1er janvier
Zola publie « Une nouvelle manière en peinture : M. Édouard Manet » dans la Revue du xixe siècle. Le texte, repris sous forme de brochure, sera publié par Dentu au mois de juin, à l’occasion d’une exposition particulière de Manet.
Zola Émile, « Une nouvelle manière en peinture : M. Édouard Manet », Revue du xixe siècle, 1er janvier 1867.
Zola Émile, Éd. Manet. Étude biographique et critique accompagnée d’un portrait d’Éd. Manet par Bracquemond et d’une eau-forte d’Éd. Manet d’après Olympia, Paris, E. Dentu, éditeur, Librairie de la Société des Gens de Lettres, 1867, 48 pages.
2 janvier
Lettre de Manet à Zola.
Manet remercie Zola de son article et l’informe de son intention d’organiser une exposition particulière de ses œuvres.
Becker Colette, « Lettres de Manet à Zola », dans Manet 1832-1883, catalogue d’exposition, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 22 avril-1er août 1983, p. 520.
« Mercredi 2 janvier
Mon cher Zola, c’est de fameuses étrennes que vous m’avez donné là et votre remarquable article m’est très agréable. Il arrive en temps opportun car on m’a jugé indigne de profiter comme tant d’autres des avantages de l’envoi sur liste [à l’Exposition universelle]. Aussi, comme je n’augure rien de bon de nos juges, je me garderai bien de leur envoyer mes tableaux. Ils n’auraient qu’à me faire la farce de ne m’en prendre qu’un ou deux et voilà pour le public les autres bons à jeter aux chiens.
Je me décide à faire une exposition particulière. J’ai au moins une quarantaine de tableaux à montrer. On m’a déjà offert des terrains très bien situés près du Champ de Mars. Je vais risquer le paquet et, secondé par des hommes comme vous, je compte bien réussir. A bientôt. »
Le règlement de l’Exposition internationale des Beaux-arts au sein de l’Exposition universelle de 1867 stipule (décret du 29 septembre 1866) que les peintres doivent envoyer avant le 15 décembre 1866 une liste indiquant la grandeur, le sujet des tableaux et, s’il y a lieu, l’année où ils ont déjà été exposés, afin que le jury fasse son choix parmi cette liste.
Vers la fin janvier
Valabrègue écrit à Zola.
Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 140-141.
« Vous devez savoir que Marius [Roux] a exposé à Marseille, chez un marchand, un tableau de Cezanne [non identifié]. Il en est résulté beaucoup de bruit ; des attroupements se sont formés dans la rue ; la foule était stupéfaite. On a demandé le nom de Paul ; il y a eu de ce côté un mouvement et un léger succès de curiosité. Pour le reste, je crois que si le tableau était resté longtemps exposé, on aurait fini par casser la vitre, et crever la toile. »
19 février
Lettre de Zola à Valabrègue, Paris, 19 février 1867
Zola apprend à Valabrègue que Cezanne est à Paris et « rêve de tableaux immenses ».
Vente Autographes, livres, étude Tajan, Paris, hôtel Drouot, 27 septembre 2002, n° 27.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, 594 pages, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, lettre n° 162, p. 472-474.
Zola. Correspondance, choix de lettres, présentation, notes, notices, bibliographie et index par Alain Pagès, Paris, « GF » Flammarion, 2012, 381 pages, p. 132-133.« Je comptais vous voir marcher avec moi. Je ne suis entouré que de peintres ; je n’ai pas ici un seul littérateur avec qui causer. Je me disais que nous irions ensemble au combat, et que nous nous soutiendrions au besoin. Et voilà que vous me laissez marcher seul, lutter seul, triompher et succomber seul. […]
Paul travaille beaucoup, il a déjà fait plusieurs toiles, et il rêve des tableaux immenses. Je vous serre la main en son nom.
Baille marche à grands pas. Le voilà définitivement lancé.
Guillemet attend l’été pour faire une nouvelle campagne.
Solari est marié depuis quatre jours [avec Marie Strempel].
Je m’arrête sur cette nouvelle monumentale, et je vous serre affectueusement la main.
Gabrielle me prie de vous présenter ses compliments. »
Zola Émile, L’Œuvre, Paris, G. Charpentier et Cie, éditeurs, 1886, 491 pages, p. 45, 52, 258-259.
« Quand son travail marchait, il s’allumait peu à peu, il devenait bavard, lui qui peignait les dents serrées, rageant à froid, dès qu’il sentait la nature lui échapper. Aussi, à peine son ami eut-il repris la pose, qu’il continua d’un flot intarissable, sans perdre un coup de pinceau.
— Hein ? mon vieux, ça marche ! Tu as une crâne tournure, là-dedans… Ah ! les crétins, s’ils me refusent celui-ci, par exemple ! Je suis plus sévère pour moi qu’ils ne le sont pour eux, bien sûr ; et, lorsque je me reçois un tableau, vois-tu, c’est plus sérieux que s’il avait passé devant tous les jurys de la terre… » […]
« d’habitude il tuait ses modèles, ne les lâchant qu’évanouis, morts de fatigue. Lui-même attendait de tomber, les jambes rompues, le ventre vide. »
« Et ils se rabattirent sur Claude, ils se prosternèrent, l’accablèrent des espérances qu’ils mettaient en lui. Ah ! il était temps qu’il revînt, car lui seul, avec ses dons de grand peintre, sa poigne solide, pouvait être le maître, le chef reconnu. Depuis le Salon des Refusés, l’école du plein air s’était élargie, toute une influence croissante se faisait sentir ; malheureusement, les efforts s’éparpillaient, les nouvelles recrues se contentaient d’ébauches, d’impressions bâclées en trois coups de pinceau ; et l’on attendait l’homme de génie nécessaire, celui qui incarnerait la formule en chefs-d’œuvre. Quelle place à prendre ! dompter la foule, ouvrir un siècle, créer un art ! Claude les écoutait, les yeux à terre, la face envahie d’une pâleur. Oui, c’était bien là son rêve inavoué, l’ambition qu’il n’osait se confesser à lui-même. Seulement, il se mêlait à la joie de la flatterie une étrange angoisse, une peur de cet avenir, en les entendant le hausser à ce rôle de dictateur, comme s’il eût triomphé déjà.
— Laissez donc ! finit-il par crier, il y en a qui me valent, je me cherche encore ! »
Gasquet Joachim, Cezanne, Paris, Les éditions Bernheim-Jeune, 1926 (1re édition 1921), 213 pages de texte, 200 planches, p. 53-54 :
« Il attaqua des toiles de quatre à cinq mètres. Aucune ne le satisfit. Il aurait voulu couvrir des murailles. Il rôdait autour des gares, des églises, des halles. Rien ne lui eût répugné. En pleine rue, me racontait plus tard Solari, il aurait, comme un Vénitien, décoré des façades et, mêlé aux maçons, aux plombiers, aux ouvriers, il eût voulu éterniser les gestes de leur travail sur leurs échafaudages mêmes, prolonger dans le mur ébloui la gloire des métiers et des jours.
Ces mélanges de violences et de timidités, d’humilité et d’orgueil, de doutes et d’affirmations dogmatiques, qui le secouaient dans la vie, éclatèrent alors dans son art. Il poussa, paraît-il, certaines toiles jusqu’à l’extravagance, les maçonnant, les sculptant, les bariolant d’un arc-en-ciel ciselé de pierreries monticellesques. C’étaient les heures du « tromblon ivre ». Il déchargeait, expliquait-on, sur sa toile à bout portant un tromblon bourré de couleurs jusqu’à la gueule. Les mêmes gens d’ailleurs savaient aussi que Wagner, fou de parfums, écrivait ses partitions en vaporisant au petit bonheur de l’encre sur ses portées. D’autres fois pourtant, quand Cezanne ne peignait pas au tromblon, il s’appliquait, sage comme un enfant, tâtonnant, songeant vaguement aux académies, au Salon. Mais sous ses doigts bientôt la ligne se cabrait, le dessin éclatait en pistils multicolores. De grandes figures de femmes fleurissaient tous les coins de son atelier.
[…] La chair nue lui donnait des vertiges, il aurait bondi sur ses modèles ; à peine entrées il les jetait, demi-déshabillées, sur son palier. Il était excessif en tout. « Je suis un intense, moi, disait-il, comme Barbey [d’Aurévilly]. » Une consolation, un nouveau tourment lui restaient. Ces nudités qu’il chassait de son atelier, il avait trouvé une autre façon de les adorer, il les couchait au lit de ses tableaux, les bousculait, les sabrait de grandes caresses colorées, désespéré jusqu’aux larmes de ne pouvoir les endormir sous des loques assez empourprées, dans des baisers, sous des tons assez satinés. »
29 mars
Publication de la décision du jury d’admission au Salon.
Les deux toiles de Cezanne, Le Grog au vin (FWN587-TA-R115) et Ivresse, sont refusées par le jury, de même que les envois de Guillemet, Sisley, Bazille et Renoir. Zola constate que ses articles y sont probablement pour quelque chose : « Le jury, irrité de mon « Salon », a mis à la porte tous ceux qui marchent dans la nouvelle voie. »
Lettres de Zola à Valabrègue, 4 avril 1867, et à Francis Magnard, [vers le 8 avril 1867], Bakker B. H. (éd.), Émile Zola, correspondance, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal et Paris, éd. du CNRS, tome I (1858-1867), 1978, n° 169, p. 486, n° 172, p. 491-492, note 8.
Vollard Ambroise, Paul Cezanne, Paris, Les éditions Georges Crès & Cie, 1924 (1re édition, Paris, Galerie A. Vollard, 1914, 187 pages ; 2e édition 1919), 247 pages, p. 27-28 :
Vollard mêle dans son récit aussi bien La Femme à la puce, soumis au Salon de 1866, que Le Grog au vin, soumis au Salon de 1867, d’après l’article de Magnard du 8 avril 1867.
« De ses premières promenades à travers le musée du Louvre, le jeune peintre ressentait une impression très confuse, une vision abasourdissante de lumière et de couleur. Suivant ses propres expressions, le spectacle qui s’offrait à ses yeux lui apparaissait comme une « bouillie » lumineuse et colorée. Rubens, surtout, « l’épatait ». Sous son influence, il composait de grandes scènes d’un coloris fougueux. Zola, qui avait mis son ami en garde contre le réalisme, trouve, à présent, qu’il va trop loin dans l’exaltation romantique. Sur quoi Cezanne, par manière de détente, se mettait à brosser des pochades drolatiques et pseudo réalistes, comme la Femme à la Puce. Ce tableau a disparu, de même qu’un autre du même temps représentant un homme nu, couché sur un lit de sangle. Le modèle qui avait posé pour cette académie était un brave homme de vidangeur dont la femme tenait une petite crémerie, où elle servait un bouillon de bœuf très apprécié de sa clientèle de jeunes rapins. Cezanne, qui avait inspiré confiance au vidangeur, lui demanda un jour de poser. L’autre parla de son « turbin ». « Mais c’est la nuit que tu travailles ; le jour, tu ne fais rien ! » Le vidangeur allégua que, le jour, il se reposait. « Eh bien, je te ferai au lit ! » Le bonhomme s’était d’abord mis sous les draps, coiffé d’un beau bonnet de coton, pour faire honneur au peintre ; mais, comme ce n’était pas la peine de faire des manières « entre amis », il enleva d’abord le bonnet, puis rejeta les draps, et finalement posa tout nu ; sa femme figurait dans le tableau, avec un bol de vin chaud qu’elle offrait à son mari.
L’opinion courante de la critique officielle sur les travaux de Cezanne était qu’il faisait sa peinture en visant une toile blanche avec un pistolet chargé jusqu’à la gueule de couleurs variées : aussi appelait on communément sa manière la « peinture au pistolet ». A la vérité, nul plus que Cezanne n’avait le souci de montrer au public qu’il y avait dans ses œuvres autre chose que l’effet du hasard : mais s’il savait faire des tableaux, sa science ne s’étendait pas jusqu’à les expliquer, ni même à les pourvoir de titres appropriés. Pour l’étude du Vidangeur, son ami Guillemet vint à son secours en trouvant ce titre : Un après-midi à Naples, ou le Grog au vin. Les autres études de Cezanne sur le même thème sont très postérieures à ce tableau, qui datait de 1863. »
Wolff Albert, Mémoires d’un Parisien. La Gloire à Paris, Paris, Victor-Havard, éditeur, 1886, 332 pages, p. 47-50 :
« L’entrée définitive de Zola dans la littérature, son affranchissement des humbles travaux de bureau furent célébrés par une de ces fêtes dont la rue de Vaugirard se souvient encore. Il y avait là tout un groupe de jeunes gens, dont quelques-uns ont fait leur chemin, tel Zola d’abord, puis le peintre Guillemet, qui est devenu un des paysagistes les plus remarqués de la jeune école, et enfin un de ces révoltés de la peinture qui se disent impressionnistes, Cezanne [sic], qui est resté ce qu’il fut à ses débuts. Cezanne envoyait au Salon de singuliers tableaux, que d’ailleurs le jury refusait avec une obstination qui ne se démentit pas une seule fois. Une de ses pages maîtresses est restée légendaire dans les ateliers. Le tableau représente un intérieur ; sur un lit, un homme tout nu est couché ; devant lui, une bonne lui présente sur une assiette un grog au vin, et le tout est intitulé, on ne sait pourquoi : La Sieste à Naples [L’Après-midi à Naples (avec servante blanche) (R 290)]. Le paysagiste Guillemet appelait cet art singulier : la peinture au fusil ; il prétendait que Cezanne bourrait un fusil de tubes de couleurs variées, qu’il déchargeait ensuite sur une toile blanche, au hasard ; après quoi, Cezanne signait « l’œuvre » sans une retouche.
C’est en la société de Cezanne que Zola puisa les premiers germes de son enthousiasme pour ce qu’on appelait alors le réalisme, le mot de naturalisme n’étant pas encore inventé. Ce réalisme à outrance bornait son ambition à peindre tout ce qui lui passait sous les yeux, indifféremment, les hommes ou les choses, une femme ou une tranche de citron, un paysage ou un hareng ; il éleva la vérité dans les arts ou dans la littérature à la hauteur d’un dogme, condamnant par cela même l’imagination, la fantaisie, la poésie, cette menue monnaie de l’idéal. Zola se précipita dans le mouvement avec l’ardeur juvénile d’une nature méridionale ; il devint, dans le journal, le soldat de ces idées, en même temps qu’il jeta son vieux romantisme par dessus les moulins, pour s’élancer dans la littérature moderne, à la suite de Flaubert et des Goncourt. Germinie Lacerteux, des frères de Goncourt, avait donné la mesure de ce qu’il fallait tenter en littérature. Courbet, qui, à ses bonnes heures, fut un poète attendri devant la nature, témoin la Remise aux Chevreuils, pour ne citer qu’une page, se précipita tête baissée dans un art plus grossier. Manet surgit avec son naturalisme à tous crins, bafouant l’idéal, narguant les grands maîtres, copiant la nature servilement, dédaignant de voir dans les arts autre chose que le côté matériel et superficiel.
Zola devint le porte-drapeau de cette école naturaliste. Les autres combattaient par leurs œuvres, dans le roman ou dans la peinture ; lui, Zola, se jeta dans la bagarre, en plein journalisme, frappant d’estoc et de taille, immolant le culte de sa jeunesse, sans pitié pour qui que ce fût, sans respect des gloires acquises. Il tenta au Figaro un compte rendu du Salon, qu’il fallut interrompre au troisième article. En dehors de son clan, Zola n’admettait rien ; le combat l’enivra ; les colonnes du Figaro étaient jonchées de cadavres. Manet, qui est un homme de talent et un garçon d’esprit, devint en un tour de main le premier peintre du siècle, tandis que Meissonier était réduit au rang d’un simple barbouilleur. Cette critique démesurée offensa le bon sens du public. Mon Salon, de Zola, fut interrompu dans le journal qui, par tempérament et par goût, était cependant accessible à toutes les audaces. »
Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, H. Floury éditeur, Paris, 1923, 243 pages, p. 196
« Un après-midi à Naples. Ou : Le Grog au Vin [FWN646-R290]. Ce titre, qui ne répondait en aucune manière au sujet, avait été imaginé par le peintre Guillemet. »
30 mars
Bazille rédige une pétition, à l’adresse du comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-arts, contre la sévérité du jury et demandant le rétablissement du salon des Refusés. Elle est déposée chez le marchand de tableaux Latouche, rue Laffitte. Elle recueillera cent vingt signatures, dont celle de Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Guillemet, Oller, mais pas celle de Cezanne.
Archives du Louvre ; cité dans Hommage à Claude Monet, catalogue d’exposition, Grand Palais, Paris, 8 février – 5 mai 1980, p. 55.
« Samedi 30 Mars 1867
Monsieur le Surintendant
Les peintres artistes soussignés, refusés au Salon de cette année [la décision du jury a été connue le 29 mars], prennent la liberté de s’adresser à votre excellence pour demander une exposition de leurs œuvres.
Connaissant votre bienveillante sollicitude pour nos intérêts nous espérons que vous voudrez bien prendre notre demande en considération.
Nous sommes, Monsieur le Surintendant, de votre Excellence les humbles serviteurs.
F. Bazille 20, rue Visconti. »
Un feuillet est annexé portant, sur une colonne à gauche, les signatures de « Claude Monet, A. Renoir, C. Pissarro, A. Sisley, A. Guillemet, F. Oller, J. Lecœur, Berson [?], Alfred Didier, Billon [?], Latouche, A. Matthieu, Camille Dufour, Léon Bailly, [non lu], Georges Bellenger, Louis Depy », et à droite celle de « E. Manet, Martin, J. Ch. Amiot, Emmanuel Chabrier, Rousselin, L. Cordier, J. Ch. Cazin, E. Brissot [?], Lencéhau [?], E. Bureau, Lintelo, M. Boituzet 2 rue Guy de la Braque, Morel Lamy, I Sevestre ». Les feuillets suivants portent, sous l’en-tête « Approuvé par MM. », les signatures, entre autres, de É. Béliard, F. Grosclaude, Honoré Pinel, Legrand, A. Chataud, rue Navarin 16, J.-B. Jongkind et de son amie J. Fisder (sic), C. Daubigny et Karl Daubigny, Ch. Lhuilliez, Bracquemond, C. Corot.
Monet et Renoir sont hébergés chez Bazille, comme l’a écrit celui-ci à sa mère vers la fin février :
Lettre de Bazille à sa mère, [fin février 1867] ; Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, éditions de l’Amateur-éditions des Catalogues raisonnés, Paris, 1995, lettre n° 158 p. 354 :
« Depuis ma dernière lettre il y a du nouveau rue Visconti. Monet m’est tombé du ciel avec une collection de toiles magnifiques qui vont avoir le plus grand succès à l’Exposition [le Salon]. Il couchera chez moi jusqu’à la fin du mois. Avec Renoir, voilà deux peintres besogneux que je loge. C’est une véritable infirmerie. J’en suis enchanté, j’ai assez de place, et ils sont tous les deux fort gais. »
Maillard Georges, « Hier – Aujourd’hui – Demain », Le Figaro, 14e année, 2e série, n° 137, lundi 1er avril 1867, p. 2 :
« Qu’est ceci ? Après l’avoir supprimé, va-t-on le rétablir ?
Il paraît que les nombreux peintres refusés au Salon de cette année, vont adresser à M. de Nieuwerkerke une pétition pour demander le rétablissement du Salon des Refusés.
Cette pétition est déposée chez M. Latouche, marchand de tableaux, rue Lafayette. »
Maillard Georges, « Hier – Aujourd’hui – Demain », Le Figaro, 14e année, 2e série, n° 151, lundi 15 avril 1867, p. 2 :
« Le jury des beaux-arts a été, cette année, sans pitié. Sera-t-il sans reproche ? Ne s’est-il pas trompé ? Car, enfin, il ne suffit pas d’être fort et d’être sévère — il faut encore être juste et il faut être d’autant plus juste qu’on est plus sévère.
Les artistes refusés en nombre considérable ne sont pas, quant à eux, ainsi que nous l’avons dit déjà, disposés à admettre que, dans la circonstance présente, la justice et la sévérité du jury aient été parfaitement équilibrées. Aussi protestent-ils et se proposent-ils d’envoyer à M. le surintendant des Beaux-Arts une pétition qui se signe chez M. Latouche, marchand de tableaux, 34, rue Lafayette (près la rue Laffitte), et dont le but est d’obtenir une contre Exposition.Georges Maillard »
Castagnary, « Salon de 1867 », La Liberté, 1er avril 1867, p. 2 :
« Les opérations du jury pour l’examen des œuvres d’art envoyées au Salon sont terminées. Jamais, de mémoire de peintre, jury n’a été plus sévère. Sur trois mille artistes qui avaient envoyé, deux mille ont été refusés. M. le marquis de Chennevières, pour ne pas accepter la solidarité de cet immense massacre, a donné sa démission. En attendant que les artistes aient obtenu ce que possèdent depuis longtemps les bouchers et les boulangers — la liberté de leur art — peintres et sculpteurs pétitionnent auprès de M. le Surintendant des Beaux-Arts pour obtenir l’autorisation d’exposer leurs œuvres dans une des galeries restées libres du palais des Champs-Élysées. On nous prie d’annoncer que cette pétition est déposée chez M. Latouche, marchand de tableaux, au coin de la rue Laffitte et de la rue Lafayette où les artistes sont invités à venir la signer… jusqu’à mardi soir [2 avril]. »
Cette annonce sera renouvelée les 14 et 17 avril.
De 1867 à 1878, ou plus tard, Latouche est signalé à l’annuaire Didot-Bottin au 34, rue Lafayette, « au coin de la rue Laffitte », « couleurs fines et tableaux modernes ». Pissarro se fournit chez lui.
Anne Distel, « Some Pissarro collectors in 1874 », Studies on Camille Pissarro, p. 68 et note n° 17 p. 72.
[2 avril]
Lettre de Bazille à sa mère, datée mardi.
Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, éditions de l’Amateur-éditions des Catalogues raisonnés, Paris, 1995, lettre n° 162 p. 355.
« Voici que j’ai une autre mauvaise nouvelle à vous annoncer.
Mes tableaux sont refusés à l’Exposition [le Salon]. Ne vous affligez pas trop de cela, cela n’a rien de décourageant, au contraire, je partage ce sort avec tout ce qu’il y avait de bon au Salon cette année. On signe en ce moment une pétition pour demander une Exposition des refusés, cette pétition est appuyée par tous les peintres de Paris qui ont quelque valeur. Cependant, elle n’aboutira pas.
Dans tous les cas, le désagrément qui m’arrive cette année ne se renouvellera plus, car je n’enverrai plus rien devant le Jury. Il est par trop ridicule, quand on sait n’être pas une bête, de s’exposer à ces caprices d’administration, surtout quand on ne tient aucunement aux médailles et aux distributions de prix.
Ce que je vous dis là, une douzaine de jeunes gens de talent le pensent comme moi. Nous avons donc résolu de louer chaque année un grand atelier où nous exposerons nos œuvres en aussi grand nombre que nous le voudrons. Nous inviterons les peintres qui nous plaisent à nous envoyer des tableaux. Courbet, Corot, Diaz, Daubigny et beaucoup d’autres que vous ne connaissez peut-être pas, nous ont promis d’envoyer des tableaux, et approuvent beaucoup notre idée. Avec ces gens-là et Monet, qui est plus fort qu’eux tous, nous sommes sûrs de réussir. Vous verrez qu’on parlera de nous. Si par hasard l’exposition des refusés était accordée nous ne ferions rien cette année, et notre cercle ne commencerait que l’année prochaine. J’en serais bien aise pour ma part. J’aurais le temps de faire à Montpellier deux ou trois tableaux importants. Ne vous effrayez pas, je vous assure que je suis fort raisonnable, nous avons certainement raison, ce n’est rien moins qu’une révolte de collégiens. Je fais en ce moment un tableau de deux femmes de grandeur naturelle qui arrangent des fleurs. Je le finirai à l’époque des pivoines [toile non connue]. Je voudrais fort qu’il fût fini si notre Exposition particulière commence cette année. J’y enverrai aussi un portrait que je fais de Monet [toile non connue]. »
1er avril – 31 octobre
Exposition internationale des Beaux-arts, dans le cadre de l’Exposition universelle, au Champ-de-Mars.
4 avril
Lettre de Zola à Valabrègue, datée « Paris, 4 avril 67 ».
Vente Autographes, livres, étude Tajan, Paris, hôtel Drouot, 27 septembre 2002, n° 28, première page reproduite.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, 594 pages, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, lettre n° 169, p. 485-487.« Quelques petites nouvelles pour finir : Paul est refusé, Guillemet est refusé, tous sont refusés ; le jury, irrité de mon « Salon », a mis à la porte tous ceux qui marchent dans la nouvelle voie. — Baille entre en plein dans de beaux appointements. — Solari est toujours marié. — Voilà. »
Pissarro, Sisley, Renoir, Bazille, eux aussi, sont refusés. Solari est admis.
8 avril
Un article de Francis Magnard dans Le Figaro tourne en dérision l’envoi de « Sésame » (Cezanne) au Salon, deux compositions intitulées Le Grog au vin.
Mortier, 8 avril 1867 ; F. M. [F. Magnard], « Paris au jour le jour », Le Figaro, 14e année, 2e série, n° 144, 8 avril 1967, p. 2.
« M. Arnold Mortier donne, aux lecteurs du Nain jaune [ou de L’Europe artiste ? d’après Zola], de curieux détails sur quelques tableaux reçus ou refusés à l’Exposition :
[…] On m’a parlé encore de deux tableaux refusés, dus à M. Sésame (rien des Mille et une Nuits), le même qui provoqua, en 1863, une hilarité générale au Salon des refusés ― toujours ! ― par une toile représentant deux pieds de cochon en croix.
M. Sésame a envoyé cette fois à l’Exposition deux compositions sinon aussi bizarres, du moins aussi dignes d’être exclues du salon.
Ces compositions sont intitulées : le Grog au vin, et représentent, l’une un homme nu à qui une femme en grande toilette vient apporter un grog au vin ; l’autre, une femme nue et un homme en costume de lazzarone : ici le grog est renversé.
Je suis convaincu que l’auteur peut avoir mis là-dedans une idée philosophique ; elle y est sans doute, mais seulement pour les initiés. »
Les « deux pieds de cochon en croix » pourraient être Nature morte, pain et gigot d’agneau, FWN705-R080.
9 avril
Lettre de demande d’audience auprès de Nieuwerkerke, signée Grosclaude, Honoré Pinel, A. Chataud, E. Bureau, signataires de la pétition du 30 mars.
Lettre de Grosclaude, Honoré Pinel, A. Chataud, E. Bureau, au comte de Nieuwerkerke, sénateur, Surintendant des Beaux-arts, datée « 9 avril 1867 » ; inédite, Archives du Louvre, Salon de 1867 ; mentionnée dans Hommage à Claude Monet, catalogue d’exposition, Paris, 1980, note n° 4 p. 55.
« Monsieur le Comte de Nieuwerkerke, Sénateur, Surintendant des Beaux-Arts
Monsieur le Surintendant,
Délégués par les artistes refusés au Salon de cette année, nous avons l’honneur de solliciter de votre bienveillance la faveur d’une audience pour vous remettre une pétition qu’ils ont signée.
Nous sommes, Monsieur le Surintendant, avec le plus profond respect, vos très humbles et très obéissants serviteurs9 avril 1867 F. Grosclaude fils
Président délégué
28 rue Truffaut
Honoré Pinel A. Chataud E. Bureau ».En marge est écrit de la main de Nieuwerkerke :
« Je les recevrai volontiers mais je dois les prévenir que s’ils demandent une exposition des refusés elle ne peut leur être accordée », puis, d’une autre main : « fait 11 avril ».
11 avril
Réponse de Nieuwerkerke à « Monsieur Grosclaude, Président délégué, 28 Rue Truffaut », datée (brouillon).
Archives du Louvre, Salon de 1867 ; extrait cité dans Hommage à Claude Monet, catalogue d’exposition, Paris, 1980, note n° 4 p. 55.
« Palais du Louvre, le 11 Avril 1867
Monsieur,
Je recevrai bien volontiers vous et les signataires de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 9 de ce mois, mais je dois vous prévenir que, si votre démarche a pour objet d’obtenir une exposition des peintures refusées, elle demeurera sans effet : il a été décidé que l’essai fait, il y a quelques années, ne se renouvellerait plus.
Recevez, Monsieur, etc.Le Sénateur
Surintendant des Beaux Arts ».
12 avril
Zola réplique à l’article de Magnard, pour prendre la défense de Cezanne, qui a eu « deux toiles refusées cette année : le Grog au vin et Ivresse ». Sa lettre est publiée dans Le Figaro du 12 avril.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, 594 pages, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, lettre n° n° 172, p. 490-491.
Zola Émile, « Correspondance. À M. F. [rancis] Magnard, rédacteur du Figaro », [vers le 8 avril 1867], Le Figaro, 14e année, 2e série, n° 148, vendredi 12 avril 1867, p. 2 :« CORRESPONDANCE
A M. F. Magnard, rédacteur du Figaro
Mon cher confrère,
Ayez l’obligeance, je vous prie, de faire insérer ces quelques lignes de rectification. Il s’agit d’un de mes amis d’enfance, d’un jeune peintre dont j’estime singulièrement le talent vigoureux et personnel.
Vous avez coupé dans l’Europe un lambeau de prose où il est question d’un M. Sésame qui aurait exposé, en 1863, au Salon des refusés, « deux pieds de cochon en croix, » et qui, cette année, se serait fait refuser une autre toile intitulée Le Grog au vin.
Je vous avoue que j’ai eu quelque peine à reconnaître sous le masque qu’on lui a collé au visage, un de mes camarades de collège, M. Paul Cezanne, qui n’a pas le moindre pied de cochon dans son bagage artistique, jusqu’à présent du moins. Je fais cette restriction, car je ne vois pas pourquoi on ne peindrait pas des pieds de cochon comme on peint des melons et des carottes.
M. Paul Cezanne a eu effectivement, en belle et nombreuse compagnie, deux toiles refusées cette année : le Grog au vin et Ivresse. Il a plu à M. Arnold Mortier de s’égayer au sujet de ces tableaux et de les décrire avec des efforts d’imagination qui lui font grand honneur. Je sais bien que tout cela est une agréable plaisanterie, dont on ne doit pas se soucier. Mais que voulez-vous ? je n’ai jamais pu comprendre cette singulière méthode de critique, qui consiste à se moquer de confiance, à condamner et à ridiculiser ce qu’on n’a pas même vu. Je tiens tout au moins à dire que les descriptions données par M. Arnold Mortier sont inexactes.
Vous-même, mon cher confrère, vous ajoutez de bonne foi votre grain de sel : vous êtes « convaincu que l’auteur peut avoir mis dans ses tableaux une idée philosophique. » Voilà de la conviction placée mal à propos. Si vous voulez trouver des artistes philosophes, adressez-vous aux Allemands, adressez vous-même à nos jolis rêveurs français ; mais croyez que les peintres analystes, que la jeune école dont j’ai l’honneur de défendre la cause, se contente des larges réalités de la nature.
D’ailleurs, il ne tient qu’à M. de Nieuwerkerke que le Grog au vin et Ivresse soient exposés. Vous devez savoir qu’un grand nombre de peintres viennent de signer une pétition demandant le rétablissement du Salon des refusés. Peut-être M. Arnold Mortier verra-t-il un jour les toiles qu’il a si lestement jugées et décrites. Il arrive des choses si étranges.
Il est vrai que M. Paul Cezanne ne s’appellera jamais M. Sésame, et que, quoi qu’il arrive, il ne sera jamais l’auteur de « deux pieds de cochon en croix. »
Votre dévoué confrère,
Émile Zola. »
Voici le brouillon de cet article (collection Rehahn) :
et sa transcription :
13 avril
Réponse des peintres délégués à Nieuwerkerken.
Lettre de F. Grosclaude fils, président délégué, Honoré Pinel, délégué, A. Chataud, délégué, L. Buchheister, délégué, au sénateur, Surintendant des Beaux-arts, datée « Mercredi [17 avril] à 9 h du matin » ; Archives du Louvre, Salon de 1867.
« Monsieur le Sénateur, Surintendant des Beaux-Arts
Monsieur le Surintendant,
Nous avons l’honneur de vous remercier de la bienveillance avec laquelle vous avez accueilli notre demande d’audience. Nous vous prions, Monsieur le Surintendant, de fixer le jour où nous pourrons être admis à vous remettre la pétition signée par les artistes dont nous sommes les mandataires.
Nous sommes avec un profond respect, de Votre Excellence,
les très humbles
et très obéissants serviteurs.H. Grosclaude fils, Président délégué,
28 rue Truffaut
Honoré Pinel A. Chataud pr M. Bureau, absent
délégué délégué L. Buchheister délégué ».En marge est noté par Nieuwerkerke :
« Mercredi [17 avril] à 9 h du matin », puis, d’une autre main, « prév[enu] le 16 avril 1867 ».
13 avril
Lettre pétition, écrite par Chataud, signée par vingt-cinq personnes, notamment Bazille, Pissarro, Monet, Guillemet, Renoir, Larouche.
Lettre pétition, écrite par Chataud, signée par vingt-cinq personnes, notamment Bazille, Pissarro, Monet, Guillemet, Renoir, Latouche, non datée, cachet de réception daté 13 avril ; en partie inédite, Archives du Louvre, Salon de 1867 ; extrait cité par Bajou Valérie, Frédéric Bazille, Édisud, Aix-en-Provence, 1993, p. 100.
« A Monsieur le Sénateur, Surintendant des beaux arts
Au moment où l’Exposition des Champs Elysées va s’ouvrir, les rigueurs excessives du jury des beaux arts connues depuis peu de jours ont suscité une émotion profonde et qu’on peut dire générale parmi les artistes non confirmés.
Nous savons, Monsieur le Surintendant, que les décisions prises par le jury à l’égard des ouvrages présentés à l’Exposition sont irrévocables, mais s’il est vrai que dans l’état actuel de nos institutions artistiques, nous n’avons aucun moyen d’en appeler devant une auto juridiction pour obtenir l’accès au salon officiel, nous espérons toutefois que votre Excellence prendra en considération notre pétition ci-jointe. En nous permettant de mettre nos ouvrages sous les regards du public dans un salon spécialement affecté au salon, votre Excellence nous facilitera l’exercice d’un droit incontestable, le droit d’appel devant l’opinion publique, des décisions qui nous blessent et nous causent à tous les points de vue un dommage très sérieux.
Si l’on nous disait que l’épreuve a été faite et que le salon des refusés a suffisamment démontré la justice des arrêts rendus par le Jury, nous protesterions de toute notre force contre une telle assertion.
Nous pensons en effet que pour tout esprit impartial et éclairé, la question de l’infaillibilité du jury en fait comme en principe est résolue négativement. A toutes les époques les hommes appelés à accorder ou à refuser aux œuvres de leurs collègues l’entrée des Expositions ont commis des erreurs de jugement constatées quelquefois avec bruit par l’opinion publique. Nous n’avons ni à rechercher, ni à signaler à cette place la cause de ces erreurs, mais c’est un devoir pour nous d’insister sur les déplorables conséquences qu’elles peuvent avoir et sans attaquer le caractère de nos juges, sans mettre en suspicion leur zèle, leur bon vouloir, leurs lumières, nous nous croyons autorisés pour le bon sens et par l’expérience du passé à prétendre qu’ils peuvent se tromper.
Aussi croyons-nous que la faculté d’avoir une Exposition spéciale des œuvres rejetées devrait être garantie d’une façon permanente aux artistes qui se croyant mal jugés et possédant le courage de leur opinion voudraient en référer au sentiment public, jusqu’à ce que la liberté des Expositions soit proclamée et assurée à jamais. Nous considérons les Expositions d’appel comme une sauvegarde indispensable contre la faillibilité des arrêts du jury.
Le refus d’une production artistique au Salon est toujours pour l’artiste frappé une mortification assez pénible, mais il peut devenir pour cet artiste une cause de ruine, et cette hypothèse nous semble assez grave pour motiver à elle seule notre demande. Qu’il nous soit donc permis de croire, Monsieur le Surintendant, que vous voudrez bien nous accorder une Exposition qui nous mettra à même de connaître le jugement du public à qui nous en appelons.
Dans l’espérance que vous voudrez bien faire droit à notre juste demande, nous avons l’honneur d’être avec respect, Monsieur le Surintendant,
Vos très humbles et très obéissants serviteurs.
N.B. Les soussignés signataires de cette lettre, sincèrement convaincus qu’ils sont de la justice de leurs doléances et de l’urgence de leurs réclamations, s’engagent formellement, si leur pétition est agréée, à envoyer leurs œuvres au salon des refusés.
A. Chataud F. Bazille C. Pissarro
C. Monet
Grosclaude fils Guillemet A. Renoir Fr Durenne
R. Zink Latouche [?]allet Alfred Didier
Honoré Pinel Louis Buchheister
[non lu] Gonzague Privat
Audry Legrand Victor Chappuy rue de Rocroy
Emmanuel Hubus [?] H. Lemonnier [?]
Victor Thermin
F. Déportes
Camatte
E. Racine ».
[Avril]
Lettre de C. Daubigny à Pissarro, non datée [avril 1867 ?]
Daubigny, qui ne fait pas partie du jury du Salon, écrit un mot à Pissarro pour lui annoncer que son envoi est reçu.
Bibliothèque d’art et d’archéologie, collection Jacques Doucet.
« Cher M. Pisaro [sic]
Vos deux tableaux sont reçus.
Bien à vous.
C. Daubigny. »
15 avril – 5 juin
Salon, au Palais des Champs-Élysées. Cette année, Corot et Daubigny ne sont pas membres du jury. Solari est admis avec Bacchante, une statue en plâtre.
Salon de 1867, 85e exposition officielle. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 15 avril 1867, Paris, Charles de Mourgues Frères, successeurs de Vinchon, imprimeurs des musées impériaux, 1867, 405 pages, dates p. XVIII. Solari p. 346.
« SOLARI (Philippe), né à Aix (Bouches-du-Rhône).
Boulevard Montparnasse, 103.
2476 — Bacchante ; statue, plâtre. »
17 avril
Les délégués des artistes signataires de la pétition du 30 mai sont reçus par Nieuwerkerke, qui refuse une contre-exposition.
Feyrnet E., « Chronique », Le Temps, 7e année, n° 2173, samedi 20 avril 1867, p. 2 :
« Chronique
Les délégués des artistes dont les ouvrages n’ont pas été admis au Salon avaient, vous le savez, sollicité une audience de M. le surintendant. Ils ont été reçus avant-hier [vraisemblablement le 17 avril]. M. le comte de Nieuwerkerke n’a pas cru devoir accorder la contre-exposition qui lui était demandée. « Soyez très sévères », avait-il dit aux jurés ; blâmer indirectement une sévérité qu’il avait recommandée ne lui était pas possible.
M. le surintendant n’est pas disposé d’ailleurs pour l’avenir plus que pour le présent, à recommencer l’épreuve du Salon des refusés. Les délégués n’en sont pas moins sortis très satisfaits de M. de Nieuwerkerke ; des paroles ont été par lui prononcées, qui leur ont ouvert de consolantes perspectives. Ces paroles, je ne les répéterai pas…
Seulement, hier au soir, en vous promenant sur le boulevard, vous auriez pu entendre plus d’une fois les phrases suivantes, échangées entre gens qui s’abordaient :
― Eh bien ! vous savez ?
― Quoi ?
― Le jury de réception…
― Que lui est-il arrivé ?
― Il ne sera plus nommé par les médaillés seulement.
― Vraiment ?… Le suffrage universel !
― A peu près. Il suffira pour concourir à l’élection, d’avoir exposé une fois.
Voilà ce qui se disait hier, voilà ce qui se dira aujourd’hui… et voilà ce qui sera très probablement un fait accompli l’année prochaine. »
Le Rôdeur, « Petits événements », Le Figaro, 14e année, 2e série, n° 159, mercredi 24 avril 1867, p. 3 :
« M. de Nieuwerkerke a reçu en audience particulière MM. Grosclaude Chataud et Pi[n]el, délégués du comité des artistes peintres dont les tableaux ont été refusés cette année au Salon par le jury.
Monsieur le surintendant, tout en refusant son adhésion à l’idée d’une contre-exposition, adonné à ces messieurs de sérieuses espérances de réformes.
À partir de l’année prochaine, le mode d’élection des membres du jury serait changé.
Le suffrage universel serait désormais une vérité pour le monde des artistes comme pour tous les citoyens de l’empire français. »
« Faits divers », La Liberté, 24 avril 1867 ; cité dans Hommage à Claude Monet, catalogue d’exposition, Paris, 1980, note n° 4 p. 55 :
« La caisse des Associations populaires rue Saint-Martin, 141, lance une souscription […] pour l’organisation d’un Salon des Refusés. […] L’année 1867 fait époque et […] l’administration des Beaux-Arts n’ayant pas consenti à faire une contre-exposition malgré les nombreuses réclamations des artistes pétitionnaires à cet effet ils [les artistes] doivent recourir aux grands moyens. »
« Nouvelles des arts », La Presse, 32e année, samedi 27 avril 1867, p. 2 ; cité par Tabarant Adolphe, La Vie artistique au temps de Baudelaire, 2e édition, 1963, p. 414 :
« MM. Grosclaude, Châtaud et Pinel, délégués des artistes dont le jury de peinture avait refusé les tableaux, ont été reçus ces jours derniers par M. de Nieuwerkerke. La réception a été, paraît-il, toute bienveillante et pleine de courtoisie. M. le surintendant des beaux-arts, tout en refusant son adhésion à l’idée d’une contre-exposition, a donné aux artistes délégués de sérieuses espérances de réforme dans les prochaines élections pour les membres du jury. Le suffrage universel serait désormais une vérité pour le monde des artistes comme pour les citoyens de l’Empire.
Comprenant que le meilleur moyen d’être aidés est de s’aider soi-même, les artistes dont les œuvres ont été refusées au salon de cette année, ont décidé d’en appeler au jugement du public et de fonder à leurs frais une contre-exposition. »
« Nouvelles », La Chronique des Arts et de la Curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts, n° 182, 28 avril 1867, p. 134 :
« Messieurs les artistes refusés au Salon administratif de 1867sont avertis qu’une souscription est ouverte à la Caisse des Associations populaires, rue Saint-Martin, 141, dans le but de leur donner le moyen d’exposer leurs œuvres.
***
On lit dans le Figaro [24 avril 1867] : « M. de Nieuwerkerke a reçu en audience particulière MM. Grosclaude, Chataud et Pi[n]el, délégués du comité des artistes peintres dont les tableaux ont été refusés cette année au Salon par le jury. M. le surintendant ; tout en refusant son adhésion à l’idée d’une contre-exposition, a donné à ces messieurs de sérieuses espérances de réformes. À partir de l’année prochaine, le mode d’élection des membres du jury serait changé. »
« Nouvelles », La Chronique des Arts et de la Curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts, n° 183, 5 mai 1867, p. 142 :
« Les artistes qui ont eu des tableaux refusés pour l’Exposition annuelle, se sont adressés à M. le comte de Nieuwerkerke, pour obtenir le rétablissement du salon des refusés.
M. le surintendant a déclaré qu’il ne pouvait cette année satisfaire à cette demande, mais que des réformes seraient apportées l’année prochaine dans la formation du jury qui, pense-t-on, serait nommé par le suffrage universel des artistes. »
La réforme promise par Nieuwerkerke est explicitée dans une lettre qu’écriront Honoré Pinel et R. Zink l’année suivante, le 27 février 1868, au nom d’une Société générale des artistes peintres, sculpteurs :
Lettre d’Honoré Pinel, président, et R. Zinc, à Monsieur le Comte de Nieuwerkerke, sénateur, Surintendant des Beaux-arts, datée « Paris, ce 27 février 1868 » ; Archives du Louvre, Salon de 1868 ; extrait cité dans Hommage à Claude Monet, catalogue d’exposition, Paris, 1980, note n° 4 p. 55.
« A Monsieur le Comte de Nieuwerkerke, Sénateur, Surintendant des Beaux-Arts
Paris, ce 27 février 1868
Monsieur le Surintendant,
Les membres de la Société générale des Artistes peintres, sculpteurs, etc., autorisée en date du 13 avril 1866, dans leur dernière séance annuelle, ont voté à l’unanimité la lettre suivante et ont chargé leur Président et leur Secrétaire de vous la transmettre :
En réalisant aujourd’hui, Monsieur le Surintendant, la promesse que vous avez faite l’année dernière aux délégués des non-exempts [de la désignation du jury], vous donnez un nouveau témoignage de la vive sollicitude que vous accordez aux Artistes.
Permettez-leur, non seulement de vous remercier de cette première réforme qui donne à chacun d’eux le droit d’élire ses juges, mais encore de vous exprimer avec confiance le vœu : qu’une seule admission suffise désormais pour être exempt.
Nous sommes, avec le plus profond respect, Monsieur le Surintendant, personnellement et au nom de nos collègues, vos très humbles serviteurs.
Honoré Pinel, président, à Gonesse (Seine et Oise)
R. Zink, secrétaire, à Paris, 14 rue Volta. »
En marge, est inscrit : « accuser réception », puis « fait 5 mars 1868 ».
Anne Distel précise que des recherches aux Archives de la Seine et aux Archives de la Police ne lui ont pas permis de retrouver la trace de l’autorisation de la société mentionnée.
Distel Anne, Hommage à Claude Monet, catalogue d’exposition, Paris, 1980, note n° 4 p. 55.
[Avril ?]
Pissarro et sa famille reviennent habiter à Pontoise, sans doute après l’hiver. Ludovic Rodo Pissarro notera ces renseignements : « 1867 — Pontoise, maison du père Colomban (Lucien). Paris, rue Foyaltier [sic] (Lucien). »
Pissarro Ludovic Rodo, Notes recueillies d’après les documents, catalogues, lettres, peintures, etc. ; inédit, Pontoise, musée Pissarro.
Il s’agit de la maison de Colomban Delaplace, 1, rue du Fond-de-l’Ermitage (à l’emplacement de l’actuel n° 5, rue Maria-Deraismes), sans doute la même que celle qu’il occupait en 1866.
Plan de la rue du Fond-de-l’Ermitage, vers 1867, Archives départementales du Val-d’Oise.
L’adresse de la rue Foyaltier (Foyatier, en réalité) est erronée, puisque celle-ci, ouverte en 1867, n’a reçu cette dénomination qu’en 1875.
Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, 8e édition, 1985, tome I, p. 543.
Fin avril
Valabrègue ne manque pas de féliciter Zola pour son intervention en faveur de Cezanne :
Rewald John, Cezanne, Paris, Flammarion, 2011, 1re édition 1986, 285 pages, p. 70 :
« Paul a écrit dernièrement. Votre lettre m’avait annoncé son refus au Salon et je m’y attendais, aussi bien que vous et que lui. Jusqu’à quand Paul ne sera-t-il pas refusé ? J’ai appris avec plaisir, en échange, de quelle manière énergique vous avez répondu pour lui […]. Vous êtes destiné à supplicier ses ennemis. On ne saurait trop vous féliciter de ce beau rôle, Paul est l’enfant ignorant de la vie, dont vous êtes le gardien et le guide. Vous le veillez, il marche à côté de votre bras, il est toujours sûr d’être défendu. Il s’est signé de vous à lui, pour le défendre, une alliance qui sera même offensive quand il le faudra. Vous êtes son âme pensante ; sa fatalité est de faire des tableaux, comme la vôtre est de faire sa vie ! »
[Mai]
Lettre de Bazille à son père et sa mère, non datée.
Bazille informe ses parents que les peintres, n’ayant pu réunir que 2 500 francs, doivent renoncer à leur projet d’exposition à part.
Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, éditions de l’Amateur-éditions des Catalogues raisonnés, Paris, 1995, lettre n° 165 p. 356 :
« Il y a en ce moment déluge de peintures à Paris. L’exposition d’Ingres est bien intéressante, il faut beaucoup regretter de ne pas la voir si tu ne fais pas ton voyage [exposition à l’École impériale des Beaux-arts, rue Bonaparte, qui devait fermer le 10 mai, puis qui a été prolongée jusqu’au 15 juin].
Presque tous les portraits sont des chefs-d’œuvre, mais ses tableaux sont bien ennuyeux. Le Salon est le plus médiocre que j’aie encore vu, à l’Exposition Universelle, il y a une vingtaine de belles toiles de Millet, et de Corot. Très prochainement vont s’ouvrir les Expositions particulières de Courbet, et de Manet, qu’il me tarde beaucoup de voir.
Je t’ai parlé dans une de mes dernières lettres [2 avril] du projet de quelques jeunes gens de faire une exposition à part. En nous saignant autant que possible nous sommes arrivés à réunir une somme de 2 500 francs, qui n’est pas suffisante. Nous sommes donc forcés de renoncer à ce que nous voulions faire. Il faut rentrer dans le giron de l’administration dont nous n’avons pas sucé le lait, et qui nous renie.
Il y a peu de jolies choses au Champ de Mars [Exposition universelle], le parc est affreux, rempli de baraques en plâtre. A l’intérieur, l’aspect des machines qui marchent et les belles étoffes d’Orient sont les seules choses qui m’aient plu. »
En fait, Bazille repartira dans le Midi sans attendre les expositions de Manet et de Courbet, comme il l’écrira à son père.
Lettre de Bazille à son père, datée samedi ; Sarraute Gabriel, Catalogue de l’œuvre de Frédéric Bazille, document dactylographié déposé à la bibliothèque de l’École du Louvre (non publiée), Paris, 1948, p. 40 et 45-46.
« Je regrette un peu de partir d’ici sans voir l’exposition générale de Courbet et celle de Manet, mais elles ne seront probablement prêtes qu’à la fin du mois, et je perdrais trop de temps. »
[6 mai]
Lettre de Buchheister à Bazille.
Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, éditions de l’Amateur-éditions des Catalogues raisonnés, Paris, 1995, lettre n° 166 p. 357, transcrit « Buhheister ».
« Le Comité des artistes refusés se réunira samedi [11 mai] soir à 8 heures chez moi, 47 rue de St Pétersbourg, nous espérons que vous serez des nôtres. Veuillez avertir MM. Manet et Renouard [sic]. »
Mai
Marion conjure Morstatt de lui écrire. Cezanne est à Paris. Son adresse est, 22, rue Beautreillis.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 16 de Marion, Marseille, à Morstatt, mai, p. 58.
17 mai
Cezanne est à Paris.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 17 de Marion, Marseille, 17 mai, à Morstatt, p. 58.
21 mai
Lettre de Monet, Paris, à Bazille, datée.
Monet informe Bazille que Courbet ouvrira bientôt une exposition particulière. « Son intention est de conserver sa bâtisse où il a déjà fait faire un atelier pour lui au premier ; et l’année prochaine quand on le voudrait, il louerait la salle à ceux qui voudraient y faire une exposition. »
Schulman Michel, Frédéric Bazille 1841-1870, Catalogue raisonné, éditions de l’Amateur – éditions des Catalogues raisonnés, Paris, 1995, lettre n° 169 p. 357
« Je vais partir très prochainement, le 2, je pense, dès que j’aurai vu les expositions Courbet et Manet. Ce dernier ouvre dans deux jours, il est dans des transes affreuses… Je vous rendrai compte de cela, l’ouverture sera curieuse. Courbet ouvre, lui, d’aujourd’hui en huit, c’est-à-dire lundi prochain [27 mai], celui-là, c’est une autre affaire. Figurez-vous qu’il invite tous les artistes de Paris pour le 1er jour : il envoie 3 000 invitations et en même temps à chaque artiste il joint son catalogue. Croyez-vous qu’il fait bien les choses. Son intention est de conserver sa Galerie et il a déjà fait faire un atelier pour lui au 1er et l’année prochaine quand on voudrait il louerait sa salle à ceux qui voudront faire une exposition.
Travaillons donc ferme et arrivons là avec des choses sans reproche. »
Monet a bien sûr en tête l’idée que leur groupe pourrait louer le pavillon de Courbet.
Dans La Liberté, le 27 mai, Castagnary annonce l’exposition de Courbet.
« Les promeneurs du Cours-la-Reine, les voyageurs de Passy et d’Auteuil, les visiteurs qui se rendent de la rive droite à l’Exposition universelle, ont pu remarquer au rond-point du pont de l’Alma une construction haute et longue, élevée en quelques semaines à l’angle d’un terrain nu. C’est la galerie que M. Courbet vient de faire construire, et dans laquelle il va exposer ses œuvres. L’artiste nous prie d’annoncer que l’ouverture publique de son exposition est fixée au mercredi 29 mai, à dix heures du matin. »
24 mai
Inauguration d’une exposition personnelle de Manet, comprenant une cinquantaine de tableaux, dans un baraquement construit à ses frais à l’angle des avenues Montaigne et de l’Alma.
Catalogue des tableaux de M. Édouard Manet exposés avenue de l’Alma en 1867, Paris, imprimerie L. Poupart-Davyl, 1867, 16 pages, 50 numéros, 3 copies et 3 eaux-fortes.
Lettre de Monet à Bazille, 20 mai 1867 ; Wildenstein Daniel, Monet. Vie et œuvre, Lausanne Paris, Bibliothèque des arts, tome I, 1974, p. 423.
Lettre de Manet à Zola, [entre janvier et mai 1867] ; « Correspondance Manet-Zola », publiée dans Cachin Françoise, Moffett Charles S., Manet, catalogue d’exposition, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 22 avril – 1er août 1983 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, 10 septembre – 27 novembre 1983, Paris, éditions de la Réunion des Musées nationaux, 1983, lettre n° 5, p. 520.
La brochure de Zola, Édouard Manet, étude biographique et critique, parue chez l’éditeur E. Dentu le 6 juin, reprend son article publié le 1er janvier 1867 en le remaniant légèrement.
Zola Émile, Éd. Manet. Étude biographique et critique accompagnée d’un portrait d’Éd. Manet par Bracquemond et d’une eau-forte d’Éd. Manet d’après Olympia, Paris, E. Dentu, éditeur, Librairie de la Société des Gens de Lettres, 1867, 48 pages ; date d’après plusieurs lettres de Zola qui ce jour-là envoie sa brochure à des critiques (lettres n° 183-185, 187-189 de la Correspondance, 1978) ; Manet 1832-1883, catalogue d’exposition, Paris, 1983, note n° 3 p. 520.
26 mai
Lettres de Marion à Morstatt.
Cezanne est à Paris, mais il doit revenir bientôt à Aix. Marion écrit à Morstatt :
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 18 de Marion, Marseille, 26 mai 1867, à Morstatt, p. 40, 58.
« Paul m’a écrit encore quelques mots de Paris, avec de nouvelles poignées de main pour toi… »
« Sa campagne d’hiver est finie ; il a travaillé son œuvre possible assez vigoureusement ; il fait assez bien de rentrer se mettre au vert ; — vraiment ce retour me ferait plaisir. »
29 mai
Inauguration d’une exposition personnelle de Courbet dans un pavillon construit au rond-point de l’Alma.
Lettre de Monet à Bazille, 20 mai 1867 ; Wildenstein Daniel, Monet. Vie et œuvre, Lausanne Paris, Bibliothèque des arts, tome I, 1974, p. 423.
29 mai
Lettre de Zola à Valabrègue.
Vente Autographes, livres, étude Tajan, Paris, hôtel Drouot, 27 septembre 2002, n° 2.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, 594 pages, lettre n° 180, p. 499-502.« Je vous enverrai, ces jours-ci, une brochure que je publie ici, et qui n’est autre chose que mon article sur Manet. Elle contient deux eaux-fortes : un portrait de Manet et une reproduction de l’Olympia. Vous devez savoir que Manet a ouvert, depuis vendredi [24 mai], son Exposition particulière. Le succès d’argent est maigre jusqu’à présent. L’affaire n’est pas lancée. J’espère que ma brochure va mettre le feu aux poudres.
[…] Voilà à peu près toutes les nouvelles qui me concernent. — Je vois rarement Baille ; depuis que je me suis retiré sur les hauteurs de Batignolles, je vis au désert. Quand vous reviendrez à Paris, j’espère que vous vous logerez dans mon voisinage. — Cezanne retournera à Aix avec sa mère dans une dizaine de jours. Il passera, dit-il, trois mois au fond des solitudes de la province et reviendra à Paris en septembre. Il a grand besoin de travail et de courage. — Grand succès de Solari au Salon. — Prochaine ouverture de l’Exposition de Courbet, sur laquelle j’espère pouvoir faire une courte élude. D’ailleurs, Paul vous donnera toutes ces petites nouvelles avec plus de détails.
Me pardonnerez-vous de vous avoir parlé des autres et de moi avant de m’être occupé de vous ?
Vous faites bien de rester à Aix, si vous y restez pour vous armer de toutes pièces avant de revenir à Paris. Songez que, pour marcher librement, il faut que vous soyez indépendant. Seulement hâtez-vous. La province est terrible. Deux ans de séjour à Aix doivent à coup sûr tuer un homme. J’ai en cela une opinion arrêtée qui me fera toujours vous appeler à Paris. Questionnez Paul, questionnez tous nos amis, et vous verrez chez tous le même effroi de la province. »
Juin
Marion guette le retour de Cezanne à Aix. Dans une lettre portant l’en-tête du Café Michel, à Marseille, il écrit à Morstatt.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 19 de Marion, Marseille, juin 1867, à Morstatt, p. 40, 41, 58.
« Paul, que Garnier a vu à Paris, doit retourner en Provence auprès de nous dans quinze jours au plus tard. On ira se soûler de verdure et de soleil dans nos campagnes colorées. On t’expédiera un jour des études collectives après une journée artistique avec Paul… Tu recevras cela dans un moment où l’on aura assez de monnaie pour l’expédition. »
9 juin
Lettre de Zola à Philippe Solari, [Paris] 6 juin 1867.
Cezanne, qui a passé une partie de l’hiver et le printemps à Paris, rentre à Aix en compagnie de sa mère, probablement venue pour visiter l’Exposition universelle.
Zola a écrit mercredi 6 juin à Philippe Solari :
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, 594 pages, lettre n° 186, p. 507 :
« Paul part pour Aix samedi soir [9 juin] avec sa mère. »
Lettres de Marion à Morstatt, juin, début de l’été 1867, début de l’été 1867, 15 août 1867 ; Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettres nos 19 et 20, p. 40, 41, 49, 54, 55 :
De retour à Aix, « Il travaille à « quelques portraits vraiment beaux ; non plus au couteau, mais tout aussi vigoureux ». Il compte revenir passer huit jours à Paris au milieu du mois d’août pour revoir les expositions particulières de Manet et de Courbet en compagnie de Marion. Finalement, il ne réalise pas son projet et ce dernier se rend seul à Paris.
Marion et Cezanne ont l’intention d’envoyer des tableaux à Morstatt à Marseille.
Cezanne travaille sur des toiles de grand format. Il entreprend une deuxième composition sur L’Ouverture de Tannhäuser, dans des tonalités plus claires (FWN600-R149).
Juin ou juillet
Lettre de Marion à Morstatt.
Cezanne est à Aix, il fait des aquarelles, projette une autre version de l’Ouverture de Tannhäuser. Cezanne et Marion projettent de faire un séjour d’une semaine à Paris, vers la mi-août, afin de voir les expositions de Courbet et de Manet.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, n° 20, de Marion, Aix, à Morstatt, juin ou juillet 1867, p. 41, 49, 54, 58.
« Nous comptons, Paul et moi, nous échapper pour huit jours à Paris, vers le milieu du mois d’août prochain. Ce serait diablement amusant de t’y rencontrer. Mais je n’ose l’espérer.
Nous n’y allons guère que pour visiter les expositions de peinture de Manet et de Courbet, profitant d’un de ces trains de plaisir qui transportent les Provençaux à Paris pour trente francs aller et retour. »« Paul est ici à faire de la peinture, plus Paul que jamais ; mais porteur cette année d’une ferme volonté de réussir au plus vite. Il a fait dernièrement quelques portraits vraiment beaux ; non plus au couteau, mais tout aussi vigoureux, et alors d’un métier bien plus habile et plus plaisant. »
« Ses aquarelles surtout sont remarquables, d’une coloration inouïe, et d’un effet étrange dont je croyais l’aquarelle incapable. »
« Il a déjà plusieurs grandes toiles commencées et il va de nouveau traiter dans des tonalités tout à fait différentes avec des notes plus blondes l’ouverture du Tannhäuser dont tu avais vu une première toile. »
Parmi les aquarelles, probablement La Route (RW017), signé et daté « 67 P. Cezanne ».
[Mi-juillet]
Lettre d’A. Guillemet, datée dimanche soir, à Pissarro, inédite.
Guillemet est arrivé à Sainte-Adresse quelques jours après le 7 juillet 1867, date de la lettre 35 de Monet à Bazille (Daniel Wildenstein, Monet, tome I, p. 424) : « Guillemet arrive ici cette semaine. »
« Dimanche soir
Mon vieil ami
Merci de votre bonne lettre et des paroles consolantes que votre cœur vous a dictées. Merci à votre Dame aussi. Alphonsine s’en va tous ces jours et ne passera probablement pas l’hiver Elle vous remercie tous deux et vous fait mille amitiés –––––––
Je suis à Ste Adresse depuis huit jours et Monet ne m’a presque pas quitté. J’ai commencé quelques études à côté de lui mais cela ne va guère. L’entrain n’y est plus. Je m’intéresse même à peine à la peinture Nous voyons cependant de belles choses d’art souvent nous parlons de vous et des motifs qui auraient votre préférence — Nous voudrions vous avoir avec nous et vous avons cherché dans le voisinage de la mer quelque chose qui pût vous aller — Celle que nous avons trouvée est tellement bonne, tellement l’affaire d’un peintre que nous n’avons eu qu’une crainte et importante celle là, c’est qu’une raison ou une autre vous empêchent d’en profiter – Voici du reste ce que c’est –––––
sur la falaise de Ste adresse à côté de chez Monet, une vue extraordinaire, des motifs inouïs, une ferme avec verger potager petit bois, 600 fcs de loyer ; [2 mots non lus] cultiver on vend pour 3 à 400 fcs le puits et herbages en se nourrissant pour rien en pommes de terre et légumes etc., il n’y aurait que la viande et le pain à acheter. On fait son bois chez soi, il n’en coûte rien ; la maison d’habitation est toute neuve ; 10 chambres énormes –––––– une autre maison une écurie lavoir etc. Enfin c’est épatant ––– Monet en était resté ébahi ––––– Voilà le gros lot.
Si vous pouvez vous fixer ici vous ne le regretterez pas –– Vous pourriez loger une colonie de peintres chez vous –––
Nous ne craignons qu’une chose pour vous c’est l’éloignement de Paris, il faudrait vous arranger en conséquence On voit votre propriété de partout. Elle est déjà baptisée le château Pissarro –––
Réfléchissez y bien c’est superbe et les effets de neige l’hiver à tuer [?] un peintre en 2 minutes.
Vous devez avoir fini votre Salon et vous avez fait de belles études on n’en doute pas. Monet a fait des tableaux à faire gueuler les jurys français et étrangers ––– Nous avons fait de belles promenades — il m’a fait voir de belles choses. J’ai diné chez lui dimanche c’est épatant, des toilettes, des jolies femmes un chic –––
J’ai posé dans un tableau qui est rigolo comme tout.
Je ne sais si je resterai longtemps Ici. Je fais [mot non lu] et je ne voudrais pas que Monet le sache mais je m’ennuie à la mer. Je crois que je n’en sais rien ou plutôt [je] ne le sais que trop.
Vous allez [bien]tôt déménager envoyez moi votre adresseJ’habite maintenant
Mr Guillemet, chez Madame Ve Quesnel
rue Marie Thalbot
Ste Adresse
Ste Adresse près le HavreNe soyez pas trop long à nous écrire — Monet vous dit bien [des] choses aimables et voudrait vous voir arriver tout de suite.
Mes compliments à votre dame
J’embrasse les bébés
A vous de tout cœur.A. Guillemet
Si Cezanne revient, allez voir ses tableaux, je suis curieux de savoir ce que c’est –––––
Bonjour à Zola –––– »
20 juillet
Duranty publie dans la revue La Rue une nouvelle « Le peintre Marsabiel » qui s’inspire de Cezanne, en le caricaturant sous le nom de Marsabiel. Cette nouvelle sera reprise et complétée pour paraître en feuilleton dans Le Siècle, du 13 au 16 novembre 1872, sous le titre « La simple vie du peintre Louis Martin », puis en 1877 dans un recueil intitulé Les Séductions du chevalier Navoni. Les modifications que Duranty apportera renforcent la ressemblance de Marsabiel, devenu Maillobert, avec Cezanne, en lui donnant cette fois un « accent nasillard, traînant et hypermarseillais ».
Duranty, « Le peintre Marsabiel », La Rue, Paris pittoresque et populaire, 1re année, n° 8, 20 juillet 1867, p. 4, 6 :
« LE PEINTRE MARSABIEL
Un de mes amis m’avait souvent parlé de ce peintre Marsabiel, qui demeure au bout de la rue de Charonne, comme d’un être curieux. Et je me décidai un matin à aller voir le personnage.
Il habitait au fond d’une cour occupée par un nourrisseur, un charron et une blanchisseuse, cour pleine de fumier, de poules, de chiens, d’enfants, de linge étendu et de grosses roues de voitures. Pour parvenir chez M. Marsabiel, il fallait monter un raide petit escalier de bois qui conduisait à une galerie au premier étage donnant sur la cour et criblée de portes jaunes. Les murs étaient couverts d’inscriptions ; c’était comme une sorte de registre des allées et venues des locataires et connaissances. Les : Je suis en face — Je rentrerai tout à l’heure — Un tel est venu aujourd’hui, 5 mai — Bonjour par Robert, — etc., étaient partout. La porte de M. Marsabiel, distinguée des autres par un énorme M rouge, était surtout surchargée de ces inscriptions, mêlées de dessins, de caricatures gravées au canif, tracées an charbon ou à la craie et même au pinceau. Il y avait un : « Vive Marsabiel ! peintre d’histoire ! » qui passait en travers sur le tout en lettres majuscules comme les noms de contrées sur les cartes de géographie.
Au moment de frapper j’entendis la voix d’un perroquet à l’intérieur. —Voilà, pensai-je, un homme simple, qui aime les oiseaux et se retire dans un faubourg de Paris pour y vivre à meilleur marché et se livrer plus facilement à son goût pour les animaux.
Je frappai !
« Entrez » cria une voix où tous les accents les plus extravagants, marseillais, franc-comtois, picard, normand, alsaciens semblaient s’être réunis.—
J’entrai et me trouvai tout étourdi du lieu et du personnage. De la poussière, des ordures, des tessons de pots, d’horribles loques, des gravas de la muraille, de la terre de sculpteur desséchée, formaient de véritables tas. Une odeur de moisi et d’humide vous affadissait le cœur. Le personnage, chauve, avec une immense barbe, et deux dents d’une longueur extraordinaire qui lui tenaient les lèvres entr’ouvertes, l’air jeune et vieux à la fois, était lui-même comme un résumé de son atelier, indescriptible et sordide. Il me fit un salut profondément respectueux, accompagné d’un sourire narquois ou banal, qui me troubla.
En même temps mes yeux étaient assaillis par tant de colorations terribles, par tant d’énormes toiles suspendues partout, que je ne sus plus pendant un moment où j’étais et que je me sentis plein de mélancolie, comme un homme qui s’est fourré lui-même dans un guêpier.
— Ah, ah ! fit Marsabiel avec un accent nasillard, traînant et singulier, monsieur est amateur de peinture ! Voilà mes petites rognures de palette, ajouta-t-il en me désignant une quinzaine de gigantesques toiles, un cent d’autres petites, sans compter plusieurs gros rouleaux à terre et quelques piles de châssis tournés contre la muraille.
En ce moment la voix du perroquet cria :
Marsabiel est un grand peintre !…
Je me retournai effaré.
— Ah! c’est mon critique d’art, me dit le peintre avec son sourire qui faisait douter s’il n’était pas le plus malin ou le plus idiot des hommes.
Il souleva une grosse toile déchirée toute couverte des marques de pinceaux essuyés et me montra le perroquet sur son perchoir dans un coin où de la paille recouverte d’un torchon, représentait le lit — le lit de Marsabiel.
Comme il vit que je regardais d’un œil d’étude une série de pots de pharmacien de première grandeur, au nombre de plus de quarante, et portant les inscriptions latines abrégées : « Insqui. — Agn. Still. — Ferrug. — Rhub. —Sulf-Cup. »
— C’est ma boîte à peindre, me dit Marsabiel, c’est pour contrarier les peintres et leur montrer qu’avec des drogues je fais de la vraie peinture, tandis qu’eux avec des belles couleurs ne font que des drogues.
— C’est une allégorie réelle, risquai-je.
— C’est la vérité, répliqua-t-il, d’un air si irrité que je me tus, ayant un peu peur.—
Cependant mes yeux se débrouillaient dans le chaos et furent attirés invinciblement par un tableau énorme, tout eu hauteur, qui représentait un charbonnier et un boulanger trinquant devant une femme nue, au-dessus de la tête laquelle était écrit : Coopération.
Quand je dis un charbonnier el un boulanger, c’est que Marsabiel m’expliqua que tels étaient ces deux personnages nus, l’un balafré de taches de charbon et l’autre de farine.
Les trois figures étaient des colosses, double de la grandeur naturelle et sur un fond entièrement noir, exécutés au moyen d’immenses touches heurtées, non rompues, où le vermillon, le bleu de Prusse, le blanc d’argent se faisaient franchement la guerre. De gros yeux avec un point brillant leur sortaient à tous de la tête. Néanmoins un bras ici, un morceau de hanche là, un genou ailleurs, étaient traités avec une puissance furieuse.
— C’est l’expression de la civilisation, me dit Marsabiel ; j’ai fait ça pour satisfaire les philosophes qui crient toujours après nous.
En face de cette toile s’en étalait une autre que je ne saurais mieux appeler que la Guerre des Pots. Quatre pots en furie, posés sur une nappe subissant une tempête terrible, se fusillaient de leurs larges touches ; le gris lui-même, cette couleur calme était frénétique. Une servante n’aurait jamais osé frotter de tels pots.
— C’est encore un peu faible ! dit Marsabiel.
Le plus curieux ensuite était une série de portraits sans visages, car du moins les têtes, les mains étaient un amas de taches opposées où aucun trait ne se voyait plus. Sous chaque portrait il y avait un nom. Et la plupart n’étaient pas moins étranges que la peinture. Ainsi je lus ceux-ci : Cabladours, Appollin, Néagary, Estangudo.
— C’est fort beau, m’écriais-je à chaque toile, quelle énergie !—
— En creusant ma synthèse, commença Marsabiel…
Je n’osai pas le regarder.
Il continua : « J’ai reconnu que la peinture se fait avec du tempérament (il prononça dammbéramminnte) plus qu’avec des brosses. Et, ce disant, il me montra une sorte de grande cuillère à pot en bois, à long manche, dont une face était aplatie et dont le bout, au lieu d’être pointu, était taillé en biseau.
Je me demandais s’il entendait par tempérament ce que tout le monde entend : les facultés personnelles, ou si c’était la cuillère à pot qu’il appelait dammbéramminnte.
Je ne puis pas vous montrer mon dernier tableau, que ces imbéciles du Salon m’ont refusé. Il est intitulé « la Sole frite ou le crépuscule dans les Abruzzes. »
J’aurais douté, j’aurais même cru que le peintre, ravi de tenir un bourgeois dans un traquenard, s’en donnait à cœur joie, mais il me montra son récépissé administratif : ici était bien le titre du tableau envoyé !
— C’est, me dit-il un Anglais et une Anglaise, nus, qui mangent une sole frite à une table d’auberge en Italie, au coucher du soleil.
Et il rit sans qu’on pût deviner si c’était de contentement ou par ironie.
— Nus ! Ah ! parce qu’il fait très chaud en Italie, dis-je, pensant pénétrer dans la synthèse de Marsabiel.
Mais il me regarda avec mépris et répliqua :
« C’est parce que le nu est beaucoup plus beau, et parce que cela renverse la société. Je suis démocrate, puis, pan pan, la nature est bourgeoise ! Je lui donne du tempérament !…
Le perroquet cria :
Marsabiel est un grand peintre !
— Il a raison, dit vivement, le peintre.
Et il reprit : — On m’empêche d’arriver au public et le public est pour moi. Jo, l’ai bien vu quand j’ai porté la Sole. Tout le monde a ri en regardant mon tableau.
En ce moment deux de ses amis arrivèrent, barbus, noirs, sales.
— Serait-il le chef de l’école des fumistes ? me demandai-je.
C’étaient Cabladours et Estangudo. Ils me regardèrent d’un air effarouché.
— Monsieur est un amateur de peinture, leur dit Marsabiel.
Ils lui firent alors de petits signes mystérieux, avec le pouce et l’index, qui me parurent vouloir s’enquérir si j’achetais des tableaux. Un geste de Marsabiel les ayant éclairés à cet égard, ils se mirent plus à l’aise et s’installèrent devant une des grandes toiles, qui était pour moi fort confuse. Il me semblait qu’on avait repeint de nouveaux personnages par-dessus d’autres et que les anciens se mêlaient inextricablement avec ceux-là. Le tout était peint par touches tournantes, concentriques.
— Comme c’est fort, dit Estangudo, quelle richesse de fouillis !
— La nature est pleine de fouillis, ajouta Cabladours, mais ceci est plus fouillis.
Et je remarquai que souvent, pour désigner les plus hautes qualités chez des peintres dont ils parlaient, ils disaient : c’est fouillis. De même que leur terme principal et presque constant de critique était : c’est enfermé.—
Cependant Cabladours avait apporté une petite esquisse pour la montrer au maître. Marsabiel jeta les yeux dessus et s’écria :
Mais vous devenez donc fou, il n’y a pas de pâte du tout là-dessus.
— Je n’avais plus d’argent, dit timidement Cabladours…
— Attendez donc alors, reprit Marsabiel, qui de son gilet effiloqué
et sans boutons tira un louis pour le donner à son élève, et allez-y à pleine cuillerée!
— Nous faisons de la peinture au kilo, nous ne pleurons pas pour montrer que nous sommes peintres, me dit Marsabiel avec son sourire troublant.
En effet, je remarquai alors, que la couleur, sur ses toiles, avait une épaisseur de près d’un centimètre et formait des vallons et des collines comme un plan en relief.
Marsabiel croyait qu’un kilogramme de vert était plus vert qu’un gramme de la même couleur, parle raisonnement inverse à celui qui a fait penser à certaines gens qu’une livre de plume est plus légère qu’une livre de plomb.
Il survint un nouvel arrivant, celui qui s’appelait Appollin ; grand jeune homme fort élégant, très dandy, dont la présence parmi les fumistes me surprit beaucoup.
En arrivant il s’empara de la cuillère à pot, la trempa dans un des vases de pharmacie, la brandit, la secoua, la regarda en tous sens en riant beaucoup, tandis que Marsabiel le contemplait, rayonnant de son bizarre sourire.
— Êtes-vous content décidément de ce nouvel outil ? demanda-t-il.
— Enchanté, dit Marsabiel. En deux heures je fais quatre mètres de peinture. (Il fit le geste de tourner un ragoût.) Mon couteau à palette ne me sert plus qu’à couper mon fromage, et j’ai donné mes pinceaux (bennzos) aux petits de la blanchisseuse pour jouer du tambour.
Et comme Marsabiel était passé dans le petit cabinet au perroquet, Appollin me dit : « C’est un drôle d’homme, mais crânement fort. »—
Ce M. Appollin ayant la figure d’un homme sensé, je lui dis : Mais est-ce que vous avez discuté en commun le sujet et le titre de la Sole frite.
— Mais oui, il s’agissait de faire ressortir, voyez-vous, la bêtise de ce qu’on est convenu d’appeler le sujet en peinture.
— La prochaine fois, dit Marsabiel en soulevant l’espèce de torchon qui séparait son atelier de sa chambre à coucher, je leur ferai faire une bonne grimace. Je leur enverrai un certain pot avec un petit balai…
— Et ce sera fièrement beau ! s’écria Estangudo, car il sait diablement les asseoir !
Je sentais que je gênais et ennuyais le petit cénacle. Pourtant, voulant avant de partir, laisser bonne opinion de moi à Marsabiel, je risquai : — « Vous devez aimer Rubens, » pensant ingénuement trouver un vague rapport entre la synthèse de l’école, des fumistes et les décorations expéditives du grand Flamand.
Il y eut un éclat de rire énorme, féroce dans l’atelier.
Marsabiel prit un air très méchant. Je crus qu’il allait m’étrangler, mais il me fit un très profond salut :
— Monsieur, je vous demande pardon de ce que je dois vous dire, mais je l’aime comme de la….. — Et il termina par son plus beau sourire.
Ce n’était plus l’atelier des, fumistes, mais celui de Cambronne. Je m’enfuis suffoqué !
Le perroquet cria trois fois : Marsabiel est un grand peintre !—
J’ai appris depuis que Marsabiel avait dix mille livres de rente.
DURANTY. »
Duranty, « La simple vie du peintre Louis Martin », Le Siècle, 38e année, n° 14599, mercredi 13 novembre 1872, p. 1-2, n° 14600, jeudi 14 novembre 1872, p. 1, n° 14601, vendredi 15 novembre 1872, p. 1, n° 14602, samedi 16 novembre 1872, p. 1.
Duranty, Les Séductions du chevalier Navoni, Paris, E. Dentu, éditeur, Librairie de la société des gens de lettres, 1877, 362 pages, « La simple vie du peintre Louis Martin », p. 327-362, citation p. 327-332, 341 :« LA SIMPLE VIE
DU PEINTRE LOUIS MARTIN
IUn de mes amis m’avait souvent parlé du peintre Maillobert, comme d’un être fort curieux. Je me décidai un matin à aller voir ce personnage.
Il demeurait au bout de la rue de Charonne, dans le fond d’une cour occupée par un nourrisseur, un charron et une blanchisseuse, cour pleine de fumier, de poulets, de chiens, d’enfants, de linge étendu et de grosses roues de voitures. Pour arriver chez M. Maillobert, il fallait monter un roide petit escalier de bois qui conduisait à une galerie au premier étage, donnant sur la cour et semée de portes jaunes. Les murs étaient couverts d’inscriptions, formant une sorte de registre des allées et venues des locataires et de leurs connaissances. Partout on lisait des : Je suis en face. — Je rentrerai tout à l’heure. —Martin, venu aujourd’hui 5 mai. — Bonjour par Robert, etc. La porte de l’atelier Maillobert, distinguée des autres par un énorme M rouge, était surtout surchargée de ces inscriptions, mêlées de dessins, de caricatures, gravés au canif, tracés au charbon, à la craie et même au pinceau. Il y avait un Vive Maillobert, peintre d’histoire ! qui passait à travers le tout, écrit en lettres majuscules écartées, comme les noms de contrées sur les cartes de géographie.
Au moment de frapper, j’entendis la voix d’un perroquet à l’intérieur. Je frappai. « Entrez ! » cria-t-on avec un accent méridional presque extravagant.
A peine entré, un cri partit intérieurement en moi : Mais, je suis chez un fou !
Je me trouvai tout étourdi par le lieu et le personnage. De la poussière, des ordures, des tessons de pots, des loques, des gravois, de la terre de sculpteur desséchée, formaient des tas comme chez un chiffonnier. Une odeur de moisi vous affadissait le cœur. Le peintre, chauve, avec une immense barbe et deux dents d’une longueur extraordinaire qui lui tenaient les lèvres entr’ouvertes, l’air jeune et vieux à la fois, était lui-même comme la divinité symbolique de son atelier, indescriptible et sordide. Il me fit un grand salut, accompagné d’un sourire que je ne pus définir, narquois ou idiot.
En même temps, mes yeux furent assaillis par tant d’énormes toiles suspendues partout et si terriblement colorées, que je restai pétrifié.
— Ah! ah! dit Maillobert avec un accent nasillard, traînant et hypermarseillais, monsieur est amateur de peinture (peinnn-turrre). Voilà mes petites rognures de palette, ajouta-t-il en me désignant ses plus gigantesques toiles…
En ce moment, la voix du perroquet cria : Maillobert est un grand peintre !
Je me retournai effaré, car je voyais bien qu’il ne s’agissait pas seulement là d’une rapinade burlesque et joyeuse ; je voyais qu’on avait la conviction du génie, de l’apostolat.
— C’est mon critique d’art ! me dit le peintre avec son sourire troublant.
Il souleva un vieux rideau déchiré, tout sali des marques de pinceaux essuyés, et me montra le perroquet sur son perchoir, dans un coin où de la paille recouverte d’un torchon représentait le lit de Maillobert !
Puis, comme il vit que je regardais curieusement une série de grands pots de pharmacie, étalés par terre et portant les inscriptions latines abrégées : Jusqui. — Aqu. Still. — Ferrug. — Rhub. — Sulf. cup.
— C’est ma boîte à peindre, me dit Maillobert. Je fais voir aux ottrres qu’avec des drogues j’arrive à la vraie peinture, tandis qu’eux, avec leurs belles couleurs, ils ne font que des droguës !
Cependant je me débrouillai à travers le chaos et mes regards se clouèrent sur un tableau immense, tout en hauteur, qui représentait un charbonnier et un boulanger trinquant devant une femme nue, au-dessus de la tête de laquelle était écrit : Coopération. Quand je dis un charbonnier et un boulanger, c’est que Maillobert m’expliqua que tels étaient ces deux personnages nus : l’un balafré de blanc, l’autre de brun.
Les trois figures étaient des colosses, doubles de la grandeur naturelle, exécutés sur un fond entièrement noir, au moyen de larges touches heurtées où le vermillon, le bleu de Prusse et le blanc d’argent se faisaient une guerre furibonde ; de gros yeux avec un point brillant leur sortaient à tous de la tête. Néanmoins un bras ici, un morceau de hanche là, un genou ailleurs, étaient traités avec une certaine puissance.
— C’est l’expression de la civilisation, me dit Maillobert ; il faut bien satisfaire les philosophes qui crient toujours après nous.
Une série de portraits m’attira ensuite, portraits sans visages, car les têtes étaient un amas de taches où aucun trait ne se voyait plus ; mais sur chaque cadre un nom était inscrit, souvent aussi étrange que la peinture. Ainsi je lus Cabladours, Spassato, Valadéguy, Apollin, tous disciples de ce maître.
Voyez-vous, reprit Maillobert, la peinture ne se fait qu’avec du tempérament (il prononça temmpérammennte).
Et, ce disant, il brandissait une sorte de grande cuiller à pot en bois, à long manche, avec le bout taillé en biseau. Je me demandais s’il entendait par tempérament ce qu’on entend en général par ce mot, ou si c’était la cuiller qu’il appelait tempérammente. Du reste, Maillobert n’exposait pas, pour de bonnes raisons. Il n’avait même pas voulu, m’apprit-il, tenter le salon des refusés, alors ouvert.
— Maillobert est un grand peintre ! cria le perroquet, qui semblait avoir l’instinct du moment où il devait intervenir.
— Il a raison ! dit vivement le peintre.
En ce moment, deux de ses amis arrivèrent, barbus, noirs, sales.
— Serait-il le chef de l’école des fumistes ? pensai-je.
Ils contemplèrent les œuvres du maître comme s’ils les voyaient pour la première fois.
— Comme c’est crâne ! quelle énergie ! s’écrièrent-ils. Courbet et Manet ne font que du petit-lait à côté de ça.
Maillobert souriait tout épanoui.
De nouveaux arrivants survinrent. C’était celui qui s’appelait Apollin et un de ses amis nommé Louis Martin, qu’il présenta au maître.
Apollin était un grand jeune homme, fort élégant, très, dandy, dont la présence parmi les fumistes me surprit. Mais son ami, Louis Martin, me parut intéressant dès le premier coup d’œil. Il était très jeune, d’une figure intelligente, fine, un peu trop artiste peut-être, à cause de longs cheveux bouclés avec lesquels il se raphaélisait ; mais il indiquait une nature plus pénétrante que celle des fidèles de Maillobert. Martin tenait une esquisse sous son bras.
— Tenez, Maillobert, voyez donc ce qu’il fait, dit Apollin ; il a besoin d’être ramené en force, le petit.
Le maître contempla l’esquisse avec une moue méprisante.
— Ce n’est pas de la peinture, ça, dit-il ; c’est de la frottasse. Voulez-vous voir comme nous faisons, nous otttres !
Il trempa la cuiller dans un des pots de pharmacie et en retira une vraie truellée de vert, qu’il appliqua sur une toile où quelques lignes indiquaient un paysage ; il tourna la cuiller en rond, et à la rigueur on put voir un pré dans ce qu’il venait de barbouiller. Je remarquai alors que la couleur, sur ses toiles, avait une épaisseur de près d’un centimètre et formait des vallons et des collines comme sur un plan en relief. Évidemment Maillobert croyait qu’un kilogramme de vert était plus vert qu’un gramme de la même couleur.
Le jeune Martin regardait avec un respect mêlé d’ébahissement.
Maillobert ne pouvait se douter que l’esquisse du jeune homme, un peu hésitante, mais juste, délicate de ton, exigeait plus de force que ses empâtements grotesques.
— En deux heures, dit-il, je couvre quatre mètres de toile, et ils parlent de la peinture au couteau ! Mais mon couteau à palette ne me sert plus qu’à couper mon fromage, et j’ai donné mes brosses aux petits de la blanchisseuse pour jouer du tambour.
— Vous devez aimer Delacroix, dis-je à tout hasard.
— Peuh ! s’écria Maillobert; Delacroix, c’est du blanc d’œuf.
Martin secoua la tête.
Pendant une demi-heure, il ne fut question que de la puissance de Maillobert et d’une nouvelle phrase qu’on voulait faire apprendre au perroquet. Cette phrase, paraissait-il, répétée par l’oiseau, tuait tout autour de Maillobert : la peinture moderne ne sait pas faire épais ! […]
Maillobert apparut [« au Palais de l’Industrie ; cette exposition des refusés »] avec sa bande barbue.
— C’est faiblot, c’est bourgeois, déclarèrent ceux-ci.
Maillobert crut même devoir faire une démonstration du haut de sa grandeur. Il donna d’abord la main à Louis sans étonner d’ailleurs Marie ni son père, habitués à voir les êtres les plus singuliers parmi la gent vouée aux arts. Puis le grand peintre au perroquet prit son sourire le plus aimable pour dire à Louis :
« Alors vous venez tous les jours ici pour lécher votre tartelette ?» Seulement le mot tartelette, selon l’accent traînant de Maillobert, fut prononcé avec un écrasant dédain. Martin, piqué, répliqua : « Votre perroquet ferait peut-être bien de manger de cette tartelette ! »
Et Maillobert, qui comprit vaguement, continua sa route, suivi de ses fumistes, et cherchant en vain quelqu’un qui eût du tempérament au salon des refusés. »
Notes et souvenirs du peintre Joseph de Nittis, Paris, Librairies-Imprimeries réunies, 1895, 253 pages, p. 192 :
« Les compagnons de Duranty furent tous des réalistes, Champfleury, Legros, Fantin, Cezanne dont il fit le principal personnage d’un de ses livres, — Le théâtre de Kersabiel [titre erroné] — Le peintre Kersabiel était Cezanne. Degas et les autres y figurent sous des noms différents. »
23 juillet
Décès de la mère d’Hortense Fiquet, Catherine Deprez (46 ans), à son domicile, 5, rue Childebert, Paris 10e, mariée à Claude Antoine Fiquet, brocheur.
Hortense a 17 ans. Selon Gerstle Mack, elle aussi est brocheuse. Un atelier de brochage est situé à quelques mètres de leur domicile, l’atelier Bénard, 3 rue d’Erfurth.
Acte de décès de Marie Catherine Deprez, n° 1611, 23 juillet 1867 ; Archives de Paris, 6e arrondissement, n° V4E 728. Hurtu Raymond, « Chronologie d’Hortense Fiquet », site internet de la Société Cezanne.
« Du vingt-quatre juillet mil huit cent soixante sept à dix heures et demie du matin. Acte de décès dûment constaté de Marie Catherine Deprez, décédée en sa demeure rue Childebert n° 5 le vingt-trois de ce mois à une heure de relevé ; âgée de quarante-six ans, née à Lantenne (Doubs) mariée à Claude Antoine Fiquet, brocheur ; sur la déclaration faite par MM. Le mari sus nommé, âgé de soixante ans et Adolphe Guinemend, découpeur en marqueterie, âgé de vingt-huit ans, demeurant rue de l’hotel de Ville n° 36, neveu de la défunte qui ont signé après lecture avec nous Dutertre Jacques Delarue, chevalier de la Légion d’honneur, adjoint au Maire du sixième arrondissement de Paris officier de l’Etat civil
Guinemond Fiquet Delarue »
Mack Gerstle, La Vie de Paul Cezanne, Paris, Gallimard, « nrf », collection « Les contemporains vus de près », 2e série, n° 7, 1938, 362 pages, p. 149 :
« La famille Fiquet s’installa à Paris quand Hortense était encore une enfant. Les revenus de son père étaient très modestes et Hortense gagnait sa vie à coudre des livres faits à la main. D’après les uns, elle ajoutait à son salaire par des séances de pose ; mais on ne peut dire s’il s’agit là d’un fait ou d’une légende inventée pour expliquer sa rencontre avec Cezanne. »
14 août
Lettre de Zola à Marius Roux, Paris, 14 août 1867
Zola demande à Marius Roux qu’il aille voir Cezanne lui demander qu’il lui écrive.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, 594 pages, lettre n° 196, p. 514-517.
« Va donc voir Paul, à Aix, et dis lui de m’écrire ; je suis sans nouvelles de lui depuis un mois. »
15 août
Marion écrit à Morstatt qu’il se sent bien seul à Paris, (Cezanne ne l’a donc peut-être pas accompagné, comme prévu dans sa lettre de juin) et qu’il se propose d’aller bientôt voir Zola.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 22, de Marion, Paris, à Morstatt, 15 août 1867, p. 49, 58.
« Je viens de voir de la peinture. L’exposition particulière de Courbet est vraiment magnifique. Il y a là 300 toiles superbes, toutes remarquables et la plupart complètes. C’est vraiment un individu d’une entière force, vraiment entière.
Celle de Manet est très remarquable à un autre point de vue. Figure-toi que sa peinture m’a fait un véritable effet d’étonnement, et qu’il m’a fallu m’y acclimater. En définitive ces toiles sont très belles — très vues comme justesse de ton. Mais son œuvre n’est pas encore au moment bien arrivée de l’éclosion, elle se complétera et s’engraissera, je crois. Très beau, en somme, et je demeure avec immensément de sympathie. »
Août
Marius Roux donne à Zola des nouvelles de Cezanne :
Rewald John, Cezanne, sa vie, son œuvre, son amitié pour Zola, Paris, Albin Michel éditeur, 1939, 460 pages, p. 138-139.
« J’avais promis de t’écrire dès mon arrivée à Aix, c’eût été trop tôt, car je n’aurais pas répondu à ce que tu m’avais demandé. Aujourd’hui encore ce serait trop tôt s’il m’était permis d’attendre plus longtemps. Paul est pour moi un véritable sphinx. Je suis allé à lui dès les premiers jours de ma présence ici. Je l’ai vu chez lui, nous avons causé assez longtemps. Il y a quelques jours, il est venu avec moi à la campagne où nous avons couché une nuit : nous avons eu tout notre temps encore pour causer.
Eh bien ! tout ce que je puis te dire sur lui c’est qu’il se porte bien.
Toutefois, je n’ai pas perdu nos conversations. Je te les transmettrai de vive voix et tu feras la traduction. Quant à moi, je ne suis pas de force à traduire. Tu me comprends du reste : je ne suis pas descendu assez profondément dans l’intimité de Paul pour connaître le sens exact de ses paroles.
Cependant (car je puis bien hasarder une opinion) je crois qu’il a gardé pour la peinture un enthousiasme sacré. Il n’est pas vaincu encore ; mais sans avoir pour Aix le même enthousiasme que pour la peinture, je crois aussi qu’il préférera désormais la vie qu’il mène ici à celle qu’il mène à Paris. Il est vaincu par cette existence gomardiennne et il a un saint respect pour le vermicelle paternel.
Serait-il dupe de lui-même ? et se croirait-il vaincu par Gomard au lieu d’être vaincu par Nieuwerkerke ? C’est ce que je ne saurais dire et ce que tu te diras quand je te conterai plus longuement nos entretiens. »
4 septembre
Lettre de Zola à Marius Roux, Paris, 4 septembre 1867.
Émile Zola, correspondance, éditée sous la direction de B. H. Bakker, éditrice associée Colette Becker, conseiller littéraire, Henri Mitterand, tome I : 1858-1867, Montréal et Paris, Les Presses de l’Université de Montréal-éditions du CNRS, 1978, 594 pages, lettre n° 198, p. 521-522.
« Je n’ai pas abandonné mon idée de voyage, et, si la pièce ne passe pas plus tard que le 15 octobre, j’irai sans doute à Marseille, je partirai vers la fin septembre. Dans ce cas, il faut que je fasse mes préparatifs, il faut surtout que je prévienne Paul, qui reviendrait sur-le-champ à Paris, si j’abandonnais mon projet, ou qui m’attendrait, si je lui donnais suite. Tu vois donc que j’ai un vif intérêt à savoir si les Mystères peuvent être joués vers le 15 octobre. […] Je vois mon voyage tombé dans l’eau, car je n’irai certainement pas là-bas, si je ne dois y trouver aucun ami, et je ne puis pousser l’égoïsme jusqu’à retenir Paul à Aix indéfiniment. Avant de quitter Marseille, tâche donc d’obtenir une date fixe, la plus rapprochée possible, afin que je puisse savoir à quoi m’en tenir. »
6 septembre
De retour de Paris, Marion donne à Morstatt plus de détails sur les expositions de Manet et de Courbet et sur les tableaux qui figurent à l’Exposition. Cezanne travaille à la seconde version de L’Ouverture de Tannhäuser.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 23 de Marion, Aix, à Morstatt, 6 septembre 1867, p. 49, 54-55, 57, 58.
« En arrivant je suis allé voir les deux expositions particulières de Courbet et de Manet. Mon cher, celle de Courbet surtout est admirable et écrase à mon avis toute exposition possible de toiles. Il y a là 300 tableaux, la plupart des chefs-d’œuvre ; quelques-uns, ses derniers, ratés et alors complètement mauvais ; mais mauvais à faire rire. La chose est très curieuse.
Parmi ses premiers tableaux il y a une toile que je considère comme ce qui a été fait de plus fort jusqu’à ce jour en peinture. Je veux parler de ses Demoiselles de village. Dans un paysage de montagne tout en lumière, une espèce de cirque couronné par des bancs de rochers lumineux, une petite fille surveille des bœufs, qui paissent sur la côte, un chien se roule sur l’herbe, et trois jeunes demoiselles qui sont allées dans la campagne passer l’après-midi avec leurs goûters dans des paniers donnent leurs restes à la petite fille, timide comme tous les paysans de tous les pays. Cette toile est d’un effet étonnant, mon cher ; les personnages sont assez grands, un décimètre au moins, et tout le paysage est d’un blond lumineux qui attache. Je considère cela comme supérieur aux Véronèses du Louvre qui, à mon avis, sont pourtant avec les Delacroix les meilleures toiles produites. Puis son Enterrement d’Ornans, une toile de dix mètres avec plus de 60 personnages, grandeur naturelle, dans un cimetière. Les Casseurs de pierres, son Combat de cerfs et une foule encore.
Enfin la fameuse toile, bien belle encore, intitulée Bonjour, M. Courbet : Courbet arrive au paysage, le sac de paysagiste sur le dos, la veste sur le bras, la pique à la main ; la tête haute, et sa barbe escaladant le ciel [ici un dessin qui montre le mouvement de la barbe] comme on a dit, campé dans une pose d’une insolence inouïe ; devant lui deux bonshommes s’inclinent, la casquette à la main. Les trois personnages sont au premier plan d’un très beau paysage, de vastes horizons, avec une route qui serpente et une diligence jaune comme tu en as vu sur les routes du Midi, qui roule au galop au milieu de la poussière. La peinture y est très belle et l’on est pris d’une gaîté irrésistible vis-à-vis de cette toile.
Manet, lui, a quelques bonnes toiles, à son exposition : Olympia, Le dîner sur l’herbe, quelques natures mortes, Lolla [sic] de Valence, etc., quelques autres ratées ; mais on voit d’après cela son tempérament assez original et assez brutal ; incomplet pourtant. »
« L’Exposition est très belle et très curieuse. La Galerie des Beaux-Arts est intéressante comme possibilité de comparaison des arts étrangers actuels. Ce n’est vraiment qu’en France seulement qu’il y a quelques artistes en ce moment, quelques paysagistes et quelques peintres de genre.
Il n’y a que des ouvriers ailleurs, vraiment, et des individus à adresses. Pas un peintre. Les Anglais et les Américains sont littéralement insensés, mon cher. »
« Paul, vraiment, est bien plus fort que ça. »
« Je voudrais que tu vis la toile qu’il est en train de faire à ce moment. Il a repris le sujet que tu connais déjà, l’ouverture du Tannhäuser mais dans des tonalités tout à fait différentes dans des colorations très claires, et tous les personnages très finis. Il y a une tête de jeune fille blonde, d’un joli et d’une puissance étonnante, et mon profil est d’une ressemblance très grande, tout en étant très fait, sans ces aspérités de couleurs qui gênaient et ces aspects féroces qui repoussaient. Le piano est toujours très beau, comme sur l’autre toile, et les draperies, comme d’ordinaire, d’une vérité étonnante. Il est probable que ça sera refusé à l’exposition, mais ce sera toujours exposé quelque part, une toile semblable suffit pour faire une réputation. »
9 octobre
Marion écrit à Morstatt que Zola est dans le Midi. Son drame, Les Mystères de Marseille, est joué au Gymnase. Zola trouve son drame mauvais, mais manifeste un intérêt sérieux pour le théâtre. Cezanne et Zola doivent bientôt partir pour Paris.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 24 de Marion, Aix ?, à Morstatt, 9 octobre 1867, p. 50, 58.
« Zola est venu passer une huitaine de jours dans le Midi. Pourquoi n’étais-tu pas ici ? Nous aurions eu encore quelques bonnes heures assez drôles, lui, Cezanne, toi et moi. L’on jouait à Marseille au Gymnase un drame de lui [Les Mystères de Marseille] : d’où son voyage.
Ce drame n’est pas absolument mauvais quoiqu’il dise lui-même que c’est infect. Il y a des choses très osées et trop artistiques qui ne peuvent pas plaire. Par exemple faire voler sur la scène même, dans la caisse d’un commerçant par un commis, avec un monologue de passion vis-à-vis de l’armoire à billets de banque. Il y a dans ce drame une mère qui se fait courtisane pour retrouver son fils que l’on a volé et que des parents ont lancé dans le vice. Assez hardi, tout cela, comme tu vois. Cela a eu à peu près le même sort que Henriette Maréchal. L’on a sifflé et applaudi à la première représentation ; la seconde s’est mieux passée ; sans trop de bruit et avec assez de succès. C’est une affaire d’argent pour lui et rien de plus. Il vient de terminer un roman vraiment bien, intitulé Thérèse Raquin.
Il a déjà paru dans l’Artiste, revue périodique de Paris ; et va bientôt être mis en volume. Il me l’enverra aussitôt. Il est bien décidé à travailler ferme pour le théâtre. Au risque de ne pas plus réussir que de Goncourt. Je le lui conseille fort. Il peut s’y faire de quoi vivre, rapidement. Ce serait une bien belle affaire.
Paul et lui vont repartir bientôt pour Paris, et me revoilà seul. »
17 octobre
Marion écrit à Morstatt que Cezanne est à la campagne. Marion marque l’ennui que lui donne la musique de Meyerbeer et de Rossini qu’il avait entendue à Paris.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, n° 25 de Marion, Aix, à Morstatt, 17 octobre 1867, p. 58.
Octobre
Lettre de Marion à Morstatt.
Barr Alfred, « Cezanne d’après les lettres de Marion à Morstatt 1865-1868 », Gazette des beaux-arts, 79e année, 6e période, tome xvii, 883e livraison, janvier 1937, lettre n° 26 de Marion à Morstatt, octobre 1867, p. 58.
« Tu es à demi dématérialisé, toi, et je suis en extase devant cette vie intérieure que je te jalouse. Vois-tu, mon cher, rien ne peut encore égaler une jouissance physique, ou les sentiments qui en dérivent. Foin de tout le reste : musique, peinture, littérature, science, presque tout sensations ; ainsi que l’art. Que diable, on peut l’avouer tout haut. »
[Automne]
Pissarro et sa famille reviennent habiter à Paris, 108, boulevard Rochechouart, d’après l’adresse figurant dans le catalogue du Salon de 1868 et d’après la date que donne une lettre de Pissarro du 11 octobre 1868.
Courant de l’année
Cezanne peint le tableau L’Enlèvement (FWN590-R121), daté et signé « 67 Cezanne », qui appartiendra à Zola.
Selon Georges Rivière (« avec la collaboration de M. Paul Cezanne, fils du peintre »), ce tableau aurait été peint chez Zola, rue La Condamine. (Dates du séjour de Zola rue La Condamine ?). Georges Rivière mentionne aussi que les portraits d’Émile Zola (Portrait d’Émile Zola, FWN394-R078) et de sa femme (Tête de femme, portrait présumé de Madame Zola, FWN395-R075) auraient aussi été peints dans l’appartement de Zola, 14, rue La Condamine.
Rivière Georges, Le Maître Paul Cezanne, Paris, H. Floury éditeur, 1923, 242 pages, p. 46, 198, 199 :
« Pendant un de ses séjours à Paris, Cezanne exécuta pour Zola un tableau : L’Enlèvement, d’un style encore romantique, mais d’une facture très différente de celle des toiles plus anciennes. […]
L’Enlèvement Tableau peint chez Émile Zola, rue La Condamine. A figuré à la vente Émile Zola (1903). H. 0,86 ; L. 1,20. […]
1869 Portraits d’Émile Zola et de sa femme Ces portraits ont été peints dans la- maison habitée par l’écrivain, rue La Condamine. »
Marion publie un fascicule sur ses découvertes de vestiges préhistoriques dans les Bouches-du Rhône.
Marion A.[ntoine]-F[ortuné], préparateur à la faculté des Sciences de Marseille, Premières Observations sur l’ancienneté de l’homme dans les Bouches-du-Rhône, Aix, typographie Demondet-Aubin, 1867, 20 pages.