petite sous-estimation !), à la cime hardie et rocailleuse. Voyez là-haut ce monastère qui s’élève entre deux énormes rochers. Il n’y a de terrain plat que le défilé où le couvent de Sainte-Marie de la Victoire se trouve pour ainsi dire niché. Pour gravir la montagne, il faut la contourner et suivre un sentier étroit et escarpé, tantôt escaladant des rochers presque à pic, tantôt atteignant leur sommet par un long détour. On serpente à travers un bois de buis sauvage et d’autres arbustes aromatiques, pâture des chèvres, mais qui retardent beaucoup la marche du voyageur. L’heure s’écoule avant d’avoir atteint la cime du mont et de se trouver en face du singulier couvent. Sa sombre façade répond à l’aspect sauvage des roches arides qui l’entourent partout, à l’exception d’un petit espace de terrain plus uni où les bons pères, à force de travail, étaient parvenus à se procurer la jouissance d’un jardin. Du côté d’Aix le couvent commande une vue superbe et illimitée. Un balcon naturel, placé sur le bord d’un immense précipice, semble établi pour jouir du coup d’œil. On détourne les yeux du gouffre pour admirer le paysage admirable surtout à l’heure du soleil couchant. Les derniers rayons de l’astre laissent voir dans une splendeur rougeâtre une variété infinie de montagnes et de vallons, de pays découverts et de champs cultivés, de villages, d’églises, de châteaux. ».

Plus tard, Stendhal dans ses Mémoires d’un touriste en 1838, aperçoit la montagne Sainte Victoire en l’évoquant juste par ces quelques mots : « plus curieuse que toutes les processions du monde ». Mais ni la marquise Sévigné, pourtant proche lorsqu’elle vient visiter sa fille en son château de Grignan ou de Lambesc, ni Casanova, ni Mérimée le Conservateur des monuments, ni Victor Hugo le poète voyageur, qui ont tous visités et célébré Aix-en-Provence comme haut lieu historique et touristique ; ni Flaubert et tous les écrivains familiers du salon parisien de son amie Louise Colet née à Aix-en-Provence, aucun de ces écrivains célèbres n’ont vraiment vu Sainte-Victoire. Même si pourtant la montagne apparaît déjà dans quelques tableaux des artistes peintres locaux, Jean-Antoine Constantin, Emile Loubon, Prosper Grésy ou François Marius Granet qui donnera son nom au musée d’Aix en 1949, à l’occasion du centenaire de sa mort. Il faut que Cézanne naisse à Aix en 1839 puis peigne le pays d’Aix ordonné autour de Sainte-Victoire pour que la vision qu’il en donne permette de voir la montagne et ouvre à d’autres champs perceptifs et créatifs, ce qui s’est fait, comme on le sait, surtout depuis sa mort en 1906 et surtout d’abord hors d’Aix-en-Provence, nul n’étant prophète en son pays !

Il serait toutefois injuste de ne pas évoquer, pour commencer, le camarade d’enfance Emile Zola (1940-1902), mort quatre ans avant Cézanne, étroitement lié au peintre par la célébrité. Même la gare TGV qui, à la fin du XXème siècle, a enfin ouvert le pays d’Aix « la belle endormie » à tous les départs et à toutes les aventures, témoigne par les noms donnés à son entrée et à sa sortie que deux grands hommes ensemble, l’un écrivain et l’autre peintre, ont suffi pour donner à Aix-en-Provence une réputation mondiale de beauté et d’enchantement !

Certes Emile Zola n’est pas né à Aix, mais à Paris où il retournera. Toutefois ses parents s’y installent lorsqu’il a trois ans et il y passe son enfance et sa jeunesse, jusqu’à ses 18 ans, gardant ensuite contact avec ses amis d’enfance, dont Paul Cézanne qui un jour le prit sous sa protection dans la cour de l’école. L’enfance passée à explorer ensemble les alentours d’Aix a engrangé en eux pour toujours un monde où « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Zola a reconnu le rôle que le pays d’Aix a joué dans son inspiration romanesque : « J’ai mis beaucoup de ma jeunesse dans mes livres, où j’ai retracé, je pense, plus largement qu’aucun romancier ne l’a jamais fait, mes expériences personnelles et même mes sentiments ». « Je revois les moindres sentiers des environs, les petits oliviers grisâtres, les maigres amandiers frémissants du chant des cigales, le torrent toujours sec, la route blanche où la poussière craque sous les pieds comme une tombée de neige. C’était la Grèce avec son pur soleil sur la majesté nue des horizons aux croulements des grands rochers fauves. », dit-il dans un discours prononcé lors d’un dîner donné par les Félibres.

Cinq livres du cycle des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, sont inspirés par les expériences aixoises : La Fortune des Rougon, qui ouvre le cycle, La Conquête de Plassans – nom romanesque d’Aix -, La Faute de l’abbé Mouret, L’œuvre et Le Docteur Pascal, le dernier et vingtième livre du cycle. C’est en tête de son premier livre, Contes à Ninon, qu’il trace l’image d’une nature dont les éléments vont revenir diversement orchestrés dans d’autres ouvrages. La préface dédiée à l’inspiratrice imaginaire, Ninon, esquisse la description de la campagne aixoise en l’associant aux rêveries amoureuses de l’adolescence :

« Les soirs de mai, à l’heure où la terre et le ciel s’anéantissent avec lenteur dans une paix suprême, je quittais la ville et gagnais les champs : les coteaux arides, couverts de ronces et de genévriers ; ou bien les bords de la petite rivière, ce torrent de décembre, si discret aux beaux jours ; ou encore un coin perdu de la plaine, tiède des embrasements de midi, vastes terrains jaunes et rouges, plantés d’amandiers aux branches maigres, de vieux oliviers grisonnants et de vignes laissant traîner sur le sol leurs ceps entrelacés. »[1]Contes à Ninon, GF 1971, p.43.

Dans les Rougon-Macquart, Zola, ayant trouvé la puissance de sa voix, se livre à un travail de recomposition du souvenir pour agencer le cadre géographique, dont le trait fondamental est la démesure, l’immensité, l’excès de toute sorte, la violence, mais aussi la fécondité, le dynamisme lié à la présence de l’eau sur cette terre de feu. Ce sont les axes symboliques que développe tout particulièrement le roman La Faute de l’abbé Mouret où Zola recrée le jardin d’Eden. Zola fait participer ses personnages au dynamisme vital à l’œuvre dans le monde qui les entoure : au Paradou la nature agit sur Albine et Serge, en leur faisant revivre à l’âge adulte le parcours qui mène tout humain, à l’image du premier couple, depuis l’existence végétative du nouveau-né jusqu’à la découverte de l’amour et du désir, parcours qui accomplit et couronne l’évolution entraînant toutes les formes de vie.

Quant à Joachim Gasquet (1873-1921), poète et critique d’art, il évoque « Ce mont de la Victoire qui monte au ciel comme un autel » en 1897 dans Narcisse, roman philosophique et poétique. Mais surtout, enthousiasmé par les deux toiles qu’il venait de découvrir dans une exposition locale, il va gagner la confiance du peintre solitaire dont il sera le précieux premier biographe dans un livre publié en 1921, où il évoque d’une plume lyrique non seulement la vie, mais aussi les propos du peintre au cours de leurs échanges. Il fait revivre les marches exaltées du peintre, à tout âge, battant la campagne aixoise rassemblée autour de la Montagne :

« Partout, bleue le matin comme une prière de vierge, flamboyante à midi, rose au couchant des ivresses cuvées du jour, sous son chapeau de nuages ou sa couronne de soleil, étageant sur ses pentes les nappes d’un autel encensé par le soir ou dressant au levant les chevaux de pierre de son bas-relief assyrien, partout, à l’horizon de toutes les plaines, dans la fuite de tous les chemins, Sainte-Victoire dominait, de coteaux en coteaux, entrait dans les yeux de l’enfant Cézanne . »[2]Cézanne, Encre Marine, 2002 p. 46.

Paul Cézanne lui-même avait un talent d’écriture, un goût pour la poésie, qui se manifesta par de nombreuses lettres à ses amis où l’on ne cesse de puiser pour mieux interpréter sa vision de peintre. Une fois Paul Cézanne et ses amis disparus, comment les graines des quatre-vingt sept tableaux représentant Sainte-Victoire – dont quarante-quatre huiles et quarante-trois aquarelles –, allaient-elles ensemencer d’autres artistes et tout spécialement d’autres écrivains ? C’est ce que nous allons découvrir maintenant.

Il nous faut en un premier temps sortir des frontières du pays d’Aix et même de la France – même si la première rétrospective parisienne de 1907 va permettre l’apparition des premières étincelles. En effet c’est au jeune écrivain autrichien Rainer Maria Rilke (1875-1926) que l’on doit les premiers écrits sur sa rencontre féconde avec Cézanne. Très tôt passionné par les images peintes ou sculptées, après avoir épousé un peu inconsidérément Clara Westhoff, une sculptrice, il s’installe seul à Paris pour mieux travailler. Il devient le secrétaire de Rodin, pensant s’approcher ainsi du modèle du grand créateur totalement consacré à son travail, ce qui lui donne la force de « transformer les émerveillements et jusqu’à ses angoisses en poèmes de plus en plus maîtrisés » comme l’écrit Philippe Jaccottet, son traducteur en français. Et voilà que, découvrant au Salon d’Automne de 1907 – il a 32 ans – la première rétrospective Cézanne, il y voit une confirmation de son propre choix, sur le plan de l’art comme celui de la vie. Et il l’analyse dans des lettres à sa femme, laquelle les réunira pour une publication autonome en 1952, traduite en 1991 sous le titre de Lettres sur Cézanne. Le jeune poète y reconnaît sa quête pour devenir un créateur qui se veut un ouvrier anonyme, d’une objectivité sans limites, accueillant la totalité du réel dans son regard, le beau comme le laid, en des œuvres closes sur elles-mêmes, où tout est commerce des couleurs entre elles, ce qui permet de transfigurer la réalité en peinture. La magnifique description, par exemple, de la « grande architecture colorée de La Femme au fauteuil rouge », est la réponse de l’écrivain à la résonance produite en lui par la contemplation du tableau :

« Devant une paroi terre verte que décore un rare motif bleu de cobalt, une croix au centre évidé, est placé un fauteuil bas, rouge, capitonné ; le dossier arrondi s’incurve en avant vers les accoudoirs (fermés comme l’extrémité des manches d’un manchot). L’accoudoir de gauche et le gland saturé de vermillon qui en pend n’ont déjà plus pour fond cette paroi, mais une large bordure bleu-vert qui donne à leur contraste sa pleine résonance. Dans ce fauteuil rouge – un personnage à lui seul – une femme est assise, les mains au creux d’une robe à larges rayures verticales, très légèrement indiquée au moyen de petites tâches éparses de jaune-vert et de vert-jaune, jusqu’au bord de la jaquette gris-bleu qu’un nœud de soie bleue où jouent des reflets verts ferme sur le devant. Sur le visage lumineux, la proximité de ces couleurs permet un modelé simple ; même le brun des cheveux en bandeaux couronnés par un chignon et le brun lisse des yeux sont obligés de s’affirmer contre ce qui les environne. C’est comme si chaque point du tableau avait connaissance de tous les autres. Tant chacun participe, tant s’y combinent adaptation et refus ; tant chacun veille à sa façon à l’équilibre et l’assure ; de même que le tableau entier, en fin de compte, fait contrepoids à la réalité. Si l’on peut dire en effet : voilà un fauteuil rouge (et c’est le premier fauteuil rouge, et le plus définitif de toute la peinture), il ne l’est pourtant que dans la mesure où il tient enfermée en lui une somme de couleur éprouvée qui, quelle qu’elle soit, le fortifie et le confirme dans son rouge. »[3]Lettres sur Cézanne, Seuil, 1991, p. 71-72.

Comme le dit la directrice du musée Marmottan en présentant l’exposition Cézanne et les maîtres, Rêves d’Italie qui a eu lieu fin 2020 : « Ça n’est pas ce que Cézanne représente qui est important, c’est la manière dont il le représente. C’est ce geste de peintre. Il est véritablement moderne en ce qu’il appartient à cette famille d’artistes qui voit dans la peinture, dans le geste, l’alpha et l’oméga de son œuvre. »

Peu de temps avant cette rencontre de Rilke et de Cézanne, en 1900, le suisse Charles Ferdinand Ramuz, né en 1878 à Lausanne dans le canton de Vaud (où il meurt en 1947), arrive lui aussi à Paris pour y préparer un doctorat de lettres sur Maurice de Guérin, il a 22 ans. Il y restera jusqu’en 1914, avant de repartir, à l’orée de la guerre, pour s’installer définitivement dans son territoire natal, parmi les vignes de Lavaux, menant une existence retirée tout en écrivant de nombreux romans — dont le plus célèbre est La grande peur dans la montagne en 1927 —, et publiant de nombreuses traductions. Une œuvre de grande envergure qui chante le monde paysan, la nature, la communion entre les hommes. Ce qui nous intéresse ici, c’est de voir que sur son chemin de retour au pays natal, il tient à se rendre à Aix-en-Provence, sur les traces du peintre qu’il aime et admire (lui aussi a vu la première rétrospective du Salon d’Automne), à la recherche de son propre rapport à la terre et au pays. Dans L’Exemple de Cézanne publié dès 1914, il narre le voyage entrepris, en tramway, depuis Marseille, puis à pied dans la campagne aixoise, qui le mène dans un pays à la fois éloigné et familier. En effet, il ressent Cézanne comme étant de la famille. La famille de ceux pour qui les choses ne vont pas de soi et qui doutent. Ainsi l’incipit du texte L’Exemple de Cézanne prend-il la forme d’une question : « Faut-il parler de ce petit voyage ? ». Un petit voyage qui suscite un petit texte, humble, racontant la découverte heureuse en ville, du dernier logis de Cézanne, rue Boulegon, « une rue presque pauvre » — une pauvreté quasi franciscaine qu’évoquait aussi Rilke dans ses lettres. Puis, plus importante encore, la découverte d’une campagne provençale dépouillée de son anecdote, de son folklore, qui se démarque, comme l’écrivain veut le faire lui-même, de tout régionalisme. On voit que cette montée vers Aix et au-delà vers la campagne environnante, à la recherche de Cézanne vivant — qui peut se lire comme un rappel ironique de la montée vers la capitale Paris, parfois décevante, qu’ont entrepris tant d’intellectuels et d’artistes —, devient une montée spirituelle :

« Un chemin se met à monter entre des murs. (…) On ne voyait rien encore, à cause des murs, dépassés seulement de distance en distance par la cime d’un cyprès ou des feuillages ronds ; mais quand celui que je cherchais s’est enfin dressé devant moi, c’est de partout qu’il s’est dressé, me sautant aux yeux. Cette ruine qu’une large crevasse prend en travers, surmontée d’un toit à un seul pan ; ces superpositions de rochers gris par couches de bancs horizontaux, entre lesquels il y a comme des paliers de gazon ; les hauts fûts tordus et roux des pins qui semblent d’entrecroiser au hasard sur un fond de terrain en pente, et pourtant une loi sévère décide de leur direction ; comment cette branche d’un vert sourd a l’air frottée de haut en bas sur la toile même du ciel ; ces groupements, ces rapprochements, l’encastré, le massif, l’essentiel de l’ensemble, et, au-dessus de tout cela, le ciel qui est la valeur la plus sombre, quand midi redoutablement donne, détachant l’un de l’autre les volumes : où que je me tournasse, il se tenait et il n’y avait plus que lui.(…) Tout prétexte est bon à Cézanne : planté dans ce pays, il ne va pas chercher plus loin. D’autres ont poussé jusqu’en Océanie ; lui a découvert l’Océanie dans son cœur. »[4]L’Exemple de Cézanne, Du Lérot éditeur, 2009, p. 19-23.

La prose poétique de Ramuz, dans une même conquête obstinée de la simplicité et du fondamental que son modèle, se met à l’écoute de la leçon de Cézanne : « Apprenez à voir sans intermédiaire » et « peindre d’après nature, ce n’est pas copier l’objectif, c’est réaliser des sensations ». On le voit, c’est une histoire de rencontre.

Un peu plus tard dans le vingtième siècle, après la Première Guerre mondiale qui brûle l’Europe et plus encore, c’est autour du peintre allemand Léo Marchutz, né à Nuremberg en 1903, mort en 1976, que vont graviter artistes et poètes lorsqu’il vient s’installer au Tholonet. Dessinant et peignant depuis l’âge de 13 ans, Marchutz découvre Cézanne et Van Gogh à Munich dans les musées, puis en 1921 approfondit sa connaissance de Cézanne dans une grande exposition sur le maître d’Aix qui se tient à Berlin. C’est en 1928 qu’il se décide à venir voir les paysages cézanniens et s’installe, comme l’a fait Cézanne, dans une chambre de Château-Noir, sur la petite route du Tholonet, à quelques kilomètres du centre d’Aix. Y revenant tous les ans, il va définitivement choisir d’y vivre et fonder une famille en 1931. Dorénavant la petite route du Tholonet va devenir un foyer vivant d’artistes et d’écrivains. Là, il accueille John Rewald à qui il transmet sa ferveur pour Cézanne, ainsi que Fritz Novotny, puis l’historien d’art italien exilé en France, Lionello Venturi, et Georges Duthuit, tous ceux qui posent les bases des études cézanniennes et commentent l’œuvre du peintre aixois méconnu dans son pays. On comprend que ce fourmillement créatif ait attiré d’autres peintres, comme André Masson qui installe sur la route son atelier en 1947. Dans cet après-guerre il faut respirer, reconstruire, poursuivre la quête sur les traces vivantes de Cézanne. Château-Noir, comme l’atelier d’André Masson deviennent des foyers féconds de rencontres où s’expérimente une nouvelle convergence entre peinture, poésie et pensée. Le poète Pierre Jean Jouve (1887- 1976) confie en 1952 à Léo Marchutz, qui vient d’acheter une presse à lithographie, la réalisation de 28 exemplaires numérotés de son ouvrage poétique Langue, qu’accompagnent trois lithographies de Balthus, Masson et Sima. Le jeune Yves Bonnefoy (1923-2016) et bien d’autres passent et se croisent dans ce lieu cézannien, gardant pour certains avec Marchutz les liens tissés au moment de leur emprisonnement dans le camp des Milles pendant la guerre.

Mais c’est surtout la rencontre du poète André du Bouchet (1924)2001), du peintre Tal Coat et du jeune phénoménologue Henri Maldiney venu sur les lieux vérifier un certains nombre de ses intuitions sur Cézanne, qui suscita amitié et création collective. C’est tout de même quelque chose que cette rencontre de trois expériences éprises avant tout de la Réalité, écrit Henri Maldiney à André du Bouchet en 1954. Leur sont proches Francis Ponge, Yves Bonnefoy, René Char, Samuel Beckett, Alberto Giacometti, Joan Miro, Nicolas de Staël ou François Cheng. La spécificité de l’œuvre d’André du Bouchet se tient dans son rapport étroit avec les arts plastiques. Comme les peintres, son écriture cherche la compréhension de l’énigme de la visibilité, en inventant sa propre mise en espace. Il écrit : « il s’agissait pour moi de formuler dans ma langue, qui est celle des mots et non pas celle des touches, mais des mots envisagés en tant que touches. Il me fallait, moi aussi être peintre. » La poésie apparaît donc pour lui essentiellement liée à l’exercice de la vue, alliant l’ample à l’infime dans la perception des éléments du monde :

« Quand tu as vu, à travers les mailles du hamac qui tout à coup a agrandi les yeux ouverts, la terre lisse se dérober comme de l’eau, tu as eu ta première leçon de poésie. »[5]Cahier noir 1951, Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p113.

Quelques extraits de « Le moteur blanc », in Dans la chaleur vacante paru en 1961 :

X Je freine pour apercevoir le champ vide, le ciel audessus du mur. Entre l’air et la pierre, j’entre dans un champ sans mur. Je sens la peau de l’air, et pourtant nous demeurons séparés. Hors de nous, il n’y a pas de feu.

XI Une grande page blanche palpitante dans la lumière dévastée dure jusqu’à ce que nous nous rapprochions.

XIV Alors, tu as vu ces éclats de vent, ces grands disques de pain rompu, dans le pays brun, comme un marteau hors de sa gangue qui nage contre le courant sans rides dont on n’aperçoit que le lit rugueux, la route. Ces fins éclats, ces grandes lames déposées par le vent. Les pierres dressées, l’herbe à genoux. Et ce que je ne connais pas de profil et de dos, dès qu’il se tait : toi, comme la nuit. Tu t’éloignes. Ce feu dételé, ce feu qui n’est pas épuisé et qui nous embrase, comme un arbre, le long du talus.

Vingt ans après, un autre écrivain étranger, l’autrichien Peter Handke (né en 1942) prix Nobel 2019, — qui a accepté avec émotion de parrainer l’Association de la Route Cézanne du Tholonet, fondée en 2006 — est venu lui aussi sur les pas de Cézanne. Grand marcheur comme Ramuz et tout particulièrement arpenteur de forêts, il se glisse sur la route Cézanne à la quête du peintre. Il écrit alors La leçon de la Sainte-Victoire, parue en 1980 et en 1985 pour la traduction française[6]Gallimard, Arcades. Peter Handke a toujours eu un rapport aux images et à la couleur si difficile que cela était devenu un jeu de famille de lui faire nommer les couleurs des objets, qui se confondaient pour lui. Par ailleurs dans le monde de son enfance, autour de lui, les images n’étaient qu’ornements superflus, réservés au monde de l’église. Pourtant il est de ces écrivains dont l’écriture est marquée par la peinture. Il va chercher dans l’espace des peintres une autre perception du monde et veut ainsi apprendre à voir. Le narrateur du texte La leçon de Cézanne raconte comment, après la rencontre avec l’œuvre de Hopper, puis de Courbet, au cours d’une exposition de Cézanne, au musée du Jeu de Paume, au printemps 1978, lui vient le désir d’étudier les tableaux de la dernière décennie, sans trop prêter garde à la représentation de la montagne Sainte-Victoire. Jusqu’à ce que cette montagne vue par Cézanne émerge en lui et devienne un but : « Le centre du monde n’est-il pas là où a travaillé un grand artiste plutôt qu’en des endroits comme Delphes ? » Alors un jour de juillet, il part à pied sur la Route Cézanne et au-delà — « c’était la montagne qui m’attirait comme rien encore dans ma vie ne m’avait attiré. » —, « un jour, dans les couleurs, je me suis senti chez moi. » Après avoir marché sur les chemins en bas de la montagne, il décide, le dernier jour de son séjour, d’y monter. Et c’est dans cette ascension qu’il découvre un « droit d’écrire » sur ce lieu, découvrant sa loi intérieure d’écrivain : « En présence de la beauté, ne pense pas toujours à des comparaisons avec le ciel. Regarde la terre, plutôt. Parle de la terre ou de ce simple endroit. Nomme-le avec ses couleurs.»

En gravissant Sainte Victoire, il renouvelle l’expérience qui lui a été suggérée par la contemplation du tableau de Cézanne Rochers près des grottes au-dessus de Château Noir : « Les pins, les rochers se dressaient tels quels au plus intime de moi-même comme s’envole un oiseau qui traverse le corps à gigantesques coups d’aile », une sensation d’être « tout près » qui est aussi un acte de connaissance, la découverte de « l’objet- image-écriture en un. » Cette expérience rejoint celle de Cézanne, rapportée par Joachim Gasquet :

« Je respire la virginité du monde. Je me sens coloré par toutes les nuances de l’infini. À ce moment-là, je ne fais plus qu’un avec mon tableau. Nous sommes un chaos irisé. Je viens devant mon motif, je m’y perds. Nous germinons. Ce coin de la terre où je me suis fondu… [Puis] les terres rouges sortent d’un abîme. Je commence à me séparer du paysage, à le voir. Une tendre émotion me prend. Des racines de cette émotion montent la sève, les couleurs. Une logique aérienne, colorée, remplace brusquement la sombre, la têtue géométrie. Tout s’organise. Je vois. »

Si la touche de couleur est première par rapport au dessin et à la ligne, dans les tableaux de Cézanne comme dans les descriptions que fait le romancier de la montagne Sainte-Victoire réelle, c’est que le rapport à l’espace, chez Handke comme chez le peintre, est une perception relative et changeante où se manifeste la rencontre entre l’espace du dehors et l’espace du dedans, le lien éphémère du moi et du monde extérieur. Les couleurs rendent compte d’une manière de voir, non d’un contenu. Ainsi Handke utiliset-il les possibilités de la langue allemande qui permet de désigner en même temps que les couleurs l’émotion qui l’accompagne. Le narrateur parle de la « mer bleu-calme » de L’Estaque, du « brun proche » de la forêt de Morzg et du « brun lumière rayonnant » du feuillage de hêtres. La peinture comme la description n’ont pas pour objet de fixer le visible, mais de représenter le moment d’une apparition. Paul Klee dit la même chose : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » Regardant de loin la montagne qu’il vient de gravir, le narrateur cherche le point autour duquel son imagination avait tellement tourné, la cassure sur le dos de la montagne à laquelle un nom a été donné, le Pas de l’Escalette :

« Quelque chose se mit à ralentir. Plus je regardais mon endroit, plus je devenais certain – d’une solution ? d’une découverte ? d’une conclusion ? Peu à peu la cassure sur la crête lointaine prit place en moi et devint un axe. D’abord la peur mortelle d’être écrasé entre les deux couches de rochers ; puis ce fut en moi, si toutefois cela fut jamais, l’ouverture, le seul souffle. Le bleu du ciel au-dessus de la croupe des collines devint chaud et le sable sur la partie dénudée incandescent. À côté, sur la partie boisée les corps des pins, tronc à tronc, d’un vert multiple, les zones d’ombre foncée entre les branches comme les rangées de fenêtres d’un lotissement à flanc de coteau qui s’étendrait au monde entier ; chaque arbre de la forêt, visible, tournant immobile, toupie éternelle ; et toute la forêt (et le grand lotissement aussi) tournait et se tenait immobile. (…) Et je vis devant moi s’ouvrir le royaume des mots. (…) Au-dessus de l’escalier qui menait au premier étage flottait un ballon bleu, attaché à la rampe. Dehors, sur une table, il y avait un pichet en émail rouge vif. Loin au-dessus du plateau du Philosophe, l’air était de ce bleu très frais dont Cézanne s’est si souvent servi pour peindre cette région. Les ombres des nuages passaient sur la paroi de la montagne comme si on cessait de tirer des rideaux ; et enfin (coucher de soleil précoce de la mi-décembre) le massif tout entier fit pris comme vitré dans l’éclat jaune, sans pourtant, comme d’autres montagnes, barrer le chemin du retour. Et je sentais la structure de toutes ces choses en moi, c’était mon équipement. »[7]La leçon de Cézanne, Gallimard, 1985.

Le narrateur peut désormais, à la lumière de la leçon de Cézanne, construire, par son regard objectivé dans la description, l’espace de la forêt du pays natal, établissant par l’imagination des liens entre les choses où surgit la mémoire de différents lieux et de différents temps.

À cette même époque, la célèbre helléniste Jacqueline de Romilly (1913-2010), qui fut la présidente d’honneur de l’Association de la Route Cézanne du Tholonet, publie en 1987 Sur les chemins de Sainte-Victoire, en mémoire de ses nombreuses marches dans le massif de Sainte-Victoire. Elle reviendra plus tard sur l’évocation de la maison qu’elle habite sur la Route Cézanne, ouverte sur Sainte-Victoire, dans Les révélations de la mémoire, paru en 2009. Mais c’est dès le début de la Seconde Guerre mondiale que cette grande dame, spécialiste de Thucydide, arrive à la Campagne May, acquise dans les années 1920 par ses beaux-parents. Elle vient s’y réfugier avec sa famille, en 1940, lorsqu’elle est suspendue de son poste, victime des lois antijuives — elle s’appelle Jacqueline David de son nom de jeune fille. Revenue à Paris après les années sombres, pour enseigner et écrire de nombreux livres incontournables dans le domaine du grec ancien, elle reviendra régulièrement dans sa maison du Tholonet, arpentant les chemins de Sainte-Victoire. C’est lorsque sa vue s’obscurcit qu’elle quitte la philologie grecque et change de registre, cherchant à sensibiliser un plus grand nombre de lecteurs aux richesses de la civilisation grecque en en montrant l’actualité. Puis elle écrit un roman, des nouvelles (en les dictant à la fin de sa vie) et ce récit magnifique Sur les chemins de Sainte-Victoire. Elle y raconte son lien passionné avec un site qui, en lui rappelant la Grèce par sa lumière, sa forme et sa grâce, lui procure de la joie et de la sérénité – un livre « sur la venue de l’âge » au moment où ce qui apporte du plaisir n’est plus de crapahuter sur ou dans le rocher, mais de le voir à distance:

« Il y a au monde bien des horizons qui sont, comme celui-ci, immenses et intacts. (…) Il a beau être vaste et libre, il se compose comme une œuvre d’art. Il ondule à loisir entre les hautes parois du plateau, à droite et à gauche ; il est savamment ordonné de manière à fermer l’ensemble par la forme lumineuse et lointaine de la montagne, qui lui sert de couronnement et l’aboutissement. On ne peut pas imaginer ce moutonnement de collines sans elle – pas plus que l’on ne peut imaginer le paysage de Delphes sans les Phédriades. Et l’arrêt même qu’impose au regard cette forme noyée de lumière est assez lointain pour laisser intact le sentiment de la grandeur, et pourtant assez proche pour restituer au tout une dimension humaine. Tandis que l’on marche, et chaque fois que l’on s’arrête ; et dans chaque sens, et à toute heure, le paysage est construit autour de la montagne, dont la beauté distante lui donne son sens et son orientation. C’est une beauté majestueuse, mais tendre. C’est une présence amie, que l’on ne peut atteindre, mais qui toujours vous fait signe. Mais, avant tout, et sur elle et sur les collines, c’est la lumière, ici, qui, changeante et dorée, vous porte comme une aile. (…) Elle fait chanter les collines. Elle semble s’être fixée sur le haut des pins, où reste toujours un reflet plus clair, comme passé et teinté d’or. Elle semble sortir des chemins et des pierres, qui ne sont pas, les uns bruns, et les autres grises, mais, les uns d’un brun lumineux, les autres d’un gris léger et rayonnant de soleil. »[8]Sur les chemins de Sainte-Victoire, Julliard, 1987, p. 69-70.

En ces temps là aussi, l’universitaire et romancier Raymond Jean explore l’univers cézannien aixois, au sein duquel il vit. Dans une biographie intitulée Cézanne, la vie, l’espace, il prolonge chaque partie documentée de la vie du peintre par une description actualisée des lieux et des paysages. Ainsi le chapitre La Sainte-Victoire se conclut-il par une évocation de ce que peuvent découvrir les promeneurs en tous genres :

« Aujourd’hui, la route qui conduit d’Aix au Tholonet et au-delà porte le nom de Route Cézanne. Elle est très empruntée et permet de découvrir le pays d’Aix dans ce qu’il a de plus caractéristique. La jonction de la campagne et de la ville se fait aux environs de l’ancien pont de la Torse où s’édifient maintenant de calmes immeubles résidentiels – Jardins d’Arcadie ou Jardins de la Torse – sous le signe « Art et Construction ». Passé ces zones, la route plonge et remonte plusieurs fois vers le paysage de 10 la Sainte-Victoire. Des pins, des cyprès, des oliviers, le chant des cigales, très fort, l’été. Incroyable de stridence quelquefois, dans le silence de midi. Des propriétés, des « campagnes » très belles, très abritées, aux noms riants. Des maisons, des résidences, qui rappellent que la peinture est présence en ces lieux, rôde partout. L’atelier de Léo Marchutz, niché dans les arbres à gauche, qui continue à recevoir des élèves. La maison d’André Masson, plus bas, à droite. Plus loin, à gauche l’étrange bâtisse, très cachée, très enfouie, de Château-Noir : curieuse façade avec ses trois fenêtres en arc brisé à bordures de briques. Lieu assez âpre, très protégé, où viennent séjourner des artistes, des créateurs, des peintres. Cézanne y louait une pièce dans le cabanon de la cour dite « du pistachier » (un bel arbre exotique aux branches convulsées) : il rêva un moment, après la vente du Jas de Bouffan, d’acheter la propriété entière, attirante à ses yeux par son emplacement et son aspect sauvage. Mais aussi sur cette route d’autres repères. Nombreux embranchements de chemins de terre. Vallonnements, tertres, tournants. Brutal et douloureux rappel de l’histoire : dans une courbe, une « plaque du souvenir placée sous la sauvegarde du passant », hommage au souvenir de six jeunes résistants fusillés là en août 1944. Et puis, bien entendu, ce qui commémore surtout Cézanne lui-même. Sur ce talus de terre rouge du côté gauche de la route où il était supposé monter, avant le chemin de Saint-Jacques, on a posé une petite stèle, très sobre, qui indique : « D’ici, Cézanne a peint le paysage de la Sainte-Victoire. »(…) Mais, bien entendu, c’est la montagne Sainte-Victoire elle-même qui garde la plus grande valeur commémorative. Dès le point de la route où elle fait sa première apparition, elle a cette force exceptionnelle qui fait qu’elle est à la fois toute pierre et tout soleil, toute massivité et toute lumière, admirablement découpée, taillée dans la clarté de ce ciel. Et, si habitué qu’on soit, on n’en est pas moins visité chaque fois par la surprise sinon l’éblouissement. »[9]Cézanne, la vie, l’espace, Seuil, 1986, p. 286-288.

Raymond Jean se plaira un peu plus tard à raconter l’amitié de Cézanne et de Zola, dans son livre Cézanne et Zola se rencontrent[10]Actes Sud, 1994.

On l’a vu, les grandes expositions de l’œuvre de Cézanne provoquent chaque fois des publications savantes et suscitent des passions d’écriture. Après la grande rétrospective organisée en 1995 au Grand Palais, plus de cinquante ouvrages sur le peintre aixois ont été publiés – des textes littéraires, des biographies, des biographies fictionnelles, des récits mêlant approche autobiographique et biographique – suivant l’évolution des formes narratives depuis le début du XXe siècle. Habitué au dialogue avec des artistes (Michel Leiris, Bram Van Velde, Pierre Soulages, Samuel Beckett, etc.) le poète et romancier Charles Juliet (né en 1934) toujours plus ému au contact des œuvres de Cézanne, décide de lui écrire, dans un court texte qu’il intitule, Cézanne, un grand vivant[11]1995, réédité en 2006. Il choisit pour son récit la forme épistolaire, s’adressant au « grand vivant » qu’est pour lui Cézanne. Dans cette lettre, pudique, sensible, et d’une clarté lumineuse, il raconte qu’au départ de son élan vers le peintre, il y a bien l’empreinte d’un pays, dont le narrateur, adolescent, a partagé avec lui la connaissance des routes, de l’eau et de la lumière. Puis la familiarité grandissante avec l’œuvre et son créateur a révélé peu à peu l’écrivain à lui-même. Car Juliet partage avec Cézanne l’humble et exigeante recherche de la vérité, qui est aussi, au-delà des doutes, une quête de soi :

« En devenant attentif à ce qui naissait puis se développait en vous – sensations, perceptions, émotions diverses, états si complexes qu’ils ne peuvent être nommés …) – il est certain que vous avez été contraint d’entreprendre un voyage en vous-même. (…) Ainsi, vous avez connu le doute, la solitude, vous avez été abreuvé de souffrances, mais rien n’en transparaît dans vos toiles. Ce qui aurait pu vous abattre, vous le convertissiez en son contraire, de sorte que votre œuvre n’est qu’harmonie, sérénité, paisible bonheur de la contemplation. Combien nous sommes peu attentifs. Ceux que nous fréquentons et que nous croyons connaître, nous ne les connaissons pas. Enfermés dans notre histoire, prisonniers de nos problèmes, nous sourds et aveugles, incapables de nous arrêter à celui que nous rencontrons. Vous qu’on voyait comme un raté, comme un homme qui avait eu de légitimes ambitions puis s’était enlisé, vous étiez ce peintre révolutionnaire dont l’œuvre allait marquer l’histoire de la peinture. Qu’on vous ait à ce point méconnu est somme toute conforme à la nature de la quête dans laquelle vous étiez engagé. L’être qui atteint à la grandeur est aussi le plus humble, le plus anonyme. Il ne peut que passer inaperçu. »[12]Cézanne, un grand vivant, P.O.L. 2006 p.25, 59-60.

Un autre romancier amateur des paysages aixois, Bernard Fauconnier, qui est aussi l’un des biographes de Cézanne dans la jolie collection Folio Biographies, s’empare de la montagne cézannienne. Il publie L’incendie de la Sainte Victoire[13]Grasset, 1995 – Livre de poche, 2019. L’incendie qui ravage à la fin de l’été 1989 Sainte Victoire, lui sert de métaphore pour évoquer la fin d’un XXe siècle souvent chaotique. Il construit le roman en strates historiques depuis le jour où, à la fin du XIXe siècle, Cézanne imagine de peindre l’embrasement de la montagne, inaugurant ainsi l’art contemporain, jusqu’au chaos de l’effondrement de l’empire soviétique – dont nous vivons encore les conséquences aujourd’hui. Le roman est composé à la manière de Cézanne qui jouait avec les couleurs comme un musicien avec les sons, revenant sans cesse sur les mêmes lieux à des époques différentes. Il commence alors que le peintre Paul Cézanne, insatisfait de son travail du jour, abandonne rageusement sur le bord d’un chemin une toile figurant la montagne Sainte-Victoire en flammes. Puis, nouvelle temporalité, en août 1989, Sainte-Victoire est dévastée par un incendie. Pour Sarah et Thomas, un couple dont l’union vacille, c’est le passé qui resurgit. Sarah est la fille de Friedrich Balmer, chef d’orchestre juif allemand qui, fuyant le nazisme dès les années trente, acheta la maison aixoise du baron Bâche et du même coup devint propriétaire de la toile ; elle lui sauva la vie durant la guerre, puis de nouveau s’égara dans le désordre de l’Histoire. Le tableau abandonné par le peintre passe de main en main, jusqu’à réapparaître à la fin du roman, métaphore d’une renaissance toujours possible. Des doutes du baron Bâche, lié à l’entourage du grand peintre, au passé resurgi de Thomas, dont l’amitié avec Vincent renvoie l’écho des liens de Zola et de Cézanne, en passant par les épreuves du compositeur Friedrich Balmer, qui échangera le tableau contre sa libération du camp des Milles, le cheminement intérieur des personnages est toujours confronté à l’avènement de la création et à la précarité de l’art. L’incendie qui a ravagé la montagne rejoint la barbarie d’un siècle qui n’a pas su protéger la beauté. Mais la beauté, même si elle est détruite bien souvent, demeure, si nous la cherchons et la cherchons encore :

« A force de regarder la montagne, de la saisir en masse ou d’en découper la forme en parcelles biseautées qui, sur certaines des toiles qu’il peignait à cette époque, finissaient par ressembler à des cubes, à force de la fouiller, de la surprendre dans ses métamorphoses, dans les nuances bleues ou roses que la lumière dessinait surs ses flancs rugueux, Paul Cézanne se prenait à penser au grand embrasement, des accès de fureur le saisissaient parfois, comme une rage de destruction. (…) Peut-être trouvait-il dans cette violence qu’il s’infligeait, la volonté de rebondir, le moyen de s’élever. (…) Levé à l’aube, il n’attendit pas la voiture qui devait le conduire sur le motif. Le chevalet sur l’épaule, son sac en bandoulière, il se mit en route vers la montagne. Il voulait la toucher de plus près. (…)  Il couvrit la toile, vers le haut, d’un dôme de couleurs flamboyantes. Il peignit un ciel embrasé, un chapiteau de feu assombri de quelques touches noires pour figurer la fumée. Puis en dessous, d’un seul trait, il traça la forme encore sereine de la montagne. Mais ça n’allait pas. Le feu et la montagne semblaient être deux éléments distincts, indépendants l’un de l’autre. Il fallait, comme toujours, préciser le dessin avec la couleur. Il étendit alors le feu, à grandes glissades de couteau, jusqu’aux pentes abruptes du côté sud. Maintenant, sur le tableau, il y avait une énorme masse de jaune et de rouge qui faisait comme de grandes flammes tourbillonnantes : la montagne était en feu. Il revint comme un somnambule, portant la toile sous son bras, hanté d’un sentiment vague, entre la culpabilité et l’allégresse. Il avait franchi un pas. Il lui semblait que la montagne était vaincue. La forme, enfin, s’était consumée dans l’incandescence des couleurs. ( …) Il faisait fausse route parce qu’en peignant la montagne ravagée par un incendie imaginaire, il peignait une situation et non une idée ou une forme. Il n’avait que faire des situations ou des anecdotes. La montagne avait déjà brûlé dans le passé, elle brûlerait sans doute encore, mais cela ne changerait rien à son être profond. (…) Naturellement il aurait pu emporter la toile avec lui, la gratter, la nettoyer, et peindre autre chose par-dessus, comme il l’avait fait souvent. Il eût été le seul à connaître la vraie nature de ce palimpseste pictural, cet enfouissement d’un rêve d’embrasement sous l’innocence d’une forme pacifiée. Mais il en décida autrement. Ou plutôt il ne décida rien, laissant agir pour lui, dans un violent geste de rejet, le jeu incertain du hasard. Il abandonna la toile contre un arbre, à l’entrée d’un chemin qui conduisait à une maison inconnue, et il poursuivit sa route. »[14]L’incendie de la Sainte Victoire, Grasset, 1995, p.15, 16.

Inspiré lui aussi par l’exposition parisienne, l’écrivain Robert Marteau (1925-2011), poète, romancier, essayiste, publie Le Message de Paul Cézanne en 1996, rendant compte, comme le fit Rilke près d’un siècle auparavant, de sa visite à l’exposition du Grand Palais. Il explicite ainsi son projet : « Tout au long d’une exposition se rendre chaque jour sur les lieux ; se mettre à l’écoute ; attendre que l’une ou l’autre toile fasse signe, devienne parlante. » Le texte est un récit subjectif autobiographique où l’auteur montre les liens étroits entre son parcours personnel et celui de Cézanne. La dernière grande exposition en France de Cézanne a eu lieu à Aix même, en 2006, pour le centenaire de la mort du peintre aixois, devenu une célébrité mondiale. Le conservateur du musée Granet, Denis Coutagne, l’organise en deux volets, à Aix Cézanne en Provence, et au musée du Luxembourg, Cézanne et Paris.

Deux collections consacrées aux rapports entre la littérature et l’art mettent alors dans leur catalogue des ouvrages autobiographiques d’écrivains inspirés par Cézanne, et qui sont tout à la fois une plongée dans la narration et dans l’histoire de l’art moderne. Des récits au statut littéraire ambigu, entre roman, autobiographie et histoire, tout à fait caractéristiques de l’évolution des formes romanesques de la fin du XXème siècle. Catherine Flohic publie dans une petite collection illustrée dont le titre « Entre-deux » dit bien le projet, Le noir et le bleu d’Hubert Lucot[15]Argol, 2006. Ce dernier montre comment Cézanne fut un maître pour sa propre création, plus que Stendhal ou Joyce, en évoquant les noirs, les transparences et les blancs de la peinture cézannienne et les enjeux de la représentation après l’invention de la photographie. La belle collection « L’un & l’autre » chez Gallimard, initiée par Jean-Bertrand Pontalis, propose en 2005 La petite route du Tholonet de François Gantheret (1934-2018). Le propos de la collection est d’inviter un écrivain à rédiger une biographie imaginaire ou fantasmée d’un artiste connu, oscillant entre parole subjective et objet extérieur. Il est formulé ainsi :

« Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle. L’un et l’autre : l’auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d’un autre et l’autoportrait, où placer la frontière ? Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure ; personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus »

La Route Cézanne est ici la scène d’un récit subjectif, bien loin de la biographie traditionnelle. Psychanalyste, le narrateur, revient quarante ans après sa première marche sur la « petite route du Tholonet ». Il y cherchait alors une femme qu’il avait quittée trop vite, et revenu sur ces lieux nommés maintenant Route Cézanne, il mêle à ses souvenirs personnels l’évocation des amours et du désir obstiné de son héros secret, le peintre Paul Cézanne, pour mieux s’y projeter. Il raconte aussi le choc que fut sa rencontre avec Cézanne :

« Comme une rencontre au détour d’un sentier étroit où il faut s’arrêter brusquement parce qu’on ne passera pas à deux. Un livre encore, distraitement feuilleté, sans intention particulière. Sur la page de gauche, une photographie, sur celle de droite un autoportrait. (…) À l’instant où il m’a regardé. Ces sourcils qui sont si réguliers, plats et harmonieux sur la photographie, et qui là se relèvent attentifs et charbonneux, soupçonneux et sévères, je les connais, et les yeux sombres qu’ils abritent, des yeux sans indulgence qui constatent, qui jugent, les yeux du dedans qui ne s’en laissent pas conter. »

Puis il médite sur ce que les recherches cézanniennes ont produit sur sa conscience, ouvrant en lui des espaces de vision :

« Voir autrement : cette vieille maison, oublions que c’est une maison. Pensons-voyons-ressentons comme si nous étions elle, et comment un rythme, des forces, des tensions, des exigences colorées secrètent nécessairement cette forme cubique et grise. Là, un instant, le miracle se produit : car la lumière a changé – elle change sans cesse ! – et le poids de l’espace n’est plus le même et ce n’est plus la même maison, nous respirons ensemble à ce même rythme. J’ai touché à quelque chose dont je ne peux garder le souvenir. Celui, seulement, que cela a existé, mais pas la chose elle-même, partie dans l’instant suivant. J’ai entrevu un monde nouveau. J’ai été dans le temps, je n’étais plus immobile sur la rive du fleuve, survivant de l’éphémère, j’ai accompagné vivant le flot vivant. Si peu de temps, et déjà la nostalgie ! C’est cela que Cézanne me permet d’effleurer, ai-je pensé. Et peut-être est-ce possible aussi avec des mots, s’ils n’arrêtent pas le temps, mais au contraire apparaissent comme des touches vivantes, nécessaires et changeantes. »

Chez François Gantheret aussi la proximité avec la peinture de Cézanne provoque une réflexion sur l’art d’écrire :

« Ecrire comme il peignait. Désir insensé comme tout désir, mais pourquoi et comment le révoquer ? Poser les mots, comme il posait les touches de couleur. Laisser celui-là venir, puisque le précédent l’appelait, prendre un peu de recul, écouter la musique qui se cherche à l’intérieur de moi. La ligne mélodique qui se devine, timide encore dans le brouhaha des possibles. Le rythme qui commence à insister, qui devient exigeant. »

Nous le voyons, Paul Cézanne, par son œuvre exigeante et forte, par sa mystique d’artiste, depuis plus d’un siècle a été l’initiateur et le compagnon de route de beaucoup d’écrivains et de poètes. Aujourd’hui il est célébré autant dans sa ville d’Aix que dans le monde entier comme ayant été un acteur essentiel de l’histoire de l’art, une porte vers l’art moderne. Aujourd’hui l’Association de la Route Cézanne du Tholonet cherche avec de nouvelles forces à mettre en valeur le singulier pouvoir qu’exerce ce lieu cézannien sur l’esprit de ses habitants ou de ses visiteurs. Notre parcours ne semble-t-il pas s’achever ? Nous retournant, nous jetons un coup d’œil émerveillé sur tant de passion, tant de beauté renouvelée. Faudrait-il donc parler au passé ? L’art contemporain peut-il s’emparer des lieux cézanniens ? Fabienne Verdier est venue passer en 2019 une année dans les hauts lieux cézanniens, exposant et créant sur le motif, au coeur de Sainte Victoire. Alors quels seront aujourd’hui les écrivains qui, attirés par le génie de ce lieu, lui trouveront assez de séduction pour le parcourir, le contempler, l’habiter de loin ou de près, s’en inspirer pour les métamorphoses de l’écriture ? Qui saura réécouter encore les leçons de Cézanne, de sa lutte avec cet ange qu’a été pour lui la montagne Sainte Victoire et des chemins qui y conduisent ?

A cette question, posée il y quelques mois, répond aujourd’hui un beau roman publié en janvier 2022 par Anne Sibran , Le premier rêve du monde[16]Gallimard, collection Haute enfance. Un roman qui rejoint les questionnements contemporains sur ce qui menace notre maison-Terre, tout en étant une méditation poétique sur la beauté et sur le regard de l’artiste. La romancière, après des études d’ethnologie et de philosophie, ayant appris le quechua à L’Institut National des Langues et Civilisations Orientales, est partie habiter avec sa famille en Equateur, entre la côte et la forêt. Elle y travaille avec les chercheurs de l’université Andine de Quito et l’université San Francisco de Cumbaya, sur le thème des peuples premiers et de la protection de la forêt première du Yasuni où vivent les derniers chasseurs-cueilleurs du pays. Un travail de terrain qui lui a permis d’écrire plusieurs fictions pour France Culture, dont Le cercle sauvage et le roman, Enfance d’un chaman[17]Gallimard, prix Ecritures et spiritualités. Sa vie et son écriture sont imprégnées de ce balancement entre notre monde et les communautés indigènes de la Cordillère des Andres et de la forêt amazonienne. Le peintre Cézanne, dont elle aime passionnément l’œuvre, lui a paru encore plus proche quand, à des milliers de kilomètres de la France, elle écoutait les anciens Sacha Runa lui raconter comment ils habitent la forêt. Pour prendre la défense de l’Amazonie si grandement menacée par des violences de toutes sortes, Anne Sibran raconte alors la rencontre de trois personnages : le vieux Cézanne que ses yeux font tant souffrir qu’il craint de perdre la vue ; Barthelemy Racine, ophtalmologue spécialisé dans l’opération des cataractes et son épouse Kitsidano, jeune Indienne aveugle de naissance, qui voit ce qui ne se voit pas. Le titre, Le premier rêve du monde, et le tableau de la couverture (Le Ruisseau, vers 1895- 1900, qui représente la vallée de l’Arc) évoquent cette innocente beauté dont les yeux des premiers hommes se sont emplis, que le peintre Cézanne ce « maître d’humanité pour notre temps » — comme le dit Peter Handke — a voulu obstinément représenter, lui qui disait « Je voudrais retrouver ces sensations que l’on a en naissant. » Devenu familier de l’ophtalmologue qui a soulagé ses yeux, parlant de sa peinture avec lui il tente d’expliquer sa démarche picturale :

« Avant de commencer ma toile, poser la première touche, je dois d’abord trouver le fond, vous comprenez. On peint toujours du plus profond vers la surface, comme la terre nous apprend- il n’y a qu’à voir comment la graine s’enracine bien d’abord avant que de percer. Et ce fond de paysage que je veux mettre sur ma toile, cette sensation qui va l’habiter d’abord comme une conscience, un souvenir bleuté, est aussi le fond du monde. Je veux dite son origine, son premier rêve. Le monde dans sa virginité. Alors quand je suis dans cette sensation, qu’elle se traduit à moi, mes yeux, ils ont tout oublié. Ils sont devenus innocents, revenus comme au premier jour. »

Le travail de l’artiste devient alors une quête mystique dont les péripéties ouvrent sans cesse à d’autres aventures.

Concluons, provisoirement, avec ces lignes de François Gantheret :

« Le temps jaillit sans cesse comme la couleur, dans la couleur qui ne se lasse pas de sourdre d’elle –même et de (se) (re-)créer. Jusqu’à la mort, pour Paul, et bien au-delà de sa mort, il n’est jamais trop tard, car rien, jamais, n’est achevé. Forçant sur sa carcasse, l’obligeant à suivre, il s’avance, sans cesse, vers Sainte-Victoire, l’éternellement belle, l’intemporelle à chaque instant naissante, jamais atteinte. » (…) Car « demeurent, résident en leur être, intangibles, les pommes de Cézanne, les hommes debout de Giacometti, Sainte-Victoire ».

Références

Références
1 Contes à Ninon, GF 1971, p.43.
2 Cézanne, Encre Marine, 2002 p. 46.
3 Lettres sur Cézanne, Seuil, 1991, p. 71-72.
4 L’Exemple de Cézanne, Du Lérot éditeur, 2009, p. 19-23.
5 Cahier noir 1951, Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p113.
6 Gallimard, Arcades
7 La leçon de Cézanne, Gallimard, 1985.
8 Sur les chemins de Sainte-Victoire, Julliard, 1987, p. 69-70.
9 Cézanne, la vie, l’espace, Seuil, 1986, p. 286-288.
10 Actes Sud, 1994
11 1995, réédité en 2006
12 Cézanne, un grand vivant, P.O.L. 2006 p.25, 59-60.
13 Grasset, 1995 – Livre de poche, 2019
14 L’incendie de la Sainte Victoire, Grasset, 1995, p.15, 16.
15 Argol, 2006
16 Gallimard, collection Haute enfance
17 Gallimard, prix Ecritures et spiritualités