À propos des vues de la mer à L’Estaque par Cezanne

Il faut d’abord, bien sûr, lire le catalogue L’Estaque. Naissance du paysage moderne 1870-1910 qui accompagna en 1994 l’exposition au musée Cantini, à Marseille[1]L’Estaque. Naissance du paysage moderne 1871-1910, exposition du 25 juin au 25 septembre 1994, Marseille, musée Cantini, 248 pages, éditions de la Réunion des musées nationaux(RMN)., et l’article intitulé simplement L’Estaque publié par Denis Coutagne en 2013 sur le site de la Société Paul Cezanne, où tout est dit en détail sur ce petit port méditerranéen de L’Estaque, devenu aujourd’hui un simple arrondissement de Marseille comptant environ 6500 habitants, contre un peu moins de 5000 à l’époque de Cezanne.

Il ne s’agit ici que de remarques sur les trente-cinq tableaux qui montrent la mer, que Cezanne peignit entre les années 1870 (on date très vaguement, vers 1870-1871 ou un peu plus tard, L’Estaque, effet du soir, conservé au musée du Louvre[2]Le tableau s’y trouve depuis 1977 (quand il devrait être au musée d’Orsay) parce qu’il appartient à la donation Hélène et Victor Lyon, qui ne peut être démembrée. On peut remarquer qu’il est précédé de trois tableaux de Cezanne montrant que des rochers (catalogue Rewald n° 58, 68 et 86). ) et 1885 (selon le catalogue établi par John Rewald, qui donne approximativement cette date aux deux Golfe de Marseille, vu de L’Estaque, de l’Art Institute de Chicago et du Metropolitan Museum of Art de New York[3]Cezanne, Le golfe de Marseille, vue de L’Estaque (catalogue Rewald n° 625 et 626)., considérant ces œuvres comme les dernières que le maître y peignit), soit une quinzaine d’années seulement, mais au cœur de la création cezannienne.

Trente-cinq tableaux donc en une quinzaine d’années, ce n’est pas considérable dans une œuvre qui en comptent un peu plus de 950, mais il faut considérer que des tableaux peuvent être perdues, que l’artiste ne vint pas régulièrement à L’Estaque, qu’il n’y restait parfois que quelques jours et qu’à L’Estaque même, il se tourna souvent vers l’intérieur, en ignorant la mer[4]Au trente-cinq tableaux, et sans parler d’un ou deux parmi eux où on ne voit que très peu la mer au loin. il faut en ajouter moins d’une dizaine qui ne la montrent pas du tout.. On peut se demander, par ailleurs, pourquoi il n’y peignit jamais ni baigneuses ni baigneurs, quand on en trouve de si nombreux dans son œuvre[5]On aimerait savoir où furent peintes les grandes versions du Baigneur aux bras écartés des années 1877-1878 appartenant à des collections privées (catalogue Rewald n° 369 et 370) ; mais leur fond résulte sans doute d’une simple imagination, dans l’atelier, comme pour les multiples baigneuses représentées par le peintre. Le même motif du Baigneur aux bras écartés apparaît tôt, dans de petites toiles que l’on date d’environ 1876 (catalogue Rewald n° 252, 253, 255). : ne trouve-t-on pas déjà là une indication de sa relation difficile avec la mer ?

Sachant que Cezanne ne datait ses œuvres que très exceptionnellement et n’en parle quasiment pas dans sa correspondance, la première chose à remarquer, c’est que les datations proposées par les spécialistes des œuvres peintes par Cezanne à L’Estaque sont vraiment très variables : ainsi pour les deux La mer à L’Estaque vue à travers (ou entre) les arbres du musée Picasso à Paris, et d’une collection privée newyorkaise, Lionello Venturi propose en 1936, dans son Catalogue raisonné, les dates 1883-1886, et, soixante ans plus tard, dans le sien, John Rewald les dates 1878-1879, ce qui change tout de même beaucoup de choses et dit l’incertitude des appréciations uniquement stylistiques.

Aussi bien est-il difficile et risqué, peut-être illusoire, d’essayer de regrouper les œuvres. En fait, la difficulté de datation de celles peintes par Cezanne à L’Estaque est liée au fait que les trois plus longs séjours qu’il y fit sont relativement proches : d’abord entre mai et octobre 1877, puis entre juillet 1878 et février 1879, et enfin entre mai 1883 et février 1884, et c’est donc là le plus long, d’environ dix mois.

II faut donc noter que Cezanne, un peu plus de vingt ans avant sa mort, soit vers 1885, abandonna le motif de la mer, et sans doute non seulement parce qu’alors il ne se rendait plus à L’Estaque (quand il n’acquit sa maison des Lauves qu’en 1901, pour y faire construire son atelier). On peut penser que des vues accordant beaucoup de place à la mer, grand motif mouvant s’il en fut, ne pouvaient entièrement lui convenir, et qu’il ne s’attacha qu’assez rarement de même à des bords circonscrits de rivière, la Marne ou l’Oise, et une seule fois à la tranquillité du lac d’Annecy. Ce qui éclaire aussi le fait qu’il ait consacré une grande part des dernières années de sa vie au motif immobile d’une montagne.

Si l’on en revient au tableau du Louvre, l’un des plus anciens sinon le plus ancien de la « série », on constate que c’est le seul où la mer est très proche, qui vient presque jusqu’au bord inférieur de l’œuvre, et il faut imaginer Cezanne installé là, non loin, ce qu’il ne fera plus. Aucun autre tableau, en tout cas, n’approchera d’aussi près la mer. Et Il est frappant que le peintre lui oppose alors la masse d’une grande falaise surmontée par quelques arbres penchés que l’on pourrait craindre de voir tomber un jour, comme s’il éprouvait le besoin de rendre ainsi plus sensible la stabilité d’une vue qui, pour partie, lui échappe, ou, pire, menace de lui échapper. Aussi ne peindra-t-il jamais de vues horizontales de la mer depuis une plage, sous un grand ciel[6]Hormis peut-être La plage, d’une collection privée au Texas, daté 1877-1878 (catalogue Rewald n° 382). Rewald doute d’ailleurs expressément qu’il s’agisse d’une vue de L’Estaque. En dépit du fait qu’il appartint à Monet, cet étrange tableau ne pourrait-il pas avoir été « arrangé » ou simplement être un faux ?, ni de grands ciels seuls, tels qu’on en trouve chez Constable, Delacroix (qu’il révérait), Courbet ou Eugène Boudin. Cette « position » de Cezanne paraît définitive et, quand il peindra désormais la mer à L’Estaque, il s’en tiendra toujours éloigné, en interposant souvent, entre elle et lui, tantôt des maisons, avec parfois la cheminée ou les cheminées de l’une ou l’autre des briqueteries du village[7]La cheminée disparaît presque complètement dans L’Estaque aux toits rouges d’une collection privée (cf. note n° 16)., tantôt des arbres[8]De la même façon, vers 1880, Cezanne interpose des arbres entre l’Oise et lui : cf. par exemple La vallée de l’Oise, huile sur toile, 72 x 91 cm, collection privée (catalogue Rewald n° 434), ou La route vers l’étang, huile sur toile 92 x 75 cm, Otterlo, Rijkmuseum Kröller-Müller (catalogue Rewald n° 435)., – une interposition qu’il ne fait jamais qu’une fois avec la Sainte-Victoire, dans le tableau du musée de Minneapolis[9]Les marronniers du Jas de Bouffan en hiver, 1885-1886, huile sur toile, 75 x 92 cm, The Minneapolis Institute of Arts, The William Hood Dunwoody Fund (catalogue Rewald n° 551).. Il est probable que ce motif bien commode de la haute cheminée (qui fournit une ferme verticale), Cezanne l’ait découvert et apprécié chez Pissarro, lors du passage chez son ami à Pontoise en 1873, dans l’une de ses toiles qu’inspirèrent à celui-ci, en 1873 justement, les usines au bord de l’Oise, à Sant-Ouen-L’Aumône[10]Pissarro, Usine au bord de l’Oise, Saint-Ouen-L’Aumône, 1873, Jérusalem, Israël Museum..

Fig. 3

Hormis le tableau du Louvre, des années plus tard, vers 1878-1879, pour un long séjour provoqué par la brouille avec son père, Cezanne va séjourner à L’Estaque. Il y peindra plusieurs tableaux qui, pour la plupart, montrent le golfe de Marseille vu d’un peu loin et d’un peu haut, comme d’une colline, avec au fond, jusqu’au bord droit de la toile, l’étendue de la côte, vers l’est, où presque rien ne se distingue. Cette fois, la mer est bien « encadrée », comme un très grand lac. On perçoit aussi une certaine hésitation de la part du peintre, qui choisit manifestement des endroits différents où installer son chevalet, – et tantôt on ne voit que quelques toits de maisons isolées, tantôt tout le village avec la cheminée déjà mentionnée, mais de cette œuvre conservée en Suisse[11]Cezanne, La mer à L’Estaque, huile sur toile, 38 x 46 cm, Baden (Suisse), musée Langmatt Sidney et Jenny Brown (catalogue Rewald n° 392)., Rewald précise qu’elle pourrait être plus tardive, des années 1882 ou 1883.

Il faut remarquer que, dans deux tableaux de la « série », apparaît une jetée, si tant est que ce soit la même, une fois à gauche (tableau du musée d’Orsay[12]Cezanne, L’Estaque, vue du golfe de Marseille, huile sur toile, 59,5 x 73 cm, Paris, musée d’Orsay (catalogue Rewald n° 390). ), l’autre fois à droite (tableau de l’université de Rochester[13]Cezanne, La baie de L’Estaque vue de l’est, huile sur toile, 55,5 x 65,5 cm, université de Rochester, dans l’état de New York (catalogue Rewald n° 394). ), ce qui accroît, d’une part, l’effet d’encadrement (surtout dans, ce dernier), et indique, d’autre part, un déplacement de Cezanne, en confirmant d’ailleurs l’apparition du village dans le tableau du musée Langmatt.

Ce que sont peut-être les deux derniers tableaux de cette « série » des années de 1878-1879, et donc plutôt de 1879, témoigne d’une évolution évidente de Cezanne, qui choisit désormais un endroit précis facilement identifiable par les deux mêmes arbres à droite et à gauche, et semble non seulement s’élever dans la colline où il travaille, mais baisser la tête pour regarder le village en-dessous – comme on le voit avec la diminution, puis la quasi disparition de la hauteur de la cheminée entre le tableau du musée Picasso, à Paris, et celui d’une collection privée évoqués plus haut[14]Cezanne, L’Estaque vu à travers les arbres, 46 x 55 cm, collection privée, New York (catalogue Rewald n° 396). Ce tableau, qui paraît un peu moins réussi que celui du musée Picasso, pourrait le précéder.. Or, cette composition classique, qui enserre à la fois les deux éléments du motif, la mer et le village, et que Venturi date, lui, des années 1883-1886, se retrouve dans quatre autres œuvres qu’il date, comme Rewald, de la même période, ce qui paraît au fond plus logique ; Il s’agit d’un tableau du musée de Jérusalem, d‘un autre de la collection du Reader’s Digest, d’un autre d’une collection privée à Paris, et d’un autre enfin, mais dépourvu d’arbre à droite, d’une collection privée à New York[15]Cezanne, L’Estaque le matin, vu à contre-jour, 60 x 92 cm, Jérusalem, The Israël Museum, catalogue Rewald n° 516 ; L’Estaque vu à travers les pins, 72, 5 x 90 cm, collection du Reader’s Digest, Pleasantville, dans l’État de New York (catalogue Rewald n° 518) ; L’Estaque aux toits rouges, 65 x 81 cm, Paris, collection privée, (catalogue Rewald n° 517) ; Les toits de L’Estaque, 60,6 x 70,5 cm, New York, collection privée (catalogue Rewald n° 519)..

Mais si, dans les deux premiers, on voit bien le village, d’un peu haut, on n’y voit plus ou presque plus la mer, comme si Cezanne, depuis sa position, s’était un peu plus penché vers le village, pour s’intéresser aux surfaces planes des toits des maisons[16]Dans une lettre envoyée de L’Estaque le 2 juillet 1876, Cezanne écrit à Pissarro : « C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue. » (comme aux toits de Paris, à la même époque et plus tard[17]Les toits de Paris, vers 1882, huile sur toile, 59,4 x 72,4 cm, Paris, collection privée (catalogue Rewald n° 503). Deux autres tableaux peints par Cezanne on ne sait où : Groupe de maisons, ou Les toits, vers 1876-1877, huile sur toile, 50 x 60 cm, Winterthour, collection de la Villa Flora (catalogue Rewald n°295), et Les toits, vers 1898, huile sur toile, 65,7 x 81,6 cm, Dallas, collection privée (catalogue Rewald, n° 830).) . Ce qui suggère le fait qu’il se tourna alors vers un motif stable, quasi inamovible, que l’on pouvait d’ailleurs déjà observer dans le tableau du musée Picasso – lequel réservait toutefois une grande place à la mer. Une stabilité que les deux autres tableaux lui accordent également, en révélant peut-être ainsi une hésitation chez le maître, liée au désir de faire tenir ensemble deux motifs très différents, qu’il ne laissait pas de percevoir comme picturalement difficiles à concilier.

Un autre tableau, que Venturi et Rewald datent de la même période vers 1883, en reprenant une annotation du fils de Cezanne au dos de l’œuvre, peut surprendre. Parce qu’il fut peint d’un point de vue complètement différent de celui des tableaux précédemment cités, et sans arbres au premier plan, ce qui d’ailleurs supposerait encore une hésitation du peintre, – une hésitation ou une nouvelle recherche que confirme le fait qu’il ne s’agit plus d’une vue de L’Estaque, mais de Saint-Henri[18]Cezanne avait abordé très tôt ce motif, vers 1877-1879, mais en choisissant un tout autre point de vue, dans le tableau du Yamagata Museum of Art, au japon (catalogue Rewald n° 281)., un quartier de Marseille à l’est de L’Estaque (avec une haute cheminée qui n’est pas celle de L’Estaque), comme si, cette fois encore, au même moment, si c’est vraiment au même moment, Cezanne n’avait pas trouvé une place lui permettant d’accorder comme il l’entendait la mer avec les terres autour d’elle.

Cet accord, Cezanne le cherche encore dans deux tableaux des mêmes années, mais de format vertical, et une fois en serrant les toits du village entre des arbres de telle sorte qu’on n’y voit presque plus ni le village ni surtout la mer, quand il reprend dans l’autre tableau, en se déplaçant vers la droite, la même composition que dans celui du musée Picasso (avec cette fois deux cheminées noires).

Pour finir, tout au moins si l’on en croit la chronologie proposée par Rewald, le peintre renonce à ce type de composition avec deux œuvres largement ouvertes sur le village et sur la mer, qui reprennent la grande vue de Saint-Henri, mais en écartant l’avant-plan un peu brouillon de celui-ci, comme les arbres des autres tableaux[19]Cezanne, Le golfe de Marseille vu de L’Estaque, vers 1885, huile sur toile, 75 x 100 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art (catalogue Rewald n° 625) et Cezanne, Le golfe de Marseille vu de L’Estaque, vers 1885, huile sur toile, 80,2 x 100,6 cm, Chicago, Art Institue (catalogue Rewald n° 626)..

Il faut noter aussi que Cezanne prend bien soin de montrer au loin, en haut des deux œuvres, les montagnes du massif des Calanques, ce qui revient à « encadrer » la mer, comme il l’avait déjà fait presque pareillement dans le tableau du musée d’Orsay[20] Cf. note 13. Cezanne dut être assez satisfait de ce tableau puisqu’il le signa, ce qu’il ne faisait presque jamais., et même plus tôt, mais depuis un autre côté, dans La mer à L’Estaque de la Fondation Rau pour le Tiers Monde, à Zurich[21]Cezanne, La mer à L’Estaque, huile sur toile, 42 x 59 cm, Zurich, Fondation Rau pour le Tiers Monde (catalogue Rewald n° 279)., ce qui peut interroger sur la datation exacte de celui-ci. Quoi qu’il en soit, ces deux œuvres conservées aux États-Unis seraient donc les dernières peintes par Cezanne à L’Estaque, vers 1885, et leur bel équilibre semble en effet indiquer un véritable aboutissement.

Face à la mer, Cezanne éprouve donc à la fois un besoin d’éloignement, et un besoin de verticales, aux fins d’encadrement. Il est révélateur que, d’une certaine façon, pour naturel qu’il reste toujours, le motif doit ainsi se prêter au format du tableau, comment le dire ? Y tienne, s’y suffise à lui-même, n’invite pas le regard à déborder son cadre. Et par suite, le travail du peintre est d’abord de repérer, sur le site choisi, un endroit propice, ou plutôt adapté, c’est-à-dire se prêtant, quitte à le modifier un peu, aux exigences du tableau, telles qu’elles sont pour lui. Ce qui confirme cette idée très cezannienne qu’un tableau, s’il doit s’inspirer du monde (un visage, des fruits et des choses, la nature…), ne doit pas en être dépendant, ne pas lui être étroitement attaché, mais doit au contraire « vivre » ou exister par lui-même, selon des contraintes qui lui sont propres, notamment l’immobilité des formes. On se souvient de son mot cruel sur les œuvres de Rosa Bonheur, qu’il jugeait « horriblement ressemblantes », et de son rejet de ce qui bouge, comme lorsqu’il demande à Vollard, qui pose pour lui, d’arrêter de remuer, de se tenir comme une pomme. De même préférait-il toujours peindre des fleurs artificielles, qui, au contraire des fleurs naturelles, ne fanent pas.

Ainsi l’étude d’un peu plus d’une dizaine de tableaux comptant parmi les principaux peints par Cezanne à L’Estaque révèle surtout une sorte d’embarras (le mot est sans doute excessif) du peintre avec le motif mouvant, mais aussi, en un sens, trop vide, sans relief, de la mer. L’impression prévaut alors d’une recherche un peu hésitante causée par un tel motif, sans doute pas « naturel » au peintre, qui va l’abandonner d’un coup dix ans avant sa mort pour lui en substituer complètement un autre, la Sainte-Victoire, auquel il travaillait depuis longtemps déjà, mais d’une façon discontinue. Si l’on peut envisager que cet « abandon » fut lié au fait que le peintre n’éprouvait plus ni le besoin ni l’envie d’aller à L’Estaque, il reste que la question du choix des motifs chez lui se pose clairement ici. On ne s’étonne guère, par exemple, qu’il ne peignit jamais ou pour ainsi dire jamais ni Paris ni Marseille, quand il y résida souvent, ni même Aix-en-Provence, sa ville natale où il vécut toute sa vie, quand il ne cessa de revenir sur certains motifs, comme s’il fallait à toute force en trouver une « présentation » picturale sinon parfaite, du moins satisfaisante à ses yeux, quitte à changer ou reprendre parfois, presque exactement, certaines de ses compositions, ou à y revenir en les modifiant légèrement, en s’éloignant ou en s’approchant du motif. L’intérêt et la difficulté des vues de L’Estaque fut sans doute que le peintre n’y pouvait toujours oublier la mer.

Alain Madeleine-Perdrillat

Janvier 2023

Références

Références
1 L’Estaque. Naissance du paysage moderne 1871-1910, exposition du 25 juin au 25 septembre 1994, Marseille, musée Cantini, 248 pages, éditions de la Réunion des musées nationaux(RMN).
2 Le tableau s’y trouve depuis 1977 (quand il devrait être au musée d’Orsay) parce qu’il appartient à la donation Hélène et Victor Lyon, qui ne peut être démembrée. On peut remarquer qu’il est précédé de trois tableaux de Cezanne montrant que des rochers (catalogue Rewald n° 58, 68 et 86).
3 Cezanne, Le golfe de Marseille, vue de L’Estaque (catalogue Rewald n° 625 et 626).
4 Au trente-cinq tableaux, et sans parler d’un ou deux parmi eux où on ne voit que très peu la mer au loin. il faut en ajouter moins d’une dizaine qui ne la montrent pas du tout.
5 On aimerait savoir où furent peintes les grandes versions du Baigneur aux bras écartés des années 1877-1878 appartenant à des collections privées (catalogue Rewald n° 369 et 370) ; mais leur fond résulte sans doute d’une simple imagination, dans l’atelier, comme pour les multiples baigneuses représentées par le peintre. Le même motif du Baigneur aux bras écartés apparaît tôt, dans de petites toiles que l’on date d’environ 1876 (catalogue Rewald n° 252, 253, 255).
6 Hormis peut-être La plage, d’une collection privée au Texas, daté 1877-1878 (catalogue Rewald n° 382). Rewald doute d’ailleurs expressément qu’il s’agisse d’une vue de L’Estaque. En dépit du fait qu’il appartint à Monet, cet étrange tableau ne pourrait-il pas avoir été « arrangé » ou simplement être un faux ?
7 La cheminée disparaît presque complètement dans L’Estaque aux toits rouges d’une collection privée (cf. note n° 16).
8 De la même façon, vers 1880, Cezanne interpose des arbres entre l’Oise et lui : cf. par exemple La vallée de l’Oise, huile sur toile, 72 x 91 cm, collection privée (catalogue Rewald n° 434), ou La route vers l’étang, huile sur toile 92 x 75 cm, Otterlo, Rijkmuseum Kröller-Müller (catalogue Rewald n° 435).
9 Les marronniers du Jas de Bouffan en hiver, 1885-1886, huile sur toile, 75 x 92 cm, The Minneapolis Institute of Arts, The William Hood Dunwoody Fund (catalogue Rewald n° 551).
10 Pissarro, Usine au bord de l’Oise, Saint-Ouen-L’Aumône, 1873, Jérusalem, Israël Museum.
11 Cezanne, La mer à L’Estaque, huile sur toile, 38 x 46 cm, Baden (Suisse), musée Langmatt Sidney et Jenny Brown (catalogue Rewald n° 392).
12 Cezanne, L’Estaque, vue du golfe de Marseille, huile sur toile, 59,5 x 73 cm, Paris, musée d’Orsay (catalogue Rewald n° 390).
13 Cezanne, La baie de L’Estaque vue de l’est, huile sur toile, 55,5 x 65,5 cm, université de Rochester, dans l’état de New York (catalogue Rewald n° 394).
14 Cezanne, L’Estaque vu à travers les arbres, 46 x 55 cm, collection privée, New York (catalogue Rewald n° 396). Ce tableau, qui paraît un peu moins réussi que celui du musée Picasso, pourrait le précéder.
15 Cezanne, L’Estaque le matin, vu à contre-jour, 60 x 92 cm, Jérusalem, The Israël Museum, catalogue Rewald n° 516 ; L’Estaque vu à travers les pins, 72, 5 x 90 cm, collection du Reader’s Digest, Pleasantville, dans l’État de New York (catalogue Rewald n° 518) ; L’Estaque aux toits rouges, 65 x 81 cm, Paris, collection privée, (catalogue Rewald n° 517) ; Les toits de L’Estaque, 60,6 x 70,5 cm, New York, collection privée (catalogue Rewald n° 519).
16 Dans une lettre envoyée de L’Estaque le 2 juillet 1876, Cezanne écrit à Pissarro : « C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur la mer bleue. »
17 Les toits de Paris, vers 1882, huile sur toile, 59,4 x 72,4 cm, Paris, collection privée (catalogue Rewald n° 503). Deux autres tableaux peints par Cezanne on ne sait où : Groupe de maisons, ou Les toits, vers 1876-1877, huile sur toile, 50 x 60 cm, Winterthour, collection de la Villa Flora (catalogue Rewald n°295), et Les toits, vers 1898, huile sur toile, 65,7 x 81,6 cm, Dallas, collection privée (catalogue Rewald, n° 830).)
18 Cezanne avait abordé très tôt ce motif, vers 1877-1879, mais en choisissant un tout autre point de vue, dans le tableau du Yamagata Museum of Art, au japon (catalogue Rewald n° 281).
19 Cezanne, Le golfe de Marseille vu de L’Estaque, vers 1885, huile sur toile, 75 x 100 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art (catalogue Rewald n° 625) et Cezanne, Le golfe de Marseille vu de L’Estaque, vers 1885, huile sur toile, 80,2 x 100,6 cm, Chicago, Art Institue (catalogue Rewald n° 626).
20  Cf. note 13. Cezanne dut être assez satisfait de ce tableau puisqu’il le signa, ce qu’il ne faisait presque jamais.
21 Cezanne, La mer à L’Estaque, huile sur toile, 42 x 59 cm, Zurich, Fondation Rau pour le Tiers Monde (catalogue Rewald n° 279).